• Aucun résultat trouvé

L’appropriation de la technologie

Dans les perspectives structurationnistes, le concept d’appropriation revêt un sens différent et plus précis que celui défini par les sociologues des usages. En effet, au-delà de la simple dimension instrumentale de l’usage, les auteurs structurationnistes définissent l’appropriation d’une technologie comme « les actions immédiates et visibles de l’usage, et qui attestent de processus de structuration plus profonds » [DeSanctis et al., 1991 : 9]. En ce sens, ils ne limitent pas leur analyse à l’appréhension des interactions entre l’individu et la technologie dans une vision instrumentale. Ils l’élargissent à la production et à la reproduction des structures sociales (à la fois de la technologie mais aussi de contexte institutionnel)

lorsque les individus vont l’utiliser. Les auteurs notent d’ailleurs que l’appropriation n’est pas automatiquement et spécifiquement déterminée par le design de la technologie.

Cette nouvelle acception de l’appropriation permet aux auteurs de la TSA d’émettre la proposition suivante : de nouvelles structures sociales émergent dans les interactions de groupe au fur et à mesure que les règles et ressources d’une technologie informatique avancée sont appropriées dans un contexte donné et donc reproduites dans l’interaction au cours du temps.

Plus spécifiquement, DeSanctis et Poole identifient quatre aspects de l’appropriation qui influencent les interactions de groupe :

Les modes d’appropriation décrivent la façon dont les individus choisissent de s’approprier les caractéristiques structurelles d’une technologie. En effet, étant donné les structures sociales de la technologie, les groupes peuvent choisir (i) de reprendre directement les structures ; (ii) de rapprocher les structures d’autres telles celles de l’environnement ou d’une tâche, (iii) de contraindre ou interpréter les structures quand ils les utilisent, enfin (iv) d’émettre des jugements sur les structures, en affirmant ou niant par exemple leur réalité.

La fidélité est le second aspect de l’appropriation. Elle s’analyse en rapport avec l’esprit de la technologie : ainsi, si les caractéristiques d’une technologie sont conçues dans le but de promouvoir l’esprit de la technologie, elles sont toutefois indépendantes de celui-ci et peuvent être appropriées sans faire preuve de fidélité à l’esprit de la technologie. La fidélité décrit donc le degré de conformité de l’appropriation étudiée avec l’esprit de la technologie tel qu’il est promu par les designers puis les membres de l’organisation. Dans cette perspective, l’appropriation peut être fidèle ou infidèle. Il est toutefois important de noter qu’une appropriation infidèle à l’esprit de la technologie n’est pas qualifiée de mauvaise ou d’impropre. Elle est juste en dehors de l’esprit promulgué par la technologie.

Les usages instrumentaux traduisent les buts ou le sens que des groupes assignent à une technologie lorsqu’ils l’utilisent. Pour DeSanctis et Poole, identifier ces usages instrumentaux permet de comprendre quelles structures sont utilisées et comment, et au-delà, pourquoi elles le sont. DeVaujany [2001]

souligne ainsi que ces usages instrumentaux sont des usages de premier degré, une

sorte d’intention dans l’action. Il est alors possible de distinguer les usages centrés tâche, les usages centrés processus ou encore les usages centrés pouvoir … [DeSanctis et al., 1991].

 DeSanctis et Poole proposent enfin les attitudes affichées par les utilisateurs comme dimension de l’appropriation. Celles-ci peuvent être de plusieurs sortes : la confiance par rapport à l’usage de l’outil, le degré auquel les utilisateurs la perçoive comme utile ou encore leur propension à travailler dur et à exceller quand ils utilisent la technologie.

Ces différentes dimensions doivent, selon les auteurs de la TSA, être analysées à trois niveaux distincts [Poole et DeSanctis, 1994 : 134] :

(1) Le niveau micro qui « examine l’appropriation des structures d’une technologie telle qu’elle apparaît dans les phrases, les tournures du discours, ou d’autres actes spécifiques du discours ».

(2) Le niveau intermédiaire qui permet « d’identifier les modes d’appropriation les plus persistants et typiques d’un groupe sur une période ». Les objets d’analyse sont ici les conversations, les réunions et documents. Il s’agit d’identifier « des formes systématiques dans la façon dont un groupe s’approprie les structures d’une technologie, en incluant des modes d’appropriation dominants, le degré de fidélité des appropriations ainsi que les usages instrumentaux et les attitudes associés au processus d’appropriation ».

(3) Enfin le niveau institutionnel qui requiert une analyse longitudinale des discours sur la technologie. Le but est ici « d’identifier des modèles persistants de business units (la production versus le marketing par exemple), de profils d’utilisateurs (hommes versus femme) ou encore d’organisations (manufactures versus entreprises de service) ». Il s’agit véritablement d’un

« méso-niveau » et qui correspond au niveau le plus souvent analysé dans les perspectives structurationnistes. Ici, l’objectif consiste essentiellement à identifier « des changements persistants dans les comportements après l’introduction d’une technologie, comme des réorientations dans la

description de problèmes, dans les prises de décision ou encore dans les légitimations des choix ».

DeSanctis et Poole notent enfin que des facteurs peuvent influencer la façon dont un groupe s’approprie les structures sociales disponibles. Ces facteurs sont au nombre de quatre.

Il s’agit du style d’interaction entre les membres (par exemple le style du leader), du degré d’expérience et de connaissance des membres sur les structures encastrées dans la technologie, du degré perçu par les individus que les autres membres connaissent et acceptent l’usage des structures, et enfin, du degré d’accord entre les membres sur les structures qui peuvent être appropriées.

Chacun de ces éléments, les dimensions de l’appropriation, la définition de la technologie, …, concourent à formuler un véritable modèle de la théorie de la structuration adaptative.