• Aucun résultat trouvé

Une conceptualisation originale de la technologie : entre caractéristiques structurelles et esprit de la technologie

Il est important de noter au préalable que les approches structurationnistes de la technologie se sont majoritairement concentrées sur l’analyse de technologies informatiques dites avancées18. Celles-ci ont la particularité, en plus des fonctionnalités classiques d’accomplissement de tâches, de proposer à la fois des supports à la coordination de groupes et des fonctionnalités pour permettre les échanges interpersonnels. En ce sens, les technologies de l’information avancées enchâssent des structures sociales qui facilitent et contraignent l’action sur les lieux de travail.

Selon DeSanctis et Poole [ibid.], ces structures sociales enchâssées dans la technologie revêtent deux formes : (1) les caractéristiques structurelles et (2) l’esprit de la technologie.

(1) les caractéristiques structurelles

18 Barley [1986], comme nous l’avons vu précédemment, constitue une exception puisqu’il analyse le cas de scanners médicaux.

Il s’agit des règles et ressources spécifiques offertes aux utilisateurs par le système.

Dans le cas des GDSS analysé par DeSanctis et Poole, les caractéristiques structurelles renvoient à l’ensemble des fonctionnalités proposées aux utilisateurs telles que l’enregistrement anonyme de données, le recueil périodique de commentaires ou encore des algorithmes de votes …

Selon la TSA, ces caractéristiques induisent la manière dont l’information peut être recueillie, manipulée ou gérée par les utilisateurs. En ce sens, elles sont porteuses à la fois de sens (de signification selon Giddens) et de contrôle (domination) dans l’interaction.

Ainsi, DeSanctis et Poole proposent de décrire et d’étudier les technologies de l’information avancées en examinant notamment les caractéristiques structurelles qui lui ont été conférées pendant sa phase de conception. Ils notent en outre que ces caractéristiques peuvent être combinées de façon diverses et proposent, à partir des travaux antécédents, un ensemble de dimensions significatives qui reflètent ces différentes combinaisons. Parmi ces dimensions, DeSanctis et Poole retiennent par exemple celle de restrictivité (« restrictiveness ») : plus un système est restrictif, plus l’ensemble des actions possibles qu’un utilisateur puisse entreprendre est limité. Ils considèrent également le degré de sophistication des GDSS et distinguent trois niveaux : le degré 1, assez limité, où le système ne fournit que des supports à la communication ; au second degré le système offre des modèles d’aide à la décision ; enfin, le degré 3 où le système intègre des fonctionnalités permettant de spécifier des règles afin que le groupe puisse développer et appliquer des procédures spécifiques d’interaction.

Définir la technologie à partir de ces caractéristiques structurelles permet de délimiter le champ des actions possibles pour les usagers. Elles n’expliquent pour autant pas que des technologies informatiques analogues implémentées dans un même contexte induisent des changements organisationnels différents. De ce fait, DeSanctis et Poole introduisent un deuxième concept pour définir les structures sociales de la technologie : l’esprit de la technologie.

(2) l’esprit de la technologie

L’esprit fait référence à l’intention générale, c’est-à-dire aux buts et valeurs qui supportent la technologie. Il correspond à la ligne de conduite officielle à adopter par l’utilisateur, aux finalités qui lui sont assignées. Par exemple, un esprit démocratique se

matérialise en une technologie qui permet à ses usagers de voter secrètement. L’esprit peut également se définir comme une « intention générale définissant un cadre de normalisation et de légitimation de l’utilisation de l’outil » [DeVaujany, 2001 : 68]. En ce sens, l’esprit participe à la légitimation en fournissant des cadres normatifs aux comportements appropriés dans le contexte de la technologie, à la signification en aidant les usagers à comprendre et interpréter le sens d’une technologie, ou encore à la domination car il présente les types de manœuvre d’influence qui peuvent être utilisés avec la technologie.

L’esprit est donc une propriété de la technologie qui permet de répondre aux questions suivantes : quels sont les buts promus par la technologie ? Quelles sont les valeurs inscrites dans la technologie ? Cet esprit ne doit cependant ni être réduit aux intentions des designers qui sont certes reflétées dans la technologie mais impossibles à saisir entièrement, ni aux interprétations des utilisateurs qui donnent des indications sur cet esprit mais de façon limitée. Dans cette perspective, l’esprit de la technologie tel que défini par la TSA semble difficile à saisir. DeSanctis et Poole proposent ainsi de le traiter comme un texte et de développer une lecture de sa ‘philosophie sous-jacente’ en analysant les cinq facettes suivantes :

(1) La métaphore sous-jacente au système

(2) Les fonctionnalités qu’elle incorpore et comment celles-ci sont nommées et présentées

(3) La nature des interfaces utilisateurs

(4) Les matériaux de formation et les structures d’aide en ligne (5) Les autres formations et aides fournies par le système.

Les résultats de ce type d’analyse, issus d’une triangularisation des interprétations des acteurs utilisant la technologie, peuvent conduire à des contradictions qui décrivent, selon les auteurs, le fait que l’esprit est incohérent. Ainsi, les auteurs expliquent qu’on s’attend généralement « à ce qu’un esprit cohérent canalise les usages de la technologie dans des directions définies. En revanche, on s’attendra plutôt à ce qu’un esprit incohérent exerce une influence faible sur le comportement des utilisateurs. Un esprit incohérent peut aussi envoyer des signaux contradictoires, rendant l’utilisation du système plus difficile » [DeSanctis et Poole, 1994 :127].

Soulignerons enfin que DeSanctis et Poole [ibid..], même s’ils préconisent de ne pas réduire l’esprit de la technologie aux intentions des designers, notent à juste titre que lorsque la technologie est récente, l’esprit correspond aux intentions des designers et peut être facilement analysé. Il répond dans ce cas à la question de savoir comment la technologie doit être utilisée. En revanche, une fois la technologie implémentée, l’organisation contribue à la définition de l’esprit. L’esprit est dans cette perspective un flux, et ne pourra être considéré comme relativement stable que lorsque la technologie elle-même aura atteint une stabilité dans son développement et qu’elle sera utilisée de façon routinière.

Au final, DeSanctis et Poole montrent que les structures sociales d’une technologie peuvent être décrites selon deux modalités : leur esprit et leurs caractéristiques structurelles qui expliquent que des formes différentes d’interactions sociales peuvent apparaître.

Il convient ici de rappeler qu’il existe d’autres structures sociales que celles de la technologie. L’environnement organisationnel mais aussi le contenu et les contraintes d’une pratique de travail sont également des structures sociales. Ainsi, les structures sociales fournies par la technologie peuvent être utilisées directement, mais elles sont le plus souvent énactées en combinaison avec d’autres. L’usage des technologies, donc de leurs structures sociales, combiné avec d’autres sources de structures, pourra conduire à un renouvellement des structures sociales au cours de l’interaction. C’est justement ce phénomène qui va précisément être placé au cœur de la problématique de la TSA : comprendre comment ces nouvelles structures vont émerger et quelles sont leurs compatibilités avec l’esprit de la technologie ? Cette problématique est étudiée à travers un deuxième concept clé, celui de l’appropriation.