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Un moindre rôle du salaire comme facteur de moti vation dans le public ?

Dans le document Bien ou mal payés ? (Page 191-198)

Le score important du mérite traduit-il une forte demande de « salaire au mérite » dans la fonction publique ? La réalité est plus complexe.

Les salariés de la fonction publique sont moins nombreux que ceux des entreprises à déclarer qu’il leur arrive de s’impliquer plus dans leur travail parce qu’ils sont motivés par leur salaire (Tableau 7.4) – ce qui est cohérent avec le fait qu’ils sont en moyenne moins satisfaits de leur salaire, comme on l’a vu dans les chapitres précédents. Mais, en même temps, ils sont aussi moins nombreux à déclarer qu’il leur arrive de limiter leur effort parce qu’ils sont insatisfaits de leur salaire. Comment expliquer cet apparent paradoxe ? Serait-ce que les « motivations intrinsèques1 »– en premier lieu le sens du service public, mais aussi la force de la vocation pour certaines professions, par exemple dans le secteur de la santé ou de l’enseignement – jouent un rôle plus important dans le secteur public2 ? Cela semble prouvé par de nombreux travaux, qui mettent aussi en lumière les effets pervers possibles de la rémunération à la performance dans le service public3.

1. Les motivations « extrinsèques », ou encore instrumentales, renvoient à l’intérêt, notamment financier.

2. Sur la nature des motivations dans le secteur public, voir aussi J. Perry, A. Honden-ghem et L. Wise, « Revisiting the motivational bases of public service : twenty years of research and an agenda for the future », Public Administration Review, septembre/

octobre 2010, p. 681-690.

3. M. Bacache, « Rémunération à la performance. Effets pervers et désordres dans les services publics », Actes de la recherche en sciences sociales, 189 (4), 2011, p. 58-71.

M. Bacache, dans « Entre incitations financières et intérêt général : la motivation des cadres des fonctions publiques », CFDT Cadres, juin 2011), a montré, à partir d’une enquête en France, que les primes à la performance peuvent avoir un effet démoti-vant, retrouvant par là le fait que les motivations intrinsèques peuvent être évincées par la mise en place d’incitations monétaires.

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Tableau 7.4 – « Vous arrive-t-il de vous impliquer beaucoup dans votre travail parce que vous êtes motivé par votre salaire ? » (en %)

FPE FPH FPT Total FP Entreprises

Oui 14,1 17,7 24,5 17,6 34,1

Non 84,6 80,9 73,3 80,2 62,3

Refus/NSP 1,4 1,4 2,2 2,2 3,6

Total 100 100 100 100 100

Différence fonction publique/entreprises (***) (***) (*) (***) (ref)

Définitions et champ : FPE (fonction publique d’État) ; FPH (fonction publique hospitalière) ; FPT (fonction pu-blique territoriale) ; Entreprises (entreprises privées et pupu-bliques).

Lecture (voir aussi Tableau 7-2) : 14,1 % des salariés de la FPE déclarent qu’il leur arrive de s’impliquer plus dans leur travail parce qu’ils sont motivés par leur salaire. La ligne « différence fonction publique/entreprises » renvoie à la significativité statistique de la différence (ici négative pour les trois fonctions publiques) avec le secteur des entreprises, mesurée par l’impact de la variable « être salarié de la FPE (ou FPH ou FPT) », le secteur des entreprises étant pris comme référence, sur le fait de déclarer s’impliquer plus parce qu’on est motivé pas son salaire, à âge, genre, profession et catégorie socioprofessionnelle donnés (pour les autres variables de contrôle, cf. la régression en Annexe). La différence est significative au seuil de 1 % pour la FPE et la FPH et seulement au seuil de 10 % pour la FPT.

Source : pour Entreprises « SalSa Entreprises » (2008-2009) ; pour FPH et FPT « SalSa Entreprises » (2008-2009) et « SalSa Fonction publique » (2011) ; pour FPE « SalSa Fonction publique » (2011).

Les salariés de la fonction publique expriment d’ailleurs des sentiments mitigés quant à l’introduction des primes à la performance individuelles et collectives (Tableaux 7.6 et 7.7) – dont on a vu qu’elles avaient commencé à être appliquées avant le passage de l’enquête (voir supra, chap. 1).

Tableau 7.5 – « Vous arrive-t-il de limiter votre effort au travail parce que vous n’êtes pas satisfait par votre salaire ? » (en %)

FPE FPH FPT Total FP Entreprises

Oui 8,9 8,5 11,1 9,6 20,7

Non 89,6 89,5 87,3 88,7 75,6

Ne peut pas limiter son effort (réponse spontanée) 1,0 1,5 0,9 1,0 1,9 Satisfait de son salaire (réponse spontanée) 0,2 0,3 0,2 0,2 1,0

Refus/NSP 0,4 0,2 0,6 0,4 0,8

Total 100 100 100 100 100

Différence fonction publique/entreprises (***) (***) (***) (***) (ref)

Définitions et champ : FPE (fonction publique d’État) ; FPH (fonction publique hospitalière) ; FPT (fonction publique territoriale) ; Entreprises (entreprises privées et publiques).

Lecture (voir aussi Tableau 7.2) : 8,9 % des salariés de la FPE déclarent qu’il leur arrive de limiter leur effort parce qu’ils ne sont pas satisfaits de leur salaire. La ligne « différence fonction publique/entreprises » renvoie à la significativité statistique de la différence (ici négative pour les trois fonctions publiques) avec le secteur des entreprises, mesurée par l’impact de la variable « être salarié de la FPE (ou FPH ou FPT) », le secteur des entre-prises étant pris comme référence, sur le fait de limiter son effort parce que l’on n’est pas satisfait de son salaire.

La différence est significative au seuil de 1 % pour les trois fonctions publiques.

Source : pour Entreprises « SalSa Entreprises » (2009) ; pour FPH et FPT « SalSa Entreprises » (2009) et « SalSa Fonction publique » (2011) ; pour FPE « SalSa Fonction publique » (2011).

Tableau 7.6 – « Dans votre travail, l’adoption d’une prime à la perfor-mance individuelle, est (ou serait) selon vous… » (en %)

FPE FPH FPT Total FP

Une bonne idée réalisable en pratique 11,1 17,0 23,8 16,6 Une bonne idée, mais difficilement réalisable 49,3 54,8 51,8 51,2

Une mauvaise idée 37,4 26,1 20,2 29,4

Refus/NSP 2,1 2,1 4,2 2,8

Total 100 100 100 100

Différences au sein de la fonction publique sur réponse : « une mauvaise idée »

(ref) (**) (***)

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Définitions et champ : FPE (fonction publique d’État) ; FPH (fonction publique hospitalière) ; FPT (fonction pu-blique territoriale).

Lecture (voir aussi Tableau 7.2) : 11,1 % des salariés de la FPE ont déclaré que, dans leur travail, l’adoption d’une prime à la performance individuelle serait une bonne idée réalisable en pratique. Les « différences au sein de la fonction publique » renvoient à la significativité statistique de la différence (ici négative) entre le FPT et la FPH, d’une part, et la FPE, d’autre part (prise ici comme référence), concernant le fait de considérer que l’adoption d’une prime à la performance individuelle est ou serait une mauvaise idée. Elle est mesurée par l’impact de la variable « être salarié de la FPT (ou FPH) » sur la probabilité de déclarer que l’adoption d’une prime à la perfor-mance individuelle est ou serait une mauvaise idée, toutes choses égales par ailleurs, notamment à âge, genre, profession et catégorie socioprofessionnelle donnés (pour les autres variables de contrôle, voir Annexe, infra, p. 195). La différence est significative, au seuil de 5 % pour la FPH, de 1 % pour la FPT.

Source : enquête « SalSa Fonction publique » (2011).

Tableau 7.7 – « Dans votre travail, l’adoption d’une prime d’intéresse-ment collectif aux résultats (au niveau de votre

atelier/service/établis-sement…), est (ou serait) selon vous… » (en %)

FPE FPH FPT Total FP

Une bonne idée réalisable en pratique 15,3 21,0 22,6 18,9 Une bonne idée, mais difficilement réalisable 38,6 47,5 51, 9 44,8

Une mauvaise idée 41,5 27,6 20,7 31,8

Refus/NSP 4,5 4,0 4,8 4,5

Total 100 100 100 100

Différences au sein de la fonction publique sur réponse : « une mauvaise idée »

(ref) (**) (***)

Champ : FPE (fonction publique d’État) ; FPH (Fonction publique hospitalière) ; FPT (fonction publique territo-riale).

Lecture (voir aussi Tableau 7.2) : 15,3 % des salariés de la FPE ont déclaré que, dans leur travail, l’adoption d’une prime d’intéressement collectif serait une bonne idée réalisable en pratique. Les « différences au sein de la fonc-tion publique » renvoient à la significativité statistique de la différence (ici négative) entre le FPT et la FPH, d’une part, et la FPE, d’autre part (prise ici comme référence), concernant le fait de considérer que l’adoption d’une prime d’intéressement collectif est ou serait une mauvaise idée. Elle est mesurée par l’impact de la variable « être salarié de la FPT (ou FPH) » sur la probabilité de déclarer que l’adoption d’une prime d’intéressement collectif est ou serait une mauvaise idée, toutes choses égales par ailleurs, notamment à âge, genre, profession et catégorie socioprofessionnelle donnés (pour les autres variables de contrôle, voir Annexe, infra, p. 195). La différence est significative au seuil de 5 % dans la FPH, de 1 % dans la FPT.

Source : enquête « SalSa Fonction publique » (2011).

La formulation de la question essayait de distinguer, au sein d’une opi-nion négative, une opposition de principe (« une mauvaise idée ») d’une défiance sur les modalités de mise en œuvre. Si la première est minoritaire, elle est cependant importante, notamment au sein de la fonction publique d’État et dans les mêmes proportions pour la prime individuelle et la prime collective. Cependant, pour les deux types de prime, ce sont les doutes quant aux modalités de mise en œuvre qui s’expriment largement.

La probabilité de déclarer que l’adoption d’une prime à la performance individuelle serait une mauvaise idée n’apparaît pas corrélée de façon signi-ficative avec le genre, l’âge, la profession saisie à un niveau semi-agrégé (ouvriers, employés, profession intermédiaire et cadres hors enseignants, enseignants), le niveau de diplôme ou l’ancienneté. Quant à la prime d’inté-ressement collective, les avis négatifs semblent à peine plus clivés : ils sont plus élevés, toutes choses égales par ailleurs, chez les plus diplômés (Bac + 3 et au-delà), mais les autres variables ne jouent pas de façon significa-tive. Au total, on note l’absence de ligne de clivage nette selon les grandes caractéristiques sociodémographiques ou professionnelles des opinions quant aux primes à la performance. Les déterminants de ces dernières sont donc plus complexes, et il faudrait aller plus avant dans l’analyse des différences selon les professions, mais aussi, sans doute, au niveau indivi-duel, selon les options idéologiques.

Mais, finalement, si les salariés du public déclarent souvent que les diffé-rences de salaire ne prennent pas assez en compte les efforts et les résultats, ils se révèlent en majorité réticents à l’introduction de primes de résultats.

Cette contradiction apparente manifeste en fait une défiance quant aux modalités de mise en œuvre d’une rémunération plus individualisée et, en partie aussi, pour ceux qui s’y opposent par principe, une crainte des effets pervers possibles dans le service public d’une rémunération à la perfor-mance. Elle s’inscrit aussi dans le contexte de mécontentement engendré par les transformations profondes qui affectent la fonction publique depuis une quinzaine d’années (voir supra, chap. 1).

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Annexe

Tableau 7.A1 – Liste des variables et des modalités utilisées pour les régressions logistiques

Variable Modalité Part dans l’échantillon ( %)

Secteur d’emploi FPE 25,95

FPH 13,34

FPT 21,46

Entreprises 39,25

Genre Homme 43,21

Femme 56,79

Âge Moins de 35 ans 25,03

35-44 ans 31,56

45-54 ans 32,08

55 ans et plus 11,33

Niveau de diplôme Inférieur au baccalauréat (CE ou moins, CAP, BEP, BEPC) 40,99

Bac 17,40

Bac + 2 15,30

Bac + 3 et au-delà 26,31

Catégorie socio-professionnelle

Cadres et chefs d’entreprise 16,74

Professions intermédiaires 32,44

Employés 34,14

Ouvriers 16,68

Ancienneté dans l’entreprise ou l’administration

Moins de 5 ans 28,36

5-19 ans 44,60

20 ans et plus 27,04

Durée de travail Temps plein 80,70

Temps partiel 19,30

Variable Modalité Part dans l’échantillon ( %)

Statut d’emploi CDI ou fonctionnaire 91,52

Autre contrat 8,48

Niveau de salaire Salaire inconnu 5,57

1er quintile 17,42

2e quintile 19,82

3e quintile 18,12

4e quintile 20,10

5e quintile 18,96

8

Déclassés du public,

Dans le document Bien ou mal payés ? (Page 191-198)