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Le modèle de la théorie de la structuration adaptative

Ce modèle articule sept propositions théoriques qui découlent directement des deux concepts clés que nous venons d’analyser : la technologie et son appropriation. Sa schématisation offre la possibilité de décrire les interrelations entre les technologies de l’information avancées, les structures sociales et l’interaction sociale. En outre, cette modélisation va servir, selon DeSanctis et Poole, à construire un agenda de recherche pour investir chacun des aspects du modèle.

Proposition 1

Les technologies de l’information avancées (TIA) fournissent des structures sociales qui peuvent être décrites en termes de caractéristiques structurelles et d’esprit. Dans la mesure où ces TIA varient dans leur esprit et leurs caractéristiques, des formes différentes d’interaction sociale sont encouragées.

Proposition 2 L’utilisation des structures des TIA peut varier selon la tâche, l’environnement, et d’autres contingences qui offrent des sources alternatives de structures sociales.

Proposition 3 De nouvelles sources de structures émergent lorsque la technologie, la tâche et les structures environnementales sont appliquées au cours des interactions sociales.

Proposition 4 De nouvelles structures sociales émergent dans les interactions d’un groupe lorsque les règles et les ressources des TIA sont appropriées dans un contexte donné et donc reproduites dans l’interaction de groupe au cours du temps.

Proposition 5 Les processus de décision de groupe varieront en fonction de la nature des appropriations des TIA.

Proposition 6 La nature des appropriations des TIA variera en fonction du système interne du groupe.

Proposition 7 Etant donné (1) les TIA et les autres sources de structure sociale, n1 … nk, (2) les processus idéaux d’appropriation, et (3) les processus de décision cohérents avec la tâche en cours, alors les processus sociaux finaux seront conformes à

ceux souhaités par les gestionnaires du système.

Tableau 2 : les propositions de la TSA [DeSanctis et Poole, ibid..]

Interaction sociale

Figure 5 : Modélisation des concepts et propositions de la TSA [DeSanctis et Poole, ibid.]

Ce schéma offre une vision synthétique des apports de la TSA. Il montre qu’il existe quatre sources de structures : les technologies de l’information avancées, les tâches, l’environnement organisationnel et le système interne de groupe. Ces sources sont représentées par des cases grises. Elles agissent comme des opportunités et des contraintes à l’interaction sociale, notamment par le biais de l’appropriation.

Ces sources peuvent déclencher des processus de structuration adaptative qui, dans le temps, sont à même de conduire à des changements dans les règles et les ressources mobilisées au cours des interactions sociales.

Pour DeSanctis et Poole [1994], il y a une dialectique du contrôle entre les groupes de travail et la technologie : les structures de la technologie influencent le groupe de travail (P1), mais le groupe de travail construit également ses interactions (P6) exerçant alors un contrôle sur l’usage des structures de la technologie et des nouvelles structures qui en émergent (P3). Dans ce contexte, le changement organisationnel émerge graduellement, au cours du temps, au fur et à mesure que les structures de la technologie sont appropriées et qu’elles apportent des changements dans les processus de décision. Au final, ce long

processus peut mener à l’émergence de nouvelles structures sociales (P4) qui s’institutionnaliseront dans le temps.

Loin des approches déterministes, les auteurs précisent « qu’il est impossible de prédire clairement la manière dont les structures de la technologie seront appropriées, et quels seront les résultats de ces appropriations » [DeSanctis et Poole, ibid.. :131]. Aussi, comme le souligne Virgili [2005], les propositions de l’AST doivent être davantage considérées comme des descriptions de processus et/ou de dynamiques sociales que comme des propositions au sens classique du terme.

En revanche, de nombreux auteurs ont vivement montré les incohérences entre les propositions de la TSA et la tradition structurationniste [Jones, 1999 ; DeVaujany, 2001 ; Virgili, 2005 ; Rose, 2002]. Ces critiques portent sur trois niveaux :

 Le choix de la méthode : les conditions expérimentales elles-mêmes limitent la possibilité de structuration interne. En effet, selon Taylor et al. [2001], l’institutionnalisation de la structure, qui transcende les limites de temps et d’espace, ne peut être capturée par de brèves séquences d’interaction de groupe.

 L’existence de liens de causalité entre les structures de la technologie et les effets sur l’interaction sociale : à ce niveau, nous constatons une incohérence forte avec les travaux de Giddens.

 La notion de structures enchâssées dans la technologie : selon Orlikowski [2000], cette notion s’oppose à l’idée d’une existence virtuelle des structures telle que mise en évidence dans l’approche de Giddens.

Même si ce modèle connaît de nombreuses critiques, souvent très virulentes, il nous semble pour autant qu’il souligne un aspect de la technologie et des usages non encore analysé soit par les sociologues des usages soit par les tenants de la cognition distribuée. Or, ceci nous paraît important pour notre problématique de recherche notamment en ce qui concerne la définition de la technologie. En effet, même si la conception de solutions technologiques n’est absolument pas traitée par DeSanctis et Poole, ils envisagent, à travers leur notion d’esprit de la technologie, que les designers d’un système technique

« incorporent » un ensemble de structures sociales et de propriétés symboliques dans la technologie pendant sa phase de développement. Cet esprit de la technologie, au départ simple reflet des structures sociales inscrites par les designers, est par la suite énacté par les usagers

qui s’y réfèrent pour s’approprier la technologie. Ici, l’esprit est important pour les utilisateurs puisqu’il est une des sources qui va leur permettre, au début, de réduire l’équivocité de la technologie [Weick, 1990]. Pour les designers, il s’agit alors de faire en sorte que celui-ci coïncide avec les structurels énactés par les utilisateurs de telle sorte qu’ils s’approprient la technologie avec une certaine fidélité. Pour rappel, DeSantis et Poole montrent en effet qu’un esprit cohérent canalise les usages de la technologie dans des directions définies tandis qu’un esprit incohérent exerce une influence faible sur le comportement des utilisateurs et peut même envoyer des signaux contradictoires, rendant l’utilisation du système plus difficile.

Nous souhaitons également souligner que l’usage a pris dans cette approche une épaisseur supplémentaire. Il ne se définit en effet plus comme l’interaction « instrumentale » entre un individu et une technologie mais comme les actions immédiates et visibles qui mettent en évidence des processus de structuration plus profonds. En ce sens, la technologie n’est plus seulement un élément physique mais se conçoit comme une série de contraintes et d’habiletés réalisées en pratique par l’appropriation de la technologie.

Enfin, il est intéressant de noter à l’instar de Lea et al. [1995] la proximité entre la TSA et la sociologie de l’innovation de Callon et Latour appliquée à l’appropriation de technologies de l’information. En effet, selon ces auteurs, dans la perspective de Callon et Latour comme dans le cadre de la TSA, « la conception n’est pas fixée dans la période traditionnelle de développement. Au contraire, la flexibilité d’interprétation de la technologie signifie que sa conception continue à évoluer durant sa diffusion, sa mise en oeuvre, et son utilisation » [Lea et al., 1995 : 471] . De plus, il est important de retenir que la technologie est entendue comme un artefact physique ayant des propriétés distinctes, et dont le design et l’usage sont construits socialement [Groleau, 1999].

Au total, la TSA met en évidence les points suivants :

- la technologie (à travers ces structures enchâssées) et les actions interagissent réciproquement, pouvant conduire à terme à l’émergence de changements organisationnels. Ici, la technologie n’est pas fixe mais évolue en fonction des processus d’appropriation des acteurs.

- la technologie est définie comme la combinaison de caractéristiques structurelles et d’un esprit, ce qui confère au processus d’appropriation par les usagers une dynamique.

- deux points de convergence par rapport aux principes même de la structuration : (1) des comportements d’usage qui fournissent nécessairement les résultats escomptés ; (2) une simulation d’expérimentation sur un groupe d’usagers est préférée à une réelle expérimentation en contexte ce qui limite la possibilité de structuration interne.

La TSA présente énormément de points communs avec les travaux d’Orlikowski et son modèle structurationnel. Ceux-ci ont d’ailleurs été le point de référence des développements de la TSA. Cependant, les travaux récents d’Orlikowski s’avèrent être un véritable tournant pour les travaux structurationnistes sur l’informatisation en milieu organisationnel et méritent à présent d’être étudiés. Cette raison nous a conduit à présenter ces travaux à la suite de ceux de DeSanctis et Poole plutôt que d’opter pour une démarche chronologique.

1.3.3.4. Orlikowski et le modèle structurationnel

Ce champ de recherche fait l’objet de nombreux travaux regroupant des travaux aussi variés que ceux de Yates, Robey ou encore Beath encore ceux d’Orlikowski, véritable figure de proue. Initiés par les articles d’Orlikowski et Robey [1991] et Orlikowski [1992], cette approche semble aujourd’hui atteindre un nouveau tournant avec le récent article d’Orlikowski [2000] dans lequel l’auteur, partant d’une critique de DeSanctis et Poole [1992]

et de ses propres travaux, suggère une reformulation théorique qu’elle veut plus fidèle à la théorie de la structuration.

Nous commencerons par exposer les premiers écrits d’Orlikowski et son modèle structurationnel. Puis, nous mettrons en évidence les changements qu’implique son article de 2000.