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L’intégration des utilisateurs : vers la co-conception

USAGE : LE CAS KMP

3.1. L’intégration des usagers dans la démarche de co- co-conceptionco-conception

3.1.1. Les situations de conception, caractéristiques générales

3.1.1.2. L’intégration des utilisateurs : vers la co-conception

Un regain d’intérêt au sein des théories de la conception émerge actuellement pour l’intégration des utilisateurs dans les processus de conception61. Deux démarches nous semblent particulièrement fécondes :

 Les méthodes centrées utilisateurs d’une part. Elles sont considérées par la communauté HCI (Human Computer Interaction) comme un levier de découverte des besoins et des pratiques des utilisateurs et surtout, comme un outil autorisant à penser, dès les premiers moments du cycle de vie du projet de conception, l’encastrement du système à concevoir dans les pratiques de travail ;

61 En 2004, Caelen a, à ce titre, coordonné un ouvrage sur les démarches de conception participative

 Les démarches dites de conception participative d’autre part. Ces dernières introduisent un infléchissement progressif des modèles de la conception et accordent un rôle central à l’établissement d’une intelligibilité mutuelle entre les co-concepteurs62.

Les méthodes centrés utilisateurs : les scénarios d’usage

Points de rencontre entre le monde des concepteurs et celui des usagers et vecteurs clés de communication entre eux, les scénarios d’usage [Young et Barnard, 1987 ; Young et al., 1989 ; Carroll, 1990] sont présentés par la communauté HCI comme des outils privilégiés d'aide à la conception [Jarke, Tung Bui et Carroll, 1998].

Faisant écho à ces travaux, nous considérons que les scénarios d’usage ont pour vocation première de décrire la situation dans laquelle l’usage de l’outil, en cours de conception, va se construire et prendre sens [Pascal et Rouby, 2006]. Décrire cette situation revient à anticiper le plus intelligemment possible les modalités de l’interaction future entre la technologie et ses utilisateurs, tenant compte du fait que cette interaction n’est pas suspendue dans le vide mais consubstantielle d’un contexte d’usage donné. Décrire cette situation c’est-à-dire formaliser les conditions sociales et matérielles dans lesquelles l’usage futur va se bâtir suppose de construire un modèle de scénarios. Dans cette perspective, la communauté HCI s’appuie sur la théorie de la cognition distribuée pour identifier des items pertinents pour construire les scénarios et finalement, les renseigner.

Dans la section 1.2.2., nous avons mis en évidence les apports de la théorie de la cognition distribuée à une problématique usage. Dans cette perspective, nous avons notamment montré que la théorie de la cognition distribuée constitue un point de passage utile pour deux raisons essentielles. D’une part, l’usage de la technologie y est vu comme un construit social, que ce soit du point de vue de sa conception ou de celui de son implémentation, le succès de cette dernière dépendant alors de la compatibilité ou non de la technologie avec le système fonctionnel d’accueil. D’autre part, et précisément parce que l’usage se construit in situ, l’environnement d'usage pertinent mérite d’être étudié. Ce dernier est analysé sous l’angle du contexte social et surtout matériel qui va gouverner l’interaction outil/utilisateur, plus précisément sous l’angle des pratiques récurrentes de travail collaboratif médiatées par des outils d’aide à la cognition humaine.

62 Dans les démarches de conception participative, les acteurs qui s’engagent dans le processus ont un statut de co-concepteurs qui leur octroie un pouvoir de décision conjointe sur les spécifications de l’artefact.

La théorie de la cognition distribuée accorde ainsi une place toute particulière aux dimensions interactive et cognitive des pratiques de travail, notamment le contenu et la structure des représentations requis pour permettre le bon déroulement de la coopération. Sur cette base, les concepteurs disposent d’un cadre de référence théorique pour décrire de façon approfondie un micro niveau de collectif et construire des variables destinées à recueillir les données empiriques pour élaborer des scénarios d’usage. La prise en compte de ce micro niveau est d’autant plus déterminante dans le cas qui nous occupe que les acteurs de la recherche publique et de la recherche privée ne disposent pas nécessairement des mêmes systèmes de valeur et cadres cognitifs.

Prenant appui sur le cadre de la cognition distribuée, il est alors possible de construire un modèle de scénario sur la base des items suivants, fréquemment utilisés par la communauté informatique [Pascal et Rouby, 2006] :

(1) L’utilisateur de la solution technologique : identification, statut, rôle, caractéristiques personnelles, notamment celles qui sont susceptibles d’impacter ses attentes concernant le contenu et la structure des connaissances cristallisées dans l’outil (formation, expérience …),

(2) Les tâches qu’il aura à réaliser à l’aide de la solution technologique : identification et description des tâches (la panoplie des actions possibles ; les éléments qui en garantissent la réussite), le type de déroulement (ex. : séquentiel, itératif, en parallèle),

(3) Les autres acteurs partenaires qui prennent part à la réalisation de ces tâches et leurs attentes,

(4) Les ressources mobilisées dans la réalisation des tâches, principalement celles qui sont à base de connaissances (préciser leur nature, notamment technologique, l'objectif de leur utilisation et leur finalité, leur distribution entre les acteurs qui sont parties prenantes de l’activité),

(5) Les informations et flux d’informations: type d’informations recherchées ou attendues, type d’informations fournies. Il s'agit notamment de préciser le contenu et la structure des informations propres à la réalisation de chacune des tâches: informations nécessaires, degré de description requis, structure des informations lorsqu'elle s'avère spécifique,

(6) Les tâches réalisées et leurs outputs : identification des délivrables, des types de délivrables (ex. : document), le design requis ; identification des

bénéficiaires, en définitive tout ce qui peut aider les concepteurs à préciser les prescriptions des utilisateurs en termes de structure et de contenu de l’information requis.

Ces items caractérisent en définitive le système fonctionnel au sein duquel va se construire l'interaction entre la technologie à implémenter et ses utilisateurs. Ils permettent dès lors de décrire de façon approfondie un premier niveau de collectif et autorisent donc une première intégration des usagers dès la phase de conception.

Cependant, même si les auteurs de la cognition distribuée ne nient pas l'existence d'un système englobant, social ou culturel, façonnant notamment les schèmes de représentations des individus, ils n'y attachent pas d'intérêt spécifique. En particulier, le cadre de référence de la cognition distribuée ne permet pas de formaliser les profondeurs organisationnelle et institutionnelle dans lesquelles les activités et les tâches sont enchâssées.

Cette profondeur organisationnelle qui s’analyse certes en regard des cadres de référence communs, construits à l’échelle de l’organisation, se comprend également par l’intermédiaire des normes d’action et de l’allocation des ressources entre les acteurs.

Ici, il nous semble que l’analyse de ce niveau englobant est possible par le recours à la théorie de la structuration qui pourrait constituer un point d'ancrage fécond. Au-delà, nous reconnaissons, à l’instar de Darses [2004], que cette première intégration des usagers, bien que primordiale, n’est pas suffisante et qu’il est donc nécessaire de recourir à des démarches qui intègrent véritablement les usagers dans le processus de conception.

Les démarches de conception participative

La mise en place de démarches de conception participative est notamment motivée par la volonté de mieux prendre en compte les besoins d’usage des utilisateurs. En effet, comme nous l’avons déjà souligné dans la section 1, la non-prise en compte des usages dans les processus de conception a conduit à des échecs successifs dans la période récente. En outre, l’intégration des usagers dès la phase de conception des innovations est préconisée par l’école de la traduction. La conception participative a pour fondement l’ingénierie concourante initiée dès les années 60 et s’est développée dans les années 70 en Suède. Elle a connu depuis deux profondes modifications (dans les années 80 et 90) pour finalement se définir comme un processus de conception collectif c’est-à-dire comme « une activité de conception participative où tous les acteurs sont considérés comme expert et leur

participation est basée sur leurs connaissances propres plutôt que sur les rôles et intérêts qu’ils représentent » [Caelen, 2004 : 5].

Ici, la conception participative apparaît comme un moyen d’obtenir une meilleure expression des besoins dès l’amont du processus de conception, en affirmant les analyses fonctionnelles et en précisant le cahier des charges du point de vue de l’usage qui sera fait du futur dispositif [Darses, 2004]. Il s’agit, en d’autres termes, que l’utilisateur devienne véritablement le centre de la conception, « non plus concevoir pour l’utilisateur mais concevoir avec lui » [Caelen et Jambon, 2004 : 2].

Attention toutefois à ne pas associer ces démarches de conception participative à celles, relativement proches, dites de conception centrées utilisateurs63 comme la méthode des scénarios d’usage par exemple. En effet, comme le souligne Darses, même si ces démarches revendiquent une prise en compte des usagers dès la phase de conception, elles ne font pas pour autant systématiquement intervenir l’utilisateur comme un acteur à part entière du cycle de conception : « nombre de ces démarches s’appuient sur des représentations de l’utilisateur établies sur la base de modèles de l’activité, élaborés grâce à des questionnaires, des tests, des expérimentations ou des observations in situ. L’utilisateur est généralement confiné aux phases d’évaluation du système et n’est pas associé à la rédaction des spécifications … il n’a pas le pouvoir d’infléchir explicitement le cours [de la conception] » [ibid. : 27].

Darses met ainsi en évidence la spécificité des méthodes de conception participative :

« nous voulons insister sur le fait que la participation des utilisateurs finaux au processus de conception ne peut être réduite à une technique de conduite de projet, si sophistiquée soit-elle. Promouvoir la conception participative, c’est conduire à un affaiblissement des modèles classiques de la conception et à un accroissement des composantes sociales des modèles » [ibid. : 30]. Elle préconise de fait de modifier les modèles de conception classiques : « sans négliger la décomposition des buts et la gestion de la complexité, cette théorie donnera plus d’importance aux conditions d’établissement d’une mutuelle intelligibilité des représentations et au partage de décision » [ibid. : 30].

Dès lors, les travaux sur la conception participative se fixent deux objectifs. Le premier consiste à intégrer dans les processus de conception en entreprise, déjà complexes et faisant intervenir de multiples acteurs, une dimension ‘socio-économique de l’usage’ c’est-à-dire des sociologues, anthropologues et économistes dans le processus. Le second consiste à instrumenter davantage le processus de conception afin de donner à chacun des acteurs des

outils qui lui permettent d’observer et de guider son activité pendant le processus. Une formalisation des activités de conception participative est alors proposée. Elle s’articule autour de trois concepts [Caelen et Jambon, 2004] :

 Les primitives : ce sont des tâches élémentaires qui ne peuvent avoir de sens par rapport au travail proprement dit de conception. Il s’agit par exemple d’informer les participants, les consulter pour déterminer les fonctions autour desquelles la discussion aura lieu.

 Les moments : ce sont des ensembles de tâches de conception ayant une cohérence causale et dont l’exécution conduit à un résultat tangible dans la tâche de conception.

 Les phases : elles sont marquées par un point de passage de la conception ou un instant particulier situé dans le temps. Les phases sont donc constituées d’un ensemble de moments du processus de conception.

Ce formalisme permet alors aux auteurs de proposer un modèle général et intégratif permettant d’inclure les préoccupations des sociologues, ergonomes et/ou économistes dans le cycle de conception. Il s’agit en quelques sortes d’une formalisation d’un processus en définissant les acteurs y prenant part, les entrées, les étapes et sorties. Il leur permet également d’instrumenter les séances de travail collaboratives en améliorant les échanges entre les acteurs et en leur fournissant un cadre de travail dépendant des moments de la conception, des mécanismes de régulation comme la prise de tour de parole par exemple, une base d’expériences antérieures d’utilisation des moments de la conception, un support d’échange de connaissances structurées, et enfin, un cadre matériel de communication et de travail.

Au final, cette étude des démarches de co-conception suggère notamment de prendre en compte l’importance relative de la dimension multi-acteurs des processus de conception.

Elle met en évidence la complexité inhérente à ces processus et la réelle nécessité de gérer voire d’instrumentaliser ces démarches. En outre, elle prône, notamment dans le cas de la conception participative, l’intégration des usagers dès la conception. Pour autant, même si ces éléments permettent une première caractérisation des processus de conception, l’accent mis sur les usagers n’est pas réellement présent dans ces différents travaux qui s’attachent plus à l’intégration d’acteurs spécialisés dans le domaine des usages qu’à celle des usagers.

Dans cette perspective, la théorie de la traduction nous semble être un point de passage fécond pour définir une démarche de co-conception orientée usage. Elle permet en

effet une véritable prise en compte des usagers dans le processus de conception en prônant une adoption-adaptation nécessaire à la réussite de l’innovation,