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Le modèle de stratification de l’action

Dans la théorie de la structuration, l’action humaine revêt une place prépondérante [Rojot, ibid..]. Elle est contextuelle et située dans un monde constitué d’évènements en cours, indépendants des agents et qui ne contient pas de futur déterminé. Elle ne peut se définir comme une combinaison d’actes et ne se conçoit ni se discute indépendamment du corps, de ses rapports de médiation avec le monde environnant et avec la cohérence d’un soi agissant.

Cette contextualité de l’action explique, selon Giddens [op. cit.], que les interactions soient toujours situées dans l’espace temps. L’unité pertinente d’analyse de l’action est la personne, ce qui implique un lien indissociable entre action et acteur, « l’un ne pouvant se comprendre abstrait et isolé de l’autre » [Rojot, op. cit. : 6].

Ici, l’action permet tout à la fois de comprendre le point de vue des agents et la constitution des institutions sociales. En effet, pour Giddens [op. cit.], action et structure se résolvent par récursivité : « les activités sociales des êtres humains sont récursives, comme d’autres éléments autoreproducteurs dans la nature. Les acteurs sociaux ne créent pas ces activités, ou plutôt ils les recréent sans cesse en faisant usage des moyens mêmes qui leur permettent de s’exprimer en tant qu’acteur. Dans leurs activités, et par elles, les agents reproduisent les conditions qui rendent ces activités possibles » [Giddens, ibid.. : 50].

Cette récursivité est fondée sur un contrôle réflexif de l’acteur, contrôle qui caractérise toutes les actions. Comme le souligne Giddens, « la continuité des pratiques présuppose la réflexivité ; en retour, la réflexivité n’est possible que par la continuité des pratiques, qui rend ces dernières distinctivement identiques dans l’espace et dans le temps ».

La réflexivité se définit ainsi comme la conscience de soi c’est-à-dire la capacité de situer l’action par rapport à soi. Au-delà, elle est la capacité de surveiller et de contrôler le flot continu de la vie sociale et des contextes et de s’y situer. En effet, les agents ne se contentent pas de suivre de près le flot de leurs activités et d’attendre des autres qu’ils fassent de même, ils contrôlent aussi, de façon routinière, les dimensions sociale et physique des contextes dans lesquels ils agissent.

La réflexivité constitue, à côté de la motivation et de la rationalisation, trois ensembles de processus qui s’enchâssent les uns dans les autres pour constituer ce que Giddens appelle le modèle de stratification du soi agissant. Dans ce modèle, la rationalisation fait référence à la capacité des individus d’expliquer pourquoi ils agissent comme ils le font, en d’autres termes, « au fait que les acteurs, encore une fois de façon routinière et sans complication, s’assurent d’une compréhension théorique continue des fondements de leurs activités » [Giddens, op. cit. : 54]. Les acteurs sociaux sont donc compétents, ils ont une connaissance des conditions et des conséquences de ce qu’ils font dans leur vie de tous les jours. Une telle connaissance n’a pas seulement une forme discursive, elle s’ancre la plupart du temps dans la conscience pratique. En effet, une grande partie du savoir commun mis en jeu dans les rencontres est de nature pratique : il est inhérent à la capacité de continuer d’accomplir les routines de la vie sociale. Si les acteurs sont en général capables de donner un

compte-rendu discursif de leurs actions et des raisons qui les fondent, la compétence des acteurs, pour l’essentiel, s’enchâsse dans le cours des conduites quotidiennes.

La motivation, quant à elle, renvoie au potentiel d’action d’un individu plutôt qu’au mode d’accomplissement de l’action par l’agent. Elle diffère du sens qu’on lui attribue habituellement : en effet, pour Giddens, les motifs n’agissent directement sur l’action que dans des circonstances inhabituelles, qui brisent la routine. Ils fournissent des plans généraux, des programmes dans le cadre desquels se réalisent un ensemble d’activités, ce qui explique que les conduites de tous les jours ne soient pas directement motivées.

Réflexivité, motivation et rationalisation font ici référence à l’acteur. L’action, quant à elle, fait référence à des événements dont le dénouement résulte de l’intervention d’une ou plusieurs personnes qui avaient la possibilité d’infléchir sur son déroulement en agissant autrement de par leurs capacités [Auttisier, 2001].

« L’action fait référence aux événements dans lesquels une personne aurait pu, à n’importe quelle phase d’une séquence de conduites, agir autrement : tout ce qui s’est produit ne serait pas arrivé sans son intervention. L’action est un procès continu, un flot, dans lequel le contrôle réflexif qu’exerce une personne est fondamental pour le contrôle du corps, contrôle qu’elle assure de façon ordinaire dans sa vie de tous les jours » [Giddens, op. cit. : 57].

Ici, l’action n’est pas la manifestation d’une causalité directe totalement intentionnelle. La durée de la vie de tous les jours se traduit en effet par un flot d’actions intentionnelles qui ont cependant des conséquences non intentionnelles. L’exemple du langage utilisé par Giddens illustre cette non intentionnalité couplée à l’action : « lorsque je parle ou que j’écris de façon correcte en anglais, je contribue du même coup à reproduire la langue anglaise ; parler ou écrire correctement en anglais est intentionnel, contribuer à la reproduction de cette langue ne l’est pas » [op. cit. : 56]. Ces conséquences non intentionnelles de l’action peuvent devenir par la suite des conditions non reconnues d’actions ultérieures.

Au final, le modèle de la stratification de Giddens peut être représenté comme suit :

Conditions connues et

non reconnues

ConsŽquences intentionnelles

et non intentionnelles Rationalisation de l Õaction

Contr™le r Žflexif de l Õaction

Motivation de l Õaction

Conditions MŽcanismes ConsŽquences

Figure 2 : Le modèle de stratification de l’action de Giddens [Autissier, 2001]

Dans ce modèle, l’action est stratifiée horizontalement par son processus

« condition-mécanismes-conséquences » et verticalement par des relations circulaires entre la motivation, le contrôle et la rationalisation de l’acteur. Comme le souligne Autissier [op. cit.], l’action se déroule dans un contexte où toutes les conditions ne sont pas connues de ses initiateurs. Cette méconnaissance est due à la réflexivité des conséquences dans un environnement d’interdépendance forte. En effet, la production ou la constitution de la société est un accomplissement de ses membres, mais qui prend place dans des conditions qui ne sont ni totalement intentionnelles, ni totalement comprises de leur part.

Ainsi définis les concepts inhérents aux acteurs et à l’action, il nous reste à comprendre comment cette dernière est structurée dans les contextes quotidiens. Trois concepts apparaissent alors comme constituant l’essence même de la théorie de la structuration : le structurel, la dualité du structurel et les systèmes sociaux.