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L’identité ukrainienne dans le champ politique

La naissance de la nation politique ukrainienne est souvent située géographiquement en Galicie, appelée à ce titre le « Piémont ukrainien ». La confrontation, dans l’espace public galicien, des idées politiques diverses à travers l’activité des partis politiques à la fin du XIXe siècle a beaucoup contribué à cette image. En effet, la différence majeure entre les mouvements nationaux ukrainiens de l’Empire russe et de l’Empire austro-hongrois consistait dans les conditions d’exercice des activités politiques. Les libertés de rassemblement, de presse ou d’élection qui existaient en Galicie n’étaient pas possibles dans l’Empire russe où le mouvement politique national prenait forme de groupes clandestins jusqu’à la fin du XIXe siècle.

L’identité ukrainienne et la vie politique en Galicie à la fin du XIXe au début du XXe siècle

L’abolition du servage et la proclamation des libertés politiques dans l’Empire austro-hongrois après la révolution de 1848 ont permis la création d’un premier parti politique ukrainien. Golovna Rus´ka Rada (Conseil Principal de Rus´) qui existait depuis 1848 à 1851 défendait l’idée de l’autonomie de la Galicie ukrainienne au sein de l’Empire austro-hongrois avec les administrations et le système éducatif séparés de la Galicie polonaise224. Dans son premier manifeste le parti proclamait l’unité du peuple ukrainien alors partagé entre l’Empire russe et l’Empire austro-hongrois. Il a renouvelé la symbolique de la Principauté de Galicie et de Volhynie dont le drapeau bleu et jaune225. Les manifestes politiques de ce parti ont inscrit le problème de l’identité ukrainienne dans le champ politique.

À la fin du XIXe siècle, les intellectuels ukrainiens de Galicie se sont tournés vers le socialisme, ils critiquaient les activités de l’église gréco-catholique et menaient la propagande socialiste auprès des paysans et des ouvriers. Réunis en Parti radical des Rous et des

Ukrainiens (Rus´ko-ukraïns´ka radykal´na partija) en 1890, ils se sont mis à défendre l’idée de l’indépendance de l’Ukraine formulée par Julian Batchynsky (1870-1940). Dans son

224 HRYCAK (1996), p.39. 225Ibid.

ouvrage Ukraïna irredenta226 (l’Ukraine non libérée) publié en 1895, l’auteur accordait le rôle principal à la bourgeoisie ukrainienne qui après avoir réalisé les exigences de la démocratisation de la vie politique et de l’autonomie nationale et territoriale face aux capitaux allemands, devrait revendiquer l’Ukraine libre et politiquement indépendante227. L’idée de l’unité internationale des peuples libres propagée par les marxistes ne convenait pas, selon J. Batchynsky, au cas ukrainien, en particulier en raison des différences économiques fortes existant entre les nations au sein de l’Empire austro-hongrois228. L’union internationale des peuples libres ne pourrait selon lui se succéder à l’unité nationale que quand ces différences seraient dépassées229. En 1899, à partir du Parti radical des Rous et des Ukrainiens, deux nouveaux partis se sont formés : Le Parti social démocrate ukrainien (M. Hankevytch, J. Batchynsky) et le Parti national démocrate (I. Franko, M. Hruchevsky) se rejoignaient autour de l’idée de l’autonomie ou l’indépendance de l’Ukraine230.

L’affirmation de l’identité ukrainienne à l’époque est marquée par la personnalité éminente d’Ivan Franko (1856-1916). Poète, écrivain, essayiste, traducteur et journaliste, il a réussi à transférer l’idée nationale ukrainienne du champ de la différenciation ethnique et du « messianisme national » dominant dans la pensée de la Confrérie de Cyrille et Méthode dans le champ éthique et anthropologique. L’identité nationale se présente chez I. Franko non comme une construction abstraite au-dessus de l’individu mais comme un besoin de l’âme, une expression de l’esprit individuel dans son développement231. A une époque d’intense sensibilisation aux questions individuelles et à la scientificité du psychisme (Franko était contemporain de Freud), il s’agissait de la transformation d’un « nous » national dans un « je » national et de la possibilité de déterminer son destin personnel en choisissant son appartenance nationale.

L’identité ukrainienne et la vie politique dans l’Empire russe

à la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle

L’expression politique de l’idée nationale ukrainienne dans les identités politique de l’Empire russe est liée à l’activité de la société secrète Confrérie des disciples de Taras (Bratstvo

226 Le terme venu de l’italien « irredento » (« non délivré ») caractérise les discours nationalistes qui militent en faveur de l’annexion des territoires considérés comme ceux de la nation et étant sous la coupe d’un État voisin. Cf. LACOSTE (1997), p.42. 227SALTOVS´KYI (2002). 228Ibid. 229Ibid. 230Ibid. 231 ZABUZHKO (2009), p.62.

Tarasivciv) (1891-1898)232. En critiquant la vielle génération, dite ukrainophile, les membres de la société affirmaient les droits culturels et sociaux du peuple ukrainien et défendaient le principe de l’autonomie politique de l’Ukraine. En 1900, la ligne politique de ce groupe a été reprise par le Parti révolutionnaire d’Ukraine. Au départ, ces deux organisations politiques étaient proches de l’idée formulée dans le manifeste Ukraine souveraine (Samostijna Ukraïna) (1900) par l’avocat Mykola Mikhnovsky (1873-1924). Il s’agissait de la légitimation du droit de la nation ukrainienne à l’indépendance et la souveraineté étatique et de la lutte armée pour son affirmation. Cependant, cette idée n’a pas trouvé de soutien important au sein du mouvement national ukrainien dans l’Empire russe. Elle a été reprise ultérieurement par l’essayiste Dmytro Dontsov et développée dans le cadre du nationalisme intégral ukrainien dans les années 1920-1940233.

Les réformes qui ont suivi la révolution de 1905234 et notamment la constitution du premier parlement constitutionnel russe Douma ont permis aux partis politiques ukrainiens d’avoir des groupes parlementaires ukrainiens avec leurs publications235. Ces groupes défendaient une large autonomie étatique et politique de l’Ukraine au sein de l’Empire russe fédéralisé. Lorsque les réformes dans l’Empire russe ont été restreintes, les représentants des divers partis ukrainiens se sont réunis dans une organisation politique Société des progressistes

ukrainiens (Tovarystvo ukrains´kyh postupivciv) (1980-1917) qui défendait l’autonomie de l’Ukraine et le parlementarisme constitutionnel.

L’affirmation de l’identité ukrainienne qui s’exprimait principalement dans le champ culturel et intellectuel s’exprime désormais aussi dans le champ politique. Elle fonde les projets des partis politiques dans l’Empire austro-hongrois et dans l’Empire russe. Le thème principal de la politique ukrainienne est la revendication de la reconnaissance des droits culturels et des droits sociaux du peuple ukrainien.

232 L’intitulé de l’organisation fait référence au nom du poète national T. Chevtchenko.

233 Dmytro Dontsov (1883-1973) a développé l’idée du nationalisme teinté d’autoritarisme. En opposant le nationalisme au provincialisme politique de la droite et de la gauche, il défendait l’idée de l’indépendance de l’Ukraine et rejetait l’idée des fédérations éventuelles avec la Russie ou la Pologne.

234 La révolution de 1905 en Ukraine a été marquée par le soulèvement des marins du cuirassé Potemkine à Odessa et des insurrections des paysans dans les régions différentes du pays.

235Ukraïnskyj visnyk (Messager ukrainien) publié par le groupe parlementaire de la première Douma (1905), Ridna sprava –Visti z Doumy (Affaire natale –Nouvelles de la Douma) par la deuxième Douma (1907).

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