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L’appréciation des salaires reflète-t-elle (toujours) la position dans la structure sociale ?

Dans le document Bien ou mal payés ? (Page 166-169)

Estimer son salaire suffisant ou insuffisant résulte de la place que l’on occupe dans la hiérarchie sociale, mais la genèse du sentiment d’injustice est plus complexe. L’indice moyen d’insuffisance du salaire par rapport aux besoins ne dépasse pas 0,34 pour les cadres et s’élève à 0,63 pour les sala-riés non qualifiés1. Toutes les catégories de cadres ont les indices les plus faibles2. Puis viennent les catégories de professions intermédiaires, ensuite les catégories d’ouvriers qualifiés et d’employés qualifiés. L’indice moyen d’insuffisance du salaire est maximal pour les catégories d’employés non qualifiés et d’ouvriers non qualifiés.

Au contraire, l’indice d’injustice dépend moins clairement du niveau social.

Certes, il est en moyenne assez faible pour les cadres (0,48). Mais il n’est guère plus élevé pour les salariés non qualifiés (0,60) que pour les ouvriers et employés qualifiés ou pour les professions intermédiaires (0,58). Si on com-pare les cadres et les salariés non qualifiés, l’écart des indices d’insuffisance du salaire est 2,4 fois plus grand que celui des indices d’injustice.

Les salariés de la fonction publique ont, en moyenne, un indice d’insuffi-sance du salaire et un indice d’injustice plus élevés que les salariés du privé.

1. Les ouvriers qualifiés sont ceux des CS 62 à 65, les non-qualifiés ceux des CS 67 à 69. Faute d’informations précises sur la profession, on considère ici comme qualifiés les employés de la fonction publique (CS 52 et 53) et les employés administratifs et commerciaux des entreprises (CS 54). Les employés du commerce (CS 55) et des services directs aux particuliers (CS 56) sont considérés comme non qualifiés.

Des nomenclatures plus précises existent (Voir G. Burnod et A. Chenu, « Employés qualifiés et non qualifiés : une proposition d’aménagement de la nomenclature des catégories socioprofessionnelles », Travail et Emploi, 86, 2001, p. 87-105).

2. À l’exception des cadres de la communication, des arts et des spectacles, mais ceux-ci ne sont que 26 dans l’échantillon étudié. Les résultats présentés ici ne portent que sur les catégories comptant au moins 50 représentants dans l’échantillon étudié.

L’opposition entre fonction publique et entreprises est quantitativement bien moins marquée que l’opposition entre haut et bas de l’échelle sociale. Elle est aussi qualitativement différente : elle porte bien plus sur le sentiment d’injustice que sur celui de l’inadéquation du salaire aux besoins. Cependant, cela provient en partie du fait que les effectifs de la fonction publique et ceux des entreprises ne sont pas répartis de la même façon. Examinons la différence d’opinion entre salariés des deux secteurs à niveau de qualification analogue : le sentiment d’insuffisance du salaire apparaît plus élevé dans la fonction publique chez les cadres, plus élevé encore, mais moins nettement, parmi les professions intermédiaires et les catégories d’exécution qualifiées et, enfin, un peu moins élevé parmi les non-qualifiés. Pour ce qui est de l’indice d’injustice, il est plus élevé à tous les niveaux, sauf chez les non- qualifiés où la différence entre les deux secteurs est négligeable ; ici aussi, l’écart en défaveur de la fonction publique est maximal parmi les cadres.

On l’a vu, et ce n’est guère une surprise, le sentiment d’insuffisance du salaire est étroitement lié au montant de ce salaire. L’indice d’insuffisance (qui, rappelons-le, varie entre 0 et 1) est, en moyenne, de 0,78 pour les sala-riés du premier décile (les 10 % les moins bien payés) et de 0,26 pour ceux du dixième décile (les 10 % les mieux payés). Les variations de l’indice d’injus-tice sont moins claires et moins fortes. Il est maximal pour le troisième décile, avec une valeur de 0,67 (et non le premier, pour lequel il vaut, en moyenne, 0,58). Pour le neuvième décile, il vaut encore 0,54. C’est seulement pour le décile le mieux payé qu’il prend une valeur franchement inférieure (0,38).

En fait, le montant du salaire1 n’est pas tout : il est apprécié en fonction de ce que le salarié est en droit d’attendre compte tenu de son « capital

1. Dans toute cette analyse, on considère les logarithmes des salaires : cela revient à s’intéresser aux écarts relatifs (Dupond gagne 12 % de plus que Dupont) et non aux écarts absolus (Dupond gagne 200 euros de plus que Dupont). Cette façon de faire est classique, justifiée à la fois par la qualité des résultats économétriques et par les mécanismes concrets de la dynamique des salaires.

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humain » de formation, d’expérience de travail et d’expérience dans l’en-treprise1. Il est possible de calculer économétriquement ce que le salarié

« devrait » gagner en moyenne compte tenu de son capital humain et de son temps de travail, et de comparer ce salaire statistiquement « attendu » au salaire effectivement perçu : on peut ainsi calculer le « bonus » ou le

« malus » par rapport au salaire attendu. Les résultats de cet exercice montrent que l’indice du caractère suffisant ou insuffisant du salaire par rapport aux besoins dépend à peu près autant (et très fortement) de la part du salaire qui est le prix du capital humain et de celle qui, par rap-port à ce prix, représente un « bonus » ou un « malus » (Tableau 6.1).

Tableau 6.1 – Effets de la rémunération du capital humain et du « bonus/malus » salarial sur les opinions relatives au salaire

Effet sur… Salaire « attendu » (en logarithme) – 0,299* – 0,019 Écart entre salaire perçu et salaire

« attendu » (en logarithme) – 0,236* – 0,263

R2 0,21 0,04

Lecture : le symbole « * » marque un coefficient significativement différent de zéro au seuil de 5 %. Le salaire

« attendu » est le salaire que devrait percevoir la personne compte tenu de son diplôme, de son âge, de son ancienneté et de son temps de travail. Il est calculé à partir d’une régression économétrique (les variables expli-catives retenues étant le diplôme – nomenclature en 16 positions –, l’âge et son carré, l’ancienneté et son carré, le nombre habituel d’heures de travail par semaine). Il correspond en quelque sorte au salaire moyen perçu par l’ensemble des personnes ayant les mêmes caractéristiques. L’écart entre le salaire effectivement perçu par la personne et son salaire attendu peut être positif (« bonus ») ou négatif (« malus »).

D’après les résultats indiqués dans ce tableau, plus le salaire attendu est élevé, moins l’indice d’insuffisance l’est, mais la corrélation (elle aussi négative) n’est pas significative au seuil de 5 % entre niveau du salaire attendu et indice d’injustice. En revanche, l’écart entre salaire effectivement perçu et salaire « attendu », s’il est positif (« bonus »), joue négativement et de façon statistiquement significative sur les deux indices – ou, symétrique-ment, un « malus » accroît de façon significative l’indice d’insuffisance et l’indice d’injustice.

1. M. Gollac et P. Charnoz, « En 2007, le salaire était la première source d’insatis-faction vis-à-vis de l’emploi », Insee Première, 1270, 2009, p. 1-4.

Au contraire, l’indice d’injustice n’est quasiment pas lié à ce que rapporte le capital humain. Un salaire faible peut ne pas créer de sentiment particulier d’injustice chez un salarié dont le capital humain est faible. L’indice d’injustice dépend essentiellement du « bonus/malus » par rapport au prix du capital humain.

On pourrait dire que tout se passe comme si, en moyenne, le salaire attendu en fonction du capital humain était le juste prix du travail, les écarts négatifs par rapport à ce salaire attendu engendrant un sentiment d’injustice, les écarts positifs un sentiment de justice, traduisant ainsi une conception intéressée (sans doute inconsciemment) de la justice1.

Dans le public, un sentiment accru à la fois

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