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Machiavel : l'unité de l'oeuvre et la pérennité du pouvoir politique

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Academic year: 2021

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MACHIAVEL : L'UNITÉ DE L'ŒUVRE ET LA PÉRENNITÉ DU

POUVOIR POLITIQUE

Mémoire

Guy-Olivier Lapointe

Maîtrise en philosophie Maître ès arts (M.A.)

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MACHIAVEL : L'UNITÉ DE L'ŒUVRE ET LA PÉRENNITÉ DU

POUVOIR POLITIQUE

Mémoire

Guy-Olivier Lapointe

Sous la direction de : Philip Knee, directeur de recherche

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Résumé

L'objet de cette recherche est d'unifier les idées de Machiavel en les réunissant autour de la notion de pérennité du pouvoir politique. Après avoir fait ressortir séparément les grands thèmes des deux œuvres majeures de Machiavel, soit Le Prince et les Discours sur la

première décade de Tite-Live, nous tenterons d'établir une théorie politique pertinente pour

les deux grands types d'États analysés par l'auteur italien, soit les monarchies et les républiques. Bien que Machiavel utilise fréquemment des exemples précis et qu'il analyse les situations au cas par cas, son but est toujours d'assurer que le système politique en place perdure. Nous voudrons sortir quelque peu de la méthode machiavélienne afin de regarder les idées de l'auteur dans leur généralité. Ce faisant, les rapprochements entre la pérennité d'une principauté et d'une république seront plus évidents, ce qui permettra de faire ressortir une théorie politique unifiée dans l’œuvre de Machiavel.

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Table des matières

Résumé...iii

Table des matières...iv

Remerciements...vi

Introduction...1

1.Le contexte sociopolitique de Machiavel...7

1.1.Aperçu de la famille Médicis...8

1.2.Enchaînement d'événements à Florence...12

Les guerres d'Italie...12

Le départ des Médicis...15

La montée en puissance de Savonarole...18

Départ de Savonarole, arrivée de Soderini...21

Le retour des Médicis...24

1.3.Historique politique de Machiavel...25

Biographie...25

L'influence de César Borgia...28

2.Les théories sur les monarchies et sur les républiques...31

2.1.Analyse de la théorie sur les monarchies : Le Prince...31

2.1.1.Des monarchies héréditaires...32

2.1.2.Des monarchies mixtes...33

Conquête d'un peuple habitué à être dirigé par un prince ancien...33

2.1.3.Des monarchies nouvelles/ Des princes nouveaux...37

2.1.4.Deux organisations possibles des monarchies...41

2.1.5.De la capacité de se défendre soi-même...44

2.1.6.Des armes...45

2.1.7.Des conseillers du prince...48

2.1.8.Des vices et des vertus d'un prince...50

De la libéralité...52

De la parole donnée...55

2.1.9.Des conspirations...56

2.2.Analyse de la théorie sur les républiques : Discours sur la première décade de Tite-Live...57

2.2.1.Instauration d'une république...59

2.2.2.De la succession du pouvoir...62

2.2.3.Des modèles de républiques...63

2.2.4.Des lois...66

2.2.5.Du peuple...68

Des troubles entre citoyens...68

Des fonctions des citoyens...73

Des citoyens réputés...74

2.2.6.Les mœurs, les vices et les vertus...75

L'ingratitude...75

Des vices et des vertus d'un dirigeant...78

2.2.7.De la corruption...81

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Des dangers des conspirations...86

2.2.9.De la religion...93

2.2.10.Du retour aux origines...95

3.L'unité des théories politiques de Machiavel...100

3.1.Machiavel réaliste...103

3.2.Les idées centrales chez Machiavel...104

3.2.1.Virtù et fortune...104

3.2.2.Des deux moments de la politique...108

3.2.3.Des moyens du gouvernement...110

De la force...110 De la ruse ...111 De la religion...113 3.2.4.Des apparences...114 3.2.5.L'intérieur...115 Des dirigeants...116 Du peuple...117 3.2.6.L'extérieur...119 De la guerre...120 De l'argent et du fer...121 Conseils stratégiques...122 3.2.7.De la pérennité...124

La pérennité par la justice...124

La pérennité par la canalisation de l’égoïsme...126

La pérennité par les institutions...127

3.3.Monarchies ou républiques?...129

3.3.1.Le Prince, un moment d'une république?...133

Conclusion...139

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Remerciements

Je tiens d'abord à remercier monsieur Philip Knee pour ses bons conseils et monsieur Louis Lessard pour les nombreuses conversations inspirantes. Ensuite, je veux remercier Marie-Eve pour ses encouragements précieux. Je veux également remercier Guy pour son soutien inconditionnel. Finalement, un remerciement tout spécial à Manon, femme d'une patience et d'un dévouement extraordinaire, sans qui rien n'aurait été possible.

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Machiavel

: l'unité de l’œuvre et la pérennité du pouvoir politique

Introduction

Les écrits politiques de Machiavel traitent en grande partie des monarchies. D'ailleurs, son texte le plus marquant, du point de vue de l'importance historique, est sans contredit Le Prince. Ce texte, bien que relativement court, expose ce que le dirigeant d'une monarchie doit faire pour s'assurer de conserver le pouvoir. Il traite des différents types de monarchies, des multiples situations qui peuvent mettre en péril les assises du dirigeant aussi bien que des différents moyens pour obtenir et conserver le pouvoir d'un État.

Toutefois, il faut se rappeler que Machiavel n'est pas un philosophe et qu'il ne se considère pas comme tel non plus. Les points majeurs de sa pensée sur les monarchies se retrouvent dans Le Prince, mais il ne faut pas négliger l'apport de ses autres écrits, comme les rapports qu'il produit alors qu'il est encore à l'emploi de la cité de Florence. Lors des années où il occupe les fonctions de secrétaire pour la ville de Florence, il est chargé de produire des rapports sur des situations précises. Les suggestions qui en ressortent doivent être considérées comme des moyens pour aider la cité et non simplement ou uniquement comme les opinions personnelles de Machiavel. Même ses autres textes comme l'Art de la

Guerre et l'Histoire de Florence sont difficilement déchiffrables puisque le premier prend la

forme d'un dialogue alors que le second est écrit sous la commande du cardinal Jean de Médicis, le futur pape Clément VII. Puisqu'il est politologue et non philosophe, Machiavel n'écrit pas toujours dans le but d'exposer ses idées personnelles. Il est donc plutôt difficile de connaître avec précision le fond de sa pensée.

Comme on le sait, il écrit Le Prince après son exclusion de la cité de Florence. Les intentions derrière ce texte sont maintenant très bien connues. Machiavel n'est pas heureux dans sa nouvelle vie. Son désir le plus cher est de retrouver sa place en politique active. L'écriture du Prince n'est probablement rien d'autre qu'un moyen pour parvenir à cette fin. La complexité du contexte historique et politique entourant l'écriture des textes de

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Machiavel ne s'arrête toutefois pas aux intentions derrière l'écriture du Prince. À la fin du quinzième siècle et au début du seizième, les événements s'enchaînent très rapidement à Florence, ce qui fait en sorte que Machiavel doit arrêter l'écriture des Discours pour écrire

Le Prince, avant de poursuivre et de terminer la rédaction des Discours. Comme on le

verra, certains historiens et spécialistes de Machiavel remettent en doute cette version, ce qui pourrait avoir une influence importante sur la validité de ce que l'on croit être la véritable opinion de Machiavel.

La tâche de saisir avec précision les opinions personnelles de Machiavel n'est pas ardue uniquement en raison du contexte d'écriture de ses textes. L’œuvre même de l'auteur rend cette tâche doublement difficile. Comme on le disait, une grande partie de cette œuvre traite des monarchies. L'autre grande partie de l’œuvre tourne plutôt autour des cités libres, c'est-à-dire des gouvernements républicains. Les idées avancées dans les Discours sur la

première décade de Tite-Live, son texte le plus complet traitant des républiques, ne

concordent pas toujours avec ce que Machiavel écrit dans Le Prince. Évidemment, l'auteur semble être convaincu des idées qu'il émet dans chacun de ses textes. Il est alors facile de croire que les idées de ce dernier ont simplement évolué au fil du temps, qu'il est à l'origine un partisan de la monarchie avant de changer d'idée et de plutôt soutenir les républiques. Certains auteurs, comme Hans Baron, croient effectivement à l'évolution des convictions de Machiavel. Pour Paul Larivaille et d'autres spécialistes, il n'y a pas vraiment d'évolution dans la pensée du Florentin, il n'y a qu'une différence de sujet et de contexte. La vie de Machiavel remet d'ailleurs en doute la théorie de l'évolution de ses convictions1.

Lors de la Renaissance italienne, l'humanisme est le courant de pensée le plus commun chez les intellectuels et les artistes. Les dirigeants, les conseillers et les membres de l'administration des villes sont souvent de grands humanistes et Machiavel n'échappe évidemment pas à la tendance. « Porteur d'une puissante charge émotive, comme quelques

1 Pour une étude de l'évolution de ce débat, voir l'article d'Hans Baron intitulé Machiavelli: the Republican Citizen and the Author of ‘The Prince’ ,

http://ehr.oxfordjournals.org.acces.bibl.ulaval.ca/content/LXXVI/CCXCIX/217.full.pdf+html?sid=3a1c0590-9383-441e-bbc8-53c22e23d975, consulté le 20 février 2016.

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autres concepts historiques (Renaissance, Temps modernes, Révolution, etc.), l'humanisme, pris en un sens relativement large, désigne un type de comportement idéologico-culturel qui inspire les intellectuels italiens du Quattrocento [quinzième siècle en Italie] et du début du Cinquecento [seizième siècle en Italie].2» Ce mouvement humaniste traverse deux phases

majeures à Florence. La première débute vers la fin du quatorzième siècle, aux alentours de 1375, et se termine avec l'arrivée de Côme de Médicis au pouvoir à Florence en 1434. Cet humanisme, que Christian Bec surnomme « l'humanisme civique », est imprégné des valeurs républicaines. Il faut savoir qu'avant l'arrivée au pouvoir de Côme, la ville de Florence était républicaine. Bien sûr, elle fut contrôlée pendant un temps par une oligarchie de chefs de clans, mais ses institutions et son histoire étaient républicaines. Les intellectuels de « l'humanisme civique » prônent un engagement actif dans la vie politique et économique de l'État et sont marqués par leurs études des auteurs anciens, tel que Cicéron, prenant celui-ci comme modèle en raison de ses idées et de sa participation connue dans la vie politique romaine. L'« humanisme civique » est donc pratiquement incompatible avec la monarchie. Après la prise de pouvoir par Côme, la ville se transforme en une monarchie déguisée, ce qui amenuise l'utilité de l'engagement des citoyens. L'humanisme entre alors dans sa deuxième phase, surnommée « l'humanisme littéraire ». Les intellectuels favorisent alors la contemplation au détriment de l'action, préférant ainsi les études et la lecture à la vie politique. Ce deuxième mouvement humaniste donne lieu à des avancées majeures au niveau de la philologie, de l'esthétique et de la littérature, mais ce renoncement à la vie politique laisse toute la place à la montée en puissance des dirigeants uniques, des princes et des ducs3.

Au tout début du seizième siècle, Bernardo Rucellai, un aristocrate ami et beau-frère de Laurent le Magnifique, le monarque déguisé de Florence de 1464 à 1492, forme un groupe de discussion à Florence réunissant des intellectuels reconnus de la cité. Rucellai étant un ami du régime médicéen, le cercle de discussion, connu sous le nom des Jardins de Rucellai, est animé par une antipathie envers le régime républicain. À la mort de Bernardo

2 Bec, Christian, Machiavel, éditions Balland, Poitiers, 1985, p.59. 3 Ibid., p.61-62.

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en 1514, ses fils reprennent les Jardins et l'ambiance change. À la suite du retour des Médicis en 1512 et du pouvoir presque tyrannique que possède Laurent de Médicis le jeune, les intellectuels du cercle s'opposent de plus en plus aux Médicis. À partir de ce moment, « l'humanisme civique » fait son retour à Florence au sein des Jardins, que fréquente Machiavel. Ce dernier adhère complètement à ce courant de pensée. Effectivement, ses écrits, particulièrement les Discours sur la première décade de Tite-Live, texte qu'il dédie à Zanobi Buondelmonti et à Cosimo Rucellai, deux membres des Jardins, sont imprégnés de l'esprit de « l'humanisme civique ». Machiavel y démontre constamment la nécessité de participer à la vie politique.

Machiavel est donc un « humaniste civique », courant de pensée tout à fait républicain, et il est à l'emploi du gouvernement de la république florentine. Malgré tout, son amour pour la politique active le pousse à écrire ce fameux traité à l'intention des monarques, voire des tyrans, qu'est Le Prince. À première vue, l'enracinement de Machiavel dans l'« humanisme civique » suggère qu'il est impossible que l'auteur souhaite réellement un gouvernement monarchique pour sa ville natale. Il y a une contradiction apparente entre la vie de Machiavel, son dévouement pour la participation active à la vie politique, pour l'« humanisme civique » et les idées avancées dans Le Prince. Cette contradiction donne lieu à un débat important concernant la cohésion des idées de Machiavel. Comme le mentionne Paul Larivaille4, le chapitre XXX du troisième livre des

Discours suggère que Machiavel est déjà conscient de la nécessité de la force, de la

nécessité de l'autorité royale d'un ''dictateur'' pour remettre Florence sur la bonne voie et ce alors qu'il est encore à l'emploi de la république. De plus, Larivaille pointe aussi le fait qu'un ami de Machiavel lui suggère, dans une lettre de 1509, de se modérer5. De ce fait, il

ne peut pas avoir mis un terme à l'écriture des Discours suite à une illumination sur la nécessité de l'autorité d'un seul homme pour diriger la cité en situation de crise. « En d'autres termes, non seulement le Prince ne représente pas une rupture par rapport aux

Discours, mais, avec des visées différentes, les deux ouvrages constituent les deux volets

4 Larivaille, Paul, La pensée politique de Machiavel : les Discours sur la première décade de Tite-Live, Presses universitaires de Nancy, Nancy, 1982, p.67.

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successifs et complémentaires d'une même réflexion politique.6» Les Discours ne sont pas

en opposition avec Le Prince. Il s'agit plutôt d'une continuation de la même pensée, les nombreuses règles que doivent suivre les princes en matière de comportement, de vices et de vertus, voire de virtù, peuvent très bien être présentées à l'intention des dirigeants d'une Florence républicaine. La différence entre les deux textes n'est que contextuelle. Machiavel a des buts différents, mais sa pensée, sa vision du politique demeure la même.

L’œuvre complète de Machiavel porte sur les différents gouvernements ainsi que sur les méthodes et les actions que les dirigeants doivent entreprendre pour se hisser au pouvoir et s'y maintenir. Selon le style de gouvernement dont il traite, les recommandations détaillées de Machiavel diffèrent, ce qui est tout à fait compréhensible, car un même problème ne peut pas toujours être résolu de la même manière dans une monarchie et dans une république. Il faut également considérer le fait que certains aspects de la vie politique sont complètement différents, voire carrément opposés dans ces deux systèmes politiques. Toutefois, tous ses textes et toutes ses recommandations tournent autour d'une seule et même idée : la pérennité d'un régime politique. Machiavel ne prend pas en considération la morale ou l'éthique, il ne considère que la politique et plus précisément la pérennité des régimes. Cela est d'ailleurs compréhensible lorsque l'on considère tous les changements et bouleversements de régime en Italie à son époque. Ces changements occasionnant de grands désastres, Machiavel veut remédier à la situation en préconisant la pérennité avant la moralité. Le seul moment où il semble mettre de l'avant un argument moral est lorsqu'il traite de la liberté du peuple, mais il est également possible qu'il ne suggère la liberté que pour les effets qu'elle procure et non parce qu'il la considère comme un bien moral.

Quoi qu'il en soit, même si les détails sont souvent différents, les grandes lignes de la pensée politique de Machiavel demeurent très semblables dans l'ensemble de ses textes. En réunissant les textes, il est possible de former une théorie politique générale qui ne tient pas compte du type de gouvernement. Ce mémoire se veut une tentative d'émettre cette théorie générale. Après avoir analysé le contexte historique de la vie de Machiavel et de

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ses écrits, nous ferons ressortir tous les éléments importants des deux grands volets de l’œuvre de Machiavel puis nous les unifierons sous un seul grand thème : la pérennité du pouvoir politique.

Avant de nous pencher sur le contexte historique, nous devons apporter deux petites précisions. D'abord, il est à noter que nous utiliserons, pour tous les textes de Machiavel, la traduction de Christian Bec dans son ouvrage intitulé Machiavel – Œuvre. Par contre, pour ce qui est du Prince, nous utiliserons la traduction établie par Yves Lévy7 puisque cette

traduction semble faire consensus chez les spécialistes francophones de Machiavel comme étant très précise et rigoureuse. Il faut également préciser le choix du terme pérennité pour décrire la recherche de la stabilité temporelle des régimes politiques. Après avoir considéré les termes stabilité, durabilité, continuation et autres, nous avons choisi pérennité puisque ce terme est celui qui se rapproche le plus de ce que Machiavel recherche : la conservation d'un même régime à travers les époques. Bien que le terme pérennité est parfois utilisé pour décrire l'état de ce qui dure toujours, nous l'emploierons pour décrire l'état de ce qui dure longtemps. En parlant de la pérennité du pouvoir politique, nous parlerons donc d'un régime qui se maintient à travers le temps.

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1.Le contexte sociopolitique de Machiavel

L'Italie est, entre le quatorzième et le seizième siècle, une pépinière d'artistes fabuleux et de penseurs importants. Avec tous les événements, guerres et jeux de pouvoir s'y produisant, il n'est pas surprenant que tant de grandes œuvres en ressortent, celles-ci étant la répercussion, l'image et l'aboutissement d'une réflexion et d'une analyse sur les événements entourant les artistes et penseurs. À cette époque, l'Italie est divisée en une multitude de petits États indépendants, que ce soit des royaumes, des républiques ou des duchés. La grande majorité de ces États sont dirigés par des gens ambitieux, désirant augmenter leur influence en Italie, que ce soit en s'alliant avec d'autres États ou bien en essayant d'en conquérir. Cela donne lieu à de nombreuses guerres, alliances et trahisons.

Machiavel naît en 1469, en plein cœur de cette période mouvementée. Étant né à Florence dans une famille politisée, bien qu'en déclin quant à son importance politique, il reçoit une éducation de qualité lui permettant d'apprécier, de comprendre et de commenter la politique passée et de son temps8. Même si son emploi n'est pas très important au sein

de la politique florentine, il est, pendant un peu moins de quinze ans, grandement impliqué dans celle-ci. Pendant ces années, il occupe le poste de secrétaire de la seconde chancellerie de Florence, un emploi plutôt modeste. Il est surtout mandaté pour rédiger des rapports, des lettres et des procès-verbaux. D'ailleurs, lors de ses nombreuses missions d'ambassade, il n'est jamais l'ambassadeur officiel, l'orateur. Il ne fait qu'accompagner l'ambassadeur. Il doit plutôt faire part de ce qu'il observait et ainsi conseiller l'ambassadeur. Toutefois,

Le métier de Machiavel l'amène à réaliser une double expérience. Elle (sic) le met en contact avec le groupe particulier des secrétaires, issus de la petite ou moyenne bourgeoisie, cultivés, techniquement bien formés, mais restant (comme lui) des exécutants. Témoin privilégié du jeu politique, mais non maître des décisions, Nicolas le juge, parfois très sévèrement, toujours sans préjugés, mais ne peut, au moins directement, le déterminer. […] Du fait encore de son métier, Machiavel a l'immense privilège de côtoyer les ténors de l'actualité florentine, italienne et européenne ; il assiste aux petits et aux grands événements de la vie politique locale et internationale.9

8 Bec, Christian, Machiavel, p.17-18. 9 Ibid., p.25

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Il est donc dans une position idéale pour bien analyser les différents comportements politiques et leurs effets sur la pérennité du pouvoir. Combinées avec une lecture rigoureuse des grands historiens de la politique ancienne, et plus particulièrement de Tite-Live et de ses écrits sur la république romaine, les connaissances acquises par Machiavel l'amènent à former une pensée concrète, réaliste et très percutante sur les dirigeants des différentes formes de gouvernement.

Les théories politiques de Machiavel sont fortement influencées par son contexte social et politique. Bien les comprendre requiert donc de les remettre dans leur contexte. Pour ce faire, nous glisserons d'abord un mot sur la famille Médicis dont l'histoire est non seulement intimement liée à l'histoire de la ville de Florence, mais a également grandement influencé le destin de Machiavel. Par la suite, nous relaterons les grands événements s'étant produits en Italie et à Florence durant la vie de Machiavel pour finalement terminer avec un aperçu des relations liant le secrétaire florentin à la vie politique et aux différents régimes politiques.

1.1.Aperçu de la famille Médicis

La famille Médicis est, au quatorzième siècle, une famille noble parmi tant d'autres dans la cité de Florence. Elle a son importance, faisant élire certains de ses membres à des postes de prestige dans le gouvernement florentin. Ce n'est toutefois que vers la fin du quatorzième siècle que les Médicis commencent réellement à acquérir toute la puissance et tout le prestige qui leur permettra de régner sur Florence ainsi que sur toute la Toscane pendant environ trois siècles. C'est Giovanni de Médicis qui, en créant la compagnie des Médicis en 1397, lance le processus qui leur permet de s'imposer dans la politique florentine. À son apogée, la compagnie rassemble des entreprises commerciales, bancaires et industrielles et s'étend partout en Italie ainsi que dans plusieurs autres pays d'Europe. À la mort de Giovanni en 1429, il laisse en héritage à ses fils Côme et Laurent la richesse et l'adoration des citoyens de la cité. Côme étant l'aîné, il reprend les rênes de la famille et s'assure de lui faire atteindre de nouveaux sommets de richesse et d'importance politique.

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Quant à lui, Laurent est à l'origine de la branche cadette des Médicis, la branche dite Popolani. Celle-ci prend la relève lorsque la lignée de Côme s'éteint au seizième siècle et règne sur toute la Toscane jusqu'au dix-huitième siècle. « Après la mort de son père Giovanni, Côme de Médicis se comporta avec plus de courage dans les choses publiques, plus d'attention et de libéralité avec ses amis que ne l'avait fait son père. De sorte que ceux qui s'étaient réjouis de la mort de Giovanni s'inquiétaient en voyant quel homme était Côme. Il était très sage, d'apparence grave et sympathique, généreux et humain.10 » Au

début du quinzième siècle, Florence est contrôlée par une oligarchie de nobles citoyens menée par la famille Albizzi, associée au parti guelfe. Or, la réputation que traîne Côme est de nature à effrayer les oligarques. Après une conspiration ratée, ceux-ci font un procès à Côme et le condamnent à l'exil. Il revient toutefois en 1434, forçant ses opposants à s'exiler à leur tour. Ainsi débute la mainmise des Médicis sur la république florentine.

Comme nous le disions, le début du quinzième siècle est marqué, à Florence, par le contrôle politique des membres d'une oligarchie de chefs d'entreprises dirigée par la famille Albizzi. Pourtant, ils laissent les principaux postes du gouvernement ouverts aux élections : « Ainsi encore la nomination de la Seigneurie, qui exerce le pouvoir exécutif suprême, se fait-elle en trois phases successives mêlant l'élection et le tirage au sort : des listes d'éligibles, dressées parmi les membres des corporations sont soumises au vote du conseil du Peuple ; de ces listes restreintes sont ensuite tirés, par le sort, les noms du Gonfalonier de justice et des prieurs, qui ne restent en fonction que deux mois.11 » Les

oligarques ont donc recours à des méthodes plus ou moins subtiles afin de s'assurer du pouvoir : « Elle [l'oligarchie] s'appuie sur le parti guelfe, lequel, se servant de l'admonition [exclusion des opposants à l'oligarchie de toute fonction politique], des bannissements et du contrôle des listes d'éligibles, exclut du pouvoir certaines grandes familles d'opposants ainsi que les classes moyennes.12 » La manière de diriger des membres de l'oligarchie, qui

dirigent Florence dans des conquêtes territoriales, n'est pas très appréciée des citoyens puisqu'elle coûte cher et fait beaucoup de mécontents, dont les familles d'opposants et tous

10 Ibid., lire 4, chap. 26, p.817. 11 Bec, Christian, Machiavel, p.47. 12 Ibid., p.47.

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les autres exclus. Côme flaire alors l'opportunité d'augmenter son pouvoir politique. Il se range du côté des opposants et entre en conflit ouvert avec les oligarques. C'est à ce moment qu'il est arrêté et exilé. Comme on le sait, il revient peu de temps après grâce au soutien du peuple, de Venise ainsi que du pape. En effet, le pape donne son appui à un opposant du parti guelfe. Il faut préciser qu'à cette époque, la rivalité guelfes-gibelins n'est plus une rivalité entre les partisans du pape et ceux du Saint-Empire romain germanique, s'étant plutôt transformée en rivalité entre les possesseurs du pouvoir et les opposants en général13.

À son retour en 1434, Côme met en place tous les éléments dont il a besoin pour prendre le contrôle de Florence :

Cosme [Côme] recourt aussitôt à la répression, en faisant nommer par le Parlement (ou assemblée générale des citoyens) une commission dotée de pleins pouvoirs qui exile soixante-quinze oligarques, dont le bannissement sera régulièrement renouvelé. Outre le coup d'État permanent (par le procédé qui vient d'être décrit), les moyens de gouvernement utilisés par Cosme de 1434 [à] 1464 et par son fils Pierre de 1464 à 1469 consistent notamment à modifier graduellement les institutions et à faire écraser d'impôts les opposants.14

Ces changements d'institutions se résument à l'abolition de l'élection des magistrats, qui sont désormais désignés par des scrutateurs, et la réduction du nombre de membres des différents conseils afin de pouvoir les manipuler plus aisément.

Après un court et inefficace règne de Pierre de Médicis, de 1464 à 1469, son fils Laurent le Magnifique, petit-fils de Côme, reprend là où Côme avait laissé. Sa puissance, son influence et sa magnanimité sont telles que beaucoup de citoyens en sont effrayés, craignant qu'il ne s'empare d'un pouvoir tyrannique. Survient alors, en 1478, une des conspirations les plus marquantes de l'époque : la conspiration des Pazzi. Cette conspiration réunit non seulement beaucoup d'opposants aux Médicis, en particulier des membres de la famille Pazzi, d'où le nom par lequel elle est désignée, mais également le pape Sixte IV. Le frère de Laurent, Julien, est tué, mais Laurent lui-même y échappe. Machiavel en parle longuement dans ses deux œuvres principales, Le Prince et les

13 Ibid., p.89-90. 14 Ibid., p.48.

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Discours sur la première décade de Tite-Live. Par la suite, Laurent resserre davantage son

emprise sur la cité.

En l'espace de trois générations, les Médicis ont progressivement accru leur pouvoir sur la cité. Ils ont créé un État territorial et renforcé le pouvoir central, sans bouleverser trop ouvertement les institutions. Peu à peu l'idéologie républicaine semble s'être assoupie à Florence, malgré l'opposition de quelques grandes familles et de certains intellectuels. De 1434 à 1492, la cité est en somme passée de la mainmise d'un groupe restreint à celle d'un homme : nul d'ailleurs ne s'y trompe, ni à l'intérieur, ni à l'étranger.15

Malgré son contrôle presque absolu sur la ville de Florence, la famille Médicis sous Côme comme sous Laurent jouit d'une excellente réputation. Ces deux grands dirigeants comprennent comment s'assurer de l'amour et du respect des citoyens. Les membres de la famille Médicis deviennent, au fil du temps, de grands mécènes, encourageant les artistes et les intellectuels de l'époque16. La ville de Florence bénéficie grandement de la libéralité des

Médicis, puisqu'ils font construire de nombreux édifices et qu'ils financent une multitude de projets artistiques. Laurent participe également à la paix générale en Italie. Grâce au respect qu'il impose, il est capable de résoudre les conflits et de mettre fin aux nombreuses guerres ravageant l'Italie. Tout cela n'est que temporaire. Après sa mort en 1492, son fils Pierre ne peut en faire autant.

Machiavel est né en 1469, c'est-à-dire l'année même de la prise de pouvoir par Laurent le Magnifique. Il est donc très bien placé pour observer les conséquences d'un changement de pouvoir, ou plutôt d'une succession. Il peut analyser, bien que tardivement, les effets d'une succession de bons dirigeants, Florence étant rapidement passée des mains de Côme à Laurent, puis il a une place de choix pour voir à quel point un mauvais dirigeant peut ruiner ce que ses ancêtres lui ont légué. Pour cela, il n'a qu'à observer la déroute complète de Pierre au début des années 1490. Pierre est perçu comme un dictateur, préférant se faire craindre que respecter, tout à l'opposé de Côme et de Laurent. Il n'écoute pas vraiment les conseils de ses proches ni des gens qui ont l'expérience du pouvoir, dont les proches de son défunt père. De plus, il n'est pas reconnu pour être très intelligent, l'historien François Guichardin allant même jusqu'à dire de lui qu'il a un petit cerveau17.

15 Ibid., p.49. 16 Ibid., p.63-64.

17 Ce texte de Guichardin n'ayant jamais été traduit en français, nous utiliserons la version anglaise. Guicciardini, Francesco, History of Florence, traduction de Mario Domandi, Harper Torchbooks, New-York,

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Après son accession au pouvoir en 1492, il le perd à la première occasion, lors du début de la première guerre d'Italie en 1494. Évidemment, cette succession de dirigeants et les impacts de celle-ci sont analysés longuement par Machiavel.

1.2.Enchaînement d'événements à Florence Les guerres d'Italie

À la fin du quinzième siècle et au début du seizième, les choses se bousculent en Italie et à Florence. L'élément déclencheur de cette série d'événements est le début d'une suite de guerres surnommées les guerres d'Italie. À partir de 1494 et jusqu'au milieu du seizième siècle, les rois français procèdent à des invasions du territoire italien afin de tenter de reprendre le royaume de Naples ainsi que le duché de Milan. La guerre ayant le plus grand effet sur la ville de Florence, et ainsi sur Machiavel, est la première guerre d'Italie, menée par le roi Charles VIII de 1494 à 1498. Après la chute de l'Empire romain d'Orient, suite à la prise de Constantinople par le sultan de l'Empire Ottoman, le turc Mehmet II, en 1453, les choses se calment en Italie. La peur de l'envahisseur réunit les principales puissances italiennes. De plus, Milan, Naples et Florence forment une alliance dans le but de réprimer les ambitions de grandeur de Venise. En 1492, la mort de deux hommes vient briser l'équilibre précaire qui s'était formé. D'abord, le pape Innocent VIII meurt et est remplacé par Rodrigo Borgia, sous le nom d'Alexandre VI. Celui-ci est animé par de grandes ambitions, non seulement pour les États pontificaux, mais également pour sa famille. Ensuite, Laurent le Magnifique rend également l'âme, ce qui a un effet dévastateur. Machiavel parle de la mort de ce grand Médicis en ces termes :

Tous ses concitoyens et tous les princes italiens furent donc affligés de sa mort, car il n'y en eut pas un qui n'eût exprimé sa douleur à Florence par l'intermédiaire de ses ambassadeurs. Qu'ils eussent eu de justes raisons de s'affliger, les faits le démontrèrent peu après. En effet, l'Italie étant désormais privée de ses avis, les survivants ne trouvèrent aucun moyen de satisfaire ni de réfréner l'ambition de Ludovic Sforza [duc régent, puis duc de Milan], qui, en peu de temps, en l'absence de quelqu'un qui eût su l'étouffer, ruina et continue de ruiner l'Italie.18

1970, p.80.

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Machiavel s'exprime ainsi puisque le successeur de Laurent à la tête de la famille Médicis, son fils Pierre, ne réussit pas à garder l'équilibre en Italie. Les relations entre Florence et Milan dégénèrent au point où Ludovic Sforza, duc régent puis duc de Milan, débute des pourparlers et déclenche ainsi les guerres d'Italie.

Lors de l'élection au pontificat d'Alexandre VI, à la fin de l'été 1492, Laurent de Médicis est déjà décédé depuis quelques mois et son fils Pierre a pris la relève. Par contre, il s'est écoulé si peu de temps depuis sa mort que les relations diplomatiques n'ont pas réellement changé, Pierre n'ayant pas encore eu le temps de s'incruster dans la vie politique italienne. Par conséquent, le royaume de Naples, le duché de Milan et la république de Florence sont toujours alliés. Les choses vont rapidement évoluer. À ce moment, Ludovic Sforza, dit Ludovic le More, agit en tant que duc régent à Milan, puisque le duc, son neveu Jean Galéas Sforza, est trop jeune pour gouverner. À l'occasion des célébrations entourant l'élection d'Alexandre VI, Ludovic propose aux ambassadeurs florentins et napolitains de montrer toute l'ampleur de leur alliance en ne présentant qu'un seul discours uni. L'idée est positivement reçue et tous acceptent. Toutefois, au dernier moment, un des envoyés florentins, désirant ardemment prononcer lui-même le discours, mais réalisant que, selon toute vraisemblance, ce privilège allait plutôt être accordé à un ambassadeur napolitain, demande à Pierre de Médicis de changer de plan et de finalement refuser l'offre de Ludovic le More. Pierre se laisse convaincre et informe alors le duc régent du changement. Ludovic est très offusqué de ce changement soudain et il réalise alors que ses relations avec le nouveau chef de la dynastie des Médicis pourraient devenir problématiques19. Cet

événement marque le début des hostilités qui mènent à l'invasion française.

Bien qu'un froid s'installe, l'épisode du discours n'est pas l'élément principal de l'animosité qui règne entre Milan et Florence. La vraie dispute tourne plutôt autour d'une question de contrôle de territoires. D'abord, le fils du pape défunt Innocent VIII, un certain Francesco Cybo, qui s'est vu donner des terres en Romagne pendant le pontificat de son père, décide de les revendre plutôt que de les redonner au nouveau pape. Cybo passe par

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son beau-frère Pierre de Médicis afin de vendre les terres à un autre parent de Pierre, Virginio Orsini. Pierre a de la parenté dans la famille Orsini puisque sa femme et sa mère sont des membres de cette famille. De plus, le roi de Naples, Ferdinand d'Aragon, soutient la cause du cardinal Giuliano qui tient à ce moment la cité d'Ostia, refusant de la céder au pape. Le roi veut ainsi nuire à la puissance du pape puisque ce dernier, beaucoup plus ambitieux que ses prédécesseurs, a rompu la dépendance qui unissait l'Espagne, par l'intermédiaire de la maison d'Aragon, et l'Église. À première vue, on peut croire que ni Florence ni Milan ne sont impliquées dans cette dispute. Il faut regarder du côté des alliances pour comprendre comment la situation éloigne davantage les deux belligérants. D'un côté, le pape Alexandre VI est un allié naturel de Ludovic le More, puisque c'est en partie grâce à son appui qu'il réussit à accéder au pontificat. La puissance du pape fait en sorte que Milan a tout intérêt à conserver l'amitié de celui-ci en soutenant sa cause et en lui venant en aide dans ce conflit. Pierre Médicis, quant à lui, soutient Naples dans cette affaire, en grande partie en raison de leur allié commun, la famille Orsini, Virginio étant à l'emploi du roi de Naples en tant que capitaine de son armée. Le rapprochement entre Florence et Naples n'est pas de nature à plaire à Ludovic le More. En effet, il voit ainsi ses deux prétendus alliés se rapprocher, tout en l'excluant tranquillement de l'alliance formée précédemment entre les trois cités. « Comme il [Ludovic Sforza] voyait que Pierre de Médicis [….] continuait à suivre le roi [ Ferdinand d'Aragon], et que toute sollicitude était vaine pour l'en détourner, Lodovico Sforza, considérant en son for intérieur combien il était grave que cette ville [Florence], dont l'action modératrice était depuis toujours le principal fondement de sa sécurité, dépendît de ses ennemis et ayant par conséquent l'impression que de nombreux dangers le menaçaient, décida de pourvoir à sa sauvegarde par de nouveaux remèdes.20»

Ludovic décide donc de s'allier avec Venise dans le but de soutenir la cause de Rome, c'est-à-dire du Vatican et du pape. Cette nouvelle alliance stipule que les deux cités du nord italien doivent contribuer à la cause de l'Église en fournissant des troupes pour

20 Guicciardini, Francesco, Histoire d'Italie – 1492-1534, tome 1 – 1492-1513, traduit de l'italien sous la direction de Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini, Robert Laffont, Paris, 1996, livre 1, chap. 3, p.15.

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l'armée pontificale. Toutefois, Venise n'est pas assez rapide et ne procure pas assez de combattants au goût de Ludovic. Enragé et désirant par-dessus tout se venger de ses anciens alliés, Ludovic prend des moyens drastiques afin de parvenir à ses fins. Il commence à négocier avec le roi de France Charles VIII, proposant son appui et son aide à celui-ci afin qu'il entreprenne une tentative de reconquête du royaume napolitain. Sous la menace imminente d'une invasion française, le pape et le roi de Naples en viennent à un accord résolvant le conflit les opposant. Cela n'a aucun effet sur les ambitions de Ludovic qui, à ce point, est trop furieux pour réaliser qu'il est sur le point de causer une catastrophe en Italie. De toute façon, il est trop tard pour reculer puisque Charles VIII a déjà pris la décision d'accepter l'offre de Ludovic et d'envahir l'Italie21.

Le départ des Médicis

Quelque temps avant le début de l'invasion française, au début de l'année 1494, quatre ambassadeurs français se présentent à Florence dans le but de négocier le passage des troupes du roi Charles VIII sur le territoire toscan. Plus précisément, les ambassadeurs demandent l'aide de la république florentine ou, à tout le moins, un simple droit de passage. Or, l'alliance entre Florence et Naples étant toujours en fonction, Pierre de Médicis refuse catégoriquement les demandes françaises. Comme on le mentionnait, Pierre n'est pas particulièrement apprécié à Florence, surtout en comparaison avec son père Laurent le Magnifique. Son refus d’obtempérer aux demandes françaises et son parti pris inconditionnel envers la maison d'Aragon de Naples n'aident en rien sa réputation. En effet, tous ses conseillers lui suggèrent de se plier aux demandes du roi. De plus, les citoyens florentins sont majoritairement en faveur de laisser le passage aux Français, surtout qu'ils n'apprécient pas particulièrement les Aragonais22. Malgré tout, personne n'ose

s'opposer aux désirs du chef des Médicis.

21 Guicciardini, Francesco, History of Florence, p.84. 22 Ibid., p.87.

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Alors que les troupes françaises approchent, étant arrivées à Naples, le mécontentement ne cesse de grandir à Florence. Les citoyens ne veulent rien savoir de s'impliquer dans une guerre, surtout qu'ils favorisent le parti contre lequel ils auront potentiellement à se battre. Pierre, reconnaissant l'état précaire de sa situation, décide qu'il doit agir afin de calmer les Florentins. Il quitte alors Florence afin d'aller rencontrer le roi Charles ainsi que le nouveau duc de Milan, Ludovic Sforza qui, selon des rumeurs qui ne seront jamais prouvées, a empoisonné son neveu le duc Jean Galéas Sforza afin de s'assurer du pouvoir23. Le résultat de cette rencontre est que Pierre accorde non seulement le droit de

passage aux troupes du roi, mais il leur cède également quatre forteresses, dont celle de Pise, pour que les Français puissent s'y protéger. De ces quatre forteresses, deux sont remises immédiatement au roi, sans que Pierre n'en demande l'autorisation aux différents conseils florentins24.

Pendant l'absence de Pierre, plusieurs citoyens hautement placés dans les conseils décisionnels de la ville se mettent à critiquer directement et ouvertement les façons de faire de ce dernier, lui reprochant entre autres ses allures tyranniques. Le mécontentement est si fort que lorsque la nouvelle des pourparlers et du fruit de ceux-ci atteint la ville, les citoyens se mettent à réclamer que les forts soient donnés aux Français au nom du peuple et non au nom du tyran Pierre de Médicis25. Les citoyens décident donc d'envoyer leurs

propres ambassadeurs auprès du roi Charles VIII afin de lui passer ce message. Parmi ces ambassadeurs figure le frère Jérôme Savonarole, dont on reparlera très bientôt.

Pierre retourne à Florence au début du mois de novembre 1494. Il se rend alors auprès des membres de la Seigneurie, c'est-à-dire les membres de la plus haute instance du gouvernement de Florence, afin d'expliquer le déroulement des récents événements aux Prieurs et au Gonfalonier de justice. Bien qu'il se soit attiré la haine et le mépris de nombreux membres du gouvernement et d'une bonne partie de la population, Pierre de Médicis demeure un citoyen très puissant à Florence. Même s'ils désirent son départ, les

23 Ibid., p.89. 24 Ibid., p.91. 25 Ibid., p.91.

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Prieurs n'ont pas le courage de le confronter directement. Ils prennent plutôt la décision de l'exclure sans devoir lui faire face. Le lendemain, plusieurs Prieurs se rendent au siège du gouvernement, le Palais Vecchio ou Palais de la Seigneurie comme il est appelé à cette époque, et s'y enferment. À son arrivée, Pierre est entouré de plusieurs hommes armés, mais cela n'a aucun effet. Il se fait dire qu'il doit entrer seul. Pierre comprend alors qu'il vient de perdre tout le pouvoir qui lui restait à Florence. Peu de temps après, on l'informe que les Prieurs l'ont déclaré rebelle, ce qui l’incite à s'enfuir avant de se faire capturer. Pierre prend donc le chemin de Bologne afin d'y trouver refuge pendant quelque temps26.

Ce même jour, les troupes françaises prennent possession de la dernière forteresse qui leur a été promise par Florence, la forteresse de Pise. Selon l'entente, les Florentins conservent le contrôle de la cité, les Français ne possédant que la forteresse. Or, l'histoire entre Pise et Florence est remplie de guerres, principalement déclenchées par la volonté des Florentins d'inclure Pise dans leur république contre la volonté de ses citoyens. Après l'arrivée du roi Charles dans la ville, les citoyens pisans se réunissent et lui demandent de leur redonner leur liberté, ce qu'il accepte. Les actions de Pierre de Médicis ont donc comme conséquence de ruiner la puissance de sa famille ainsi que d'affaiblir considérablement la puissance de la république de Florence.

Ce fut de la sorte, par la légèreté d'un jeune homme, que la famille des Médicis perdit la puissance qu'elle avait eue à Florence pendant soixante ans, sous le nom et les apparences de simples citoyens. Cette puissance était née sous Côme, son bisaïeul, citoyen d'une singulière prudence et d'une richesse inestimable; c'est pourquoi il était très célèbre, partout en Europe, et plus encore pour avoir dépensé plus de quatre cent mille ducats à la construction d'églises, de monastères et autres superbes édifices, dans sa patrie, mais aussi dans de nombreuses patries du monde, avec une magnificence admirable et une âme digne d'un roi, regardant plus à l'éternité de son nom qu'à l'aisance de ses descendants. Quant à son petit-fils Laurent, son entendement était grand, ses avis étaient excellents, son âme n'était pas moins généreuse que celle de son aïeul et son autorité dans le gouvernement de la république était absolue, bien que sa richesse fût très inférieure et sa vie beaucoup plus courte; il jouit, dans toute l'Italie et auprès de nombreux princes étrangers, d'une grande estime qui se transforma en renommée illustre, car avec sa vie la concorde et la félicité de l'Italie semblèrent avoir disparu27.

26 Ibid., p.92-93.

27 Guicciardini, Francesco, Histoire d'Italie – 1492-1534, tome 1 – 1492-1513, livre 1, chap. 15, p.82-83.

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Guichardin, contemporain de Pierre de Médicis, croit même que les actions de Pierre ruinèrent aussi bien la ville que la famille Médicis. Il croit également que les torts que Pierre causa à la ville de Florence pendant les quelques années au cours desquelles il la gouverna annulent les bienfaits que sa famille a apportés à cette ville dans le passé28. L'Histoire lui donne raison puisque Pierre est l'un des responsables des guerres d'Italie, qui ravageront ce pays durant plus d'un demi-siècle, de la perte de grandeur de Florence, qui doit par la suite s'engager dans une longue guerre pour reprendre Pise, notamment, ainsi que de l'instabilité politique qui s'installera à Florence et qui durera pendant de longues années.

La montée en puissance de Savonarole

Après la fuite de Pierre, tous les citoyens de Florence prennent les armes. Ils craignent non seulement une tentative de retour de Pierre, mais également une attaque par le roi Charles. Heureusement pour eux, la population florentine est très nombreuse. Initialement, le roi de France a probablement l'intention de raser la ville, ou peut-être de l'occuper et de s'y faire roi. Quoi qu'il en soit, l'idée de devoir affronter tous les citoyens armés décourage Charles, qui décide plutôt de demander aux Florentins de déposer les armes, dans le but de procéder à une rencontre pacifique. Son but est désormais de soutirer le plus d'argent possible aux Florentins. Pour ce faire, il contacte Pierre de Médicis, s'assurant ainsi d'obtenir un paiement d'un côté ou d'un autre. Le roi croit effectivement que Pierre est disposé à lui offrir un gros montant d'argent pour pouvoir revenir à Florence tandis que les Florentins sont prêts à faire la même chose afin d'empêcher le retour de Pierre. Pierre décide toutefois de ne pas se rendre auprès du roi, craignant que celui-ci n'ait l'intention de le vendre aux Florentins. Finalement, après de longues discussions, le roi et les Florentins en viennent à un accord. Ceux-ci doivent débourser beaucoup d'argent afin de s'assurer de l'amitié du roi. Après la ratification de l'accord, les troupes royales quittent Florence et poursuivent leur chemin vers le royaume de Naples.

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Après le départ de Charles VIII, les Florentins ont finalement le temps de s'occuper de leur gouvernement, le départ du clan Médicis ayant laissé celui-ci sans réelle direction. Il est alors décidé qu'un comité temporaire doit être porté au pouvoir dans le but de dresser une liste de candidats potentiels aux différents postes de la Seigneurie. Par la suite, les noms des élus sont pigés au hasard parmi les noms inscrits sur cette liste. Les membres du comité sont élus sans problème, et les choses seraient rapidement revenues à la normale si le frère Jérôme Savonarole n'avait pas été présent à Florence. Ce dernier, avec l'influence qu'il a acquise depuis un bon nombre d'années, parvient à convaincre les Florentins d'adopter un gouvernement plus républicain, plus populaire que ce vers quoi ils se dirigeaient.

Jérôme Savonarole arrive à Florence pendant le règne de Laurent le Magnifique. Il commence à prêcher en public et devient rapidement populaire grâce à ses prédictions, notamment à propos de malheurs futurs. Sous Laurent, il est plutôt modéré, mais lorsque Pierre arrive à la tête de la famille Médicis, Savonarole devient de plus en plus ouvert et direct dans ses discours, prédisant sans gêne des fléaux à venir et l'invasion de l'Italie par des nations barbares. Savonarole est un homme très intelligent et également un orateur très convaincant. En affirmant qu'il est un envoyé divin et que ses prédications lui sont transmises directement par Dieu, il devient rapidement très populaire dans la cité. Après la fuite de Pierre, les foules qui viennent l'entendre prêcher sont si massives que son discours rejoint l'ensemble de la population de la ville sans difficulté. Son influence est donc majeure et en constante progression29.

Il encourage les citoyens de Florence à adopter un gouvernement républicain populaire et ce, même si plusieurs grands de la cité sont en désaccord avec cette idée. Après la réforme du gouvernement, Savonarole continue à prêcher. Ses discours parviennent notamment à calmer le désir de vengeance des Florentins envers les partisans de l'ancien régime. Ceux-ci auraient probablement tous trouvé la mort si Savonarole n'avait pas prêché en faveur du pardon. Il s'attarde également à convaincre les citoyens qu'ils

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doivent réduire le pouvoir des Prieurs, qui avaient auparavant un énorme pouvoir discrétionnaire, pouvant notamment faire condamner des citoyens à l'exil ou à la mort sans véritables raisons.

Pendant ce temps, les troupes françaises continuent leur descente vers Naples et réussissent à s'emparer de ce royaume. Cette conquête effraie non seulement les cités italiennes, mais également le reste de l'Europe. Pour se protéger de la puissance française nouvellement rehaussée, le pape, Venise, Milan, l'Espagne et le Saint-Empire romain germanique se lient contre la France30. Florence est également invitée à se joindre à

l'alliance, mais elle doit décliner l'offre puisqu'elle est encore liée à la France. Elle désire reprendre les forteresses qu'elle s'est vue obligée d'offrir à Charles VIII et qui doivent lui être rendues à la fin de la campagne napolitaine. De plus, Florence est en campagne dans l'espoir de se réapproprier le contrôle de Pise. Or, les citoyens de Pise ont demandé de l'aide à la ligue formée des États précédemment nommés, aide qui leur est accordée. Florence, de son côté, ne voit pas l'intérêt d'accepter l'alliance si cela ne l'aide pas à reprendre Pise.

À partir de ce moment, la popularité de Savonarole bifurque. Il continue d'affirmer que les barbares vont raser l'Italie, incluant Florence, et qu'après coup, les citoyens seront forcés de revenir aux valeurs chrétiennes originelles, à des vies de bons chrétiens, ce qui doit leur permettre de retrouver la grandeur de leur cité. Évidemment, tout cela doit se produire grâce à la puissance de Dieu et sans que les humains ne puissent y faire quoi que ce soit. Il parle du grand conseil des citoyens, érigé par sa volonté après le départ de Pierre, comme de l’œuvre de Dieu, disant qu'il ne doit pas être altéré. Il promet que quiconque s'opposera au grand conseil en souffrira. Une grande partie de la population continue de le vénérer, mais ses actions et ses discours lui valent d'être détesté par certaines classes de la population, dont les partisans d'un gouvernement moins large, moins populaire, les gens qui ne croient tout simplement pas en ses prédications divines, ainsi que par les dirigeants de Milan et Venise. Ces derniers sont persuadés que c'est Savonarole qui insiste pour que

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Florence reste à l'écart de l'alliance, préférant s’associer à la France31. Ces humeurs

opposées créent ainsi une grande dissension au sein de la ville de Florence.

Finalement, en juin 1497, le pape Alexandre VI décide d'excommunier Savonarole, lui reprochant de prêcher des discours hérétiques32. N'ayant d'autre choix que d'arrêter de

prêcher, il quitte pendant un temps la vie publique florentine. Son départ a un effet apaisant, la discorde diminuant légèrement dans la ville. Au début de l'année 1498, les membres de la Seigneurie, c'est-à-dire les Prieurs et le Gonfalonier de justice, sont majoritairement des partisans du frère Jérôme. Celui-ci décide donc de profiter de la situation favorable afin de recommencer à prêcher sur la place publique. Lorsqu'il est mis au courant de la situation, le pape menace d'excommunication quiconque ose assister aux discours de Savonarole. Bien entendu, les foules diminuent rapidement. De plus, le pape demande à la Seigneurie de Florence d'ordonner au religieux de cesser ses discours. À ce moment, les membres de la Seigneurie avaient récemment changé, les partisans de Savonarole n'y étant plus en majorité. La décision est donc prise d'accepter la demande du pape et d'obliger Jérôme Savonarole de cesser de prêcher sur le champ, ce qu'il fait33.

Départ de Savonarole, arrivée de Soderini

Le frère Jérôme est l'un des principaux responsables de l'implantation d'un gouvernement républicain populaire à Florence. Par la suite, son influence sur ce gouvernement est telle que les années 1494 à 1498 sont décrites comme les années où Florence est dirigée par le frère Dominicain. Par contre, il n'occupe jamais de fonction au sein du gouvernement florentin. C'est plutôt par ses discours qu'il mène la république puisque la population de la ville, dont les détenteurs de postes de direction, croit qu'il possède un don divin. Ce gouvernement républicain est donc une théocratie déguisée. Savonarole aurait peut-être pu conserver son pouvoir plus longtemps si le pape en fonction n'avait pas été Alexandre VI. Malheureusement pour lui, le père de César Borgia n'est pas

31 Ibid., p.116. 32 Ibid., p.126. 33 Ibid., p.136-137.

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de nature à laisser aller ce genre de comportement. Il désire avoir le plus de contrôle possible sur toute l'Italie, et Savonarole ne fait pas partie de ses plans. La présence de Rodrigo Borgia à la tête de l'Église catholique est pratiquement la seule raison de la ruine de Savonarole. Par la suite, le frère Jérôme n'a d'autre choix que d'essayer de regagner la faveur du public. Il le fait de façon plutôt maladroite, ce qui empire grandement sa situation. En quelque temps, il passe de possesseur de la parole divine à ennemi public. Lors d'une révolte contre le Gonfalonier de justice du moment, François Valori, Savonarole est également la cible de la foule en colère. Le Gonfalonier est tué, mais Savonarole a la vie sauve. On le condamne plutôt à subir un procès. Lorsqu'il est mis au courant de l'emprisonnement du frère Jérôme, le pape demande qu'on le mène jusqu'à Rome afin qu'il puisse être jugé par Alexandre VI lui-même, ce que les Florentins refusent. Le pape envoie donc des représentants à Florence, et ceux-ci condamnent Savonarole à mort, ce qui survient au mois de mai 149834.

Par la suite, la ville de Florence redevient plus paisible pendant quelques années. Elle est dirigée par un véritable gouvernement populaire, libre de toute influence abusive. Malheureusement, aucun des Florentins de l'époque n'était né la dernière fois que la ville avait été gouvernée d'une telle façon. En effet, avant Savonarole, les Médicis avaient contrôlé Florence pendant soixante ans et avant cette période, une oligarchie était en place. C'est donc dire que personne n'a d'expérience pour diriger une république, d'autant plus que les quelques citoyens qui étaient proches du régime Médicis ne sont pas très populaires à ce moment. Les partisans de l'ancien régime sont plutôt mal vus depuis la chute de Pierre de Médicis et sont donc exclus du pouvoir. Pour cette raison, lorsque Pier Soderini est élu au poste de Gonfalonier de justice en 1500, la Seigneurie est extrêmement faible, c'est-à-dire qu'elle est constituée de citoyens n'ayant pas beaucoup d'expérience et pas tellement plus de sagesse35. Soderini peut donc la contrôler à sa guise. Pendant son temps comme

Gonfalonier, il est le seul véritable dirigeant de Florence. Il est apprécié du public puisqu'il s'appuie davantage sur les citoyens, les membres des différents comités, pour obtenir des

34 Ibid., p.145. 35 Ibid., p.192.

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conseils plutôt que sur les grands citoyens, les nobles de la cité. Bien sûr, comme avec la Seigneurie, il est assez bon orateur pour leur faire dire ce qu'il veut, les membres des différents comités se contentant généralement d'approuver la vision de Soderini. Selon Guichardin, cette façon de faire de Soderini est très nocive pour Florence, la menant au bord du gouffre36.

Pendant le mandat de Soderini, les membres des différents conseils prennent l'habitude d'être consultés sur tous les sujets politiques importants pour la république florentine. Évidemment, lorsqu'un nouveau Gonfalonier est élu, les conseillers ne veulent pas perdre de leur importance. Ils veulent continuer à être consultés sur à peu près toutes les décisions majeures. Cela a pour effet de ralentir considérablement le processus décisionnel des politiciens. De plus, les mandats de la Seigneurie et des conseils sont tellement courts, généralement de deux à quatre mois, que personne n'est réellement responsable de la politique. Sachant que leur mandat se termine dans quelques mois et qu'ils n'auront donc pas le temps de voir les résultats de leurs actions, les élus ne veulent pas s'impliquer et ne se sentent pas totalement mandataires de la politique florentine. La situation est complètement catastrophique. Guichardin affirme même que les citoyens croient que si la situation ne s'améliore pas, Florence court à sa perte tant elle est mal gouvernée37. Il n'y a personne qui est complètement au courant de la situation politique en

Italie et en Europe, personne pour réagir lorsque la situation le demande. Lorsqu'un problème se présente, personne ne l'a vu venir, donc la ville n'y est pas préparée. Bref, la république a grandement besoin d'un changement pour lui redonner un peu de stabilité. Après de longues discussions où plusieurs options sont envisagées, la solution finalement adoptée est d'élire un Gonfalonier de justice et de le laisser en poste de manière permanente. L'heureux élu est nul autre que Pier Soderini, qui a la faveur du public suite à son mandat réussi, du moins en apparence. À partir de ce moment, les choses se tranquillisent à Florence, Soderini étant un bon gouvernant. Il réussit à rétablir une certaine

36 Ibid., p.192. 37 Ibid., p.218.

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forme de stabilité, permettant à la ville de sortir du chaos. Par contre, la situation ne dure pas très longtemps. En 1512, tout s'écroule pour le Gonfalonier à vie.

Le retour des Médicis

Au début de l'année 1512, l'armée française est présente en Italie, particulièrement en Lombardie, dans le nord-ouest du pays. Le pape Jules II, désirant ardemment se débarrasser de leur présence, appelle toutes les grandes puissances italiennes à son aide. Personne ne désire réellement participer à cette guerre, surtout à Florence où les Français sont toujours considérés comme des alliés, malgré l'épisode de la première guerre d'Italie. Le pape n'apprécie pas l'attitude des Florentins. Il se tourne alors du côté des Espagnols avec qui il forme une alliance, créant ainsi ce qui est appelé la Sainte Ligue.

Après une victoire contre la Sainte Ligue lors du samedi de Pâques, les troupes françaises se voient forcées de retraiter en France. La bataille, bien que remportée par les Français, a été très coûteuse pour les deux camps en termes de vies humaines. De plus, la France est à ce moment sous la menace d'une invasion de son territoire par les Anglais. Les relations avec l'Espagne n'étant évidemment pas très cordiales, la possibilité d'un envahissement espagnol n'est pas non plus à ignorer38. Le retrait des troupes du roi de

France Louis XII permet aux troupes espagnoles de se mettre en marche vers Florence. Le but de cette expédition est de satisfaire le pape et le cardinal Jean de Médicis, un homme très influent, en permettant le retour des Médicis à Florence et en y installant un gouvernement plus favorable à la cause du pape. Le cardinal Médicis est autant sinon plus insistant que le pape quant à cette expédition. En fait, personne n'a énormément confiance dans l'expédition espagnole, mais Jean de Médicis y tient beaucoup. Il paie de sa poche des canons et des provisions et il s'organise pour que les Espagnols refusent une offre de traité de paix proposée par les ambassadeurs florentins.

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Alors que les Espagnols arrivent près de Florence, Pier Soderini demande aux Florentins ce qu'ils attendent de lui : qu'il renonce à son poste de Gonfalonier à vie ou bien qu'il prépare la défense de la ville39 . Le peuple lui clamant son appui, il commence alors

les préparations en vue de défendre Florence contre les envahisseurs espagnols. Avant d'essayer d'entrer dans Florence, les troupes espagnoles s'arrêtent à Prato, cité située légèrement au nord de Florence, percent les défenses puis entrent et saccagent la ville, tuant un grand nombre d'hommes et violant tout autant de femmes. Lorsque la nouvelle de ce massacre parvient aux oreilles des Florentins, les partisans des Médicis, qui sont malgré tout assez nombreux à Florence, se réunissent pour demander le départ de Soderini. Celui-ci, réalisant qu'il n'a pas réellement d'autre choix, accepte et quitte la ville le 1er septembre 151240. Grâce à l'appui des Espagnols, du pape et du cardinal Jean de Médicis, la famille

Médicis parvient à revenir à Florence dix-huit ans après son départ forcé.

1.3.Historique politique de Machiavel Biographie

Nicolas Machiavel naît au mois de mai 1469, quelques mois seulement avant la mort de Pierre de Médicis, le père de Laurent le Magnifique. C'est donc dire que Machiavel passe toute sa jeunesse sous le règne de Laurent. Toutefois, il ne s'implique d'aucune manière dans la vie politique de la cité41. Après la fuite des Médicis, Savonarole

s'approprie le pouvoir en menant subtilement un gouvernement populaire républicain, mais Machiavel ne s'implique toujours pas dans la vie politique florentine. Il n'y a en fait aucune trace de ses activités pendant les années Savonarole, il n'est donc considéré ni un partisan ni un opposant du frère Dominicain. C'est seulement au début de l'année 1498, quelques mois après l'excommunication de Savonarole, que Machiavel tente pour la première fois d'obtenir un poste au sein de l'administration de Florence. Ce n'est toutefois qu'après

39 Ibid., p.213. 40 Ibid., p.215.

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l'exécution du frère Jérôme qu'il réussit à obtenir le poste de secrétaire en chef de la deuxième chancellerie de la ville, emploi mineur, mais très formateur pour Nicolas.

Au cours des quelques douze années pendant lesquelles il occupe ce poste, il est appelé à accompagner les ambassadeurs florentins en France auprès du roi, en Allemagne, un peu partout en Italie, auprès du pape et surtout, auprès de César Borgia à plusieurs reprises, ce qui influence énormément sa vision de la politique. Pendant ces années, Machiavel est déjà reconnu pour son aversion envers les armées de mercenaires. Il réussit à convaincre les dirigeants de la nécessité d'avoir des soldats issus de la république afin de s'assurer de bien la protéger. Il est donc chargé de faire le tour des campagnes aux alentours de Florence et d'y recruter des jeunes gens pour former une milice, mission que Machiavel prend très à cœur. Il s'en occupe pendant toutes les années qu'il passe à la seconde chancellerie, allant recruter des soldats à plusieurs reprises durant cette période.

Après l'élection de Pier Soderini au poste de Gonfalonier de justice à vie, Machiavel se rapproche beaucoup de lui, devenant un de ses plus précieux conseillers. Le statut de sa famille l'empêche toutefois d'obtenir des charges plus importantes, tel qu'ambassadeur officiel de la république, celles-ci étant réservées aux membres des familles plus nobles. Malgré tout, lors du retour des Médicis en 1512, Machiavel est considéré comme un républicain convaincu, fidèle de Soderini. Après la fuite de ce dernier, Machiavel perd son poste de secrétaire et est remplacé par Nicolas Michelozzi, le secrétaire privé des Médicis42.

De plus, Machiavel se voit interdire l'accès au Palais Vecchio, le siège de la Seigneurie de Florence. « C'est qu'il est considéré par les Médicis comme un fidèle du régime qu'ils viennent d'abattre, comme un fonctionnaire politique. Au reste, on l'a vu également, les descendants de Laurent le Magnifique ne cesseront, des années durant, de le tenir en suspicion, malgré tous ses efforts pour obtenir leur pardon. C'est qu'il a été nommé par les ''démocrates'', aussitôt après la chute des partisans de Savonarole, qui avaient refusé de l'employer.43 » Les efforts mentionnés, ce sont tout particulièrement les textes que

42 Ibid., p.22. 43 Ibid., p.26.

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Machiavel écrit pour retrouver les bonnes grâces des Médicis. D'abord Le Prince, écrit en 1513 et adressé au petit-fils du Magnifique, également prénommé Laurent, qui est alors pressenti pour prendre le contrôle de Florence. De plus, Machiavel compose de nombreux poèmes et pièces de théâtre, toujours dans le but de reconquérir ses fonctions politiques. La comédie est particulièrement populaire en Italie à cette époque et Machiavel veut en profiter pour s'attirer des faveurs44.

Vers la fin de l'année 1512, un complot contre les Médicis avorte. Deux personnes sont exécutées, soit Agostino Capponi et Pietropaolo Boscoli. Suite à ce complot, Machiavel, qu'on soupçonne d'être complice, est arrêté et torturé, puis finalement relâché sous caution. C'est à ce moment qu'il quitte Florence, exilé sur ses terres de campagne à Sant'Andrea in Percussina. Ce n'est qu'en 1520 que Machiavel retrouve certaines fonctions au sein du gouvernement florentin. Suite à la mort de Laurent de Médicis le jeune45 de la

syphilis en 1519, c'est le cardinal Jules de Médicis, fils de Julien et donc neveu de Laurent le Magnifique, qui devient le chef de la famille. Machiavel lui rend visite en mars 1520, après quoi il reçoit quelques petites tâches d'ambassade, notamment auprès de son ami François Guichardin. Il reçoit également la charge d'écrire l'Histoire de Florence, qu'il remet à Jules de Médicis, alors devenu le pape Clément VII. Comble de malheur, ce retour, si minime soit-il, l'a peut-être empêché de retrouver son ancien emploi. Pendant l'avancée de Charles Quint en Italie, les Florentins chassent de nouveau les Médicis de la cité, en 1527. À ce moment, Machiavel est en ambassade auprès de Guichardin. Il retourne à Florence aussitôt qu'il est mis au courant de la situation, mais échoue dans sa tentative de retrouver son ancien poste de secrétaire en chef de la deuxième chancellerie dans la nouvelle république. On le soupçonne probablement d'avoir des allégeances monarchiques en raison de son emploi par les Médicis durant les sept années précédentes. Machiavel ne s'en remettra pas, mourant seulement onze jours plus tard à Florence.

44 Ibid., p.28.

(34)

L'influence de César Borgia

À l'été 1492, Rodrigo Borgia est élu pape sous le nom d'Alexandre VI. Seulement quelques mois plus tard, il nomme son fils César au poste d'archevêque puis de cardinal. À ce moment, César est donc destiné à une vie ecclésiastique. Le père de la famille Borgia a décidé que ce serait un autre de ses fils, Juan de Gandie, qui serait destiné à une vie d'homme politique. « Son père rêve de le voir marcher sur les traces glorieuses de son frère défunt, le premier duc de Gandie [Pedro Luis, premier fils de Rodrigo].46 » Juan a hérité du

duché de Gandie à la mort de son demi-frère Pedro Luis. De plus, en 1496, Juan est nommé Gonfalonier de l'Église et capitaine général de l'armée pontificale47. Son père

souhaite également le placer à la tête d'un État qu'il formerait en enlevant des villes à la famille Orsini, suite à une querelle avec ces derniers. Il l'envoie donc en campagne contre eux, mais Juan est totalement inexpérimenté et ses erreurs coûtent la victoire aux troupes de l'Église.

César est jaloux de son frère, désirant la vie politique réservée à ce dernier. Après les échecs de Juan, César espère bien voir son père lui donner la chance de prendre la place de Juan, mais le pape n'abandonne pas ses espoirs envers le duc de Gandie. Il lui offre plutôt des territoires appartenant à l'Église et situés à l'intérieur du royaume de Naples, espérant ainsi qu'il puisse éventuellement se faufiler jusqu'à la tête de la royauté napolitaine48. Seulement quelques jours plus tard, Juan de Gandie est porté disparu. Son

corps sera plus tard repêché des eaux du Tibre. Le meurtrier ne sera jamais officiellement démasqué, mais tout porte à croire que c'est son propre frère César qu'il l'a assassiné. César obtient alors ce qu'il souhaitait. Il réussit à convaincre les cardinaux de lui permettre de renoncer à sa carrière ecclésiastique. Par la suite, le roi de France Louis XII lui offre le duché de Valence, en France, procurant à César son surnom de duc de Valentinois.

46 Cloulas, Ivan, Les Borgia, Fayard, Paris, 1987, p.170. 47 Ibid., p.171.

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