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Naples, témoignage du passé

II. L’Antiquité et ses genres

3) Naples, témoignage du passé

Naples, apparaît souvent comme une ville moins ancrée dans son passé que

Rome. C’est ordinairement un lieu de villégiature pour les écrivains romantiques

en mal de repos. Cependant, Naples est également un témoignage vibrant du passé par son emplacement même. La proximité du terrible volcan provoque l’exaltation

des touristes et rappelle les deux villes englouties sous les cendres, Pompéi et Herculanum. A ce titre elle acquiert une grande importance dans l’expression romantique de la civilisation latine.

Après avoir passé à Rome, les voyageurs se dirigent communément vers Naples972. La ville offre une image pittoresque de l’Italie, même si elle est souvent

dépeinte comme sale et bruyante973. Les environs de Naples, très prisés des riches romains et de certains empereurs, regorgent de ces lieux antiques assez méconnus

et atypiques, que les romantiques s’attachent à découvrir. Ainsi, les auteurs se rendent sur le promontoire du Pausilippe, mont à l’ouest de Naples qui donne à voir la ville et le volcan dans toute leur splendeur. Cette visite a pour but la grotte de Pausilippe, chemin « creusé à travers la montagne et qui conduit de Naples à

969

Gasparin, V. (comtesse de), op. cit., T2, p.54.

970 Mery, J., op. cit., p. 36.

971 Simond, L., op. cit., T1, p. 282, le tombeau de Cécilia Metella, le plus souvent cité.

972 A quelques exceptions près comme Richard et Lheureux qui entament leur périple par Naples.

973

Pozzuoli »974. Cet « antre ténébreux »975 conduit au supposé tombeau de Virgile. « Les restes de ce monument sépulcral, dernier asile du prince des poètes latins, sont situés dans un lieu très agreste, et ne présentent plus rien de durable que

l’immortalité attachée au nom de ce poète célèbre. L’accès en est tellement difficile et resserré, qu’il n’est guère possible d’en soupçonner l’existence avant d’y entrer »976. Ce pèlerinage est souvent prétexte pour les auteurs à se livrer à des exercices de citations virgilienne ou à des considérations sur la grandeur du poète disparu. Autre passage incontournable, la ville de Pouzzoles qui était un des rendez-vous de l’aristocratie romaine. Dumas explique cet engouement antique et romantique :

Pouzzoles avait ses sources comme Plombières, ses thermes comme Aix, ses bains de mer comme Dieppe. Après avoir été le maître du monde et n’avoir pas trouvé dans tout son empire un autre lieu qui lui plût, Sylla vint mourir à Pouzzoles. Auguste y avait un temple que lui avait élevé le chevalier romain Calpurnius […]. Tibère y avait une statue portée sur un piédestal de marbre qui représentait les quatorze villes de l’Asie-mineure qu’un tremblement de terre avait renversées et que Tibère avait fait rebâtir […]. Caligula y fit bâtir ce fameux pont qui réalisait un rêve aussi insensé que celui de Xercès, ce pont partait du môle, traversait le golfe et allait aboutir à Baïa […]. Enfin le maître des dieux y avait un temple dans lequel il était adoré sous le nom de Jupiter Sérapis […]977

.

En dernier lieu il faut rappeler le golfe de Baïa, rarement cité mais qui met à jour les souvenirs de la lutte entre Néron et Agrippine et qui rappelle également la fin du règne de Tibère. On peut également citer les différentes visites dans des grottes978 ou à la Sibylle de Cumes979 qui apparaissent comme des originalités du circuit napolitain qui se concentre surtout, comme nous allons le voir sur les deux villes mortes et leur destructeur.

Alexandre Dumas, dans son Corricolo, fourni une explication aussi caustique que pertinente concernant la notoriété et la curiosité suscitées par le Vésuve :

Quoique les véritables débuts du Vésuve dans sa carrière volcanique datent à peine de l’an 79 […], il s’est tant remué depuis dans ses cinquante éruptions successives, il a si bien profité de son admirable position et de sa magnifique mise en scène, il a fait tant de bruit et tant de fumée, que non seulement il a éclipsé le nom de ses anciens

974 Colomb, M.R., op. cit., p. 143.

975

Gasparin, V. (comtesse de), op. cit., T2, p. 37.

976 Pezant, A., op. cit., p. 321.

977 Dumas, A., Le Corricolo, op. cit., p. 371.

978 Dagnet, P.-N., op. cit., p. 96 qui visite une grotte de Neptune.

979

confrères, qui n’étaient ni de force ni de taille à lutter contre lui, mais qu’il a presque effacé la gloire du roi des volcans, du redoutable Etna, du géant homérique980.

Il est en effet symptomatique que le voyageur de la première moitié du dix-neuvième siècle s’aventurant à Naples ne puisse s’affranchir de cette ascension

pittoresque. Prélude à la visite des ruines pompéiennes, cette montée répond à un

certains nombres de codes. En effet, il est d’usage de s’arrêter à l’ermitage « où les étranges ont coutume de noter quelque chose »981 sur un livre présenté par

l'anachorète. Ensuite l’ascensionniste se doit de tenter « de descendre dans le cratère »982, sauf bien évidemment lorsqu’une éruption se prépare. On y descend

« avec une rapidité extrême »983 et « là, il faut en convenir, de grandes pensées

vous assaillent, et, malgré qu’on en ait, on tombe dans la rêverie quand on pense où l’on est, ce qui y a été, et ce qui y sera »984. Comme le résume Chateaubriand, dans cet endroit « on peut faire […] des réflexions philosophiques, et prendre en

pitié les choses humaines »985. S’il donne à penser de près, le Vésuve captive

également de loin. Paul de Musset exprime parfaitement ce magnétisme sensiblement morbide :

Le Vésuve semble inventer mille coquetteries pour vous retenir au balcon. Il change de couleur selon la position du soleil, et passe en un jour par toutes les nuances de la gamme des tons ; tantôt cachant sa tête dans une perruque de nuages, tantôt montrant les contours de son sommet avec précision. Sa fumée prend aussi des formes fantastiques ; la plus ordinairement blanche et penchée comme une plume de marabout, quelquefois droite et noire comme un arbre gigantesque planté au milieu d’un cratère. Souvent, par une connivence évidente avec les aubergistes de Naples, le Vésuve promet des éruptions qu’il ne donne pas. Il rend des lueurs rouges pendant la nuit, comme un lampion près de s’éteindre, et fait entendre aux habitants de Portici des détonations sourdes qui retiennent indéfiniment l’étranger près à s’embarquer. A chaque instant, on est dupe de ces manéges (sic) peu délicats et on saute hors du lit, croyant voie les symptômes d’une éruption qui ne viendra que l’année prochaine.986

Le Vésuve attire plus qu’il ne provoque l’appréhension et cependant il engage le voyageur dans une réflexion sur la puissance destructrice d’une nature pourtant

980 Dumas, A., Le Corricolo, op. cit., p. 240.

981 Chateaubriand, F.-R. (vicomte de), Voyage en Italie, op. cit., p. 1465.

982

Id, p. 1467.

983 Creuzé de Lesser, A., op. cit., p.165.

984 Ibid.

985 Chateaubriand, F.-R. (vicomte de), Voyage en Italie, op. cit., p. 1469.

986

somptueuse. Envoûtant et dangereux, le volcan sera l’un des motifs inhérent à la

poétique des ruines exprimée par le romantisme.

Flaubert écrit à son ami Camille Augier que Maxime Du Camp et lui ont « humé avec toutes les narines de notre imagination la jupe bariolée des danseuses

d’Herculanum »987. En effet, après que le Vésuve a été gravi, la visite des ruines de Pompéi et d’Herculanum provoque cette impression d’être « transporté dans

l’antiquité »988. Pompéi présente de l’avis général de « très belles ruines, de belles rues bien pavées, des maisons carrelées en mosaïque, les voûtes très bien conservées ; les peintures faites sur les murs intérieurs des maisons paraissent

aussi fraîches que si elles étaient faites depuis peu d’années ; des bas-reliefs très

bien faits, des caveaux bien voutés […] »989. Souvent les visiteurs s’attardent dans la célèbre rue des tombeaux où l’on trouve la maison de l’affranchi Arrius

Diomède considérée comme « une maison de la plus suprême élégance, et bâtie à

une des plus heureuses époques de l’art romain, c'est-à-dire sous le règne

d’Auguste, mais encore […] un des plus grands édifices particuliers de Pompéïa

(sic) »990. Il y fut trouvé le buste d’une femme coulé dans la lave de Pompéi,

exposé au musée de Naples et qui devint le prétexte d’Arria Marcella. On peut également citer la maison du faune du nom « de la statue d’un de ces demi-dieux

qu’on y retrouva »991, qui possède une grande mosaïque « qui peut avoir seize pieds de large sur huit pieds de haut »992. Considérée par Stendhal comme « la chose la plus étonnante, la plus intéressante, la plus amusante »993 qu’il ait rencontrée, à tel point qu’il dit y avoir effectué onze visites994

. Pompéi, depuis sa découverte est le passage obligé pour tout voyageur curieux séjournant à Naples.

La ville d’Herculanum, souvent appelée « tombeau Herculanum »995 , « fut inondée par un torrent de laves mêlées de cendres et de graviers, qui, comme une

espèce de pâte ou de fluide, pénétra dans l’intérieur des palais et des maisons

987 Flaubert, Gustave, Correspondance générale, édition établie et annotée par Jean Bruneau, (bibliothèque de la pléiade), Gallimard, Paris, 1973, p. 761.

988 Stendhal, Rome, Naples et Florence en 1826, op. cit., p. 535.

989 Naud, A., op. cit., pp. 62-63.

990 Dumas, A., Le Corricolo, op. cit., p. 403.

991 Id., p. 421.

992

Id., p. 422.

993 Stendhal, Rome, Naples et Florence en 1826, op. cit., p. 524.

994 Id., p. 535, même si V. del Litto s’interroge sur le nombre de visites qui n’est que de sept dans la version de 1817.

995

jusque dans les endroits les plus reculés »996. On accède aux fouilles « comme dans une mine par une espèce de puits »997, ce qui « au lieu d’irriter la curiosité, la

fatigue »998d’après certains. En effet, les auteurs les moins férus d’archéologie ne s’appesantissent guère sur le théâtre et les différentes maisons qu’offrent ces

ruines et préfèrent chanter les ruines de Pompéi, plus parlantes et « vivantes ».

Finalement, ces visites s’achèvent ou sont précédés par une visite au Musée des

antiques de Portici qui recèle les trésors des deux villes ensevelies et notamment des mosaïques particulièrement applaudies pour la dextérité de leur exécuteur999.

Les récits de voyages présentant Pompéi sont d’importantes sources quant-à la poétique des ruines et à la volonté de résurgence du passé des auteurs qui se sont tournés vers la période de l’antiquité latine.