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2.2. Analyse de la théorie sur les républiques : Discours sur la première décade de Tite-

2.2.3. Des modèles de républiques

On peut identifier, dans la théorie de Machiavel sur les républiques, deux visions différentes de la pérennité politique. En d'autres mots, le secrétaire florentin décrit deux modèles de république, deux façons différentes d'assurer la survie de la cité. Ces deux modèles ont pris forme dans l'antiquité gréco-romaine. Il y a tout d'abord le modèle de la pérennité par l'expansion, par la conquête. Machiavel prend évidemment l'exemple de Rome pour décrire cette façon de faire. L'autre façon de prolonger son pouvoir est démontrée par la ville de Sparte. Il s'agit d'un modèle de conservation sans expansion, plutôt penché sur la fortification et la défense de la cité. Machiavel parle aussi de la république de Venise comme d'un exemple à suivre pour le modèle défensif, bien que son enthousiasme concernant cette république soit beaucoup plus modéré.

Les républiques qui veulent assurer leur grandeur en imitant l'exemple romain de la conquête doivent d'abord s'assurer d'avoir une armée forte. Ceci est toutefois vrai pour les deux modèles de républiques. Ce sont plutôt les stratégies de guerre qui divergent entre les deux. Les républiques voulant conquérir doivent s'assurer de ne conduire qu'une seule guerre majeure à la fois. Bien que certains écrivains et historiens, comme Tite-Live et Plutarque, attribuent ce facteur à la fortune des Romains, Machiavel y voit plutôt un signe

de leur vaillance90. Il ne faut donc pas attaquer une république ou une monarchie puissante

si on est déjà en conflit avec une autre république ou monarchie puissante. De plus, pour conquérir les peuples puissants, les Romains s'assuraient toujours d'avoir un allié qui leur permettait d'entrer dans le territoire à conquérir sans grande difficulté.

Le plus important, pour une république désirant conquérir, est de bien choisir le moyen par lequel elle veut s'agrandir. Machiavel en identifie trois. Premièrement, il y a la fédération de plusieurs républiques. Il s'agit d'une association entre plusieurs États, où aucune république ne prend plus de pouvoir que les autres. Il y a donc autant de capitales qu'il y a d'États au sein de la fédération. Cette façon de faire limite la grandeur potentielle de la république. En effet, plus y il a de cités réunies, plus la communication et la prise de décision sont compliquées. Pour cette raison, Machiavel considère qu'une telle fédération doit se limiter à un ensemble de douze à quatorze États, sans quoi il y a plus de problèmes que d'avantages91. Une république désirant s'agrandir peut également décider de

transformer les cités conquises en sujets de la république. Ce moyen est « totalement inefficace92 » puisqu'il est très difficile, pour la cité conquérante, de conserver ses sujets.

Ceux-ci désirent retrouver la liberté, surtout s'ils sont habitués à vivre librement. La république désirant procéder ainsi doit donc être en mesure de contraindre tous les États conquis, ce qui demande une puissance sans borne et une armée exagérément nombreuse. Finalement, le troisième moyen de s'agrandir est celui recommandé par Machiavel. Ce moyen consiste à se faire d'abord des alliés. La république se lie d'amitié avec d'autres peuples environnants, tout en demeurant le décideur. Ensuite, lorsque la république possède suffisamment d'alliés, elle peut conquérir d'autres territoires plus éloignés et les transformer en provinces. Rome procéda ainsi :

Elle se fit de nombreux alliés dans toute l'Italie, qui, sur bien des points, vivaient avec elle sous de mêmes lois. Comme on l'a dit, elle s'était toujours réservé la capitale de l'empire et l'initiative des opérations. Aussi ses alliés en venaient-ils, sans s'en apercevoir, à se soumettre eux-mêmes en prodiguant leur peine et leur sang. Lorsque les armées romaines commencèrent, en effet, à sortir des confins de l'Italie, elles transformèrent les royaumes en provinces et assujettirent des peuples qui, étant accoutumés à vivre sous un roi, ne 90 Ibid., livre 2, chap.1, p.293-294.

91 Ibid., livre 2, chap.4, p.304. 92 Ibid., livre 2, chap.4, p.304.

souffraient pas de leur sujétion, et qui, ayant des gouverneurs romains et ayant été vaincus par des armées portant le nom de Rome, ne reconnaissaient d'autre autorité que celle de Rome. Ainsi les alliés de Rome en Italie se trouvèrent-ils tout à coup entourés par des sujets romains et pressés par une très grande cité. Quand ils s'aperçurent du piège dans lequel ils étaient tombés, ils n'eurent pas le temps d'y remédier, tant Rome avait acquis d'autorité grâce à ses provinces extérieures et tant elle avait de force en son sein, puisque la ville était très grande et très fortement armée. Bien que, pour se venger des torts subis, ses anciens alliés se fussent réunis contre elle, ils furent bientôt vaincus et leur condition empira. Car, d'alliés, ils devinrent eux aussi des sujets.93

La méthode romaine inclut donc la ruse tout autant que la force. On peut remarquer que le but d'une république désirant s'agrandir est d'assujettir des pays et des États, mais elle ne doit pas le faire directement. Il est impossible qu'une république ait assez de puissance, dès le départ, pour conserver ses acquisitions. Elle doit donc utiliser la ruse pour se faire aider par quelques autres cités, tout en conservant le rôle prédominant dans l'alliance. Ce n'est que lorsqu'elle a acquis assez de puissance qu'elle peut se départir de ses alliés si cela est nécessaire.

La pérennité d'une telle république conquérante passe par la dissuasion. Sa puissance grandissante dissuade ses ennemis potentiels de s'attaquer à elle. Si les conquêtes sont faites avec assez de ruse et de puissance, la république devient rapidement intouchable, puisque son armée grandit proportionnellement à ses conquêtes. Pour le modèle de conservation par la défensive, la pérennité vient également par la dissuasion. Par contre, ce n'est pas la grandeur et la puissance de l'armée qui empêche les ennemis d'attaquer la cité, mais plutôt la difficulté de pénétrer les murs de la ville. Une république qui se fortifie de la bonne manière peut empêcher n'importe quelle armée d'entrer dans la ville et peut survivre à un siège pendant très longtemps.

Pour Machiavel, il y a deux raisons qui peuvent pousser un État à en attaquer un autre. La première raison est l'ambition, le désir de s'agrandir et donc de s'emparer du territoire. La seconde raison est la peur94. Une cité qui craint d'être attaquée peut décider

de mener la guerre sur le territoire ennemi et donc d'attaquer en premier. Le modèle de république défensive empêche les ennemis d'attaquer par ambition puisque la cité est trop

93 Ibid., livre 2, chap.4, p.303-304. 94 Ibid., livre 1, chap.6, p.202.

difficilement prenable. Ensuite, si les lois de la cité sont bien établies et qu'elles empêchent les gouvernants de conquérir, les voisins ne se sentent jamais menacés et n'ont donc jamais de raison d'attaquer les premiers. L'idéal, pour un tel modèle de république, est d'allier l'absence d'ambition et une défensive forte. De cette façon, il y a très peu de chance que la république s'écroule sous les armes d'autrui.