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2.1. Analyse de la théorie sur les monarchies : Le Prince

2.1.2. Des monarchies mixtes

Conquête d'un peuple habitué à être dirigé par un prince ancien

En traitant des monarchies héréditaires, Machiavel mentionne qu'un tel prince peut se permettre de se laisser envahir, car, à la moindre faute, le peuple chassera le nouveau prince. Un prince doit toujours garder cette possibilité bien en tête lorsqu'il acquiert un nouvel État. Le peuple ne lui laissera aucune marge de manœuvre. Les citoyens auront toujours tendance à comparer leur situation, à se demander s'ils n'étaient pas mieux sous le règne de l'ancien prince. Ils peuvent également considérer qu'un troisième individu serait un meilleur gouvernant que les deux autres. Étant étroitement surveillé et comparé, le nouveau dirigeant doit s'assurer de ne pas laisser la possibilité à un peuple mécontent de son sort d'exprimer ce mécontentement.

Pour éviter que le peuple nouvellement conquis puisse entreprendre de remettre l'ancien prince au pouvoir, le nouveau monarque doit absolument disposer de toute la lignée de cet ancien prince. Il ne peut pas se contenter de faire éliminer uniquement l'ancien dirigeant, il doit également se débarrasser de sa progéniture. S'il ne le fait pas, le peuple conservera une certaine forme d'affection pour la lignée de son ancien prince et, lorsque l'occasion se présentera, tentera inévitablement de la replacer au pouvoir. Une fois que cette option leur est enlevée, les citoyens sont plus facilement soumis à la nouvelle autorité. Pour faciliter davantage l'adaptation, Machiavel suggère au nouveau prince de ne pas toucher aux lois ni aux impôts établis dans la cité56. De cette façon, l'État nouvellement

conquis s’intègre plus facilement et plus rapidement aux autres États que possède déjà le prince. Cela est d'autant plus vrai si la cité possède une quelconque ressemblance avec les autres cités. La langue, les mœurs, les coutumes, les valeurs et les institutions sont autant d'éléments qui peuvent rapprocher les habitants des différentes cités possédées par le prince et qui peuvent donc faire en sorte qu'une cité nouvellement conquise s'acclimate plus facilement au changement de gouvernement.

Par contre, lorsque la cité conquise ne possède pas ces différentes formes de rapprochements avec les anciens États du prince, celui-ci a nécessairement plus de difficulté à calmer les citoyens. Pour s'assurer de conserver un tel État, Machiavel conseille au prince d'aller s'y établir57. En habitant directement sur place, le dirigeant peut réagir

beaucoup plus rapidement lorsqu'un problème ou un soulèvement surgit. Il peut alors faire taire ses détracteurs et rétablir l'ordre dans la cité. S'il n'y habite pas, la nouvelle d'un problème naissant prend beaucoup plus de temps à parvenir aux oreilles du prince. Même s'il agit rapidement, le désordre peut prendre beaucoup d'ampleur avant que les solutions ne soient mises à exécution. Plus la période de temps entre la naissance d'un problème et la mise en place des solutions pour le régler est grande, moins ces solutions sont efficaces. Très souvent, le soulèvement prend tellement d'ampleur qu'il n'est plus possible de l'arrêter. La distance géographique entre un nouvel État et son prince est souvent le pire ennemi de

56 Le Prince, chap. 3, p.74-75. 57 Ibid., chap.3, p.75.

ce dernier. De plus, la présence physique du prince a souvent pour effet de dissuader les citoyens et même les autres conquérants potentiels. L'entourage du prince, c'est-à-dire sa garde rapprochée, très souvent constituée d'une partie des troupes d'élite de son armée, suffit pour empêcher tout soulèvement populaire. Les autres princes qui auraient la volonté de se procurer l'État en question sont également plus réticents à l'attaquer si cet État est défendu par la présence de troupes armées.

Machiavel mentionne également un autre moyen pour arriver aux mêmes fins. Plutôt que d'habiter directement sur place, le prince peut décider d'établir des colonies dans la province entourant la cité nouvellement conquise. Il place alors un bon nombre d'habitants de ses anciens États dans l'entourage du nouveau. L'établissement d'une colonie nécessite des maisons et des terres, ce qui oblige le prince à déplacer une partie des habitants de la province. Bien que cette action puisse froisser les habitants déplacés, elle fait également peur aux autres habitants. Ceux-ci n'ont pas de raison d'être mécontents, puisque le prince leur permet de demeurer dans leur cité, mais ils doivent tout de même vivre dans la crainte de subir ce sort à leur tour. Ils se tiennent donc tranquilles dans l'espoir d'éviter un tel événement. Pour ce qui est des habitants déplacés, ils sont mécontents, évidemment. Par contre, leur situation fait en sorte qu'ils ne peuvent pas nuire au prince. En effet, ils sont pauvres et, si le prince agit intelligemment, ils sont également dispersés. De cette façon, ils n'ont ni le nombre ni la richesse nécessaire pour entreprendre quelque action que ce soit contre le prince.

Il y a une troisième méthode qui peut permettre au gouvernant de s'assurer du calme dans une province nouvellement conquise. Cette méthode consiste à y envoyer l'entièreté de son armée. Machiavel met en garde contre cette façon de faire, car, selon lui, elle est peu avantageuse et très dispendieuse. Pour habiter une province, l'armée doit se procurer une grande quantité de logements, ce qui a pour effet de faire un grand nombre de mécontents. De plus, le peuple nouvellement conquis doit vivre avec la présence constante de l'armée, ce qui peut devenir une source d'irritation populaire. Machiavel affirme donc

que cette méthode est à proscrire puisqu'elle ne possède que peu d'avantages contre plusieurs inconvénients.

Un prince qui conquiert un nouvel État doit également se préoccuper des pays avoisinant sa nouvelle acquisition. Le prince doit être vu comme la puissance principale de la région. Les provinces qui l'entourent auront alors le désir de se gagner l'amitié du prince afin d'éviter les ennuis. Il faut donc que ces provinces demeurent relativement faibles par rapport au nouveau prince, sans quoi celles-ci pourraient avoir trop d'ambitions. Le prince doit s'assurer de maintenir une grande supériorité et de contenir les ambitions de ses voisins. De plus, il ne doit pas permettre qu'une autre puissance équivalente ou supérieure à la sienne vienne s'établir dans la région. Il doit tout faire pour empêcher que cela ne se produise, sans quoi il risque de se faire expulser du pays. Pour éviter qu'une province avoisinante demande l'aide d'une autre puissance, le prince se doit de veiller au bien-être de ses voisins. En s'assurant que son nouvel entourage ait de bonnes conditions de vie sans pour autant monter en puissance, le prince s'assure du statu quo, ce qui lui permet de se maintenir en tant que puissance majeure du nouveau pays.

Conquête d'un peuple habitué à être libre par un prince ancien

Lorsqu'un prince acquiert une cité qui n'était pas dirigée par un prince, comme une république, Machiavel dit qu'il y a trois possibilités qui s'offrent à lui. Premièrement, comme pour les autres types de conquêtes, le prince peut décider d'aller y habiter. Cela aura sensiblement le même effet que dans les cités habituées à être dirigées. Deuxièmement, le conquérant peut décider d'établir un gouvernement oligarchique. Cette méthode permet aux habitants de la cité de continuer à se gouverner eux-mêmes, puisque ce sont les citoyens qui seront mis au pouvoir. Le changement de pouvoir se fera alors moins ressentir. Ce nouveau gouvernement doit par contre diriger de façon à demeurer dans les bonnes grâces du prince, sans quoi il s'expose à des représailles et à la perte totale de liberté. Finalement, la troisième méthode pour s'assurer de se maintenir au pouvoir dans une cité dont les habitants étaient habitués à être libres est de détruire la cité. Il s'agit bien

sûr de la façon la plus sécuritaire de ne pas perdre cette cité, la seule méthode réellement efficace. En effet, bien que la mise en place d'un gouvernement dirigé par les citoyens eux- mêmes puisse être utile à court terme, les habitants n'oublieront jamais leur liberté perdue :

Et qui devient maître d'une cité accoutumée à vivre libre et ne la détruit pas, qu'il s'attende à être détruit par elle; toujours, en effet, elle a pour refuge, dans la rébellion, le nom de la liberté et ses anciennes institutions; et c'est ce que ni la longueur du temps ni les bienfaits ne font jamais oublier. Quoi qu'on fasse, quelques précautions qu'on prenne, si l'on ne sépare ou disperse les habitants, ils n'oublient ni ce nom ni ces institutions et aussitôt, en toute occasion, ils y ont recours [...]58.

Le prince doit donc prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter de laisser au peuple la possibilité de se rebeller. Il doit prioriser la première ou la troisième façon de conserver la cité, c'est-à-dire qu'il doit soit aller y habiter, soit la détruire tout simplement.