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Introduction de la première partie

Chapitre 3 : La Tragédie de Sophocle sur la scène moderne Introduction Introduction

2.4. La mise en scène de Sophocle plus proche de nous

De nos jours, les représentations des œuvres de l’Antiquité continuent de susciter un intérêt avec l’exemple des Olympiades lycéennes du théâtre antique. L’Antigone de Sophocle a été portée sur la scène le 9 mai 2002 par le lycée Maréchal Soult. L’adaptation retenue est celle de Bertolt Brecht. Dans celle-ci, il a été question d’une actualisation de l’Antigone de Sophocle. Si la structure a été conservée, il n’en demeure pas moins que des changements notables aient été apportés au niveau des arguments. Créon mène une guerre de conquête contre Argos. Polynice déserte et Créon pour en faire un exemple le tue et refuse de lui donner une sépulture. Antigone s’y oppose et Tirésias fait prendre conscience au peuple (le chœur des anciens) des dommages que cette guerre cause à Thèbes. Antigone est condamnée à être emmurée vivante. Quant à Créon, il perdra la guerre. Il a été question pour le metteur en scène de mettre en œuvre les divers processus de distanciation, théorisés par Brecht.

De même, le jeudi 20 mai 2004, le collège Raymond Cortat représentait l’Antigone de Jean Anouilh dans une mise en scène d’Amandine Baldit et Hélène Foissac. Qu’en est-il du synopsis ?

152 Vilar, Jean, « Pourquoi l’Antigone de Sophocle », Bref, n° 40, novembre 1960.

Antigone, fille d’Œdipe et de Jocaste, transgresse la loi de Thèbes et de son oncle Créon, nouveau roi, en recouvrant de terre la dépouille de son frère Polynice selon les rites. Sa sœur Ismène, sa nourrice, son fiancé Hémon, fils de Créon, et Créon lui-même vont tenter, tout au long de la pièce, de la faire renoncer pour la sauver. Ce sera en vain. Antigone, une sorte d’allégorie de la révolte, choisit d’assumer son destin quelle qu’en soit l’issue. Rien ne saurait enrayer cette machine infernale qu’est la tragédie. Pas même le chœur qui, au travers d’un de ses membres, remet en question le sort et les choix d’Antigone. Les metteurs en scène justifient ce choix par un constat chez leurs élèves, qui révèle leur intention. Ils déclaraient et je cite : « au cours de nos nombreuses lectures de la pièce de Jean Anouilh, Antigone, parce qu’elle rejette les conventions sociales et religieuses, nous est toujours apparue comme une personnification de la révolte adolescente ». C’est la raison majeure pour laquelle nous avons choisi de mettre en scène cette pièce avec une troupe de collégiens. Les élèves, de jeunes adolescents, auraient avoué qu’Antigone leur offrait par certains côtés un reflet de leurs propres révoltes. Cette attitude est une preuve de l’obstination des contemporains dans leur volonté d’immortaliser la civilisation grecque par le canal de la tragédie.

3. Critique de la mise en scène

Pourquoi continuer à toujours se référer à la Grèce, très éloignée, pour tenter de comprendre certaines situations du XXe siècle ? Cette interrogation se trouve au cœur de plusieurs critiques. C’est l’exemple de Florence Dupont qui s’interroge sur cet entêtement à toujours mettre la Grèce au goût du jour :

« Avec une sorte d’évidence banale, la Grèce ancienne nous sert aujourd’hui d’origine et de référence. Elle est le point de vue absolu d’où le XXe siècle occidental – qu’en sera-t-il du XXIe siècle ? Le théâtre grec occupe une place éminente dans ce dispositif idéologique, régnant au centre d’une nébuleuse où s’agitent confusément, autour de la tragédie grecque de Dionysos et de la démocratie, d’Antigone et d’Œdipe, toute question sur l’existence de l’homme, les dieux, la loi, la justice, la liberté, la personne, l’amour, les femmes, la guerre, etc. On célèbre régulièrement le miracle de son invention et on s’interroge délicieusement sur le mystère de son éternité. Il est à craindre que le théâtre grec ne soit enkysté au cœur du narcissisme culturel de l’occident contemporain, feignant de s’étonner d’une éternité et d’une universalité dont il a lui-même doté sa créature » (Dupont, Florence, 2001, p. 11).

Cette préoccupation prendra du volume dans la deuxième partie de notre réflexion, dans laquelle nous examinerons le système ayant mis en place toutes ces lectures de la tragédie.

De même, Farid Paya rend-il compte de son expérience de metteur en scène.

De la tragédie grecque, il ne reste que le texte. Le rituel scénique de la tradition orale a disparu en tant que phénomène artistique. Pourtant, ce contexte ne peut être purement et simplement évacué si l'on veut effectuer une étude de la tragédie. Farid Paya, sans chercher à entreprendre une reconstitution, montre comment la mise en scène doit conserver certaines notions fondamentales telles que : la présence de la danse et du chant, l’adresse directe au public, la notion du questionnement tragique et l’ambiguïté de l’interrogation sur l’homme.

Il estime que de la tragédie, il ne reste que des textes. Il y a un long chemin à parcourir avant la scène. Il prévient contre toute tentative d’appropriation du texte grec. N’est-ce pas ce qui l’amène à écrire :

« La tragédie était un genre culturel profondément inscrit dans la vie de la cité athénienne. Son esthétique est la conséquence d’une éthique. Il n’est pas possible de travailler sur la tragédie, 2 500 ans après son invention, sans s’interroger sur la vitalité de cet acte. Nos sociétés sont fort différentes de la Grèce du Ve siècle et pourtant la tragédie continue à faire sens. Nous sommes parfois proches de la pensée grecque, parfois très loin. Dans ce second cas, il importe de trouver des équivalents sociaux et conceptuels pouvant laisser entendre la vérité du texte tragédie »153

Il perçoit la tragédie comme un questionnement des textes qui posent des questions essentielles et qui se gardent d’y apporter une réponse. Ces questions toucheraient au tréfonds de l’âme humaine, au fonctionnement des sociétés. Plusieurs interrogations gardent, de ce fait, une actualité et donnent à la tragédie une dimension transhistorique. Il soutient , même si le questionnement de la tragédie reste d’actualité, la représentation théâtrale de la tragédie n’a plus la même signification. Dans son analyse, considérer un texte de théâtre indépendamment de son historicité, des coutumes l’ayant engendré, est une erreur grave. Il serait vain dans ces conditions de la représenter sur le mode antique. Ces coutumes sont perdues. Il est tout aussi dérisoire de traiter ce texte de manière quelconque. À ce niveau, il y a lieu de trouver des équivalents aux présupposés antiques. Il ressort de ces constats la question des possibilités offertes à une interprétation scénique de Sophocle, dans un contexte diamétralement opposé à celui des Athéniens.

Il invite à une démarche qui rendra possible une meilleure réception de la tragédie. De fait, les siècles de commentaires ont empoussiéré la tragédie et nous empêchent d’entendre sa

153 Paya, Farid, De la lette à la scène, la tragédie grecque, Saussan, Éditions l’Entretemps, 2000, p. 11.

voix. Des obstacles font de la voix puissante de la tragédie un murmure. Et seule la scène permettra de saisir charnellement la réalité. Il croise deux démarches pour mener sa réflexion :

« Comprendre au mieux la tragédie dans son contexte. Chasser les idées reçues, conventions dues à des commentateurs coupés du théâtre.

Il y a lieu d’entendre la voix tragique avant de réaliser » (Paya, Farid, 2000, p. 11).

Il reconnaît tout de même la difficulté à mettre en scène des œuvres d’une époque différente de la nôtre :

« De nos jours l’intérêt pour la tragédie est vif, mais il est difficile de rendre compte de sa réalité profonde, politique, artistique, spectaculaire et sociale. La tragédie se jouait dans un contexte social, pour une scène donnée, avec un mode d’adresse précis au public. L’espace et le temps sont créateurs de sens. Un texte écrit pour des circonstances très déterminées ne peut être transporté impunément dans un autre contexte » (Paya, Farid, p. 17-18).

Il est vrai que des transformations naissent au fil des années. Ces dernières vident les représentations en l’honneur de Dionysos de leurs significations originelles. Et, le metteur en scène, dans la mesure où depuis André Antoine il devient créateur au même titre que l’auteur, incite à une lecture plurielle d’une œuvre, aussi lointaine qu’elle puisse paraître. À ce titre, la lecture de la pièce varie selon la sensibilité du metteur en scène. Ainsi se construisent les interprétations, les lectures politique et sociale qui construisent au fil des années la pérennité de la tragédie grecque. Cela nous conduit à affirmer que la mise en scène, tout comme la critique philosophique et la réécriture de Sophocle, participe au processus d’immortalisation de la tragédie.