• Aucun résultat trouvé

d’un genre de vie aux modes de vie

B) La diversification des groupes culturels de l’archipel, leur lieu de vie et leur rapport à la ressource de vie et leur rapport à la ressource

2. Sur la côte sud-ouest, des communautés regroupées géographiquement

La côte sud-ouest correspond à la zone la plus peuplée de l’archipel. Nouméa, la seule ville du Territoire, y est implantée. Avant la Seconde Guerre mondiale, il était interdit aux Kanak de résider à Nouméa, d’où sa dénomination de « ville blanche ». Elle était peuplée de « gros », ces grands propriétaires fonciers qui laissaient leurs domaines en métayage, ces commerçants-exportateurs, fonctionnaires, riches miniers etc.

Après la Seconde Guerre mondiale, quatre événements accéléreront la croissance urbaine à l’origine du développement d’un habitat périurbain. Tout d’abord, à partir de 1946, la levée des interdictions relatives aux déplacements et à la résidence des Kanak et l’ouverture des réserves favorisèrent le développement d’une migration d’abord circulaire puis définitive entre les zones tribales et rurales vers la ville. La migration circulaire telle que définie par Joël Bonnemaison (Bonnemaison, 1977) est une migration de courte durée, peu éloignée de la zone d’origine et contrôlée plus ou moins étroitement par les milieux de départ. Pour d’autres populations mélanésiennes, comme l’a montré C. Hamelin, certaines migrations ne répondaient pas à des logiques économiques mais à des dynamiques traditionnelles de mobilité (Hamelin, 2000)). La ville blanche va ainsi voir s’installer progressivement des Kanak.

Puis, en 1956, le changement institutionnel de l’ancienne colonie en « Territoire » va amener un important personnel administratif en 1956 à Nouméa (Doumenge et al., 1996). Il sera ensuite suivi d’un exode rural sans précédent accompagnant la croissance économique du boom du nickel de 1968 à 1972. Elle attirera outre les Kanak, les Caldoches et plus de 20.000 Tahitiens et Wallisiens (Doumenge et al., 1996). Les Caldoches se détourneront de l’agriculture puisqu’avec la fin de l’indigénat, le prix de la main d’œuvre subit une forte augmentation. Ils gagneront les sites miniers les plus proches avant de s’installer en ville, le centre économique. Enfin, les « événements » que connut la Nouvelle-Calédonie de 1984 à 1988 eurent raison d’une bonne partie des Calédoniens d’origine européenne vivant en Brousse et les poussèrent à venir s’installer bon gré mal gré sur la côte sud-ouest de la Grande Terre, principalement en ville.

Toutes les communautés cohabitent avec les immigrants arrivés après la Seconde Guerre mondiale. Les nouveaux migrants européens se sont particulièrement implantés à Nouméa. D’ailleurs, les Européens toutes origines confondues constituaient 64% de la population urbaine en 1996. Selon le recensement de 1996, le dernier à avoir pris en compte les spécificités communautaires de la population, il apparaît que Nouméa, seule commune urbaine, concentrait plus de la moitié des populations européennes (calédoniennes ou métropolitaines), ni-vanuatu, vietnamiennes (83%) et autres asiatiques (75%, autres que les Indonésiens). 22% de la population est composée de Mélanésiens. La ville rassemble une très faible partie d’autres communautés notamment polynésiennes. Le particularisme de la commune urbaine réside dans un habitat concentré à résidentiel, où les ménages choisissent de vivre plus proche de leur lieu de travail, des services et commerces, des lieux de vie publics, de la culture... La densité de population la plus importante du territoire correspond à la plus forte concentration de revenus les plus élevés.

De nos jours, le Grand Nouméa regroupe environ 60% de la population recensée en Nouvelle-Calédonie.

Si Nouméa a subi de plein fouet l’exode rural et a attiré de nombreuses populations, les communes périurbaines (Mont Dore, Dumbéa et Païta) ont connu également un fort développement. Les mouvements de populations sont multiples. Certaines ont migré de Nouméa vers les communes périurbaines ; d’autres sont directement venues de Brousse pour s’installer en périphérie du pôle urbain. A cela deux causes majeures : la situation de presqu’île de Nouméa et la cherté des loyers et de l’immobilier. Comme Nouméa est située sur une presqu’île, son espace n’est pas extensible et l’urbanisation a rejoint les communes limitrophes. Les prix de l’immobilier ont tellement augmenté depuis les années 1980-1990 à Nouméa qu’ils ont également contraint les

populations à trouver un logement en périphérie de la commune, favorisant ainsi l’extension urbaine de Nouméa en tache d’huile notamment le long des axes de communication. Beaucoup de salariés modestes et de couples avec enfants furent obligés de trouver des logements correspondant à leurs ressources financières et à leur idéal (maison et jardin) dans les communes limitrophes aux loyers et prix de l’immobilier nettement plus accessibles, avec une plus grande disponibilité de terrains. Il en résulte une densité de population moyenne de 17,24 hab/km². Y habitent majoritairement les ménages de classes moyennes, les classes ouvrières.

Ainsi s’est exercée une distribution spatiale des communautés en rapport direct avec l’exiguïté de la commune de Nouméa, du marché de l’immobilier et en rapport avec leurs représentations. En 1996, plus de la moitié des populations polynésiennes sont implantées dans les communes périurbaines du Grand Nouméa40. D’ailleurs, ces communautés, qui ne choisiront pas le travail sur les mines en Brousse, s’implanteront quasiment dès leur arrivée sur le Territoire en périphérie de la ville, puis dans les communes limitrophes, à tel point que 58% des communautés wallisiennes et futuniennes et 51% des Tahitiens résident dans les communes périurbaines. Ces communautés sont très nombreuses au Mont Dore. Les Wallisiens et Futuniens représentent un tiers de la population de la commune de Païta, et les Kanak en composent 24%.

Si 30% des populations européennes vivent en milieu périurbain, elles sont quantitativement plus nombreuses au Mont Dore, même si elles constituent 40% de la population de cette commune et de celle de Dumbéa.

Il en est de même pour les Kanak qui n’habitent pas dans des tribus. Ils résident pour 33% dans les communes périurbaines. Ils sont numériquement plus nombreux au Mont Dore, bien qu’ils constituent 24% de la population de Païta.

Le revers de la médaille tient aux mouvements pendulaires des travailleurs des communes périurbaines et dont les emplois se situent à Nouméa. La faiblesse du tissu économique sur leur lieu d’habitation les contraint à réaliser ces trajets journaliers.

La dernière commune qui nous intéresse est Boulouparis. Trop éloignée de Nouméa (73 km) et des centres économiques, elle n’a pas été une commune réceptive de l’exode rural. L’étude de la composition de sa population révèle qu’elle est typique d’une cohabitation classique et traditionnelle entre les Européens Calédoniens et les Kanak. Ils composent respectivement 43% et

40

Le Grand Nouméa est un vocable regroupant la ville de Nouméa et les communes limitrophes périurbaines : Mont Dore, Dumbéa et Païta. Données datant du dernier recensement qui prenait en compte les spécificités culturelles des communautés humaines : en 1996.

44% de la population. Les premiers sont regroupés au sein de tribus, les seconds au sein de bourgs ou villages ou résident dans de grandes propriétés agricoles isolées principalement dédiées à l’élevage bovin ou de cervidés, qui constituent un habitat dispersé. D’ailleurs, le secteur d’activité de la population est orienté majoritairement vers le secteur agricole ou la pêche (46% de la population active inscrite au RIDET41). Ces Calédoniens ayant réussi à échapper à l’exode rural sont caractérisés par un attachement fort à leur propriété, à cette terre qui les a vu naître, à un art de vivre rythmé par les saisons. S’ils n’ont pas choisi de rester dans le fief familial, les habitants aiment dans ce mode de vie la tranquillité, l’isolement.

En résumé, les raisons qui ont poussé les habitants à s’installer à Nouméa ou sur les communes périurbaines sont d’ordre économique principalement, mais elles peuvent aussi bien concerner les représentations que les populations possèdent du type de logement idéal et du meilleur cadre de vie qui leur correspondent. Ainsi, si les choix spatiaux de résidence ne sont pas subis par des contraintes économiques, ils relèvent d’une adéquation entre le cadre de vie, le mode de vie qu’une commune peut offrir et les représentations qu’un individu possède de la qualité de vie qu’il aura en choisissant d’y résider. Or, le modèle du logement idéal est une maison individuelle avec un terrain attenant, de préférence en accession à la propriété. Ce type de logement n’est financièrement accessible à une famille modeste qu’en périphérie de la ville ou dans les communes périurbaines, de préférence peu éloigné de son lieu de travail. Ces communes ou quartiers urbains offrent le meilleur compromis entre la cherté de l’immobilier, et la recherche d’espace et de conditions de vie plus propices à ce que recherchent les familles : espaces de jeu pour les enfants, plus d’espaces verts et de nature.

Nous posons donc l’hypothèse qu’existent quatre modes de vie en fonction des communes ou des lieux de résidence : urbain, périurbain, rural et tribal. Ils structureront une partie des analyses sociales réalisées dans cette thèse. En effet, c’est parce qu’un individu aspire à un mode de vie, qu’il choisira de résider dans la commune correspondant à ses attentes. D’où un probable processus d’homogénéisation des comportements au sein des populations.

A l’inverse, si le lieu de résidence n’est pas choisi mais subi, il est possible que les représentations entre l’individu et le mode de vie soient en décalage. C’est le cas de nouveaux migrants en milieu urbain, qui n’adhèrent pas au mode de vie urbain, mais par exemple plutôt au mode de vie rural et qui profitent de tous ses moments de libre pour rejoindre sa famille en Brousse. Il peut aussi s’agir de citadins contraints de s’exiler en périphérie pour des raisons financières. Cependant, pour ces populations, le temps joue son rôle d’érosion et les individus vivent avec des réminiscences d’un

41

mode de vie auquel ils n’adhéraient pas à leur arrivée mais qu’ils finirent par adopter par la force des choses et du temps, surtout s’il est issu d’une seconde voir troisième génération. A ce stade, l’idéalisation de ses racines et des traditions est forte.

Le mode de vie est par conséquent facteur de regroupement spatial des groupes culturels, mais facteur d’intégration et d’homogénéisation des comportements.

En ce qui concerne la pêche, la composition culturelle des communes et les modes de vie pourraient ainsi donner des pistes d’analyse comportementale relatives aux représentations et donc aux pratiques de pêche, au rapport des pêcheurs à la ressource et au milieu marin. Nous vérifierons s’il existe un phénomène d’homogénéisation des comportements ou au contraire des spécificités propres aux groupes sociaux et leurs modes de vie, et quelle en serait l’incidence au niveau des comportements et pratiques de pêche.