• Aucun résultat trouvé

Les médias en République soviétique d’Ukraine : entre

   et      

La définition de la nation selon les critères territoriaux et administratifs permettait à chaque république soviétique d’avoir ses propres médias qui, au même titre que les médias soviétiques, étaient soumis à la censure et servaient à la diffusion de l’idéologie communiste et la dénonciation de l’idéologie capitaliste. Les médias soviétiques étaient très centralisés et hiérarchisés. Il existait une différence importante entre les sujets que pouvaient aborder les médias du centre (Moscou) et ceux du niveau des républiques, des provinces ou des districts.

362 SOLODOVNYK (1998). 363 Ibid.

Les journaux du centre étaient des organes officiels du Parti communiste ou des institutions et organisations soviétiques. Ainsi, Pravda était une édition du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique. Des différents regroupements professionnels et scolaires soviétiques (kolkhozes, usines, écoles) publiaient leurs papiers dont le but principal était l’éducation des prolétaires et l’affirmation de la culture soviétique.

Si la Constitution soviétique encourageait le développement des langues des Républiques, la langue principale de communication dans les Républiques était le russe. Il s’agissait de la langue d’ascension professionnelle et sociale, de l’élite russifiée des villes. Si les médias républicains étaient publiés en langue nationale et en russe, les langues nationales, y compris l’ukrainien, ont été reléguées au statut de langues « provinciales » ou « de la campagne ». Les médias en ukrainien subissaient aussi les conséquences de cette situation politique. Ils disposaient de moindres ressources financières et professionnelles et ne bénéficiaient pas du même prestige que les médias soviétiques.

Cependant, il y a eu des périodes où le contrôle de l’État-parti sur la production culturelle et sur les médias s’est relativement relâché : la période d’ukrainisation (1920-1930) et la période du « dégel khrouchtchévien » des années 1960.

Une étape importante de la formation de la communauté imaginaire et imaginée ukrainienne, y compris par les médias, est liée à la politique d’ukrainisation. Grâce à la liquidation de l’analphabétisme et l’organisation d’un système éducatif, la presse est entrée dans la vie des diverses catégories de la population. Si l’on se réfère aux tirages officiels des journaux, les paysans sont les plus grands lecteurs en Ukraine en 1930. Le journal Radjanske selo (Village soviétique) publiait 600 000 exemplaires au moment où le journal Komunist (Communiste) tirait 122 000 exemplaires, le journal Visti (Nouvelles) 90 000 exemplaires et le journal

Proletar (Prolétaire) 79 000 exemplaires365. Le nombre des titres ukrainiens a considérablement augmenté lors des années de l’ukrainisation. En 1932, il correspondait à 87,5% du tirage de la presse en Ukraine contre 14% en 1923366. La presse est devenue non seulement un lieu d’expression des leaders de l’Ukraine soviétique, elle accueillait aussi des discussions littéraires et artistiques et favorisait la culture ukrainienne.

Or cette politique favorable à la culture ukrainienne s’est rapidement terminée par les répressions d’une génération d’intellectuels, des représentants de la culture et de la littérature ukrainienne. Les médias ukrainiens, ainsi que les médias soviétiques, ont gardé le silence sur

365SOLODOVNYK (1998). 366Ibid.

Holodomor, la « famine artificielle » des années 1932-1933367, et les répressions staliniennes des années 1930. L’opacité, le secret, la dénonciation des ennemis du peuple soviétique, l’absence d’opinion publique autonome, de liberté et de moyens de s’informer et de comparer les informations afin de se former un point de vue deviennent la norme dans les relations entre les médias et la société soviétique368.

Le rapport de N. Khrouchtchev lors du XXe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique en février 1956 qui a condamné le caractère dictatorial et répressif du régime stalinien, a ouvert une brèche, connue sous le nom de « dégel khrouchtchévien »369. La déstalinisation a permis une certaine libéralisation du régime et a stimulé la créativité artistique et littéraire d’une nouvelle génération de l’intelligentsia soviétique et ukrainienne. Les écrivains, peintres, cinématographes, journalistes ukrainiens des années 60 (en ukrainien, « šestydessjatnyky ») affirmaient les valeurs humaines, la liberté de la création, la diversité culturelle et défendaient la langue et la culture ukrainiennes370. Malgré le maintien de la censure, les médias ukrainiens tendaient à devenir lieu de l’expression de la culture ukrainienne littéraire371. Le tirage de la presse en ukrainien a aussi augmenté durant cette brève période jusqu’à 73%372.

La période de direction du parti et de l’Union soviétique par Léonid Brejnev (1964-1982) est désignée par l’expression la « période de stagnation » (en russe, « zastoj »). Il se caractérise par le resserrement du contrôle de l’État-parti sur les médias dont le rôle est bien résumé dans

367 Le terme « Holodomor » (littéralement « extermination par faim ») désigne la grande famine qui a eu lieu en Ukraine en 1932-1933 et dans les régions de Kouban et de Don (Russie) suite aux réquisitions des denrées alimentaires et aux limitations des déplacements des paysans des régions en famine vers d’autres régions. La « famine artificielle » a fait, selon différentes estimations, entre 3 et 6 millions de victimes en Ukraine. Cela donne lieu à des interprétations de la famine par certains historiens en termes d’un génocide contre le peuple ukrainien. En même temps, d’autres historiens considèrent la famine comme une lutte contre les paysans qui résistaient à la collectivisation. Pendant des décennies, cet épisode tragique de l’histoire passait sous silence. La politique de glasnost a permis des recherches et des publications sur ce sujet, mais aussi des débats sur les responsables de la famine et sur son caractère génocidaire. En 2006, l’Ukraine a qualifié officiellement la famine de génocide, cette désignation a été reconnue par un certain nombre des pays dont les États-Unis.

368 En République socialiste soviétique d’Ukraine la censure dans la presse écrite a été assurée par UKRGOLOVLIT (Comité littéraire principal ukrainien), depuis 1963 par le Comité d’État sur la presse auprès du Conseil des ministres de l’Union soviétique (Moscou). La censure de la télévision, radio, cinéma, art a été effectuée par des Comités d’état spécialisés depuis Moscou.

369 L’expression « dégel khrouchtchévien » largement employé dans l’espace public pour désigner la période du relâchement du régime au moment de la direction du Parti communiste par Nikita Khrouchtchev (deuxième moitié des années 50 - début des années 60). Par sa formation, l’expression est liée au titre du roman d’Ilya Ehrenbourg Dégel (1954).

370 Voici quelques noms des personnalités ukrainiennes de la génération des années 60 : les écrivains : Ivan Dratch, Lina Kostenko, Vasyl Symonenko, Mykola Vingranovsky ; les peintres : Alla Gorska, Viktor Zaretsky ; les critiques littéraires : Ivan Dzjuba, Evguen Sverstjuk ; les cinéastes : Sergij Paradjanov ; les interprètes : Hryhori Kotchour, Mykola Loukach.

371Les articles et les ouvrages publiés devenaient souvent les objets des critiques officielles. Par exemple, la publication du roman « Sobor » (« Cathédrale ») d’Oles´ Honchar par la revue « Vitčyzna » en 1968 a provoqué une vague de critique. Au moment où le Parti communiste proclamait la « fusion des nations », le roman affirmait l’importance des symboles du passé à travers la mise en scène de la campagne de défense d’une cathédrale ukrainienne de l’époque cosaque menacée de destruction.

Histoire de la République soviétique d’Ukraine éditée en 1979 : « Les médias d’information

et de propagande ont contribué par tous les moyens à la réalisation du programme socioéconomique proposé par le parti, à la croissance de l’activité professionnelle et sociopolitique du peuple soviétique, sa conviction idéologique et sa conscience, le développement de la compétition du peuple pour l’accomplissement des tâches de l’accroissement incessant de l’économie populaire et de la culture » 373. Ainsi, les autorités soviétiques considèrent les médias comme outils privilégiés de socialisation et de propagande qui peuvent influencer directement les publics. Elles n’accordent pas aux médias de rôle d’un lieu des débats ou discussions et ne tiennent pas compte de la capacité critique, des gouts et des préférences des publics.

Si la diffusion de la presse ukrainienne a augmenté dans les années 1965-1970, sa part dans la presse de la république a diminué jusqu’à 69,4%374. Le développement de la presse à l’époque de L. Brejnev est lié aux prix très bas des journaux et des revues, une certaine amélioration de niveau de vie par rapport aux années d’après guerre et les habitudes de lecture que les citoyens soviétiques ont développé375. Les périodiques ukrainiens les plus lus étaient la revue de satirique et humoristique Perec´ (Piment) avec 3 300 000 exemplaires en 1981et le quotidien Silski visti (Nouvelles de campagne) avec 2 600 700 exemplaires en 1990376.

Le slogan de l’époque « stabilité et solidité » obligeait les journalistes à taire de nombreux problèmes socioéconomiques, à persuader que le régime socialiste était parfait et à diffuser le point de vue de l’État-parti sur la situation dans le pays et à l’étranger. Les accréditations pour des correspondants étrangers sont strictement contrôlées, l’import des matériaux imprimés de l’étranger est interdit.

Dans ce contexte, la génération des intellectuels des années 60 a passé dans la dissidence et continuer ses activités sous la forme du samizdat377. Ce substantif désigne la façon clandestine d’éditer des textes, brochures, livres ou périodiques imprimés à la machine, photographiés ou manuscrits, et de les diffuser dans son entourage. Cette façon d’éditer et de diffuser des textes

373 Cette citation vient d’un ouvrage en huit volumes consacré à l’histoire de la République soviétique d’Ukraine et dont la réalisation a été confiée à l’Institut d’Histoire de l’Académie des Sciences de la République soviétique socialiste d’Ukraine. Il reflète l’approche historiographique de l’époque inspirée de la théorie de la révolution socialiste de Vladimir Lénine, point de départ des idéologues du Parti communiste. KONDUFOR, Jurij (réd.) (1979), Istorija Ukrainskoï RSR (Histoire de la République soviétique socialiste d’Ukraine), 8 volumes, 10 livres, vol.8, livre 2, Kyiv : Naukova dumka, p.598.

374 SOLODOVNYK (1998). 375SOLODOVNYK (1998). 376 Ibid.

377 Samizdat est le substantif formé de pronom russe « sam » (soi-même) et de la racine « izdat » du substantif « izdatel´stvo » («édition»). Ainsi, le substantif parodie les noms des éditions officielles monopolisant l’espace public en Union soviétique comme Gosizdat (Edition d’Etat) ou Politizdat (Edition du Parti communiste). Voir ALEKSEEVA, Ljudmila (1992), Istorija inakomyslija v SSSR (Histoire de l’hétérodoxie en URSS), Vilnjus-Moskva : Vest.

est hors du contrôle de la censure officielle d’État mais aussi hors du contrôle de l’auteur lui-même. Une fois entre les mains des lecteurs, le texte circule d’une façon incontrôlée. Sous la forme de samizdat ont été diffusés les œuvres des écrivains et poètes interdits ou rarement édités, des traductions des ouvrages publiés à l’étranger, les pamphlets politiques et satiriques etc. Les samizdats arrivaient à pénétrer à l’Occident et faisaient entendre les voix des dissidents au-delà du rideau de fer. Le mouvement dissident ukrainien378 s’est concentré sur un double objectif, à la fois démocratique et national. Il visait la défense des droits de l’homme et la défense de la langue et culture ukrainiennes.

Documents relatifs