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« On appelle « cour » le lieu où se trouvent le roi, les vassaux et les officiers qui sont à ses côtés pour le conseiller et le servir quotidiennement, ainsi que les hommes du royaume qui s’y rendent, soit pour honorer le roi, soit pour obtenir justice, soit pour faire respecter le droit, soit pour régler les autres affaires dont ils doivent l’entretenir. »

Alphonse X, deuxième des Sept parties (1265) 1

« Sa Majesté Catholique dispose de nombreux Conseils dans sa Cour afin d’avoir en son pouvoir le bon gouvernement de sa Couronne et de sa puissance et d’administrer les lois dans l’égalité des siens, en leur donnant ce dont ils ont besoin pour vivre dans la religion et la justice. »

Gil González Dávila,

Teatro de las Grandezas de la villa de Madrid, 16232

Au XVIIe siècle, la cour apparaît comme une « nébuleuse juridictionnelle » qui dépend de la seule volonté du monarque et de l’exercice de sa grâce. À l’époque moderne, le terme de « casa real » indique l’aspect institutionnel de la cour, c’est-à-dire l’organi- sation des emplois et des entités (Conseils, secrétariats) dont la fonction consiste à gouverner et à administrer les territoires royaux3. À partir de la seconde moitié du XVIe siècle, l’extension planétaire de la Monarchie et la quantité de sollicitations adressées au roi conduisirent à l’institutionnalisation des relations cour/royaumes ainsi qu’à l’essor de l’administration4.

Aussi le monde socioprofessionnel de Juan Díez de la Calle s’inscrit-il dans ce cadre. Un vaste empire, où se superposent et s’enchevêtrent des corps sociopolitiques et des parcours individuels. Globalement et à grands traits, une organisation politique

1 ALFONSO X EL SABIO, Segunda partida, Titre IX, Loi 27, 1265, traduction sous la direction de Georges

Martin, Paris, SEMH-Sorbonne, 2010, disponible sur http://e-spanialivres.revues.org/61 (consulté le 10 septembre 2010)

2 GONZÁLEZ DÁVILA Gil, Teatro de las Grandezas de la villa de Madrid Corte de los Reyes, Madrid, 1623,

p. 337, « Tiene en su Corte la Magestad Catolica muchos Consejos, para tener en su fuerça el buen gouierno

de su Corona y potencia, y administrar las leyes con ygualdad a los suyos, dandoles lo que conuiene, para viuir con religion y justicia. »

3 MARTÍNEZ MILLÁN José, « La Corte de la Monarquía hispánica », Stud. His., Historia moderna, 28, 2006,

p. 28

monarchique, donc hiérarchique et étatique, dont le fonctionnement est en cours de définition et ne suit pas tous les principes juridiques établis5. Il y a en effet la lettre et la pratique, plus ou moins distantes en fonction des moments et des groupes : l’ordre imposé par la « Métropole » revêt une certaine flexibilité et une adaptabilité aux différents milieux mais entre immanquablement en conflit avec les « désordres des pratiques » d’une société d’Ancien Régime6. Ces précautions prises, on peut dégager des mécanismes fondamentaux déterminant l’organisation du système : le pouvoir suprême de justice et de nomination du roi, le Patronage royal, l’étendue de l’empire et les distances à parcourir, le coût du gouvernement, l’usage de l’écrit, le degré d’autonomie de jure et de facto des autorités locales, la fraude et enfin le clientélisme.

Juan Díez de la Calle évolue dans un réseau de personnages qui fonctionne principalement sur le mode de la sollicitation, du clientélisme, et qui lui permet de recueillir des informations pour le bon fonctionnement de l’empire7. Il s’agit d’étudier les

hommes qui composent la « galaxie » impériale de Juan Díez de la Calle.

Définir le monde de Díez de la Calle, c’est s’interroger sur le pouvoir dans le contexte ibérique à l’époque moderne, donc faire de l’histoire politique et culturelle :

« Le pouvoir fonctionne, s’exerce, au moyen d’une organisation réticulaire qui se

fonde sur la société, où existent des réseaux et où circulent non seulement des individus mais aussi des écrits. Cette affirmation nous permet d’insister sur le fait

que la relation entre la cour du roi et les vice-royaumes n’est jamais organisée comme une chaîne de transmission d’ordres, mais comme un engrenage de juridictions interconnectées et parfois contradictoires. »8

Cette démarche qui articule « l’acteur et le système » a déjà été entreprise en histoire par Nicolas Schapira dans sa biographie d’un professionnel des lettres au XVIIe siècle, Nicolas Conrart :

5 LEMPÉRIÈRE Annick, Entre Dieu et le Roi, La République, Mexico XVIe-XIXe siècles, Paris, Les Belles

Lettres, 2004, p. 70 « (...) cet absolutisme légal [de la monarchie espagnole en Amérique] fut fortement tempéré par les circonstances (...) ».

6 CALVO Thomas, compte-rendu de « Pilar Gonzalbo Aizpuru, Vivir en Nueva España. Orden y desorden en

la vida cotidiana, México, El colegio de México, 2009, 408p. », à paraître.

7 FEROS Antonio, « Clientelismo y poder monárquico en la España de los siglos XVI y XVII », in Relaciones

73, 1998, vol. XIX. p. 16-49

8 MAZÍN Óscar, Gestores de la Real Justicia. Procuradores y agentes de las catedrales hispanas nuevas en la

corte de Madrid. 1. El ciclo de México :1568-1640, México D.F., El Colegio de México, 2007, p. 32 « El poder funciona, se ejerce, mediante una organización reticular que se funde en la sociedad, donde existen redes y donde circulan no sólo individuos, sino los escritos. Esta afirmación nos permite insistir en que la relación entre la corte del rey y los virreinatos no está nunca organizada como una cadena de transmisión de órdenes, sino como un engranaje de jurisdicciones interconectadas y a veces contradictorias.

« On est ainsi amené à réfléchir, et c’est l’une des ambitions de ce livre, à l’articulation des pratiques institutionnelles et non institutionnelles, donc à la manière dont des positions institutionnelles déterminent une sphère d’action, mais à l’inverse aussi à la manière dont des pratiques institutionnelles sont développées dans des buts qui dépassent la logique initiale des institutions. La question est celle des rapports entre les stratégies d’un acteur social et les politiques de l’État : de la politique absolutiste aux politiques de Conrart. »9

C’est donc indissociablement faire l’histoire sociale de cet espace impérial :

« Les nouveaux travaux conduisent à lire l’identité sociale d’un individu en fonction du capital relationnel dont il s’entoure. À cette fin s’impose le recours au concept de « configuration sociale » renvoyant à une représentation des groupes sociaux comme autant de réalités dynamiques, en permanente adaptation ou ajustement au sein desquelles des phénomènes d’interaction agissent inlassablement. »10

Le monde de Díez est peuplé de « chasseurs de charges »11. Tantôt solliciteur, tantôt sollicité, le commis crée des liens avec ses collègues, ses supérieurs et un éventail de correspondants dans l’empire. Son œuvre, utile à la Couronne, car recensant les postes laïcs et ecclésiastiques pourvus par le roi, lui offre une certaine reconnaissance dont il se sert pour recueillir des informations : certains se pressent pour les lui fournir en échange de quelques faveurs qu’ils n’obtiennent finalement pas toujours ! Par exemple, un rationnaire lui demande une promotion à un canonicat ou un vétéran du Chili une alcaldía mayor en Amérique centrale. Sa position d’intermédiaire, « comme courroie de transmission », nous semble symptomatique de cette entité historique, la monarchie hispanique du XVIIe siècle12. Si l’on examine son réseau social, et notamment familial, on constate qu’il est pour une très large part composé d’officiers et d’ecclésiastiques connectés au Nouveau Monde : les membres du Conseil des Indes, petits et grands, les représentants laïcs et religieux du roi aux Indes occidentales.

9 SCHAPIRA Nicolas, Un professionnel des lettres au XVIIe siècle. Valentin Conrart : une histoire sociale,

Seyseel, Champ Vallon, 2003, p. 13

10 BERTRAND Michel, « Configurations sociales et jeux politiques aux confins de l’empire espagnol »,

Annales HSS, juillet-août 2007, n°4 (p. 855-884), p. 857

11 ELLIOTT John H., « ‘Máquina insigne’ : la Monarquía Hispana en el reinado de Felipe II », in FEROS

Antonio et GELABERT Juan (dirs), España en tiempos del Quijote, Madrid, Punto de Lectura, 2005, p. 67

12 MAZÍN Óscar, op.cit, p. 24 ; ELLIOTT John H., « A Europe of Composite Monarchies », Past and Present,

Nous proposons donc ici de reconstituer ce réseau social en utilisant les théories sociologiques, reprises par l’historiographie moderniste, autour des relations patrons/clients. Jeremy Boissevain, à l’origine du concept de broker, établit des critères de définition qui correspondent, d’après nous, à la figure sociale de Juan Díez de la Calle13.

Nous proposons, dans les deux chapitres suivants, une analyse de ce monde ou réseau social à plusieurs échelles : les secrétariats du Conseil des Indes, l’ensemble du Conseil et les rapports que Díez de la Calle entretenait avec certains experts (chapitre 2), puis les relations épistolaires avec des personnages de l’empire (chapitre 3).

L

ES SECRÉTARIATS

La compréhension du réseau social de Juan Díez de la Calle passe par l’analyse de l’organisation et des évolutions de ces entités administratives que sont les secrétariats de Nouvelle Espagne et du Pérou du Conseil des Indes. Ceux-ci sont, depuis les années 1570, en plein bouleversement : l’augmentation de la masse de travail et l’inflation du personnel sont les deux principaux facteurs à noter.

Le secrétariat de la Nouvelle Espagne, dans lequel Juan Díez de la Calle exerça 38 ans, était un lieu de travail constitué d’un petit nombre d’individus inégalement dotés : formation, expérience, relations et naissance. Une hiérarchie assez stricte – troisième, second, premier commis, surnuméraire ou non, secrétaire – donnait à chacun une place avec ses tâches, son salaire, sa carrière. Ce tableau général de l’organisation du secrétariat a subi d’importants changements au début du XVIIe siècle. Par ailleurs, le secrétariat était

un lieu à la croisée de plusieurs espaces que l’on peut distinguer comme suit :

• Le secrétariat est proprement dit une pièce meublée de tables, d’étagères (parfois sous clés) sur lesquelles s’alignent des liasses et quelques livres de référence, de la cire, du papier, de l’encre. Il est dirigé par un chef (le

13 BOISSEVAIN Jeremy, Friends of friends, Networks, Manipulators and Coalitions, Oxford, 1974. La

structure et le contenu de son réseau social et sa volonté d’en user pour son profit personnel. Lorsqu’une personne possède un large réseau avec une forte capacité pour la multiplicité et l’échange, il peut opérer comme un intermédiaire. Il doit avoir la volonté de manipuler ses relations sociales en vue d’accroître son profit personnel (pas toujours patrimonial). Il doit être en position centrale, c’est à dire que du fait de son travail, de son éducation, de son âge ou d’autres raisons fortuites, il est amené à occuper une position entre deux cultures ou organisations auxquelles il fournit un pont (un point de contact). Il doit avoir du temps. Il doit avoir du pouvoir, c’est-à-dire que la possibilité d’influencer le comportement des autres indépendamment de leur volonté est utile dans la mesure où une personne souhaite envoyer un message ou activer une voie de communication.

secrétaire) et un sous-chef (le premier commis).

Pour des plans du Conseil des Indes, voir Annexe 8 et 9.

• Il se situe à la cour (centre politique et symbolique de la Monarchie) situé dans l’Alcázar real « avec les appartements royaux au premier étage et les dépendances des Conseils et des secrétariats au rez-de-chaussée. »14

Pour un plan de lu palais, voir Annexe 10.

• Il se situe en ville, dans la capitale. Le secrétariat n’est pas hermétiquement fermé à son environnement proche : Madrid. En effet, les officiers peuvent travailler chez eux ou accomplir des missions dans la ville. De plus, ce sont des bourgeois (vecinos) et, à ce titre, ils occupent une place sociopolitique d’échevin ou de paroissien.

• Originaires d’une autre contrée espagnole, les employés des secrétariats conservent des liens avec leur patria chica.

• Le secrétariat se situe dans l’empire. Lieu de passage pour les serviteurs civils et ecclésiastiques de la Couronne, il reste « connecté » aux territoires

indianos par le courrier, par les consultes et autres décisions, par les

représentants d’ordres ou de corporations, les solliciteurs, etc.

Cantonnons-nous d’abord à l’unité administrative et à ses évolutions. En effet, les individus, leur plan de carrière, les relations qu’ils entretiennent sont, en partie, déterminés par le système dans lequel ils évoluent. Or, à la fin XVIe siècle et au début XVIIe siècle, les secrétariats du Conseil des Indes font l’objet de plusieurs réformes.

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