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Si en Europe occidentale, le début de la presse écrite date du XVIe siècle, en Pologne de la deuxième moitié du XVIIe, en Russie351 et en Hongrie au début du XVIIIe, la presse écrite en Ukraine remonte à la deuxième moitié du XVIIIe. En 1776, l’hebdomadaire en français

Gazette de Léopol est sorti à Lviv352. Par la suite, plusieurs journaux ont été publiés en Galicie

346 CASTELLS, Manuel (1999), Le pouvoir de l’identité, Paris : Fayard, p.18. 347 CASTELLS (1999), p.18.

348 Ibid. 349 Ibid. 350 Ibid.

351 Le premier journal imprimé russe Vedomosti (Nouvelles) est sorti en Russie sous le règne de Pierre le Grand en 1702.

352NARIŽNYJ, Symon (1993), « Ukraïns´ka presa » (Presse ukrainienne) in ANTONOVYČ, Dmytro (Réd.) Ukraïns´ka kul´tura (Culture ukrainienne), Kyiv : Lybid´.

en polonais et en allemand. Les premières publications périodiques sur le territoire de l’Ukraine sont ainsi apparues en d’autres langues que l’ukrainien. La censure qui concernait l’usage de l’ukrainien dans l’Empire russe et dans l’Empire austro-hongrois y a joué un rôle important.

La censure dans l’Empire russe et le taux élevé d’analphabétisme de la population rendaient difficile l’accès à l’imprimé353. En effet, dans l’Empire russe la langue ukrainienne était considérée comme un dialecte ou une langue inférieure au russe. Dans les années 1780, le vieux-ukrainien était remplacé par le russe dans l’Académie de Kiev, le centre d’enseignement et de culture de l’époque. Les demandes d’ouverture des écoles primaires dispensant l’enseignement en ukrainien ont été à plusieurs reprises rejetées (1862, 1908). Les efforts des intellectuels-« éveilleurs » qui visaient à valoriser la langue à travers l’enseignement, l’édition, la littérature et le théâtre rencontraient de nombreuses entraves administratives et législatives. Ainsi, la circulaire du ministre de l’Intérieur Piotr Valouev (1863) interdisait l’enseignement en ukrainien à l’école et la publication de tout ouvrage en ukrainien, à l’exception de la littérature354. Elle a été complétée par l’oukase d’Emsk (1876) en vigueur jusqu’à 1905355. Ce document interdisait l’impression de la littérature et des traductions en ukrainien et l’importation des ouvrages en ukrainien publiés à l’étranger. Les lectures publiques et le théâtre en ukrainien ont été également bannis dans l’Empire russe. Le climat libéral de l’Empire austro-hongrois a contribué au développement de la presse en Galicie. Plusieurs titres y ont fleuri en polonais, allemand, russe et ukrainien. L’enseignement en ukrainien y était dispensé dans les écoles primaires depuis le XVIIIe siècle et une chaire de philologie ukrainienne a été ouverte à l’université en 1849356. L’impression des journaux ukrainiens en Galicie a été autorisée depuis 1848357. Le premier journal ukrainien Zorja

galyc´ka (Etoile galicienne) est sorti à l’initiative du premier parti politique ukrainien formé en Galicie lors de la révolution de 1848. Au départ, organe d’expression de Golovna Rus´ka

Rada (Conseil Principal de Rus´), l’hebdomadaire Zorja galyc´ka publiait les documents du parti politique, abordait les problèmes économiques et sociétaux de la vie des Ukrainiens de Galicie. En ce qui concerne la langue de la publication, elle était d’abord la langue ukrainienne populaire, ensuite, après la disparition du parti politique Golovna Rus´ka Rada et avec des changements successifs des rédacteurs en chef, le journal est passé à une

353 En 1897, 87% des Ukrainiens ont été illettrés. 354 BESTERS-DILGER (2005), p.46.

355 En 1905 le manifeste des libertés publiques proclamé par Nicolas II a mis fin à ces restrictions. 356 BESTERS-DILGER (2005), p.45.

combinaison de la langue populaire avec le russe et le vieux-slave ecclésiastique358 pour revenir de nouveau vers la langue ukrainienne populaire. Cela illustre les rapports complexes entre la pratique d’une langue et le média en tant qu’institution.

Les premiers périodiques sur les territoires ukrainiens qui faisaient partie de l’Empire russe ont été publiés en russe dans les grands centres économiques et culturels comme Kharkiv, Odessa et Kiev. Ainsi, plusieurs journaux étaient publiés à Kharkiv, un centre important du commerce, de la culture et de l’éducation : Har´kovskij eženedel´nik (Hebdomadaire de Kharkov) (1812), Ukrainskij vestnik (Messager ukrainien) (1816), Har´kovskij Demokrit (Démocrite de Kharkov) (1816) et Har´kovskie vedomosti (Nouvelles de Kharkov) (1817)359. Odessa, port maritime sur la mer Noire et par conséquent la ville clé des échanges commerciaux de l’Empire russe, a connu les premiers périodiques en français Messager de la

Russie Méridional (1820) et en russe Vestnik Iujnoi Rossii (Messager de la Russie du Sud) (1821)360. Enfin, à Kiev, une ville plus éloignée de Moscou et de Saint-Pétersbourg et moins investie par des échanges commerciaux à l’époque, les premiers journaux ont été publiés plus tardivement : Kievskie ob´javlenija (Annonces kiéviennes) (1835), Voskresnoe čtivo (Lecture de dimanche) (1837) et Kievskij telegraf (Télégraphe de Kiev) (1859). Une autre publication importante de l’époque sortait à Tchernigov à l’initiative du poète ukrainien Léonid Glibov

Černigovskyj lystok (Feuille de Tchernigov) (1861-1863). Ces premiers périodiques publiés en russe, couvraient les nouvelles régionales et des annonces commerciales361. Cependant, ils ont connus tous les parcours discontinus dus aux difficultés financières et juridiques. Ainsi, plusieurs journaux ont été fermés par le pouvoir faute d’autorisation de l’empereur pour leur ouverture ou sous d’autres prétextes. En même temps, les premiers mensuels ukrainiens ont été publiés à Saint-Pétersbourg et Kiev : le mensuel sociopolitique et littéraire ukrainien

Osnova (Base) qui sortait entre 1862-1863 et le mensuel littéraire et scientifique Kievskaja

starina (Les vieux temps de Kiev) entre 1882-1907. La géographie des journaux illustre le développement économique et culturel des villes et la présence des intellectuels ukrainiens, soucieux de l’idée nationale. Face au peu de titres ukrainiens et leurs faibles tirages, la presse russophone, éditée aussi bien en Ukraine qu’à Moscou ou à Saint-Pétersbourg, occupait une position avantageuse.

358 Cette langue a été crée par des représentants du courant russophile de la Galicie et portait le nom de « jazyčiê ».

359 NARIŽNYJ (1993). 360 Ibid.

361 Ainsi, Har´kovskij eženedel´nik (Hebdomadaire de Kharkov) (12 numéros de 1812 à 1813, tirage 600 exemplaires) contenait des nouvelles économiques, des articles sur l’histoire et l’ethnographie, les bulletins météo.

À la suite de la révolution russe de 1905, plusieurs journaux ont émergé, ils n’ont cependant pas existé longtemps. Ainsi, le premier journal en ukrainien sur les territoires de l’Empire russe Hliborob (Cultivateur) n’a pu sortir que cinq numéros en 1905 à Lubny (région de Poltava)avant d’être fermé par le pouvoir. Le journal kiévien Hromads´ka dumka (Pensée de la communauté) créé sous l’impulsion de la révolution a été fermé en 1906. Réapparu entre 1907-1914 sous le titre Rada (Conseil), il publiait des articles sur la culture ukrainienne, musique, théâtre, littérature et était très lu par des intellectuels362.

Après la révolution de février et la révolution d’Octobre de 1917, l’Ukraine a connu une floraison des titres ukrainiens : si en 1917 il y en avait 106, en 1918 ils étaient au nombre de 212363. La plupart des titres représentait la presse d’opinion. Ainsi, parmi les quotidiens les plus populaires à Kiev au printemps 1917, le journal Nova rada (Nouveau conseil), la nouvelle version de la périodique Rada, fermée en 1914, regroupait les futurs leaders de la République populaire d’Ukraine. Le journal Robitnyča gazeta (Journal des ouvriers) était le quotidien des sociaux démocrates tandis que Narodna volja (Volonté populaire) était celui des socialistes révolutionnaires364. La durée d’existence de ces publications était éphémère, les confrontations armées entre plusieurs forces politiques et militaires, dont l’Ukraine est devenue le théâtre principal en 1918-1920 n’ont pas contribué au développement des médias. L’idée de la nation ukrainienne imaginée par des intellectuels dans les conditions de semi-clandestinité pouvait difficilement être diffusée par la presse. La presse écrite publiée en Ukraine dans le XIXe au début du XXe siècle contribuait davantage à la formation et au renforcement des identités locales ou régionales.

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