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La défense de Chateaubriand

Deuxième partie : une poétique de l’antiquité

B. La réception de l’œuvre

2) La défense de Chateaubriand

Après avoir opposé « pendant huit mois, un profond silence »521 à toutes ces attaques, Chateaubriand jugea indispensable de se défendre et se livra « avec un vrai chagrin »522 à une véritable diatribe contre ses détracteurs dans l’Examen des Martyrs qui servit de Préfaceà la troisième édition de l’œuvre dès 1810523

. Même

si pour l’auteur « Ce rôle a quelque chose d’embarrassant »524 « qui répugne »525 à son « caractère »526, il explique très clairement pourquoi il se sent une telle obligation et la manière dont il compte procéder :

Mais, comme dans tout ce qui me concerne, on feint de mêler les intérêts de la Religion, ce grand nom m’oblige à des soins que je ne prendrais pas pour moi ; mon devoir me fait une loi de repousser des traits qui peuvent tomber sur des choses saintes. Je vais donc examiner les Martyrs.

Cet examen se divise naturellement en trois parties :

1° Examen des objections religieuses et morales faites contre les Martyrs ; 2° Examen des objections littéraires ;

3° Changements faits aux premières éditions des Martyrs, et remarques ajoutées à chaque livre de l’ouvrage. 527

Au-delà des critiques concernant véritablement son ouvrage, Chateaubriand « repousse le ton impérieux et les airs de maîtres »528 de ceux qui se permettent de donner « un conseil sous la forme d’un outrage »529. Ainsi pour lui : « Qu’importent à la critique, la bonne foi et la justice, quand elle veut

aveuglément condamner ? On saisit quelques phrases au hasard, on ferraille avec

520 Hoffman, op. cit., p.

521

Chateaubriand, F.-R., (vicomte de), Les Martyrs, op. cit., p. 97.

522 Id., p. 41.

523 Chateaubriand, F.-R., (vicomte de), Les Martyrs, Le Normand, Paris, 1810 ; Ballanche père et fils, Lyon, 1810.

524 Chateaubriand, F.-R., (vicomte de), Les Martyrs, op. cit., p. 41.

525 Ibid. 526 Ibid. 527 Ibid. 528 Id., p. 94. 529 Ibid.

l’auteur, et l’examen se réduit à une amplification injurieuse, où l’on tâche de

faire briller par-ci par-là un peu d’esprit. »530 De plus, il se gausse de ces « critiques assez peu instruits des choses dont ils se mêlent de parler »531 et qui « ne se sont peut être pas abaissés jusqu’à lire la Vie des saints »532 car « leur génie est au-dessus d’une pareille étude »533 sur « ces contes déplorables »534. On constate que, tout en donnant à ses censeurs « l’exemple de la modération »535, Chateaubriand égratigne à tout va ceux qui « n’ont pas craint de blesser »536 son « amour propre »537. Sursaut d’orgueil parfaitement résumé par ce morceau cinglant qui semble parfaitement refléter l’ampleur de l’outrage subit par l’écrivain :

Ils attachent sans doute leurs ouvrages beaucoup plus d’importance que je n’en attache aux miens : puisqu’ils ont mis leur bonheur dans leur succès littéraires, à Dieu ne plaise que je prétende le troubler. Ces censeurs ont quelquefois écrit des choses agréables et spirituelles ; ce n’est qu’en parlant de moi qu’ils semblent perdre leur talent : je conçois qu’ils doivent me haïr. D’ailleurs si j’ai sur eux l’avantage de quelques lectures, je n’ai que ce que je dois avoir, puisque je me mêle de faire des livres 538.

L’Examen des Martyrs apparaît par conséquent comme une réponse à des attaques

injustes, mais bien évidemment, c’est également une réponse très argumentée à

des critiques, ce qui nous permet de comprendre les véritables intentions de

l’auteur concernant cet ouvrage.

Chateaubriand fut particulièrement blessé par les critiques concernant son « irréligion» et son « immoralité » et, comme nous l’avons vu, il fustige l’incompétence de ses juges en cette matière. Il est impossible de relever de

manière exhaustive toutes les justifications et explications données par l’auteur. Retenons simplement que, pour lui, s’il est attaqué c’est dans « un but très facile à voir. On suppose que mes prôneurs sont des Chrétiens ; que toute ma force est là.

Il faut donc me rendre suspect à ce qu’on appelle mon parti, faire naître des doutes sur ma sincérité, alarmer des gens simples qui sont assez modestes pour

530 Id., pp. 72-73. 531 Id., p. 55. 532 Id., p. 59. 533 Ibid. 534 Ibid. 535 Id., p. 91. 536 Ibid. 537 Ibid. 538 Id., pp. 91-92.

régler leur jugement sur le jugement d’un journal »539. Par ailleurs, il annonce : « Je n’avance rien au hasard, et je ne demande pas, comme mes ennemis, d’en être cru sur ma parole, quoique je ne l’aie jamais donnée en vain. Les Chrétiens n’ont

point trouvé que Les Martyrs exposassent la Religion à des dangers ; en voici la preuve. »540 Puis, il cite très largement les passages de la « Gazette ecclésiastique ou Journal des curés »541 qui a livré « sept articles sur Les Martyrs; ces sept articles tous en faveur de l’ouvrage »542. Tour à tour, il annihile toutes les attaques portées à son ouvrage et défend particulièrement le merveilleux chrétien. Ainsi rappelle-t-il que « Boileau condamne le merveilleux chrétien.

D’accord ; mais quelques vers de Boileau anéantiront-ils la Jérusalem, le Paradis perdu, la Henriade ? Boileau ne peut-il pas être allé trop loin ? Boileau a-t-il jugé sans retour le Tasse, Fénelon, Quinault ? »543D’autre part il en appelle à tous ceux qu’il avait déjà convoqués dans sa première Préface concernant l’épopée chrétienne. Il s’étonne de «l’objection tirée de la prétendue confusion des cultes

dans les Martyrs»544 qui « est si peu solide, qu’on s’étonne qu’elle ait jamais été

faite : c’est vouloir que le quatrième siècle de notre ère ne soit pas le quatrième

siècle. »545 Il s’interroge sur ceux qui ne voient pas « une foule de beautés touchantes »546 dans la doctrine chrétienne des Anges, nos « amis invisibles que Dieu nous a donnés pour nous protéger, pour nous consoler ici-bas. »547

Concernant l’épisode de Velléda il affirme que l’on reproche « aux Martyrs ce

qu’on approuve partout ailleurs: car ce n’est pas la manière, c’est le fond qu’on censure dans l’épisode de Velléda : et pourtant Velléda est-elle autre chose que Circé, Didon, Armide, Eucharis, Gabrielle ? Je n’ai fait que suivre les traces de

mes devanciers, en ajoutant à ma peinture un correctif qu’aucun auteur n’a mis à

la sienne. »548 Finalement, il résume ce qu’il pense de ce genre de critique dans

cette petite phrase acerbe : « Nous avons quelquefois en France une horreur du bon sens très singulière. » 549

539 Id., p. 42. 540 Ibid. 541 Id., pp. 42-43. 542 Id., p. 43. 543 Ibid. 544 Id., p. 59. 545 Ibid. 546 Id., p. 56. 547 Ibid. 548 Id., p. 69. 549 Id., p. 47.

Comme nous l’avons déjà expliqué précédemment, les attaques purement

littéraires n’atteignirent pas l’auteur autant que celles au sujet de sa Religion. En

effet, Chateaubriand avait fait corriger son texte par d’éminents littérateurs et

connaissait la qualité intrinsèque de sa prose550. Par conséquent, l’auteur ne se

défend que très succinctement des attaques formelles de son texte. Chateaubriand écarte négligemment celui qui lui reproche de ne pas utiliser un personnage

principal qui soit historique, tout d’abord parce que d’après l’autorité d’Aristote551

celui-ci n’est pas une nécessité, ensuite «parce qu’il est prouvé qu’on peut intéresser aussi vivement pour un personnage d’invention que pour un personnage réel. »552. Il s’interroge également sur la validité de cette remarque concernant les

autres grands personnages historiques : « tous ces grands personnages de

l’épopée, que nous regardons aujourd’hui comme historiques, le sont-ils réellement ? Seraient-ils connus comme Alexandre et César, s’ils n’avaient été

chantés par les poètes ? »553 Ainsi « On convient que des noms trop éclatants, trop

historiquement connus, ne sont pas favorables à l’épopée. Que gagne-t-on alors à ne pas inventer ses héros ? »554 Puis il achève sa justification en expliquant que « Le caractère grave, froid et tranquille de Constantin »555 n’était absolument pas propice à un récit épique. Quant à la visée de son œuvre, Chateaubriand affirme que dans « aucune épopée, le résultat de l’action n’est plus souvent indiqué que

dans LesMartyrs. »556 Et il fait un rappel de toutes les annonces dans le texte :

Le triomphe de la Religion est rappelé dans les Martyrs : il est annoncé dans l’exposition ; il est prédit dans le Ciel : je répète en vingt endroits que Constantin règnera sur les nations devenues chrétiennes ; que l’ambition de ce prince est l’espoir du monde; j’avertis sans cesse que l’Enfer sera confondu. Dans le dernier livre, Michel, en précipitant les démons dans l’abîme, déclare que leur empire est passé ; que le règne du Christ est établi. Eudore, en allant au supplice, prophétise le règne de Constantin ; et Galérius, en se rendant à l’amphithéâtre, apprend que Constantin, proclamé César, marche sur Rome, et s’est déclaré chrétien. Jamais rien fut-il plus clair, plus précis ? Toutefois j’ai cru devoir céder encore à la critique : après ces mots : Les dieux s’en vont, j’ai ajouté quelques lignes qui justifient mieux le second titre de l’ouvrage : Galérius meurt : Constantin arrive à Rome, il venge les

550 Chateaubriand, F.-R., Mémoires d’outre-tombe, op. cit., T.1, p. 634.

551 Chateaubriand, F.-R., (vicomte de), Les Martyrs, op. cit., p. 74.

552 Ibid. 553 Id., p. 75. 554 Id., p. 76. 555 Id., p. 78. 556 Id., p. 81.

martyrs ; il reçoit la dignité d’Auguste sur la tombe d’Eudore, et la religion chrétienne est proclamée religion du monde romain.557

On se saurait être plus clair et plus précis concernant ce sujet. Finalement il ne

demeure comme objection que celle de l’action et du récit. Mais Chateaubriand

affirme alors que « dans aucune épopée le récit n’est rattaché aussi fortement à

l’action qu’il l’est dans Les Martyrs »558 puis il donne un long résumé de son

œuvre qui marque bien la trame romanesque et montre à quel point son action est liée à son récit. Finalement les dures attaques portées contre l’auteur nous

permettent à nous, lecteurs, de mieux appréhender le texte des Martyrs. Chateaubriand, en se défendant, offre à la postérité un véritable manifeste de

l’épopée chrétienne qui ne connaît cependant toujours pas les faveurs du public.

3) Une œuvre marquante.

Chateaubriand revient avec un regard nouveau sur son œuvre dans la Préface

de la cinquième édition des Martyrs au sein de ses Œuvres Complètes publiées en 1826559, puis dans ses Mémoires d'outre-tombe. L’écrivain se rappelle que « la violence de la critique »560 avait ébranlé sa « foi d’auteur »561, mais que ses amis « soutenaient que la condamnation n’était pas justifiée et que le public, tôt ou tard,

porterait un autre arrêt »562. D’ailleurs, Chateaubriand ne manque pas de relever la véracité des dires de ses amis : « en effet, Les Martyrs se sont relevés [seuls] ; ils

ont obtenu l’honneur de quatre éditions consécutives ; ils ont même joui auprès

des gens de lettres d’une faveur particulière: on m’a su gré d’un ouvrage qui témoigne de quelque travail de style, d’un grand respect pour la langue et d’un goût sincère de l’antiquité »563. Ainsi, « Les Martyrs sont restés »564 contre la « première attente »565. Chateaubriand explique que de tous ses écrits « c’est celui

où la langue est la plus correcte »566 car il avait « cent et cent fois […] fait, défait

557 Ibid.

558 Id., p. 83.

559

Chateaubriand, F.-R., (vicomte de), Les Martyrs, in Œuvres Complètes, Ladvocat, Paris, 1826.

560 Chateaubriand, F.-R., (vicomte de), Les Martyrs, op. cit., p. 103.

561 Ibid.

562 Ibid.

563 Chateaubriand, F.-R., (vicomte de), Mémoires d'outre-tombe, op. cit., p. 636 ; Les Martyrs, op.

cit. p. 103. Il existe une variante entre les deux textes, puisque dans les Mémoires d'outre-tombe le

mot « seul » a été supprimé.

564 Chateaubriand, F.-R., (vicomte de), Mémoires d'outre-tombe, op. cit., p. 636

565 Ibid.

566

et refait la même page »567. Ainsi, « Les personnes qui ont pris quelque plaisir à la lecture des Martyrs peuvent être tranquilles ; elles se sont amusées dans les règles. Jamais ouvrage ne fut plus conforme à la doctrine poétique, plus orthodoxe au Parnasse »568. De plus, l’auteur s’enorgueillit des différentes comparaisons qui représentent avec « les transitions, la partie la plus soignée de l’ouvrage »569. Il relève « la comparaison du lion dans la bataille des Francs ; celle de la voile repliée autour du mât pendant la tempête, celle du chant du coq sur un vaisseau,

celle de l’homme qui remonte les bords d’un torrent dans la montagne, et qui

arrive à la région du silence et de la sérénité »570. Il considère que même d’après

le « jugement des censeurs opposés aux Martyrs, le second livre, presque tout le récit, le combat des Francs surtout, une partie de l’Enfer et du Purgatoire, le livre des harangues, le caractère de Cymodocée et de Démodocus, sont les meilleures choses qui soient échappées à ma plume ; il n’y a pas assez d’expressions pour les louer »571. D’ailleurs l’écrivain insiste sur le fait qu’il a « encore réussi beaucoup au-delà de » son « attente »572 car « il s’est plus écoulé d’exemplaires de mon dernier ouvrage en quelques mois, qu’il ne s’est vendu d’exemplaires du Génie du christianisme en plusieurs années»573. Chateaubriand résume parfaitement sa foi

en son œuvre dans cette question rhétorique : « comment croire que ce livre est oublié, mort, enseveli pour jamais ? On va tous les jours à la postérité avec moins de titres ; et grâce à l’imprimerie, l’avenir ne pourra se sauver de nous. »574

L’auteur considère son ouvrage comme l’un de ses meilleurs et souligne ce qu’il

estime a posterioricomme un succès de librairie et d’estime.

Cependant, au-delà d’une revanche sur la critique affichée, Chateaubriand

ressent toujours une certaine amertume quant à la réception de son texte, et ce

même après plus d’une décade. Il revient avec désenchantement sur ce qu’il

attendait des Martyrs et sur la désillusion que provoqua l’acharnement des

critiques :

Je croyais donc pouvoir un peu nourrir des espérances par trop folles ; mais j’oubliais la réussite de mon premier ouvrage : dans ce pays, ne comptez jamais sur

567 Ibid.

568 Chateaubriand, F.-R., (vicomte de), Les Martyrs, op. cit., p. 82.

569 Id., p. 88. 570 Ibid. 571 Id., p. 90. 572 Id., p. 100. 573 Ibid. 574 Id., p. 90.

deux succès rapprochés ; l’un détruit l’autre. Si vous avez quelque talent en prose, donnez-vous garde d’un montrer en vers ; si vous êtes distingué dans les lettres, ne prétendez pas à la politique : tel est l’esprit français et sa misère. Les amour s-propres alarmés, les envies surprises par le début heureux d’un auteur, se coalisent et guettent la seconde publication du poète, pour prendre une éclatante revanche575.

On sent bien ici toute la rancœur de l’auteur sur l’esprit français et son sentiment de persécution concernant ses talents d’écrivain. Aussi s’interrogea-t-il sur cet ouvrage qui a fait de lui « un chrétien douteux et un royaliste suspect »576 alors

même qu’il employait « les faibles ressources de son esprit à la défense de la Religion »577. Au-delà de cette animadversion persistante contre les détracteurs des Martyrs, Chateaubriand reconnaît tout de même quelques défauts à son texte. En effet il admet que :

Le défaut des Martyrs tient au merveilleux direct que, dans le reste de mes préjugés classiques, j’avais mal à propos employé. Effrayé de mes innovations, il m’avait paru impossible de me passer d’un enfer et d’un ciel. Les bons et les mauvais anges suffisaient cependant à la conduite de l’action, sans la livrer à des machines usées. Si la bataille des Francs, si Velléda, si Jérôme, Augustin, Eudore, Cymodocée, si la description de Naples et de la Grèce n’obtiennent pas la grâce pour les Martyrs, ce ne sont pas l’enfer et le ciel qui me sauveront »578.

Aveu de faiblesse bien rare chez cet auteur, mais qui témoigne d’une certaine

clairvoyance en reconnaissant que ce que Sainte-Beuve appelait épopée « systématique »579 n’était peut-être pas la meilleure forme d’épopée qui soit. En

outre, Chateaubriand convient d’une autre faille de son texte, puisqu’il affirme :

Le Génie du christianisme restera mon grand ouvrage, parce qu’il a produit ou déterminé une révolution, et commencé la nouvelle ère du siècle littéraire : il n’en est pas de même des Martyrs; ils venaient après la révolution opérée, il n’étaient qu’une preuve surabondante de mes doctrines ; mon style n’était plus une nouveauté, et même excepté dans l’épisode de Velléda et dans la peinture des mœurs de Francs, mon poème ressent des lieux qu’il a fréquentés : le classique y domine le romantique580.

575

Chateaubriand, F.-R., (vicomte de), Mémoires d'outre-tombe, op. cit., T.1, p. 634.

576 Chateaubriand, F.-R., (vicomte de), Les Martyrs, op. cit., p. 104.

577

Id., p. 42.

578 Chateaubriand, F.-R., (vicomte de), Mémoires d'outre-tombe, op. cit., T.1, pp. 636-637.

579 Sainte-Beuve, Chateaubriand et son groupe littéraire sous l’Empire, cours professé à Liège en 1848-1849, nouvelle édition annotée par Maurice Allem, Garnier, Paris, 1948, p. 10.

580

Ainsi, paradoxalement, l’auteur ressent une grande fierté et un sentiment de dépit

à propos des Martyrs, qui ne connurent pas le succès véritablement escompté par

l’auteur qui pensait qu’ils seraient la nouvelle grande épopée moderne.

Finalement, et au-delà de toutes les désillusions du maître du romantisme

concernant cette œuvre, il apparaît que Les Martyrs sont un véritable fondement

de l’imaginaire romantique de l’antiquité. Il ne faut pas oublier que l’ouvrage fut

salué par la génération des Romantiques de 1830. En effet, Alexandre Dumas581, Victor Hugo582, Gérard de Nerval583, Théophile Gautier584 ou encore Alphonse de Lamartine585 ne tarissaient pas d’éloges sur l’auteur et son génie. D’ailleurs, l’auteur lui-même reconnaît la pérennité de son sujet : « Je ne m’étais pas trompé

sur le plan ; aujourd’hui que mes idées sont devenues vulgaires, personne ne nie que les combats de deux religions, l’une finissant, l’autre commençant, n’offrent

aux Muses un des sujets les plus riches, les plus féconds et les plus dramatiques. »586 Il insiste d’ailleurs sur cet aspect dans un développement plus

long :

La critique du fond […] a été promptement abandonnée. Dire que j’avais mêlé le profane et le sacré, parce que j’avais peint deux cultes qui existaient ensemble et dont chacun avait ses croyances, ses autels, ses prêtres, ses cérémonies, c’était dire que j’aurais dû renoncer à l’histoire. Pour qui mouraient les martyrs ? Pour Jésus-Christ. A qui les immolait-on ? Aux dieux de l’empire. Il y avait donc deux cultes. La question philosophique, savoir si, sous Dioclétien, les Romains et les Grecs croyaient aux dieux d’Homère et si le culte public avait subi des altérations, cette question, comme poète, ne me regardait pas ; comme historien, j’aurais eu beaucoup de choses à dire.587

En effet, le livre de Chateaubriand marquera profondément les générations

ultérieures qui useront, comme nous l’expliquerons par la suite, de manière plus

ou moins consciente de ce schéma et de cette trame de fond pour leurs ouvrages

concernant l’antiquité romaine et la présentation du martyre. Il s’agit bien d’une

581

Dumas, Alexandre, Mes mémoires, préfacé et annoté par Claude Schopp, Robert Laffont, (bouquin), Paris, 1989, Vol. II, p. 900.

582

Hugo, Victor, Correspondance familiale et intime, Robert Laffont, (bouquins), Paris, 1988, T.1, p. 253. Il parle du « seul homme en France qui mérite l’enthousiasme ».

583 Nerval, Gerard (de), L’enterrement de la “quotidienne”, in Œuvres complètes, Gallimard, (la pléiade), Paros, 1984, T1, p. 31.

584 Gautier, Théophile, Correspondance générale, Droz, Genève, 1991, T.3, p. 154. Chateaubriand est désigné comme « le patriarche de notre littérature contemporaine ».

585 Lamartine, Alphonse (de), Correspondance, T.1, p. 232. Il est désigné comme « notre Tacite » français.

586 Chateaubriand, F.-R., (vicomte de), Mémoires d'outre-tombe, op. cit., T.1, p. 634.

587

œuvre marquante pour la génération romantique, tant dans ses défauts que dans

ses qualités.