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Historique politique de Machiavel

Nicolas Machiavel naît au mois de mai 1469, quelques mois seulement avant la mort de Pierre de Médicis, le père de Laurent le Magnifique. C'est donc dire que Machiavel passe toute sa jeunesse sous le règne de Laurent. Toutefois, il ne s'implique d'aucune manière dans la vie politique de la cité41. Après la fuite des Médicis, Savonarole

s'approprie le pouvoir en menant subtilement un gouvernement populaire républicain, mais Machiavel ne s'implique toujours pas dans la vie politique florentine. Il n'y a en fait aucune trace de ses activités pendant les années Savonarole, il n'est donc considéré ni un partisan ni un opposant du frère Dominicain. C'est seulement au début de l'année 1498, quelques mois après l'excommunication de Savonarole, que Machiavel tente pour la première fois d'obtenir un poste au sein de l'administration de Florence. Ce n'est toutefois qu'après

39 Ibid., p.213. 40 Ibid., p.215.

l'exécution du frère Jérôme qu'il réussit à obtenir le poste de secrétaire en chef de la deuxième chancellerie de la ville, emploi mineur, mais très formateur pour Nicolas.

Au cours des quelques douze années pendant lesquelles il occupe ce poste, il est appelé à accompagner les ambassadeurs florentins en France auprès du roi, en Allemagne, un peu partout en Italie, auprès du pape et surtout, auprès de César Borgia à plusieurs reprises, ce qui influence énormément sa vision de la politique. Pendant ces années, Machiavel est déjà reconnu pour son aversion envers les armées de mercenaires. Il réussit à convaincre les dirigeants de la nécessité d'avoir des soldats issus de la république afin de s'assurer de bien la protéger. Il est donc chargé de faire le tour des campagnes aux alentours de Florence et d'y recruter des jeunes gens pour former une milice, mission que Machiavel prend très à cœur. Il s'en occupe pendant toutes les années qu'il passe à la seconde chancellerie, allant recruter des soldats à plusieurs reprises durant cette période.

Après l'élection de Pier Soderini au poste de Gonfalonier de justice à vie, Machiavel se rapproche beaucoup de lui, devenant un de ses plus précieux conseillers. Le statut de sa famille l'empêche toutefois d'obtenir des charges plus importantes, tel qu'ambassadeur officiel de la république, celles-ci étant réservées aux membres des familles plus nobles. Malgré tout, lors du retour des Médicis en 1512, Machiavel est considéré comme un républicain convaincu, fidèle de Soderini. Après la fuite de ce dernier, Machiavel perd son poste de secrétaire et est remplacé par Nicolas Michelozzi, le secrétaire privé des Médicis42.

De plus, Machiavel se voit interdire l'accès au Palais Vecchio, le siège de la Seigneurie de Florence. « C'est qu'il est considéré par les Médicis comme un fidèle du régime qu'ils viennent d'abattre, comme un fonctionnaire politique. Au reste, on l'a vu également, les descendants de Laurent le Magnifique ne cesseront, des années durant, de le tenir en suspicion, malgré tous ses efforts pour obtenir leur pardon. C'est qu'il a été nommé par les ''démocrates'', aussitôt après la chute des partisans de Savonarole, qui avaient refusé de l'employer.43 » Les efforts mentionnés, ce sont tout particulièrement les textes que

42 Ibid., p.22. 43 Ibid., p.26.

Machiavel écrit pour retrouver les bonnes grâces des Médicis. D'abord Le Prince, écrit en 1513 et adressé au petit-fils du Magnifique, également prénommé Laurent, qui est alors pressenti pour prendre le contrôle de Florence. De plus, Machiavel compose de nombreux poèmes et pièces de théâtre, toujours dans le but de reconquérir ses fonctions politiques. La comédie est particulièrement populaire en Italie à cette époque et Machiavel veut en profiter pour s'attirer des faveurs44.

Vers la fin de l'année 1512, un complot contre les Médicis avorte. Deux personnes sont exécutées, soit Agostino Capponi et Pietropaolo Boscoli. Suite à ce complot, Machiavel, qu'on soupçonne d'être complice, est arrêté et torturé, puis finalement relâché sous caution. C'est à ce moment qu'il quitte Florence, exilé sur ses terres de campagne à Sant'Andrea in Percussina. Ce n'est qu'en 1520 que Machiavel retrouve certaines fonctions au sein du gouvernement florentin. Suite à la mort de Laurent de Médicis le jeune45 de la

syphilis en 1519, c'est le cardinal Jules de Médicis, fils de Julien et donc neveu de Laurent le Magnifique, qui devient le chef de la famille. Machiavel lui rend visite en mars 1520, après quoi il reçoit quelques petites tâches d'ambassade, notamment auprès de son ami François Guichardin. Il reçoit également la charge d'écrire l'Histoire de Florence, qu'il remet à Jules de Médicis, alors devenu le pape Clément VII. Comble de malheur, ce retour, si minime soit-il, l'a peut-être empêché de retrouver son ancien emploi. Pendant l'avancée de Charles Quint en Italie, les Florentins chassent de nouveau les Médicis de la cité, en 1527. À ce moment, Machiavel est en ambassade auprès de Guichardin. Il retourne à Florence aussitôt qu'il est mis au courant de la situation, mais échoue dans sa tentative de retrouver son ancien poste de secrétaire en chef de la deuxième chancellerie dans la nouvelle république. On le soupçonne probablement d'avoir des allégeances monarchiques en raison de son emploi par les Médicis durant les sept années précédentes. Machiavel ne s'en remettra pas, mourant seulement onze jours plus tard à Florence.

44 Ibid., p.28.

L'influence de César Borgia

À l'été 1492, Rodrigo Borgia est élu pape sous le nom d'Alexandre VI. Seulement quelques mois plus tard, il nomme son fils César au poste d'archevêque puis de cardinal. À ce moment, César est donc destiné à une vie ecclésiastique. Le père de la famille Borgia a décidé que ce serait un autre de ses fils, Juan de Gandie, qui serait destiné à une vie d'homme politique. « Son père rêve de le voir marcher sur les traces glorieuses de son frère défunt, le premier duc de Gandie [Pedro Luis, premier fils de Rodrigo].46 » Juan a hérité du

duché de Gandie à la mort de son demi-frère Pedro Luis. De plus, en 1496, Juan est nommé Gonfalonier de l'Église et capitaine général de l'armée pontificale47. Son père

souhaite également le placer à la tête d'un État qu'il formerait en enlevant des villes à la famille Orsini, suite à une querelle avec ces derniers. Il l'envoie donc en campagne contre eux, mais Juan est totalement inexpérimenté et ses erreurs coûtent la victoire aux troupes de l'Église.

César est jaloux de son frère, désirant la vie politique réservée à ce dernier. Après les échecs de Juan, César espère bien voir son père lui donner la chance de prendre la place de Juan, mais le pape n'abandonne pas ses espoirs envers le duc de Gandie. Il lui offre plutôt des territoires appartenant à l'Église et situés à l'intérieur du royaume de Naples, espérant ainsi qu'il puisse éventuellement se faufiler jusqu'à la tête de la royauté napolitaine48. Seulement quelques jours plus tard, Juan de Gandie est porté disparu. Son

corps sera plus tard repêché des eaux du Tibre. Le meurtrier ne sera jamais officiellement démasqué, mais tout porte à croire que c'est son propre frère César qu'il l'a assassiné. César obtient alors ce qu'il souhaitait. Il réussit à convaincre les cardinaux de lui permettre de renoncer à sa carrière ecclésiastique. Par la suite, le roi de France Louis XII lui offre le duché de Valence, en France, procurant à César son surnom de duc de Valentinois.

46 Cloulas, Ivan, Les Borgia, Fayard, Paris, 1987, p.170. 47 Ibid., p.171.

La carrière politique et militaire de César Borgia est ainsi lancée. À partir de ce moment, il enchaîne les campagnes militaires et les tactiques de ruse et s'empare d'une grande partie des territoires de la Romagne. Ses succès ont un effet puissant sur Machiavel, qui passe de longs moments en sa présence. La première rencontre entre les deux hommes a lieu en juin 150249. Machiavel fait alors partie d'une ambassade auprès du fils du pape

dans le but de s'informer sur les intentions de César. Par la suite, Machiavel retourne auprès du duc de Valentinois d'octobre 1502 à janvier 1503. Pendant cette période, il est témoin d'un moment marquant : la prise de Sinigaglia par César grâce à la ruse et à la trahison. Cet événement influence profondément Machiavel dans sa vision des qualités nécessaires à un bon prince. Machiavel revoit César Borgia une dernière fois, vers la fin de l'année 1503. Alexandre VI étant mort, Pie III est élu pour le remplacer, mais il meurt également moins d'un mois après son élection. Après la mort de Pie III, un nouveau conclave est organisé et Machiavel et César Borgia y sont présents. C'est un ennemi de longue date de la famille Borgia, Giuliano della Rovere, qui est proclamé pape sous le nom de Jules II. Cette élection marque le début de la fin pour César Borgia.

Bien que César mène une vie de débauche et utilise la trahison et la manipulation pour obtenir ce qu'il désire, Machiavel l'idéalise à ce point que dans Le Prince, il en parle ainsi : « Passant donc en revue toutes les actions du duc, je ne saurais le reprendre ; au contraire il me paraît bon, comme j'ai fait, de le proposer pour modèle à tous ceux que la chance et les armes d'autrui ont fait accéder au pouvoir. Car lui, avec sa grandeur d'âme et ses hautes visées, il ne pouvait se conduire autrement; et seules s'opposèrent à ses desseins la brièveté de la vie d'Alexandre et sa propre maladie.50 » La seule erreur que Machiavel

reconnaît à César est d'avoir laissé Jules II être élu à la papauté51. Selon le secrétaire

florentin, César a le pouvoir d'empêcher un cardinal d'être élu pape, mais il se laisse séduire par Jules II. César est ensuite forcé de s'exiler en France puis en Espagne, où il décède peu de temps après.

49 Bec, Christian, Machiavel -Œuvres, Robert Laffont, Paris, 1996, p.CI. 50 Le Prince, chap.7, p.97.

Machiavel tire plusieurs leçons de son temps passé en compagnie du duc de Valentinois. D'abord, comme on l'a déjà dit, il se rend compte que la cruauté et la trahison sont des moyens tout à fait efficaces qu'un prince peut utiliser pour raffermir son pouvoir. Utilisés de la bonne façon, sans exagération, ces moyens peuvent permettre au Prince de s'approprier des territoires et d'empêcher des conspirations. Puis, Machiavel tire également une grande leçon sur les tactiques de guerre. L'origine de l'aversion de Machiavel envers les mercenaires n'est pas évidente à cerner, mais elle pourrait très bien se situer dans ce qu'il observe auprès de César. « Dans une lettre du 26 novembre 1502, Machiavel observe que la puissance de César Borgia est liée à l'emploi qu'il fait de ses propres troupes52 ». L'idée

que l'indécision est tout à fait nuisible et qu'au contraire, la précipitation peut être un avantage, tant au point de vue militaire que politique, provient également de ses observations sur César Borgia53. Finalement, Machiavel voit dans le duc de Valentinois

l'image qu'un prince doit présenter. Borgia présente une façade noble, il semble être bon et aimant, alors qu'au fond, il est mesquin et ambitieux. L'épisode concernant Remirro d'Orca, dont nous reparlerons, le montre parfaitement. Borgia se sert de cet homme pour remettre de l'ordre en Romagne tout en rejetant le blâme de la cruauté sur lui. Bref, Machiavel est grandement marqué par ses quelques présences auprès du duc. L'auteur n'est toutefois pas aveuglé par Borgia, il sait que ce dernier était loin d'être parfait. Dans Le

Prince, il modifie donc légèrement les faits et la personnalité de César afin de faire de lui

un modèle parfait54.

52 Bec, Christian, Machiavel, p.122-123.

53 Gilbert, Felix, Machiavel et Guichardin – Politique et histoire à Florence au XVIe siècle, traduit de

l'anglais par Jean Viviès avec la collaboration de Perle Abbrugiati, éditions du Seuil, Paris, 1996, p.133. 54 Ibid., p.142-143.

2.Les théories sur les monarchies et sur les républiques