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L’Histoir e romantique

B. Une nouvelle conception romantique de l’histoire

1) L’Histoir e romantique

Le dix-neuvième siècle est représentatif d’une nouvelle conception de l’Histoire qui changea fondamentalement les mentalités françaises. La Révolution française met au rebut une vision abstraite où tout n’était affaire que de rois et de

puissants, laissant de côté un peuple qui ne s’incluait pas, et dont on ne souhaitait pas qu’il le fît, dans le mouvement historique. Ainsi, les épisodes révolutionnaires ont engagé le peuple dans sa propre histoire, d’une part en faisant la

démonstration de sa puissance et d’autre part en marquant la pénétration de l’Histoire dans une quotidienneté jusqu’ici totalement exempte de ce genre de

considérations. Les bouleversements politiques, sociaux, économiques ou encore religieux ébranlent les consciences du dix-neuvième siècle et amènent avec eux

les incertitudes et les questionnements sur le sens des événements, que l’on cherche à comprendre au travers de l’Histoire. Désormais, tout le monde est concerné par l’Histoire et « le plus obscur français peut se retrouver sinon député

à la Convention, du moins chef de section, officier, ou … « suspect » et guillotiné,

en l’espace de quelques mois »109. Ces interrogations majeures sur le sens de

l’Histoire expliquent que le dix-neuvième siècle, et particulièrement le

romantisme, développent des conceptions scientifiques quant à l’Histoire et exploitent de nouvelles visions plus en adéquation avec l’esprit et les problématiques contemporaines. Les historiens vont donc s’attacher désormais à l’explication ou la présentation du passé national, considérés comme plus éclairants que les antiques Grecs et Romains, peu qualifiés à formuler les maux de la France du dix-neuvième siècle. Ce mouvement naît sous l’impulsion d’Augustin Thierry qui exploite une vision de la lutte des races au travers de ses

109

ouvrages, Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands110

et surtout les Récits des temps mérovingiens111 qui montrent « nos ancêtres » les Francs aux prises avec les Gallo-Romains considérés comme les oppresseurs. Au-delà de la

mise en avant du peuple et d’une conception fort différente des historiographes de l’ancien régime, Augustin Thierry « ouvre la voie à l’historiographie moderne par l’utilisation de documents de toutes sortes : poésies populaires, tradition orale, littérature, peinture même ont à ses yeux la même valeur que des documents historiques à proprement parler »112. Cette perspective est celle retenue par Jules Michelet, dont la vision romantique de l’Histoire domina tout le siècle. Dans sa grande œuvre, l’Histoire de France113, somme sur l’histoire nationale, Michelet met en place une philosophie de l’histoire héritée de Vico114

qui fait de la discipline « une véritable science nouvelle de l’homme, rassemblant religion, philosophie, sociologie, dans une même volonté de construire l’avenir »115. Il a « la volonté de fonder une histoire qui serait l’histoire antérieure des nations et

non plus la chronique réputée objective de leurs actes. »116 La pensée de Michelet est évidemment largement influencée par les conséquences de la Révolution

française et par une volonté d’éclaircir, si ce n’est de justifier cette période terrible de l’histoire de France :

Pour Michelet comme pour tous ceux qui voulaient justifier l'œuvre de la Révolution, la tâche la plus pressante était donc de montrer comment des forces nombreuses et complexes avaient contribué progressivement et comme inéluctablement à travers les siècles à former la nation française et à la préparer au rôle qui lui était de tout temps destiné et qu'elle venait enfin d'assumer. La Révolution avait bien marqué, aux yeux de Michelet, le début d'une vita nuova, comme il aimait à dire, mais seulement au sens où, comme celle inaugurée pour les chrétiens par le passage du fils de Dieu sur la Terre, il y avait eu révélation, promesse, appel. Il s'agissait d'un moment épiphanique et fondateur, d'une prise de

110 Thierry, Augustin, Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands, de ses causes et de ses suites jusqu'à nos jours, en Angleterre, en Écosse, en Irlande et sur le continent,

Firmin-Didot frère et fils, Paris, 1825.

111 Thierry, Augustin, Récits des temps mérovingiens, précédés de Considérations sur l'histoire de

France, J. Tessier, Paris, 1840.

112 Bony, J., op. cit., p. 80.

113

Michelet, jules, Histoire de France, Hachette, Chamerot, Paris, 1833-1841.

114 Cfr, Pons, Alain, « De la « nature commune des nations » au Peuple romantique. Note sur Vico et Michelet », in Romantisme, n°9, 1975, pp. 39-49.

115 Bony, J., op. cit., p. 82.

116

conscience, d'une étape extraordinaire dans un voyage multiséculaire, mais non d'un commencement absolu, ni d'un accomplissement.117

Ainsi, Michelet pense que « la vie est continue et indivisible et que la tâche de l'historien est de saisir et de représenter cette continuité indivisible »118. On le

comprend bien ici, l’historien manipule l’histoire, qu’il envisage comme une science et qu’il pratique avec méthode afin de prouver sa doctrine positiviste ce

qui inclut une grande part de subjectivité, dont on lui tint souvent rigueur :

Aux yeux de Michelet cependant, la subjectivité de l'historien n'est pas un obstacle à l'intelligence de l'objet ; au contraire, elle fraye un passage vers l'objet. Si, dans la vision romantique du cosmos, tout est continu, tout est lié, alors l'historien est inséparable de l'objet de sa recherche. La descente vers les profondeurs cachées de l'histoire serait en même temps découverte des profondeurs cachées de la psyché individuelle ; la descente vers les profondeurs de la psyché, soit par l'introspection, soit par le rêve, serait en même temps découverte de l'histoire cachée, de l'histoire dont les historiens avant lui n'ont pas parlé. Dans sa leçon inaugurale à la Sorbonne en 1834, Michelet avait comparé l'histoire à une vieille maison et celle-ci, à son tour, au cœur humain. 119

L’Histoire apparaît comme une forme de philosophie éclairante pour le monde, qui permet de comprendre et d’atteindre au cœur de l’humanité, c’est d’ailleurs le

principe même de « résurrection », si cher à l’historien :

La méthode qui convient à une historiographie […] ressemblera davantage à une résurrection qu'à une autopsie, une enquête judiciaire ou une épopée, est au bout du compte imaginative, intuitive, sympathique, plus proche de celle, tout intérieure et immédiate, du voyant que de celle, extérieure et successive, de l'observateur empirique, ou que de l'art du conteur, plus proche peut-être — c'est Michelet lui-même qui le propose — de l'écoute passive que du regard agressif. 120

Ainsi, l’Histoire cherche à éclairer et à interpréter, elle n’est plus une simple

compilation de faits héroïques ou diplomatiques, mais devient la source de réflexion et de compréhension sur un monde en mutation et en évolution constante qui pourtant se meut dans une forme de continuité organique, assurant sa

pérennité et la possibilité d’un avenir radieux.

Les nouvelles conceptions historiques et particulièrement celle de Michelet, placent par conséquent le Peuple au centre du dispositif

117

Gossman, Lionel, « Jules Michelet : histoire nationale, biographie, autobiographie », in

Littérature, n°102, 1996, pp. 29-54, p. 33. 118 Id., p. 37. 119 Id., p. 40. 120 Id., p. 44.

historiographique. Mais, la notion de Peuple chez Michelet est quelque peu

ambiguë puisqu’elle revêt un « triple sens, national, politique et social »121, et

l’aura mystique de cette entité semble particulièrement difficile à cerner. Au sens

national, Michelet considère le Peuple comme « la vocation universaliste de la France »122, c'est-à-dire le mélange parfait des races123 dans une grande fraternité. Le peuple dans son acception politique est détenteur de la souveraineté du pays et,

à ce titre, le seul à même de choisir ce qu’il y a de mieux pour lui. Michelet

défend donc une vision démocratique et profondément républicaine de la France. Au sens social, le peuple est « la masse des anonymes, des pauvres, des déshérités, des opprimés, des simples, des femmes et des enfants, de tous ceux qui

portent le fardeau de l’histoire, de tous ceux dont l’instinct quasi infaillible guide la nation vers la liberté »124. On constate d’emblée le caractère équivoque de ces

conceptions qui semblent plutôt inconciliables, voire utopiques. Cependant, Michelet, à l’instar de Victor Hugo, pense que l’on peut maintenir l’unité du Peuple grâce à l’éducation qui, si elle ne crée pas l’unanimité, permet tout du moins de sauvegarder l’harmonie. Si le Peuple devient le fondement de l’Histoire,

son positionnement reste paradoxal. Ainsi, Augustin Thierry initie le passage de la lutte des races à celle des classes, préfigurant le socialisme et le marxisme dont les idées rencontrèrent de plus en plus de partisans au fil du dix-neuvième siècle :

L'idée de lutte des classes comme caractère essentiel de l'histoire avait été ébauchée dans l'historiographie romantique française, avant Marx, par Augustin Thierry. Selon Thierry, elle prend d'abord la forme d'une lutte des races, entre conquérants et conquis, envahisseurs et envahis, qui se transforme avec le temps en lutte des classes : entre seigneurs germaniques et serfs gallo-romains en France, entre seigneurs normands et peuple saxon en Angleterre, entre seigneurs anglais et paysans celtiques en Irlande. En même temps, Thierry — qui se désignait lui-même comme « fils adoptif de Saint-Simon » et qui avait été pendant quelques années le collaborateur du célèbre utopiste et partisan de l'industrie — avait voulu faire comprendre qu'avec le triomphe des principes vrais et universels de la justice prônés par la bourgeoisie révolutionnaire, le temps de ces luttes de classes était révolu. 125

121 Pons, A., op. cit., p. 43.

122

Ibid.

123 Cfr Rétat, Claude, « Jules Michelet, l’idéologie du vivant », in Romantisme, n°130, 2005, pp. 9-22.

124 Id., p. 44.

125

De plus, pour lui, qui considère l’Europe dans sa globalité, « l'autorité des rois et des nobles repose sur la violence originelle d'une conquête, et […] les dynasties régnantes et la plupart des grandes familles, en tant que descendants d'envahisseurs étrangers, sont des éléments surajoutés et non fondamentaux à la nation, voire des éléments illégitimes et usurpateurs »126. Augustin Thierry ambitionne de montrer comment est née la « nation » française qui rejoint le Peuple dans sa constitution car « l'histoire totale est histoire des multiplicités en formation. La tâche que s'attribue alors l'historien est la compréhension de la formation de la société nationale, de la construction du collectif »127. L’historien rétablit l’histoire afin de montrer que la société française s’est forgée sur un antagonisme inaltérable dès le départ et que la Révolution marque une forme de

rétablissement de l’égalité. Il s’inscrit également dans le projet politique d’une nouvelle France se plaçant au bout de l’Histoire comme un homme qui considère la globalité du passé et peut en tirer les conséquences. Michelet, lui, s’il s’inscrit dans la continuité d’Augustin Thierry marque également sa différence sur certains sujets. En effet, son positionnement face à l’histoire est différent de celui de son prédécesseur puisqu’il se « maintient dans un curieux battement entre le passé où se forme l'avenir […] et un avenir de conciliation unitaire où le Peuple-Nation s'accomplira dans le réel, tel qu'il s'est déjà révélé dans certaines fulgurations historiques. »128 De même il s’inscrit en faux face à l’idée de lutte des classes

puisque pour lui le Peuple est un tout, une entité indivisible :

Il est ainsi difficile de ne pas envisager la possibilité que l'invention de la nation comme « personne » ou comme « âme » marquait la réponse de Michelet à l'idée (déprimante, selon lui) que la lutte des classes est le moteur essentiel du développement historique — d'autant plus que cette idée animait l'Histoire de la Révolution française (1847-1862) d'un contemporain de Michelet, le socialiste Louis Blanc, laquelle faisait concurrence sur le plan commercial aussi bien que littéraire et idéologique à l’Histoire de la Révolution de Michelet.129

La conception de l’Histoire de Michelet est mue par cette volonté de démontrer

ses conceptions progressistes et positives de l’Histoire. Pour les illustrer, il n’hésite d’ailleurs pas à élargir le champ des recherches historiques et à

126

Id, p. 33.

127

Neefs Jacques. « Augustin Thierry : le moment de la « véritable » histoire de France », in

Romantisme, 1980, n°28-29. pp. 289-303, p. 292.

128 Id., p. 302.

129

s’intéresser au Peuple dans toutes ses particularités, même les plus triviales, puisqu’elles servent son grand dessein de l’Histoire de France :

L'idée de la nation comme bios, comme un grand corps vivant, dont chaque membre, lié organiquement avec tous les autres et avec l'ensemble, est comme le reflet et la clé du tout, cette idée implique également une expansion presque illimitée du champ de l'histoire — un peu comme chez Rousseau l'idée que le moindre moment, le moindre geste, la plus humble expérience de la vie la plus ordinaire éclaire l'évolution de la personnalité, justifie l'inclusion dans ses écrits autobiographiques de menus détails jugés jusqu'alors indignes d'être rapportés (et dont des contemporains comme Voltaire ou La Harpe, sentant bien ce que l'indifférence de Rousseau à l'égard des convenances littéraires avait de dangereux pour tout l'ordre social et culturel, ont dénoncé la vulgarité et la trivialité). Ainsi pour Michelet l'histoire de la nation était composée non seulement de l'histoire politique mais de l'histoire de la famille et des pratiques sexuelles, de l'histoire de l'alimentation, de l'histoire de la médecine et des soins du corps, de l'histoire de ce qu'on appellerait aujourd'hui les mentalités.130

Les conceptions de Michelet peuvent paraître peu scientifiques, mais elles entrent

dans une nouvelle conception de l’Histoire qui place le peuple et la nation française au cœur du dispositif historique de progression de l’humanité. Cette

vision nouvelle influença grandement toutes les classes de la société et le peuple put enfin chercher des réponses aux questionnements que laissaient les heurts de la première moitié du siècle et surtout face au grand bouleversement

révolutionnaire qui en laissa plus d’un circonspect quant à sa place dans le monde.

Les nouvelles perspectives historiques induisent dans leurs conceptions mêmes

un nouveau rapport à l’écriture, puisqu’il ne s’agit plus ici de simplement relater les faits mais de rendre sa proximité à un passé révolu qui puisse nous ouvrir les

portes de l’avenir. Michelet, se détache des contingences historiennes classiques et devient par sa plume un écrivain plus qu’un historien, refusant l’interprétation

rationnelle pour souvent devenir lyrique et visionnaire. Il cherche à émouvoir un lecteur afin de le convaincre du bien-fondé de sa vision. Parfois très critiqué, le style de Michelet est inhérent à sa vision historique, une sorte de reflet des

convictions profondes de l’historien qui veut décrire l’histoire dans sa totalité.

Michelet se fait poète, lorsqu’il évoque son dessein :

Que puis-je dans ce beau et terrible mouvement ? Une seule chose : le comprendre, je l’essaierai du moins. Mais il part de haut et de loin ; ce ne serait pas trop de

130

l’histoire du monde pour expliquer la France. Peut-être aurai-je le temps d’exposer ailleurs ce que je ne puis qu’indiquer aujourd’hui. Je voudrais dans ce rapide passage, obtenir quelques momens (sic) du tourbillon qui nous entraîne, seulement ce qu’il en faut pour l’observer et le décrire ; qu’il m’emporte après, et me brise s’il veut !131

La théorie de Michelet l’oblige à chercher de nouvelles formes d’écritures historiques qui soient en mesure de rendre l’image de la vivacité de l’histoire qu’il

ne veut plus voir présentée comme une succession de faits abscons, mais comme

le rendu d’une continuité organique :

[…] l'idée que l'histoire est la représentation de totalités et que la France doit être regardée comme une personne dont l'histoire ressemblerait à une bio-, voire une autobiographie, est une forte tendance à traiter comme inconciliables la spontanéité, l'authenticité et la qualité primaire et immédiate de la vie organique d'une part, les productions abstraites et inanimées, toujours secondaires, de l'intelligence analytique de l'autre et, bien sûr, à privilégier le tout vivant et organique par rapport à la partie amputée et morte. Comme la plupart des romantiques, Michelet associe les méthodes d'analyse des Lumières aux pratiques maladroites de ces « chirurgiens ineptes »132

A ce titre, le travail de l’historien nécessite se départir des habitudes stylistiques de ses prédécesseurs des Lumières incapables « de comprendre la VIE, puisque ses procédés analytiques séparent les éléments particuliers du passé de l'ensemble global dont ils font partie, assujettissent la réalité, qui est continue, à des concepts abstraits et discontinus et réduisent ainsi le réel dans sa totalité infinie et vivante à une collection d'objets et de mécanismes » 133, et doit se concentrer sur une

approche scientifique plus à même de rendre la réalité de l’existence. De plus, le

rôle particulier assigné à l’historien par Michelet, celui de guide, voire de

prophète, nécessite une approche plus moderne et novatrice de l’écriture de l’histoire. Ainsi :

Pour remplir ce rôle de médiateur et de rédempteur — rôle qui se veut (et qui à mon avis est en effet) différent de tout ce que se sont prescrit les historiens précédents —, il ne suffit pas d'une connaissance intime de la tradition, ni d'un esprit critique bien affilé, ni d'un talent de narrateur et de rhéteur, ni même de la découverte de sources ou d'une documentation inédites ou inexplorées. Il faut des dons spéciaux, extraordinaires, des dons poétiques, voire prophétiques. L'historien romantique se voit obligé de justifier son entreprise autrement que l'historien traditionnel ou

131 Michelet, Jules, Introduction à l’histoire universelle, L. Hachette, Paris, 1831, p. 3.

132

Gossman, L., op. cit., p. 47.

133 Ibid.

critique. De là les multiples préfaces, souvent longues et de caractère autobiographique, où il présente les titres qui doivent l'accréditer auprès du lecteur.134

Le paradoxe c’est que le style, très romantique, de Michelet, ne se veut

aucunement poétique. En effet, pour lui, l’art représentait un frein à l’histoire, excluant la véracité et reléguant l’histoire sur un second plan. A son corps défendant, l’historien fait pourtant une œuvre littéraire, certes différente du style

d’un Chateaubriand, mais indéniablement empreinte de grandes qualités littéraires comme le souligne Roland Barthes lorsqu’il analyse le style de

Michelet qu’il considère comme un écrivain « vorateur » dans les cadences brusques et les interpellations incessantes de ses textes :

Mieux vaudrait opposer les écrivains « glisseurs» du type Chateaubriand, dont Michelet avait la plus vive horreur, aux écrivains vorateurs du type Michelet. Les premiers étalent le discours, l’accompagnent sans l’interrompre et dirigent insensiblement la phrase vers une euphorie finale ; ce sont des écrivains à mètres et à clausules. Les seconds, au contraire, menacés de perdre leur proie s’ils la font trop belle, la percent à tout instant de gestes inachevés, comme le mouvement maniaque d’un propriétaire qui s’assure rapidement de la présence de son bien ; chez eux, point de cadence finale, point d’étalement, point de glissement horizontal de l’écrivain le long de la phrase, mais de courtes plongées fréquentes, des ruptures d’euphories rhétoriques, en bref, ce que Sainte-Beuve a appelé excellemment le style vertical de Michelet. La phrase de Chateaubriand se termine toujours en décor, elle s’écoute glisser, puis finir ; celle de Michelet s’avale, elle se détruit.135

Le style « autodestructeur » de Michelet, s’explique en partie par le refus de l’art dans l’histoire. Pour, lui, historien et écrivain sont deux métiers distincts et en aucun cas il n’aurait voulu qu’on l’assimile à la seconde catégorie, non qu’elle soit infamante, mais parce qu’elle ne pouvait pas rendre compte de l’aspect scientifique de son œuvre. Comme l’explique Roland Barthes :