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2.1. Analyse de la théorie sur les monarchies : Le Prince

2.1.6. Des armes

Selon Machiavel, les armes et les lois ne viennent pas l'une sans l'autre. Il dit qu' « il ne peut y avoir de bonnes lois là où il n'y a point de bonnes armes, et que là où il y a de bonnes armes, il y a nécessairement de bonnes lois [...]65 ». L'idée est donc qu'une

monarchie bien dirigée possède toujours une armée forte et bien entraînée. C'est par la force qu'un prince peut acquérir une cité et c'est également par la force qu'il doit la défendre. Chez Machiavel, l'armée est essentielle, elle est le gage du succès d'un dirigeant. Plus encore, il va même jusqu'à affirmer que l'art de la guerre est le seul art dont un prince doit s'occuper, la seule chose qui a de l'importance pour un dirigeant66. C'est l'expertise

dans la stratégie militaire qui peut porter un homme au pouvoir et l'en retirer, du moins dans la majorité des cas. Comme nous l'avons vu, la fortune peut également élever un homme au rang de prince, mais dans tous les cas, son maintien dépend de ses armes.

Machiavel ne dit pas seulement qu'un prince doit posséder une armée et être capable de la diriger, il dit également que le prince doit être capable de prendre les armes lui-même. S'il veut pouvoir être estimé de ses soldats et ne pas craindre qu'ils se retournent contre lui, il doit prouver qu'il peut les mener au combat. Cette capacité lui assure la fidélité de son armée qui, comme on l'a dit, est la pierre angulaire d'une monarchie forte et sûre. Le prince doit donc être capable de manier les armes, ce en quoi la pratique de la chasse peut être grandement utile, mais il ne doit pas pour autant négliger l'aspect stratégique de la guerre. L'étude des actions des grands stratèges militaires des époques anciennes est la méthode la plus recommandée par Machiavel pour perfectionner cet art. Finalement, le prince doit choisir avec beaucoup d'attention la composition de son armée. Pour cette raison, l'auteur florentin propose une analyse en profondeur des différents types d'armées.

65 Ibid., chap. 12, p.117. 66 Ibid., chap. 14, p.127.

Il existe quatre différentes classes d'armées : les mercenaires, les auxiliaires, les propres et les mixtes. Une armée de mercenaires est une armée qui n'a pas d'attache, pas de patrie. Les États peuvent engager ces armées pour venir à leur défense, pour se battre à leur place. Les soldats de ce type d'armée se battent donc pour l'argent et non pour la protection de leur patrie. Ils n'ont manifestement pas de préférence pour les causes à défendre. Ils acceptent de se battre seulement s'ils sont bien payés pour le faire. Comme on le verra, il est difficile de s'y fier puisque leur seule motivation est la richesse. Les armées auxiliaires, ce sont les armées d'un État puissant qui sont appelées à l'aide par un autre État. Un prince demandant à ses alliés de venir le défendre fait appel à des armées auxiliaires. Les armées propres sont composées uniquement de citoyens de l'État, formés aux armes par les institutions militaires de leur cité. Ils sont fidèles à leur patrie et sont prêts à tout pour la défendre. Finalement, les armées mixtes sont, comme leur nom le suggère, des armées composées à la fois de soldats propres à la cité et de mercenaires ou d'auxiliaires.

Le constat que pose Machiavel par rapport aux armées mercenaires est sans appel. La motivation première de ces armées, l'acquisition de richesse, fait en sorte qu'il est impossible de s'y fier. Si l'armée d'une cité n'est composée que de soldats mercenaires, la cité est en péril. Le prince ne peut pas gouverner en toute sécurité, il doit toujours se méfier et craindre l'effondrement de ses défenses. Cela est dû au fait que les armées de mercenaires sont « sans unité, ambitieuses, indisciplinées, infidèles; vaillantes avec les amis; avec les ennemis, lâches, point de crainte de Dieu, point de foi avec les hommes; et l'on ne diffère la défaite qu'autant qu'on diffère l'assaut; dans la paix on est dépouillé par eux, dans la guerre par les ennemis.67 » Pour les soldats de ces armées, la guerre n'est qu'un

travail bien payé. Ils n'ont donc aucun scrupule à démissionner, en quelque sorte, dès que les dangers réels se présentent. Rien ne les force à tenir leur parole et puisqu'ils ne défendent pas leur patrie, ils ne sont pas prêts à mourir pour gagner la guerre. Pour cette raison, Machiavel affirme qu'en état de guerre, le prince dont les armées sont composées de mercenaires est vaincu par l'ennemi et qu'en temps de paix, ce même prince est dépouillé

par ses propres armées. En effet, non seulement on ne peut pas se fier aux mercenaires, il faut également les payer pour s'assurer de leurs services, ce qui nuit au trésor de la monarchie.

Il faut encore élaborer sur un point concernant les soldats mercenaires, soit leurs ambitions. On a déjà affirmé que la raison principale de leur engagement est l'argent. Il faut également ajouter, comme le mentionne Machiavel, les ambitions personnelles. Les capitaines des armées mercenaires sont souvent portés par leurs propres motivations, ce qui peut s'avérer dangereux pour la cité qui les engage. Lorsque le capitaine en question désire acquérir pour lui seul une cité, ce qui n'est pas rare selon Machiavel, il n'hésite pas à retourner ses armes contre son employeur. Celui-ci, étant démuni devant une telle menace, n'a d'autre choix que de s'avouer vaincu. Un prince avisé ne se tourne vers l'option des mercenaires que s'il n'y a aucune autre possibilité qui s'offre à lui et il ne le fait que pour une courte période de temps, afin de minimiser les dangers potentiels.

L'autre type d'armée proscrit par Machiavel, les armées auxiliaires, est dangereux pour des raisons semblables à celles des armées mercenaires. Ce n'est pas l'appât du gain, de la richesse qui est problématique avec ces armées, mais bien les ambitions de leurs dirigeants. Dans la défaite, il n'y a rien à espérer de ces troupes, mais dans la victoire, elles ne peuvent qu'être nuisibles. Les alliés ne se contentent que très rarement de retourner dans leurs pays après une victoire acquise pour un autre État. Dans la majorité des cas, en voyant leur supériorité et l'occasion qui se présente, ils en profitent pour prendre le pouvoir dans l'État qu'ils viennent de défendre. De plus, contrairement aux armées mercenaires, ils sont généralement bien organisés, ce qui fait qu'ils peuvent être encore plus dommageables et efficaces lorsqu'elles décident de s'emparer de l'État qu'ils devaient défendre.

Pour toutes ces raisons, Machiavel croit qu' « un prince sage, toujours, a évité ces armes-là (les mercenaires et les auxiliaires) et s'est tourné vers celles qui lui sont propres; et il a plutôt voulu perdre avec les siennes que vaincre avec les autres, jugeant que ce n'est pas

une vraie victoire que celle qu'on acquerrait avec les armes d'autrui.68 » Les soldats propres

à l'État, qui en sont donc les sujets ou citoyens, sont prêts à mourir pour défendre leur patrie, ce qui fait d'eux des combattants beaucoup plus redoutables. De plus, dans la victoire, le prince n'a pas à craindre le dirigeant de son armée, étant donné qu'il le choisit lui-même et qu'il le dirige comme il le veut.

Finalement, Machiavel dit que les armées mixtes sont nettement plus efficaces et sûres que les armées mercenaires ou auxiliaires, mais qu'elles ne peuvent jamais égaler la puissance des armées propres. Pour illustrer son propos, il donne l'exemple des armées françaises. Le roi Louis XI, après avoir pris le pouvoir, se contenta de former des troupes de cavaleries. Pour l'infanterie, il alla chercher l'aide des Suisses. Le résultat fut que les troupes françaises cessèrent de croire en leurs chances de victoire lorsqu'elles n'étaient pas appuyées par les troupes suisses69. Un prince n'a donc pas nécessairement à craindre les

armées mixtes, mais il ne peut pas s'y fier avec autant d'assurance qu'il peut se fier à ses propres armées.