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Liée à la modernité, à l’Occident et à la démocratie, la notion de communication comporte aujourd’hui plusieurs significations107. Il s’agit d’abord de l’idéal d’expression et d’échange qui présuppose l’existence d’individus libres et égaux. L’émergence de cet idéal depuis le XVIIIe siècle a été possible grâce à une reconnaissance préalable de la place de l’autre, c'est-à-dire de la liberté et de l’égalité des individus. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale,

104 BAYART (1996), p.225. 105 Ibid., p.231.

106 LAMIZET (2002), p. 11.

la notion de communication donne lieu à une véritable utopie : elle est envisagée comme ciment de la société démocratique permettant d’éviter les conflits et les violences108. La communication renvoie à des « valeurs, symboles et représentations qui organisent le

fonctionnement de l’espace public des démocraties de masse, et plus généralement de la communauté internationale à travers l’information, les médias, les sondages, l’argumentation et la rhétorique »109. En même temps, le terme de communication désigne l’ensemble des médias de masse et l’ensemble des techniques de communication (télécommunication, informatique, audiovisuel et leur interconnexion).

Ainsi, la notion de communication condense deux sens : celui de partage et celui de transmission et de diffusion. Elle est un phénomène complexe qui permet aux individus et aux collectivités de se représenter et d’entrer en relations les uns avec les autres. La notion de communication est inséparable de celle d’information : « si l’information a pour objet de

mettre en forme le monde, de rendre compte des événements, des faits, et de contribuer directement au fonctionnement des sociétés complexes »110, la communication, « au-delà de

l’idéal normatif d’échange et d’interaction, constitue le moyen de diffuser ces informations et de construire les représentations » 111.

La communication se présente comme lieu d’institution de l’identité dans sa dimension singulière et dans sa dimension collective et politique. Si l’identité singulière se constitue dans la relation à l’autre dans le champ de la communication intersubjective, l’identité politique se fonde sur la relation à l’autre dans le champ de la communication médiatée. Celle-ci consiste pour les acteurs sociaux « à donner du sens aux formes et aux

représentations par lesquelles les appartenances s’expriment dans l’espace public »112.

L’identité politique se fonde ainsi sur le pouvoir113 et apparaît au moment où elle fait l’objet d’une représentation dans les médias, qui élaborent des représentations politiques, idéologiques et institutionnelles de l’espace public, ou dans les pratiques de communication des acteurs politiques, porteurs de mandats.

La communication et l’espace public

108 BRETON, Philippe (1990), L’utopie de la communication, Paris : La Découverte. 109 WOLTON (1997), p.374.

110 Ibid., p.375. 111 Ibid., p.375.

112 LAMIZET (2002), p. 204.

La notion d’espace public renvoie étymologiquement à l’espace de l’indistinction (« public » vient de « publicus », qui, lui-même, vient de « populus », le peuple, en latin)114. Dans la conception du philosophe allemand Jürgen Habermas, l’espace public, notion reprise dans l’œuvre philosophique d’Emmanuel Kant, renvoie à la sphère intermédiaire entre la vie privée de chacun et l’État qui s’est constituée historiquement en Angleterre et en France à la fin du XVIIIe siècle. Il s’agit d’un lieu d’indistinction, « fondé sur l’usage public de leur raison par

des individus privés dont la compétence critique n’est point liée à leur appartenance à un corps patenté ou au monde de la cour mais à leur qualité de lecteurs et de spectateurs rassemblés par le plaisir de la discussion conviviale »115. L’espace public se présente ainsi comme un espace d’énonciation, d’opinion, de confrontation, de délibération et de décision116. Le journal, le salon et le café constituent trois formes principales qui contribuent à la publicisation des opinions privées et à la formation dans des échanges discursifs de l’opinion publique comme un moyen de contrer le pouvoir de l’État. Les lieux de la publicisation de l’opinion existaient sous formes différentes dans d’autres époques et sociétés. Ainsi, dans l’histoire antique grecque le rôle d’espace public était assumé par l’agora et par le théâtre117.

L’Église, la Monarchie, la fête et le bouffon ont constitué les formes de la publicisation de l’espace public au Moyen Âge118 tandis qu’à l’époque industrielle ce sont le journal et l’affichage qui « assurent à l’espace public la consistance symbolique d’un ensemble de

représentations, d’images et de discours qui rendent possibles la reconnaissance et l’appropriation par les citoyens des formes symboliques constitutives de leur savoir et de leur culture »119.

L’espace public est un espace politique dans sa matérialité spatiale et un espace symbolique. En tant qu’espace politique120, l’espace public est le lieu où se tiennent les événements, où s’effectuent les actions et où se prennent les décisions concernant la vie de la société121. En tant qu’espace symbolique, l’espace public est un lieu d’élaboration, de diffusion, de circulation et de confrontation des discours et des représentations « qui font de nous des sujets

114 LAMIZET, SILEM (1997), 231 p.

115 CHARTIER, Roger (1990), Les origines culturelles de la Révolution française, Paris : Seuil, p.189. 116 HABERMAS, Jürgen (1992), « “L'espace public“ », 30 ans après », Quaderni, n° 18, p. 161-191. 117 LAMIZET (2002), p. 198.

118 CHARAUDEAU, Patrick (2005b), Les médias et l’information, Bruxelles : De Boeck, p.115. 119 LAMIZET (2002), p. 198.

120 Certains chercheurs considèrent l’espace politique comme faisant partie de l’espace public mais ne le recouvrant pas entièrement car tout ce qui se dit dans l’espace public n’est pas nécessairement d’ordre politique ou comme distinct de l’espace public. Ainsi, Dominique Wolton propose de distinguer entre l’espace commun de la circulation et de l’expression, l’espace public de la discussion et l’espace politique de la décision. Voir WOLTON (1997).

symboliques de langage et de culture en même temps que des citoyens porteurs de droits et d’opinions »122. En effet, l’identité politique des sujets dans l’espace public se fonde sur l’opinion. Celle-ci est « l’expression d’un examen, réputé libre, puis d’un choix »123. Active, assumée et militante ou passive (la doxa), l’opinion constitue une « médiation imaginaire de

l’identité politique du sujet articulée à la dimension réelle de sa pratique et de son engagement et à la dimension symbolique de son discours et de ses représentations » 124. À côté des acteurs politiques, institutions et artistes, les médias représentent une instance clé de l’espace public. Ils diffusent à la fois des idées et des opinions qui sont des représentations crédibles du réel, autrement dit « savoirs de connaissance » et des jugements d’autorité et l’idéologie125, autrement dit « savoirs de croyance »126. Les médias instituent l’opinion comme fait social et lui donne une dimension collective d’une représentation des appartenances qui garantit la formation des acteurs collectifs dans l’espace public.

L’espace public est ainsi le lieu de la publicisation des diverses représentations et des opinions, le lieu de la confrontation et du débat où les acteurs sociaux porteurs des diverses identités politiques s’opposent les uns aux autres et le lieu des médiations et des représentations symboliques de l’appartenance.

La communication et les identités

La communication est souvent considérée comme un principe intégrateur pour un groupe déterminé. Ainsi, la thèse centrale du sociologue Karl Deutsch consiste à expliquer la cohésion et la persistance des États et des nations en termes des processus de communication et non de puissance : « L’aspect essentiel de l’unité du peuple…est la

complémentarité et une efficacité relative de la communication entre individus –une sorte du rapport personnel mutuel, mais à une échelle plus large »127. Les médias sont ainsi indispensables à la conscience nationale et en vue d’une action concertée. L’idée de K. Deutsch trouve son écho dans les travaux du politiste britannique W.J.M. Mackenzie qui

122 Ibid., p. 198.

123 LAMIZET, Bernard (2011), Le langage politique, Paris : Ellipses, p.27. 124LAMIZET (2011), p.28.

125 L’idéologie dans sa signification contemporaine désigne les croyances et les expressions imaginaires diffusées par les institutions (institutions politiques, religieuses, médias). VAN DIJK, Teun (2006), « Politique, idéologie et discours », Semen, n°21. URL : //http://semen.revues.org/document1970.html. Consulté le 22 mai 2009.

126 Nous empruntons la distinction entre les savoirs de connaissance et les savoirs de croyance chez Patrick Charaudeau. Voir CHARAUDEAU (2005b), p. 32-34.

127 “The essential aspect of the unity of a people…is the complementarity or relative efficiency of communication among individuals –something that is in some ways similar to mutual rapport, but on a larger scale”. DEUTSCH (1966), cité in SHLESINGER (1991), Philip, Media, State and Nation: Political Violence and Collective Identities, London: Sage Publications.

propose de considérer la problématique de l’identité collective à travers la communication : « La communauté des communicateurs, même si elle est vague, est beaucoup plus précise

dans sa définition que la communauté des intérêts et la contiguïté de l’espace. Les concepts traditionnels du monde moderne, nation, race, religion, classe…gardent leurs positions de pouvoir : mais, chacun doit être généralisé en effet en termes d’échange de, ou de la participation dans, les processus symboliques »128.

Cette perspective articule la notion d’identité à celui de territoire et à celui de frontières de communication : ceux qui partagent le même espace de communication ont une appartenance commune. Si actuellement l’identité nationale s’élabore dans l’espace social délimité par les frontières territoriales et juridiques de l’État et de la nation, l’espace social de l’État-nation ne résout pas le problème de la construction de l’identité nationale, il permet seulement de limiter ses élaborations possibles129. D’une part, les frontières de l’espace social d’information et de communication peuvent être difficilement définies dans le contexte actuel de la communication par l’Internet. D’autre part, au sein de l’espace social et culturel d’un État-nation, différentes identités culturelles sont élaborées. Les identités collectives ne se réduisent pas ainsi à des répertoires de symboles partagés par les sujets de la même appartenance. Elles font l’objet de confrontation et de compétition pour de constantes redéfinitions dans des discours et des pratiques de communication.

Aborder les identités collectives à travers les espaces de communications dans lesquels elles sont instituées permet d’éviter d’enfermer les identités dans les cadres politiques ou géographiques et de les considérer au moment de leur formation dans les pratiques de communication.

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