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L E DÉCROCHAGE PROGRESSIF DES SALAIRES DU PUBLIC

Dans le document Bien ou mal payés ? (Page 44-52)

Pour comprendre l’évolution du niveau des salaires dans la fonction publique au cours du temps, il faut saisir les modalités de leur déter-mination. Comme l’indique le terme de « traitement indiciaire », le salaire de base de tous les fonctionnaires est déterminé par le niveau d’indice dans la grille indiciaire, dite grille de la fonction publique. L’unité de base en est le « point d’indice ». La valeur de ce dernier détermine directement le niveau de salaire (hors primes). Ainsi, début 2013, le point d’indice s’élevait (en valeur mensuelle) à 4,63 euros – ce qui signifie par exemple que le salaire mensuel brut de base d’un fonctionnaire à l’indice 400 s’élevait à 1 852 euros par mois (soit 400 x 4,63 euros).

Il découle de ce système qu’une augmentation de salaire de base ne peut provenir que de trois sources : une mesure générale de

revalorisation du point d’indice ; une mesure catégorielle consistant à ajouter des « points d’indice » à certains échelons et/de certains grades et/de certains corps ; et enfin un changement d’échelon (ou de grade ou de corps) permettant d’atteindre un indice supérieur de salaire, suite à une progression de carrière liée à l’ancienneté ou à une promotion (l’« effet de carrière », renvoyant au « glissement vieillesse technicité », soit « GVT »).

Depuis 1983, le point d’indice n’est plus indexé sur l’inflation – et sa valeur réelle n’a pratiquement pas cessé de baisser depuis lors. Le décrochage est nettement visible sur la période récente : alors que les prix augmentaient en moyenne de 21 % entre 2000 et 2011, le point d’indice ne progressait que de 9 % sur la même période (ayant même été gelé à partir de juillet 2010). Les conséquences potentiellement négatives sont limitées pour les plus bas salaires par leur indexation de fait sur le smic, le « minimum de traitement de la fonction publique » ne pouvant être inférieur à ce dernier1, qui, lui, a progressé plus vite que l’inflation (Figure 1.3).

1. Au début des années 1980, un arrêt du Conseil d’État a statué que la rémunéra-tion minimale dans la foncrémunéra-tion publique ne pouvait pas être inférieure au smic. L’État a décidé que ce dernier servirait de plancher pour le traitement indiciaire. Dans les faits, depuis le milieu des années 1990, le minimum de traitement indiciaire est égal au montant du smic mensuel. Chaque fois que ce dernier augmente, il faut donc ajouter des points d’indice aux premiers niveaux de la grille indiciaire pour faire correspondre les niveaux d’indice à la nouvelle valeur du smic. Les augmentations successives du smic de juillet 2012 et janvier 2013 ont ainsi fait passer l’indice minimal (c’est-à-dire du premier échelon premier grade de la catégorie C) de 302, début 2012, à 309, début 2013. Notons que, outre l’attribution de points d’indice, le versement d’une indemnité différentielle est également possible pour transposer l’évolution du smic au minimum de traitement FP.

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2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 105,00

110,00 115,00 120,00 125,00 130,00

90,00 95,00 100,00

Indice des prix hors tabac (en moyenne annuelle) Point d'indice (au 1er mars)

Minimum de traitement brut de la FP (au 1er janvier) Source : Insee et DGAFP.

Figure 1.3 – Évolution du point d’indice, du minimum de traitement de la fonction publique et de l’indice des prix depuis 2000.

Cependant, pour saisir l’évolution de pouvoir d’achat des salariés de la fonction publique, il faut également prendre en compte l’évolution des primes.

En effet, si l’on considère leur rémunération globale (c’est-à-dire y compris les indemnités), les salariés en place ont vu chaque année leur pouvoir d’achat progresser en moyenne, depuis la fin des années 1990 (Figure 1.4).

Mais il ne s’agit là que d’une moyenne, et certains agents en place ont vu leur rémunération diminuer en termes réels. Il s’agit en premier lieu de ceux qui n’ont pas connu d’avancement sur la période – ou un avance-ment insuffisant pour compenser l’inflation. Pour limiter ce phénomène, le gouvernement a mis en place, à partir de 2008, un nouveau disposi-tif, la « garantie individuelle de pouvoir d’achat » ou « GIPA ». Celle-ci a consisté à verser aux salariés qui ont vu leur traitement indiciaire progresser moins vite que l’inflation sur la période 2003-2007 la somme permettant

de compenser la perte de pouvoir d’achat correspondante. Ce mécanisme a été reconduit en 2009, mais, en 2010, il a été limité aux seuls agents qui avaient atteint l’échelon le plus élevé dans leur grade et qui donc ne pou-vaient plus voir leur salaire progresser avec l’ancienneté. Cette limitation a cependant été supprimée à partir de 2011.

0,0 1,0 2,0 3,0 4,0 5,0 6,0

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011

RMPP (brute) Prix hors tabac

Figure 1.4 – Évolution annuelle (en moyenne) dans la FPE de la rémunération moyenne brute des personnes en place

(RMPP brute) et des prix à la consommation hors tabac (taux de croissance annuel en %).

Lecture : en 2010, les salariés déjà présents en 2009, ont vu leur rémunération totale (c’est-à-dire y compris les primes) augmenter en moyenne de 3,2 % par rapport à l’année précédente, alors que les prix à la consommation (hors tabac) progressaient de 1,5 %.

Source : DGAFP, Rapport sur l’état de la fonction publique, 2013. L’évolution de la rémunération des personnes en place (RMPP) retrace l’évolution de la feuille de paye des agents présents deux années consécutives en prenant en compte les mesures portant sur la valeur du point, les mesures statutaires et indemnitaires, ainsi que l’impact des mesures d’avancement individuel et des promotions (« glissement-vieillesse-technicité » positif) et les autres éléments susceptibles d’impacter la feuille de paye (une requalification des emplois par exemple). Elle constitue une moyenne. Par « personnes en place », on définit les agents ayant travaillé 24 mois consécutifs, avec la même quotité, chez le même employeur.

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Même si l’effet a pu être atténué pour certaines catégories grâce à des mesures catégorielles de revalorisation (par l’ajout de point d’in-dice, le reclassement dans une catégorie supérieure, l’accélération de l’avancement)1, au total, les salariés de la fonction publique, en termes de rémunération, se retrouvent depuis de nombreuses années, à devoir gravir un escalator qui descend, selon une métaphore plusieurs fois reprise. Seul l’avancement (à l’ancienneté ou par promotion) leur permet de voir leur pouvoir d’achat progresser ou de ne simplement pas s’éroder – la GIPA jouant en quelque sorte le rôle de « voiture-balai » pour une partie de ceux dont l’avancement n’est pas suffisant.

Les syndicats des salariés du public s’élèvent depuis de nombreuses années contre cet état de fait. Selon un responsable de l’un d’entre eux, se fonder sur

« l’effet de carrière » pour assurer la progression du pouvoir d’achat ou simplement son maintien est un véritable « déni du droit à la carrière2 ».

L

E TASSEMENT DES CARRIÈRES ET LA COMPRESSION DE LA HIÉRARCHIE DES SALAIRES À L

ENTRÉE

La baisse de la valeur du point d’indice en termes réels et l’indexation du minimum de traitement sur le smic ont eu des effets importants sur les différentiels de rémunération au sein de la fonction publique.

1. Sur la période postérieure à 2007, ces mesures ont été en grande partie finan-cées dans la fonction public d’État par les économies dégagées par le non-rempla-cement d’un départ à la retraite sur deux – le gouvernement Fillon s’étant engagé à reverser la moitié des économies réalisées aux salariés en place, l’autre moitié devant être consacrée à la réduction du déficit.

2. Dans le même ordre d’idée, pour B. Bouzidi, R. Gary-Bobo et T. Jaaidane, « utiliser le GVT pour masquer la dévalorisation des carrières s’apparente à un seigneuriage, et même à une renégociation unilatérale de la dette vis-à-vis des agents »Les trai-tements des enseignants français, 1960-2004 : la voie de la démoralisation ? », Revue d’économie politique, 117, 3, 2007, p. 323-363).

On a assisté d’abord à un fort tassement de la grille indiciaire des pre-miers grades des corps en catégorie C. Ainsi, alors qu’en 2003, un employé dans le grade le plus bas avec dix ans d’ancienneté (ayant connu l’avance-ment le plus rapide, mais sans changel’avance-ment de grade) avait un salaire de base de 14,1 % supérieur à celui d’un nouvel entrant, dix ans plus tard, en 2013, le différentiel avait fondu pour atteindre seulement 1,9 %1. La hausse du smic s’est traduite en effet par une hausse du salaire d’entrée, mais sans se répercuter de façon proportionnelle sur le reste de la grille indiciaire. L’écart de progression de salaire à l’ancienneté avec les catégories plus qualifiées (A), qui était déjà important, n’a fait que s’accroître au cours du temps2.

Mais, en même temps, les salariés du bas de la hiérarchie des catégories C ont connu, sur la même période, un gain de pouvoir d’achat du salaire à l’entrée de l’ordre de 7,4 %, alors que tous les grades et corps dont le salaire d’entrée est resté supérieur au smic durant la même période, et n’a pas été valorisé par un ajout de points d’indice, ont vu le pouvoir d’achat de leurs différents échelons de salaire baisser de plus de 8 %. Il en a résulté un fort tassement de la hiérarchie des salaires en début de carrières entre niveaux de qualification. En 2013, un débutant au premier grade de la caté-gorie B (indice 314) ne gagnait que 23 euros (brut) par mois de plus qu’un débutant dans le premier grade de la catégorie C, lui-même au niveau du smic (correspondant à l’indice 309) – soit un différentiel inférieur à 2 %3.

1. Ces chiffres sont obtenus en comparant les grilles salariales en 2003 et 2013 des

« adjoints administratifs » 2e classe.

2. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, un « administrateur » de la fonction pu-blique territoriale (corps de catégorie A) avec dix ans de carrière (et ayant eu aussi l’avancement le plus rapide, sans changer de grade) gagne en 2013 comme en 2003 à peu près 62 % de plus (en salaire de base) qu’un administrateur débutant.

3. Pour reprendre l’exemple de l’administrateur dans la fonction publique territo-riale, en 2003, son salaire d’entrée était de 72 % plus élevé que celui d’un adjoint administratif débutant (catégorie C) ; la différence s’était réduite à 46 % en 2013.

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Au total, on comprend que les sources potentielles de frustration sala-riale sont fortes, liées à l’important tassement des différentiels de salaire selon l’ancienneté au bas de la hiérarchie, et à la forte dévalorisation rela-tive des salaires à l’entrée dans les catégories plus élevées, l’écart de salaire avec le premier grade de la catégorie C (et donc avec le smic) s’étant fortement réduit.

V

ERS UNE DIVERSIFICATION ET UNE PLUS FORTE INDIVIDUALISATION DE

LA RÉMUNÉRATION

?

L’abandon de la politique « du point d’indice » marque en fait une rup-ture importante : c’est désormais de plus en plus au niveau catégoriel que s’opère la politique salariale, par des revalorisations indiciaires – comme pour les infirmières et les enseignants débutants dans les années récentes – ou par des modifications du régime indemnitaire.

Outre le souci de renforcer l’attractivité de certaines professions, les évolutions récentes de la politique salariale de l’État reflètent aussi la recherche d’une plus grande fluidité (en termes de mobilité interne à la fonction publique), ainsi que celle d’une plus forte incitation. C’est la poursuite de ce double objectif qui a justifié l’introduction, en 2009, de la

« prime de fonction et de résultats » (PFR). Celle-ci, qui devait à terme devenir la base du régime indemnitaire de l’ensemble des fonctionnaires, avait d’abord pour but de le simplifier en fixant une prime unifiée dépen-dant seulement du type de fonction exercée. Mais elle comportait aussi une partie variable, qui dépendait des performances de l’agent telles qu’elles sont évaluées par son supérieur hiérarchique. Elle marquait une évolution potentielle vers une plus grande individualisation des rémunérations. Il faut noter que la PFR n’était encore que très peu mise en œuvre au moment du passage de l’enquête « SalSa », mais l’annonce de sa généralisation pro-gressive avait été faite. Par la suite, le gouvernement élu en 2012 a décidé d’abroger la PFR. Un nouveau dispositif indemnitaire devait être mis en place avant la fin 2013.

Enfin, il est un autre élément qui peut pousser à terme vers une plus grande différenciation des rémunérations au sein du service public. Suite aux lois de 2005 et 2012 visant à résorber la précarité (voir supra), mais aussi du fait du nombre croissant d’établissements publics sous statut dérogatoire qui leur permet de recruter directement en CDI1, on assiste à l’accroissement du nombre de salariés « permanents » de la fonction publique qui ne sont pas fonctionnaires, et donc échappent en grande partie aux règles communes de rémunération (traitements indiciaires et régimes indemnitaires). Ira-t-on vers une harmonisation des conditions de rémunération ou, au contraire, ces statuts seront-ils utilisés pour contour-ner ces règles ?

1. Il faut cependant noter que le nombre d’établissements (Épa, cf. supra) concer-nés par la dérogation a surtout progressé entre le moment de la création du statut (1984) et la fin des années 1990. Sur la période on est passé de 18 à 55 établisse-ments. Depuis, peu de nouveaux établissements se sont ajoutés – mais il faut rajouter les universités et organismes de recherche, cf. supra.

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Dans le document Bien ou mal payés ? (Page 44-52)