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Un effet signal dans l’entreprise 1

Dans le document Bien ou mal payés ? (Page 141-145)

Dans un premier temps, nous analysons la relation entre la satisfaction salariale d’un employé et les salaires perçus par les autres employés au sein du même établissement. Les données font apparaître des effets de signal aussi bien que des effets de frustration relative.

La satisfaction d’un employé est en effet d’autant plus grande que le salaire médian de son établissement est élevé (c’est-à-dire le salaire qui partage les salariés en deux groupes de taille égale selon qu’ils gagnent moins ou plus que ce niveau). Elle est également d’autant plus forte que le salaire du tiers des salariés le mieux rémunéré est élevé. Cela est vrai pour tous les employés d’une entreprise, aussi bien en bas de l’échelle des salaires qu’en haut ou au milieu. Nous avons vérifié que cela ne s’expliquait pas par les meilleures perspectives de croissance et de maintien de l’emploi des entreprises les plus rémunératrices (l’effet subsiste même lorsqu’on introduit ces variables comme contrôle dans l’estimation). Il faut certai-nement attribuer cette observation à un effet signal dans l’entreprise : les salariés apprécient positivement le fait de travailler dans un établissement

1. Cf. O. Godechot et C. Senik, « Wage comparisons in and out of the firm. Evidence from a matched employer-employee French database », École d’économie de Paris, Working paper n° 2013-36, 2013.

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dans lequel les gens sont bien payés dans la mesure où cela constitue une perspective de progression pour eux-mêmes. Cet effet est d’ailleurs plus fort pour les jeunes (en dessous de 35 ans), ce qui est raisonnable s’il s’agit d’un effet signal concernant les perspectives futures des employés. Nous avons vérifié que cet effet était renforcé chez les salariés qui déclaraient connaître le salaire de leurs collègues et chez ceux qui reconnaissaient que les comparaisons étaient importantes pour eux.

Cependant, au sein d’un établissement donné, un effet de frustration apparaît également vis-à-vis des salaires les plus élevés. La satisfaction sala-riale des employés décroît de manière statistiquement significative avec le niveau de rémunération du centile le mieux rémunéré. De manière cohé-rente, la satisfaction salariale décroît avec le niveau d’inégalité des salaires au sein de l’établissement (mesuré par l’indice de Gini ou la variance des salaires). Enfin, pour un niveau de salaire donné, les salariés sont d’autant plus satisfaits que leur rang dans le classement des rémunérations au sein de l’établissement est élevé. Ainsi, des effets de signal et de comparaison semblent coexister au sein des entreprises.

Profitant de la richesse des données, nous avons cherché à identifier la notion de salaire de référence la plus pertinente pour un individu moyen à l’aide d’une série de tests statistiques, c’est-à-dire celle qui était le plus fortement corrélée avec la satisfaction. Il se trouve que l’aune de réfé-rence ainsi identifiée est constituée par les salariés appartenant au même groupe socioprofessionnel et au même groupe d’âge, au sein du même établissement1. D’autres aspects ayant un impact sur le salaire, tels que le sexe ou le département, semblent moins pertinents pour juger de la justesse de son salaire. Notons au passage que cette observation contredit l’idée généralement répandue selon laquelle, en matière de rémunération,

1. Techniquement, ce salaire de référence est estimé de la façon suivante :

y*= age + age² + CS + CS*age+CS*age²+établissementj, où établissementj est un effet fixe pour l’établissement j.

les femmes se comparent aux femmes et les hommes à leurs collègues masculins.

Ainsi, tout se passe comme si les salariés avaient en tête le salaire médian de leur établissement qui, signalant de bonnes perspectives, influen-çait positivement leur satisfaction. Mais cet effet positif s’arrête tout en haut de la hiérarchie salariale : le salaire de la minorité la mieux payée au sein de l’établissement (le 1 % le plus élevé) semble générateur de frustration1. Par ailleurs, les salariés apprécient leur salaire à l’aune du revenu de réfé-rence formé par la rémunération des employés de même âge et de même groupe socioprofessionnel.

Ce modèle général admet-il des variations selon le secteur (public/

privé) ? Observe-t-on des différences sectorielles de sensibilité au salaire médian, au centile supérieur et au revenu du groupe de référence ? On peut tenter de répondre à l’aide des quelque 700 travailleurs de la fonction publique hospitalière et territoriale présents dans l’enquête « SalSa » pre-mière vague (2008) et dans les DADS (les salariés de la fonction publique d’État ne peuvent être appariés avec les DADS car leurs cotisations n’y sont pas déclarées).

Il apparaît (seconde colonne du Tableau 5.4) que l’effet d’information de la médiane et l’effet de frustration relative du centile supérieur sont légèrement plus forts dans la fonction publique. L’effet de frustration lié à la comparaison entre personnes exerçant des professions similaires y est légèrement plus faible. Toutefois, la puissance statistique des tests n’est pas suffisante pour que l’on puisse établir fermement ces différences, ce qui est peut-être dû au petit nombre d’observations. C’est avant tout dans l’appréciation de leur rémunération que les salariés du privé et du

1. Même si l’impact négatif est plus fort pour les salariés qui connaissent à peu près le salaire de leurs dirigeants, il ne le doit pas nécessairement à une comparaison explicite. L’impression floue qu’une petite élite est très favorisée en termes de salaires peut contribuer à ce résultat.

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public divergent. Ainsi, dans la fonction publique, la satisfaction salariale est moindre et augmente moins en fonction du salaire (ligne 7 du tableau 5.4), ce que nous avions déjà observé au chapitre 4.

Tableau 5.4 – Comparaison de salaire et satisfaction dans le secteur privé et le secteur public

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Log du salaire horaire 2009 (déclaré par le salarié) 0,535*** 0,535***

Log du salaire horaire 2008 (déclaré par la firme) 0,353*** 0,408***

Log du salaire horaire médian de l’établissement 0,310*** 0,284***

Log du salaire horaire du P99 de l’établissement – 0,088*** – 0,085***

Log du salaire prédit (équation de salaire) – 0,166** – 0,197**

Fonction publique – 0,021 0,305

Fonction publique × log du salaire horaire 2008 (déclaré par la firme) – 0,233*

Fonction publique × log du salaire horaire médian de l’établissement 0,080 Fonction publique × log du salaire horaire du P99 de l’établissement – 0,021 Fonction publique × log du salaire prédit (équation de salaire) 0,051

Lecture : une unité de logarithme horaire 2009 de salaire est associée à un indice de satisfaction de 0,535 supérieur. Pour l’échantillon 2008-2009 (secteur privé et fonction publique hospitalière et territoriale), il est possible de calculer l’impact sur la satisfaction salariale de différents salaires de référence : médiane des salaires de l’établissement de l’enquêté, seuil inférieur du centile des salaires les mieux payés de l’établissement (P99), salaire de référence issu d’une équation de salaire calculée à partir de l’ensemble des DADS. On modélise la satisfaction salariale en utilisant les moindres carrés ordinaires. Les variables de contrôle sont les suivantes : sexe, nationalité, âge, âge au carré, diplôme (6 modalités), ancienneté, ancienneté au carré, taille de l’entreprise.

***, ** et * marquent respectivement des seuils de significativité de 1 %, 5 % et 10 %.

Source : enquête « SalSa » première vague (2008-2009).

Retour sur le déclin de la satisfaction salariale dans

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