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Les imaginaires, les mémoires et les usages du mot « révolution »

La démarche méthodologique

4.1.1. Les imaginaires, les mémoires et les usages du mot « révolution »

Nous rappellerons d’abord la définition de l’imaginaire, proposée dans le premier chapitre. On peut comprendre l’imaginaire à partir de l’articulation lacanienne entre le réel, le symbolique et l’imaginaire. Dans la sémiotique politique, ce terme désigne les projets dont sont porteurs les acteurs, les orientations des politiques, des stratégies et des discours, l’ensemble de ce à quoi peuvent croire les acteurs politiques ou de ce qui peut susciter la peur582. Selon C. Castoriadis, la société est instituée à partir de significations imaginaires qui

581ROUSTEL, Damien, « Kiev, capitale sur un volcan », L’Humanité, 30/10/2004. 582 LAMIZET (2006).

sont transmises historiquement, culturellement et socialement583. Dans la tradition de l’analyse du discours, le terme d’imaginaire s’articule à celui de mémoire. Les imaginaires, affirme P. Charaudeau, « sont engendrés par les discours qui circulent dans les groupes

sociaux, s’organisant en systèmes de pensée cohérents créateur de valeurs, jouant le rôle de justification de l’action sociale et se déposant dans la mémoire collective »584.

Le terme d’imaginaire que nous employons dans cette thèse articule les discours à l’ensemble des valeurs et croyances et à la mémoire dont les locuteurs sont porteurs. Cette position théorique rejoigne celle du dialogisme. Selon Bakhtine, tout discours rencontre le discours de l’autre et entre avec lui dans une relation, lui répond et lui fait écho. Il peut s’agir des discours qui l’ont précédé ou des discours qui pourrait le précéder ou lui succéder585. Il existe ainsi une « mémoire des mots »586, c'est-à-dire une accumulation de sens au cours de la circulation des mots dans les discours dans l’histoire. L’usage du mot est imprégné d’imaginaire et de mémoire qui lui sont associés dans des discours qui circulent dans un espace social et politique.

« Révolution » : imaginaire, mémoire et usage du mot en France

Attesté en français depuis XIIe siècle, le mot la « révolution » est devenu très actif dans les discours francophones depuis la fin du XVIIIe siècle587. Dans son ouvrage « Révolution ».

Histoire d’un mot, Alain Rey, linguiste, historien et directeur littéraire des dictionnaires Le

Robert, retrace le parcours sémantique et discursif du mot « révolution » à travers les siècles et repère par ses usages la formation, les changements et les disparitions d’idées qui lui sont associées.

Le mot français « révolution » est issu du substantif latin « revolutio » (cycle, retour), de la famille du verbe « volvere » qui signifie « faire rouler » et « accomplir en roulant ». À l’origine, il s’agit d’un terme d’astronomie qui désigne le mouvement tournant régulier, cyclique et irrésistible des étoiles588. Il a pris l’importance dans les sciences de la Nature à travers l’œuvre De revolutionibus orbium coelestium de N. Copernic. Ce sens de révolution est d’ailleurs toujours en usage. Dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alambert (1751-1765) le mot « révolution » s’applique au domaine de l’astronomie, de la géométrie et de la nature,

583 CASTORIADIS (1975).

584 CHARAUDEAU, Patrick (2007), « Les stéréotypes, c’est bien, les imaginaires, c’est mieux » publié in Boyer, Henri (dir.) Stéréotypage, stéréotypes : fonctionnements ordinaires et mises en scène, tome 4 : Langue(s), discours, Paris : L’Harmattan, p. 49-63.

585 TODOROV (1981).

586 TOURNIER (2002) ; MOIRAND (2007).

587 REY, Alain (1989), « Révolution » : Histoire d’un mot, Paris : Gallimard, p. 11. 588 ARENDT, Hannah (1967), Essai sur la Révolution, Paris : Gallimard, p.57.

tandis que l’article sur la révolution est consacré uniquement à « l’horlogerie, et les

mouvements des roues transmis par engrenages »589. Appliqué progressivement au domaine politique, le terme signifie « le retour éternel des quelques formes connues de gouvernements

parmi les mortels, soumis à la même force souveraine qui oblige les astres à suivre leurs cours prévu dans le ciel »590. La « révolution » a ainsi une connotation mythique qui renvoie à des lois supérieures fixant les destinées ou le retour à l’ordre prévu d’avance591.

Selon Hannah Arendt, le mot « révolution » a été employé pour la première fois avec une signification politique en 1660 en Angleterre après le renversement du Parlement Croupion et à l’occasion de la restauration de la monarchie592. Depuis la seconde moitié du XVIIe siècle le mot « révolution » est en vogue et s’emploie dans plusieurs acceptions politiques avec une connotation positive ou négative. Ainsi, les troubles politiques de la Fronde sont désignés par Jean-François de Gondi, le cardinal de Retz par le mot « révolution », associé dans ce contexte « à « l’émotion » populaire, au déséquilibre du fonctionnement de l’Etat, la

formation des « partis » et des « factions », aux relations conflictuelles entre la « cour » et le « Parlement », en partie mû par le « peuple »593. La guerre d’Indépendance des États-Unis d’Amérique (1775-1783) est qualifiée en France de révolution, d’« heureuse révolution »594, de « grande révolution de la liberté »595. Les valeurs juridiques, institutionnelles et constitutionnelles du mot la « révolution » sont introduites par Montesquieu dans L’Esprit des

lois (1748). La révolution s’applique dans cet ouvrage « non pas à un spectaculaire mais

quelconque « retournement » de situation politique, mais à une profonde modification du droit public ; non pas à un changement de gouvernant, mais de gouvernement »596. À la signification de changement violent dans l’État, selon l’usage répandu à l’époque, Montesquieu en apporte une autre, celle de « modification contrôlée du droit constitutionnel

et de la société»597. Ce sens du mot « révolution » est toujours en usage avec une référence à Montesquieu.

L’utilisation du mot va de pair avec sa conceptualisation ce qui permet au nom commun la « révolution » de devenir un nom propre après les événements du juillet 1789. Le fameux 589 REY (1989), p. 55. 590 ARENDT (1967), p.57. 591 REY (1989), p. 55. 592 ARENDT (1967), p.58. 593 REY (1989), p. 46. 594 Ibid., p. 93. 595 Ibid. 596 Ibid., p. 75. 597 Ibid., p. 355.

dialogue rapporté entre Louis XVI et le duc de La Rochefoucauld-Liancourt témoigne de l’apparition d’un nouvel usage du mot « révolution » qui insiste pour la première fois sur l’irrésistibilité des changements598. Le soir du 14 juillet 1789, à Paris, Louis XVI apprend du duc de La Rochefoucauld-Liancourt la chute de la Bastille. « Est-ce donc une émeute ? – demande le roi inquiet. – Non, Sire, c’est une révolution ! », – lui répond le duc de La Rochefoucauld-Liancourt599. Il s’agit, pour Arendt, d’une idée d’un changement radical, d’un mouvement irrésistible qui met en scène un nouvel acteur politique : le peuple. « Ce qui

depuis lors est irréversible, que les acteurs et les spectateurs de la Révolution devaient reconnaître immédiatement en tant que tel, est que les affaires politiques –réservées, aussi loin qu’on pouvait remonter, à ceux qui étaient libres, on veut dire libres des soucis en rapport avec les nécessités de la vie, avec les besoins corporels –devaient être ouvertes désormais à l’immense majorité de ceux qui n’étaient pas libres parce que soumis au besoin tous les jours » 600. Le mot « révolution » a donc été investi d’une nouvelle signification : il désigne un puissant courant de liberté.

L’imaginaire de la Révolution française a été très fort de façon que, selon Arendt, toutes les révolutions modernes, la révolution américaine et la révolution russe, ont été « vues en images

tirées de l’histoire de la Révolution Française, interprétées en conceptions définies par les spectateurs et comprises en termes de nécessité historiques »601. Malgré le fait qu’après 1789 le mot « révolution » soit de plus en plus employé en France comme nom propre, il renvoie en tant que nom commun à des contenus opposés et présente un concept multiple. Selon Rey, la célèbre phrase de Robespierre « Citoyens, voulez-vous une révolution sans révolution ? » prononcée le 5 novembre 1792 en commentaire de l’insurrection du 10 août et du renversement de la monarchie, témoigne bien des contradictions dont l’emploi du mot est porteur602. Il s’agit, d’une part, de « la succession des faits, de la mutation effective… telle

qu’elle est souhaitée par les girondins »603, et de l’autre, « sans révolution », c’est : sans

l’idée générale que Robespierre se fait de la révolution, qu’il ne définit d’ailleurs que par allusion à un droit naturel opposé à la légalité, et fonde sur l’idée morale et naturelle de liberté »604. L’usage du mot par les révolutionnaires et les contre-révolutionnaires révèle tout 598 ARENDT (1967), p.65. 599 REY (1989), p. 109. 600 ARENDT (1967), p.65. 601 Ibid., p.78. 602 REY (1989), p. 131. 603 Ibid. 604REY (1989).

une « guerre d’idées autour de la parole révolutionnaire »605. Véhiculant pour les uns des valeurs de bien et pour d’autres des valeurs de mal, le mot « révolution » est considéré comme important par les deux camps. Les réflexions de Tocqueville sur la Révolution française rendent compte des dangers de l’imagination et de la rêverie dans le politique. La révolution est pour ce penseur une maladie mentale, « refoulement du politique dans le littéraire,

transfert menant des réformes nécessaires aux substitutions rêvées-révolutionnaires »606. Au XIXe siècle, le terme de « révolution » désigne d’autres événements qui redéfinissent sa signification. Les révolutions de 1848 investissent le mot d’un contenu socio-économique. Comme le mot est positivement connoté en France, le dénouement sanglant interdit de nommer « révolution » la Commune de Paris de 1871607. De nouvelles significations s’ajoutent au mot « révolution » au cours du XXe siècle. La révolution russe de 1905 et la révolution d’Octobre de 1917, quelles que soient leurs interprétations en fonction de sensibilités politiques, mettent au premier plan la violence de ce type d’événement politique. Lors des luttes pour l’indépendance et la décolonisation, le terme « révolution » est associé à la « libération nationale ». L’expression la « révolution de mai 68 » (ou « révolution de 68 ») désigne le plus important mouvement social de l’histoire de France du XXe siècle. Depuis les contestations étudiantes et ouvrières du mai 68 la notion « révolution » est associée à un profond bouleversement socioculturel et moral, la tentative de la libération de la société traditionnelle, du capitalisme et de l’impérialisme.

Le Petit Robert distingue deux emplois du mot « révolution » en français contemporain : « le mouvement en courbe fermé » et « le changement soudain »608. La première acception renvoie à l’usage du mot dans les sciences de la nature, dans la géométrie et la physiologie (par exemple, « révolution d’une planète », « surface de révolution », « révolution cardiaque »). La deuxième acception regroupe plusieurs significations. D’abord, un changement brusque, important et radical dans l’ordre social, moral, une transformation complète. Il est mobilisé pour parler des évolutions des opinions, des courants de pensée ou des sciences et exprime la perception de la société dans son changement (la « révolution copernicienne », la « révolution sexuelle », « la révolution technique »). Ensuite, il désigne « l’ensemble des évènements

historiques qui ont lieu dans une communauté importante (nationale, en général), lorsqu'une partie du groupe en insurrection réussit à prendre le pouvoir et que des changements

605 REY (1989), p. 163. 606 Ibid., p.244. 607 Ibid.

profonds (politiques, économiques et sociaux) se produisent dans la société »609. Selon les contextes politiques, on parle de diverses révolutions : démocratique, républicaine, prolétarienne ou nationale. Le mot peut aussi s’employer comme un nom propre d’événement désignant la Révolution française (l’expression « avant la Révolution » veut dire sous l’Ancien Régime). Les imaginaires associés au mot « révolution » en français sont éclatés entre deux types de valeurs : « l’un repéré par de grands mots abstraits, liberté, égalité,

patrie, nation, bonheur…qui forment un vocabulaire chatoyant, aimé, manipulé, trompeur ; l’autre qui doit assumer des réalités complexes, brutales, têtues, souvent assumées par les noms propres de l’histoire »610.

L’usage du terme « révolution » par rapport aux manifestations de contestation de 2004 dans les médias français serait ancré dans cet imaginaire et cette mémoire collective. Or la qualification de l’événement de « révolution » viendrait dans les discours français des discours ukrainiens. Il est alors important de tenir compte des imaginaires et des mémoires dont ce mot est doté en Ukraine.

« Révolution » : imaginaire, mémoire et usage du mot en Ukraine

Le mot ukrainien « revoljucija » (« révolution ») ainsi que son analogue russe sont des emprunts au polonais « rewolucja », lui-même issu du français. Ce parcours étymologique du mot reflète l’histoire de l’Ukraine dont certaines périodes sont partagées avec la Russie (l’époque de l’Empire russe) d’une part, et la Pologne (le royaume de Pologne, la

Rzeczpospolita), de l’autre. Les usages du mot « révolution » sont ainsi à rechercher non seulement du côté de l’ukrainien, mais aussi du côté du russe et du polonais.

Le mot « révolution » se rencontre en russe « dès 1710 chez Piotr Pavlovitch Chafirov,

diplomate et homme politique, proche de Pierre le Grand et auteur d’une Histoire de la guerre du Nord publié de 1700 à 1721. Ce mot correspond aux usages français de « révolution » au début du XVIIIe siècle pour désigner des événements historiques violents ou importants par les changements politiques qu’ils entraînent »611. Si la Révolution française a été rejetée par le discours officiel dans les États de Habsbourg et dans l’Empire russe et ses idées ne se sont pas traduites par l’élaboration de programmes politiques ou de projets philosophiques en faveur de l’universalisme, c’est que la plupart des peuples de l’Europe

609 REY, REY-DEBOVE (2011). 610 REY (1989), p. 150.

centrale et orientale subissaient à la fois une domination nationale et une domination sociale, parfois même une domination religieuse. Les mouvements de la libération nationale occupaient une grande place dans la vie intellectuelle de ces peuples.

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le thème de la révolution alimente davantage les débats intellectuels souvent contradictoires, qui ont contribué à la transformation des représentations politiques et culturelles et des imaginaires associés au mot la « révolution ». Une série des révolutions libérales et nationales de 1848 en Europe, en particulier dans l’Empire austro-hongrois, ont stimulé ces débats. Dans un contexte marqué par l’autoritarisme et l’autocratie, les partisans de la réforme dans l’Empire russe ont cherché des références historiques et des leçons pour l’action politique du côté de 1789612. Les représentations de la Révolution française, partagées par les cercles les plus larges de l’intelligentsia libérale au XIXe siècle, étaient idéalisées. Elles relevaient plutôt de l’imaginaire que de la connaissance scientifique et alimentaient le sentiment d’opposition à l’autocratie et l’envie de changements613. Les massacres de septembre, la guerre civile en Vendée, la Grande Terreur étaient passés sous silence. La révolution était représentée comme une grande fête de la Liberté. En même temps, d’autres couches de la société associaient au terme des valeurs négatives. En témoigne l’article sur la « révolution » publié dans la deuxième édition du

Dictionnaire raisonné du russe de Vladimir Dal (1880-1882). La révolution y est définie comme « un changement, une transformation brusque d’état, d’ordre, de relations ; troubles

ou inquiétude, anxiété. La révolution dans le temps, dans la digestion, dans l’opinion publique…//Révoltes étatiques, insurrection, indignation, émeute, faction et changement violent de mode de vie social »614. Ainsi, dans la deuxième moitié du XIXe siècle le mot « révolution » est porteur à la fois de valeurs positives et de valeurs négatives en fonction de la situation des locuteurs dans la société.

L’usage du mot « révolution » se manifeste à l’époque dans la littérature ukrainienne, notamment dans l’œuvre d’Ivan Franko qui dans son roman « Boryslav rit » (1882) met en scène la lutte sociale des ouvriers et, dans la poésie « L’hymne » (1880), connue davantage

612 DAUCE, Françoise (dir.) (2009), « Révolution (s) à l’Est de l’Europe », Siècles, Cahiers du Centre d’Histoire « Espaces et Cultures », Université Blaise-Pascal/ Clermont Ferrand II, n° 27.

613 TCHOUDINOV, Alexandre(2009), « L’image de la Révolution française de 1789 dans le discours public russe des années 1905-1907 » in DAUCE, Françoise (dir.), « Révolution (s) à l’Est de l’Europe », Siècles, Cahiers du Centre d’Histoire « Espaces et Cultures », Université Blaise-Pascal/ Clermont Ferrand II, n° 27, p. 37-46.

614 DAL, Vladymir (1882), Tolkovyj slovar jivago velikorrousskago jazyka (Dictionnaire raisonné de la langue russe vivante), tom 4, Saint-Petersbourg /Moscou : Izdanie knigoprodavza-tipografa M. Wolfa, p.88.

sous le nom « Le révolutionnaire éternel », associe une révolution à la liberté nationale et sociale, au progrès de la pensée et de la science.

La révolution russe de 1905 est souvent nommée « dimanche rouge » ou « dimanche sanglant ». Cette désignation peut témoigner du souhait des locuteurs de réserver l’usage du mot « révolution » à des changements positifs non-violents. Après la Révolution d’Octobre 1917615, le mot « révolution » est devenu le mot clé du discours idéologique soviétique, la Grande Révolution Socialiste d’Octobre, étant considérée comme la principale révolution dans l’histoire de l’humanité. Une théorie scientifique de la révolution sociale fondée sur les travaux de K. Marx et V. Lénine tentait à démontrer que depuis l’apparition de la propriété privée et la division de la société en classes antagonistes le passage d’une forme de la formation socioéconomique à une autre avait lieu lors de la révolution sociale, le plus haut degré de la lutte des classes. Les événements de 1917 s’inséraient dans le schéma marxiste-léniniste selon lequel le socialisme devait obligatoirement suivre le capitalisme, qui lui-même succédait au féodalisme. Le discours de la propagande soviétique employait le mot « révolution » pour désigner, d’une part, l’événement historique, un nom propre sacré et mythifié, de l’autre, l’édification d’un avenir meilleur par la révolution.

Le Dictionnaire raisonné du russe de Dmitrij Ouchakov, édité en 1935-1940, définissait la révolution comme « changement dans les relations sociopolitiques, effectué d’une façon

violente et amenant au passage du pouvoir de la classe dominante à une autre classe, socialement progressive »616. Le mot « révolution » est alors associé à la fois, au changement, à la violence et au progrès.

Le Dictionnaire raisonné de l’ukrainien de 1978 distinguait deux acceptions du mot « révolution » : « 1. Un changement radical, un passage brusque d’un état à un autre, du

vieux au neuf ; une loi importante de la dialectique de la nature, de la société et de la pensée. 2. La transformation radicale de la vie de la société qui provoque le renversement violent d’un état de la société et l’établissement d’un nouveau état progressive de la société »617. Il n’existait pas ainsi d’une différence dans l’usage officiel du mot « révolution » en russe et en ukrainien en Union soviétique. Le mot renvoyait dans les deux langues aux transformations

615 L’expression la « révolution russe » désigne en français « l’ensemble des événements de février 1917 à mars 1918 (paix de Brest-Litovsk) ; mais il existe une ambigüité entre cette valeur générale et l’emploi de la même expression pour désigner l’une des deux insurrections principales, non pas la première (rarement appelée révolution de février) aboutissant à la chute du tsarisme, mais la seconde, très couramment nommée révolution d’octobre, donnant le pouvoir aux soviets et au parti de Lénine », explique Alain Rey. REY (1989), p. 294. 616 OUCHAKOV, Dmitrij (1935-1940), Tolkovyj slovar russkogo jazyka (Dictionnaire raisonné de la langue russe), 4 vol., Moscou.

617GRYNČYŠYN, Dmytro et al. (1978), Korotkyj tlumačnyj slovnyk ukraïns´koï movy (Dictionnaire raisonné de la langue ukrainienne), Kyiv: Radjans´ka škola, p.229.

violentes (valeur négative) au nom du progrès social (valeur positive). La ligne de distinction entre les deux valeurs associées au mot « révolution » correspondait souvent à la frontière entre le domaine public et le domaine privé618. Dans cette forme de diglossie idéologique619, les citoyens soviétiques développaient deux formes de consciences collectives. La première présentait la réalité sous la lumière de l’idéologie officielle. La deuxième traduisait une attitude négative ou critique envers la quotidienneté soviétique et pouvait se manifester à la maison dans des discussions dans la famille ou avec des amis, d’où l’expression la « révolution de la cuisine ».

À la fin des années 1980 dans les conditions de la politique de glasnost, le référent majeur du mot russe « révolution » (la révolution de 1917) a été revisité et discrédité. On a remis en cause le récit légendaire de la révolution prolétarienne : « dans le discours dominant, Octobre

se transforma en effet rapidement en coup d’État d’une bande d’extrémistes responsables de sept décennies de malheur de la Russie »620. Ce discrédit a fini par toucher l’emploi du mot lui-même. Les changements démocratiques et libéraux en Europe centrale, nommés « révolutions de velours » n’ont pas arrivé à réhabiliter le mot « révolution » en russe, même les opposants au régime soviétique évitaient le terme considérant que « tout processus

révolutionnaire est inexorablement porteur de violence »621. Les débats publics de l’époque de glasnost montraient les tensions entre les sympathisants des révolutions pacifiques et la méfiance envers toute idée de révolution, même de velours622.

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