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Données, information, connaissance

PUBLIQUE / RECHERCHE PRIVÉE

2.1. La création de connaissances : une pratique collective

2.1.1. Clarification conceptuelle

2.1.1.1. Données, information, connaissance

Selon Fahey et Prusak, « si la connaissance n’est pas différente des données ou de l’information, alors il n’y a rien de nouveau ou d’intéressant dans le management des savoirs »22 [ibid., 1998 : 266]. En d’autres termes, si l’on s’en tient à l’idée communément admise que la connaissance est un stock résultant simplement de flux d’informations, il n’y a aucune nouveauté à attendre d’une approche centrée sur les connaissances par rapport aux acquis de la vision informationnelle. Et pourtant, de nombreux articles s’intéressant aux processus de gestion des connaissances ne restent que très vagues quant aux différences entre données et informations d’une part, et entre informations et connaissances d’autre part. De ce fait, clarifier le concept de connaissances suppose de le mettre en perspective avec les concepts de données et d’informations.

21 Ces concepts ont déjà été analysés et mobilisés dans la cadre d’une recherche doctorale conduite au sein de notre équipe de recherche, l’équipe DCC (Dynamique des Compétences et des Connaissances) du GREDEG, par P.J. Barlatier [2006]. La présente section s’appuie sur les résultats de cette recherche.

22 « if knowledge is not something different from data and information, then there is nothing new or

Les données

Une donnée est un fait discret et objectif. Elle résulte d’une acquisition, d’une mesure effectuée par un instrument naturel ou construit par l’homme. Elle peut être qualitative (le ciel est bleu) ou quantitative (la température extérieure est de 20°C). Il n’y a normalement pas d’intention de projet dans la donnée, ce qui lui confère son caractère d’objectivité. Mais si la donnée est réputée objective, l’instrument lui ne l’est pas toujours.

L’intentionnalité de l’observateur peut être tellement forte qu’elle fausse complètement la fiabilité de l’acquisition ; ainsi l’estimation, par exemple, du nombre de chômeurs en France varie-t-elle grandement alors qu’on pourrait penser qu’il suffit de les compter ! En fait, c’est dans la relativité que réside l’objectivité de la donnée : lorsque plusieurs données sont acquises de la même façon, alors leur comparaison offre un renseignement objectif [Prax, 2000]. Les données (signes des évènements et des activités humaines de tous les jours) ont peu de valeur en elles-mêmes ; elles ont néanmoins à leur crédit d’être faciles à manipuler et à stocker (notamment grâce à la technologie informatique). Boisot et Canals définissent les données comme « des propriétés des choses du monde, une différence objective entre deux éléments »23 [2003 : 3]. Selon ces auteurs, les choses du monde sont perceptibles par les agents qui les appréhendent en effectuant des différences en termes d’espace, de temps et d’énergie. Dans leurs activités quotidiennes, les agents sont envahis de signaux ; pour autant, ceux-ci ne sont pas tous perceptibles par les agents qui sélectionnent ces signaux parmi un flot continu. En effet, les agents effectuent des transformations neuronales de ces signaux pour pouvoir les percevoir comme données. Ce processus de conversion de signal en données par l’agent est alors fonction de la sensibilité de l’appareil sensoriel de l’agent.

L’information

L’information est extraite des données par les agents. Il s’agit d’une collection de données organisées pour constituer un message, le plus souvent sous une forme visible, imagée, écrite ou orale. Ainsi, alors que les données tendent à être appliquées pour des statistiques comparatives et qu’elles peuvent être linéarisées, l’analyse de l’information requiert l’examen préalable des boucles de rétroaction entre les données extraites et l’agent qui initie le processus [Boisot et Canals, 2002].

Pour Boisot et Canals, « les informations se définissent comme des régularités significatives qui résultent de l’extraction de données par des agents » [2003 :6]. Dans cette

23 « … data to be a property of things-in-the-world, an objectively ascertainable difference between two states »

perspective, l’information est hautement personnelle et seules des régularités établies par convention sont susceptibles d’apporter de l’objectivité aux informations, celle-ci étant bien entendu limitée à la communauté régulée par la convention. La façon d’organiser les données résulte donc d’une intention de l’émetteur et est parfaitement subjective. Le récepteur décidera par la suite si le message qu’il reçoit représente réellement pour lui une information.

Ce processus suppose alors que le récepteur :

 possède les clés de décodage lui permettant de transformer le message en information,

 soit apte, dans son projet ou son attention sélective, à recevoir cette information,

 sache faire sens du signal reçu. Bateson [1979 : 5] souligne à cet effet que les informations sont des « différences qui créent une différence24 ».

Rappelons enfin que la donnée doit être « acceptée » avant d’être « traitée » pour devenir véritablement une information, c’est-à-dire un message porteur de sens. Les travaux en psychologie montrent ainsi que les individus ont tendance à rejeter les données extérieures qui ne correspondent pas à leur état de connaissance préalable, alors qu’à l’inverse, ils accordent une importance exagérée aux données qui viennent renforcer leurs perceptions et croyances existantes [Schwenck, 1984 et 1988 ; Stubbart, 1989]. Ainsi, les informations qu’un individu émet ou reçoit ont pour lui une signification déterminée par leur « place » dans un système de classification et sont incluses dans un cadre de référence qui leur donne signification.

Pour la suite de ce travail nous définirons l’information comme un ensemble de données accepté par un individu appartenant à un collectif d’individus (entreprises, secteur, discipline technologique…), structurée selon ses propres cadres et/ou les cadres communs à ce collectif et traitée selon ses schémas cognitifs (ou ceux du collectif) afin de lui donner un sens. Cette définition s’appuie sur celle de Barlatier [2006] pour qui :

« Les informations sont des données interprétées par un individu en faisant référence à son cadre propre de perception, lui-même fonction des connaissances précédemment acquises, du « stock » de connaissances qu’il possède. Les données reçues subissent donc une série d’interprétations (filtres, retraitements…) liées aux croyances collectives (paradigmes…), au milieu socioprofessionnel, à l’intention, à la base de connaissances de l’individu récepteur… Alors, comme l’exprima Bateson

[1979], l’information peut fournir également à un individu des perspectives nouvelles d’appréhension de concepts, d’interprétation d’évènements, de perception d’objets, qui rend visible des significations initialement invisibles. Une information vient s’intégrer dans son système personnel de représentations, ce qui signifie que pour qu’une information devienne connaissance, il faut alors que l’individu puisse construire une représentation qui fasse sens. »

Cette définition confirme ainsi que données et informations sont distinctes. Elle révèle également que l’information est à la fois le moyen et le matériau nécessaire à l’avènement et la construction de la connaissance.

La connaissance

Finalement, la connaissance se définit comme un ensemble de prévisions propre à un individu porteur, qui peut se trouver modifiée par l’arrivée de nouvelles informations. En ce sens, la connaissance est une notion plus riche que celle d’information ; elle renvoie à la capacité que donne la connaissance à engendrer, extrapoler et inférer de nouvelles connaissances et informations. Une personne qui possède des connaissances dans un certain domaine est capable de produire à la fois de nouvelles connaissances et de nouvelles informations relatives à ce domaine. Ainsi, la connaissance renvoie fondamentalement une capacité d’apprentissage et une capacité cognitive, tandis que l’information reste un ensemble de données formatées et structurées, d’une certaine façon inertes et inactives, ne pouvant par elles-mêmes engendrer de nouvelles informations [Foray, 2000]. En ce sens, les connaissances peuvent être définies comme de l'information interprétée par un individu en faisant référence à son propre cadre de perception, lui-même fonction des connaissances précédemment acquises. L'interprétation est donc le facteur clé permettant de distinguer une information d'une connaissance. En effet, l'information reçue subit une série d'interprétations (filtres, retraitements…) liées aux croyances collectives (paradigmes…), au milieu socioprofessionnel, à l'intention, au projet de l'individu récepteur…

A la lecture de la littérature économique et managériale, il est possible de dégager quelques principes qui permettent d’appréhender le concept de connaissance :

 La connaissance est ancrée dans les croyances et l’engagement de l’individu porteur [Nonaka et Takeuchi, 1995]. Elle est fonction d’une situation, perspective ou intention particulière.

 Elle est fortement contextuelle et relationnelle c’est-à-dire créée d’une manière dynamique à travers l’interaction sociale [Weick, 1969 ; Arce et Long, 1992]. En ce sens, comme l’information, elle a trait à une signification.

 Elle résulte d’une intention et implique une finalité [Nonaka et Takeuchi, oc. cit.].

 Elle n’est pas seulement mémoire, item figé dans un stock : elle reste activable selon une finalité, une intention, un projet. La connaissance est ainsi un concept dynamique, construction d’une représentation finalisante d’une situation, en vue d’un bon résultat.

Au final, Boisot et Canals [op. cit.] proposent de schématiser les relations entre données, informations et connaissances comme suit :

MONDE

Signaux

Information

Filtres de perception

Filtres conceptuels

Actions

Agent

Attentes

Connaissance de l Õagent

Valeurs SchŽmas de reprŽsentation

DonnŽes

Figure 7 : Données, Informations et Connaissances [Boisot et Canals, 2003].

Cette figure suggère de prendre en considération à la fois les différences entre les concepts de données, d’informations et de connaissances et leur importance relative. Elle montre alors que les seules choses qui transitent entre deux individus ou de façon plus générale entre un individu et le reste du monde sont des données. L’information apparaît ainsi comme un flux de messages filtrés par les croyances et adhésions de l’agent créateur de connaissances. Le rôle de l’information est de fournir de nouveaux points de vue afin d’interpréter les événements et les objets (données) en rendant visible les significations auparavant invisibles ou encore éclairer des relations inattendues. L’information est donc un

1981]. Enfin, « la connaissance ne se trouve pas être un stock au même titre qu’un réservoir d’huile qui se modifie quantitativement, mais une structure qui se nourrit d’information, ce qui implique intrinsèquement des capacités cognitives pour la comprendre » [Créplet, 2001 : 31].

La figure 7 et la discussion précédente suggèrent au-delà que la connaissance est un concept riche et différemment appréhendé dans la littérature. Il nous paraît donc à présent nécessaire de progresser dans l’analyse de ce concept pluriel en attachant une importance toute particulière aux formes de la connaissance.