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Une autre critique, fondée sur la justice organisationnelle

Dans le document Bien ou mal payés ? (Page 157-160)

Avoir une opinion sur la couverture des besoins prend racine dans les épreuves régulières de la vie quotidienne, celles des fins de mois, des fac-tures à payer, des découverts, ou dans l’impression de toujours devoir compter et se restreindre. Juger de la justice d’un système salarial est une idée plus complexe qui oblige à dépasser le rapport de soi à soi et à évaluer aussi les contributions et les rétributions des autres. Ainsi, près d’un salarié sur quatre n’exprime pas d’opinion sur les écarts de salaire globaux dans son milieu de travail1. Plus d’un sur trois les juge comme il faut. La critique est donc minoritaire, mais elle est le fait d’une minorité importante – plus nombreuse que celle déplorant l’insuffisance. Ceux qui critiquent le niveau

nettement, différents. Il est cependant rare que l’écart impose des interprétations divergentes. À l’exception d’indices synthétiques exposés plus loin, cet écart n’a pas été corrigé.

1. La question précise était la suivante : « Globalement, dans votre milieu de travail, trouvez-vous que les écarts de salaire sont : 1. trop importants ; 2. pas assez impor-tants ; 3. comme il faut ; 4. refus de réponse ; 5. ne se prononce pas. »

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d’inégalité dans leur milieu de travail se partagent entre ceux qui jugent les écarts de salaire globalement trop importants (23 % des salariés) et ceux, un peu moins nombreux, qui les estiment pas assez importants (18 %).

La critique se colore différemment selon qu’elle porte sur les écarts globaux ou sur les écarts liés à des critères spécifiques1, tels que l’ancien-neté, l’effort, la position hiérarchique, etc. (ces différents éléments seront approfondis dans le chapitre suivant). Les salariés qui expriment des cri-tiques voudraient voir la hiérarchie resserrée, mais le capital humain mieux rémunéré et, plus encore, les efforts mieux récompensés. Il y a ainsi trois fois plus de salariés qui jugent les écarts liés à la position hiérarchique trop importants que de salariés qui les jugent pas assez importants. Au contraire, il y a cinq fois moins de salariés qui jugent les écarts liés aux efforts consen-tis trop importants que de salariés qui les jugent pas assez importants.

De même, on déplore beaucoup plus l’insuffisance que l’importance des écarts de salaire liés aux compétences, aux résultats ou aux conditions de travail, ainsi que, dans une moindre mesure, ceux liés aux diplômes ou à l’ancienneté.

Ces critiques de la répartition des salaires dans l’environnement de travail correspondent au sentiment d’un défaut de « justice organisation-nelle », dont on sait qu’il est associé à un mal-être, voire à l’origine de troubles de santé parfois graves2. Et, de fait, elles sont associées à une faible satisfaction salariale. Parmi les salariés qui jugent convenables les écarts de

1. Les questions précises étaient formulées ainsi : « Dans votre milieu de travail, trou-vez-vous que les écarts de salaire liés à [l’ancienneté, les diplômes....] sont : 1. trop importants ; 2. pas assez importants ; 3. comme il faut ; 4. refus de réponse ; 5. ne se prononce pas. ». Les critères retenus (la question étant posée séparément pour chacun d’entre eux) sont : l’ancienneté, les diplômes, la position hiérarchique, les compétences personnelles, les efforts réalisés, les résultats obtenus, les conditions de travail.

2. Voir M. Vézina et J. Dussault, « Au-delà de la relation « bourreau-victime » dans l’analyse d’une situation de harcèlement psychologique au travail », Pistes, 7 (3), 2005.

salaire dans leur milieu de travail, 72 % se déclarent très ou plutôt satisfaits de leur salaire. Ce pourcentage tombe à 38 % chez ceux qui jugent les écarts trop importants comme chez ceux qui les jugent pas assez impor-tants. À tous les niveaux de salaire, on fait le même constat : la satisfaction salariale est considérablement plus élevée chez ceux qui perçoivent une justice organisationnelle.

Dans l’enquête « SalSa », on demandait aussi aux personnes interrogées à combien, à leur avis, s’élève le smic mensuel et combien devraient gagner par mois des représentants emblématiques de divers milieux sociaux1 : un PDG d’un grand groupe comme Total, L’Oréal ou Carrefour, un ministre, un cardiologue dans un hôpital, un professeur dans un lycée, une caissière de supermarché, un ouvrier à la chaîne dans une usine automobile et une star du football. Presque tout le monde préconise des écarts moindres qu’ils ne sont en réalité entre les mieux payées de ces professions et le smic : par exemple, la moitié des enquêtés qui expriment un avis sur ce point estiment que le PDG d’un grand groupe ne devrait pas gagner plus de sept fois le smic. Notons que ces opinions sont indépendantes des opinions des enquê-tés sur les écarts de salaire au sein de leur milieu professionnel.

Comparer son salaire avec celui d’autres personnes peut sembler aller de pair avec le fait de se former une opinion sur le degré d’égalité dans la société ou dans son milieu de travail : la connaissance de divers salaires aiderait à se forger une opinion et, inversement, avoir une opinion incite-rait à rechercher des informations susceptibles de l’étayer. Procéder à une comparaison de salaire, que ce soit par rapport à des collègues, des amis,

1. Les questions étaient les suivantes : « Pouvez-vous m’indiquer combien gagne par mois, en net, un salarié payé au salaire minimum (smic) travaillant à plein temps ? » et

« À votre avis, combien devrait gagner par mois : 1. un PDG d’un grand groupe (par exemple Total, L’Oréal, Carrefour) ; 2. un cardiologue dans un hôpital ; 3. un professeur dans un lycée ; 4. une caissière dans un supermarché ; 5. un ouvrier à la chaîne dans une usine automobile ; 6. une star du football. »

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des camarades d’études ou des membres de la famille, est systématique-ment associé à une plus forte probabilité d’avoir une opinion sur le smic, sur ce que devrait être le salaire de professions privilégiées et sur ce que devraient être les écarts de salaire dans son milieu professionnel. Le lien le plus fort concerne le fait de comparer son salaire à celui de collègues et d’avoir une opinion sur les inégalités de salaire dans son environnement professionnel. Comparer son salaire au smic est en revanche faiblement lié à la formation d’opinions sur ce que devraient gagner les professions privi-légiées. Enfin, la balance entre ceux qui jugent les écarts dans leur milieu de travail trop importants et ceux qui ne les trouvent pas assez importants est assez peu liée au fait de procéder à des comparaisons.

Dans le document Bien ou mal payés ? (Page 157-160)