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La notion de calculabilité

Dans le document Td corrigé Remerciements - Td corrigé pdf (Page 64-67)

Turing répond à la question de la détermination de la classe des fonctions calculables en donnant un équivalent formel à l’expression de “calculable par algorithme” : toute fonction pour laquelle on a réussi à trouver un algorithme doit être calculable par “machine de Turing”. On aurait ainsi une correspondance entre d’une part les algorithmes et d’autre part les machines de Turing : si l’on possède un algorithme, on doit aussi posséder la machine de Turing qui lui correspond.

Ainsi les fonctions calculables doivent-elles être “Turing-calculables”, c’est-à-dire calculables par “machine de Turing”. Bref, selon Turing, quelle que soit l’étendue de la classe des fonctions calculables, elles doivent toutes être “Turing-calculables” pour faire partie de la classe en question. On peut énoncer la thèse ainsi :

Thèse de Turing :

Toute fonction calculable par un être humain en suivant un algorithme peut être calculée par une machine de Turing.

Il s’agit d’une thèse qui, en tant que telle, n’est pas susceptible de preuve : on ne peut pas en effet apporter de preuve à un énoncé qui met en rapport une notion à tout jamais informelle, celle de “fonction pour laquelle un être humain a trouvé un algorithme” et son équivalent formel, celui de “fonction pour laquelle il existe une machine de Turing”. La thèse ne permet donc pas d’exhiber un critère

objectif d’appartenance à la classe des fonctions calculables. Il s’agit donc seulement d’une hypothèse permettant de vérifier l’appartenance d’une fonction particulière donnée à la classe des fonctions calculables mais qui n’est pas vérifiable globalement puisque l’on ne connaît pas toutes les fonctions calculables. Venons-en au concept de machine de Turing.

Quelle que soit la tâche remplie par une machine, on peut toujours interpréter sa table d’instructions comme représentant le calcul d’une fonction d’entiers à valeurs entières. Une fonction (a) est dite Turing-calculable quand ses valeurs peuvent être calculées par une machine de Turing. On peut ainsi affirmer, grâce au formalisme de la machine de Turing, que la découverte d’un algorithme pour la résolution d’une classe donnée de problèmes est équivalente à la découverte d’une machine de Turing spécifique capable de fournir, dans un temps fini, la ou les solutions à la classe de problèmes en question. La difficulté qui demeure consiste seulement à établir, dans chaque cas, la correspondance entre la table d’instructions de la machine de Turing et l’algorithme.

Confronté à cette caractérisation de la notion de calculabilité, on peut avoir le sentiment que l’on a seulement “reculé pour mieux sauter” : en effet, il semble qu’en plus de la recherche d’un algorithme qui rendrait la fonction ou le nombre réel que l’on étudie calculable, il faut maintenant rechercher la “machine de Turing” qui correspond à cet algorithme. Mais il faut noter cependant, pour parer cette critique, que le rapport instauré entre les deux termes de la thèse de Turing est en lui-même un rapport de représentation, puisqu’il met en rapport un pôle subjectif et informel d’une part et un pôle objectif et formel d’autre part. Aussi cette façon de procéder revêt-elle, du point de vue d’une théorie de la représentation, un double avantage, puisqu’elle permet de faire porter l’attention et sur la caractérisation des fonctions calculables et sur la psychologie du mathématicien au travail, c’est-à-dire sur les termes objectif et subjectif de la représentation.

D’une part en effet, du point de vue objectif de la caractérisation des fonctions calculables, la thèse de Turing permet de considérer comme formant un tout des procédures de calcul qui sinon n’auraient en commun qu’un nom - celui

d’algorithme. De ce point de vue, elle rend bien compte de l’essence de tout calcul.

D’autre part, d’un point de vue subjectif, en caractérisant par un trait commun tout algorithme, elle rend possible la constitution d’une étude de la psychologie du mathématicien au travail, étude qui sinon serait définitivement écartée. En effet, si l’on admet qu’il n’est pas possible de caractériser par un trait commun tout ce que l’on entend par procédure de calcul, alors on admet aussi que restent impénétrables les raisons psychologiques qui ont présidé à l’invention d’une nouvelle procédure et à sa reconnaissance en tant que procédure par la communauté des mathématiciens. C’est précisément pourquoi Brouwer, d’un même mouvement, pouvait déclarer qu’il n’y avait pas moyen de caractériser de façon univoque la notion de procédure de calcul légitime et que la notion de sujet créateur resterait impénétrable à la psychologie104. Mais ce n’est pas le cas si l’on se place du point de vue d’une théorie de la représentation.

L’optique adoptée par Turing a précisément pour but d’apporter un éclaircissement à la notion de fonction calculable et à celle de pensée du mathématicien. Bien plus, cette optique permet, comme nous allons le voir, d’éclairer une notion par l’autre. Cette approche de la notion de calculabilité ne serait récusée ni par les formalistes ni par les intuitionistes, malgré leur différence de principe et de pratique. Le concept de machine de Turing est en effet adéquatement défini, que l’algorithme représenté par la machine finisse par aboutir à un calcul achevé ou non et soit même achevable ou non. Bref, la notion de machine de Turing est susceptible de représenter les fonctions calculables, qu’elles soient totales ou partielles. Le désaccord entre intuitionistes et formalistes porte plutôt sur ce qui se situe “en dehors” du domaine de l’effectivité du calcul : la caractérisation de la réalité mathématique du point de vue de l’objectivité et celle de la psychologie du point de vue de la subjectivité.

Il nous faut donc maintenant exposer ce que l’on entend précisément par

104 Tous les intuitionistes n’ont pas accepté l’attitude de Brouwer. Kreisel en particulier a proposé une axiomatique du sujet créateur en même temps qu’une caractérisation des procédures de calcul admises en intuitionisme. Cf. G. Kreisel, “Church’s Thesis : a Kind of Reducibility Axiom for Constructive Mathematics” dans [Myhill, Kino, Vesley eds., Intuitionism and Proof Theory, North-Holland, 1970] p. 121-150 cité dans J. Largeault éd., Intuition et Intuitionisme, Vrin, Paris, 1993, pp. 84 et 101.

“machine de Turing”.

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