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La lecture id´eologique de Sophocle. Histoire d’un mythe contemporain : le th´eˆatre d´emocratique

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contemporain : le th´atre d´emocratique

Djiriga Jean-Michel Dago

To cite this version:

Djiriga Jean-Michel Dago. La lecture id´eologique de Sophocle. Histoire d’un mythe contem- porain : le th´atre d´emocratique. Literature. Universit´e de la Sorbonne nouvelle - Paris III, 2013. French. <NNT : 2013PA030004>. <tel-00968677>

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THÈSE POUR L’OBTENTION DU GRADE DE DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE PARIS III EN ÉTUDES THÉATRÂLES

PAR

Jean-Michel Djiriga DAGO

Titre :

LA LECTURE IDÉOLOGIQUE DE SOPHOCLE, HISTOIRE D’UN MYTHE CONTEMPORAIN : LE THÉÂTRE DÉMOCRATIQUE

Thèse dirigée par Florence DUPONT Date de soutenance : 12/01/2013

Jury :

Hélène KUNTZ, Maître de conférence, HDR, Sorbonne Nouvelle-Paris 3 Michel BRIAND, Professeur, Université de Poitiers

Florence DUPONT, Professeur Émérite, Université Paris, Diderot-Paris 7 Romain PIANA, Maître de conférence, Sorbonne Nouvelle-Paris 3

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UNIVERSITÉ DE SORBONNE NOUVELLE-PARIS III École doctorale : ED 267 – ARTS & MÉDIA

THÈSE POUR L’OBTENTION DU GRADE DE DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE PARIS III EN ÉTUDES THÉATRÂLES

PAR

Jean-Michel Djiriga DAGO

Titre :

LA LECTURE IDÉOLOGIQUE DE SOPHOCLE, HISTOIRE D’UN MYTHE CONTEMPORAIN : LE THÉÂTRE DÉMOCRATIQUE

Thèse dirigée par Florence DUPONT Date de soutenance : 12/01/2013

Jury :

Hélène KUNTZ, Maître de conférence, HDR, Sorbonne Nouvelle-Paris 3 Michel BRIAND, Professeur des Universités

Florence DUPONT, Professeur des Universités

Romain PIANA, Maître de conférence, Sorbonne Nouvelle-Paris 3

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Nous tenons à remercier Madame Florence Dupont pour nous avoir fait confiance et notre famille qui a toujours été présente dans les moments de peine et de joie.

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Tables des matières

Introduction générale ... 9

PREMIÈRE PARTIE : Le Panorama de la lecture idéologique de Sophocle ... 20

Introduction de la première partie ... 20

Chapitre 1 : Critique universitaire de Sophocle ... 24

1. Genèse d’une lecture idéologique ... 24

1.1. Tragédie et philosophie chez Georg Wilhelm Friedrich Hegel ? ... 25

1.2. La tragédie originelle chez Friedrich Nietzsche ... 34

1.3. Sophocle entre Freud et Lacan ? ... 48

2. Sophocle dans le XXe siècle ... 55

2.1. La lecture de Charles Maurras ... 55

2.2. Les méandres d’André Bonnard (1888-1960) ... 58

2.2.1. Tragédie et condition humaine ... 59

2.2.2. Antigone et l’amour ... 63

2.2.3. Créon et la politique ... 63

2.2.4. Message d’espoir ... 64

2.2.5. Antigone et la liberté ... 65

2.2.6. Immortalité et universalité de Sophocle ... 67

2.2.7. De l’universalité de l’œuvre de Sophocle... 68

2.3. Mythe et démocratie chez Jacqueline de Romilly ... 70

2.4. La vision politique de Christian Meier ... 80

2.4.1. Regard sur l’Ajax de Sophocle ... 82

2.4.1.1. L’art politique dans l’Ajax ... 82

2.4.1.2. Sophocle et la critique de la société athénienne ... 86

2.4.1.3. L’art politique dans Antigone ... 87

2.4.1.4. Créon et la politique chez Christian Meier ... 89

2.4.1.5. Pouvoir et savoir chez Christian Meier ... 90

3. Autres vulgates universitaires de Sophocle ... 95

(6)

3.1. Tragédie ou apologie de la démocratie ... 95

3.2. La lecture philologique autoréflexive de Jean Bollack ... 98

3.2.1. Jean Bollack et Di Benedetto ... 101

3.2.2. Jean Bollack et Karl Reinhardt ... 105

3.2.3. Traduire et lire autrement avec Jean Bollack ... 112

3.3. La lecture marxiste, anthropologique et structuraliste de Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal- Naquet 114 Conclusion ... 126

CHAPITRE 2 : Sophocle et le néoclassicisme au XXe siècle en France ... 128

Introduction ... 128

1. La machine infernale de Jean Cocteau ... 130

2. De l’Électre de Jean Giraudoux ... 138

2.1. L’œuvre de Giraudoux ... 138

2.2. De l’engagement de Giraudoux ? ... 139

2.3. Contexte de l’Électre de Giraudoux ... 141

2.4. Lecture de l’Électre de Giraudoux ... 143

2.5. Du rapport à l’actualité politique du XXe siècle ... 146

3. Les Mouches de Jean-Paul Sartre : pièce de la résistance ... 154

4. L’Électre de Jean Giraudoux versus Les Mouches de Jean-Paul Sartre ... 163

5. L’Antigone de Jean Anouilh ... 164

1.1. Du contexte de l’œuvre ... 165

1.2. L’hypertextualité ... 166

1.3. Le rapport à l’actualité sociale et politique ... 172

1.4. La philosophie de l’Antigone de Jean Anouilh ... 177

Chapitre 3 : La Tragédie de Sophocle sur la scène moderne... 180

Introduction ... 180

1. Naissance de la mise en scène au XIXe siècle ... 182

2. Sophocle sur la scène au XXe siècle ... 187

2.1. La mise en scène selon Brecht... 187

(7)

2.2. Une mise en scène de Jean Cocteau ... 189

2.3. Mise en scène de Jean Vilar ... 191

2.4. La mise en scène de Sophocle plus proche de nous ... 192

Conclusion de la première partie ... 196

DEUXIÈME PARTIE : Fondement et finalité de la lecture idéologique ... 197

Introduction de la deuxième partie : ... 198

Chapitre 1 : Mythe et tragédie dans l’imaginaire occidental ... 200

1. Le mythe sous le regard religieux de Mircea Eliade ... 204

2. L’influence antihistorique de Claude Lévi-Strauss ... 217

3.1.1. La structure du mythe selon Claude Lévi-Strauss ... 223

3.1.2. Application du structuralisme de Lévi-Strauss dans Œdipe-roi de Sophocle ... 227

3.2. Lévi-Strauss en tant que cavalier solitaire ... 233

4. Pour une approche historique et politique du mythe et de la tragédie de Sophocle ... 235

5. Mythe et littérature comparée ... 246

6. Mythe et mythocritique selon Gilbert Durand ... 255

7. Approche anthropologique de Claude Calame ... 263

Conclusion ... 275

Chapitre 2 : la catégorie du tragique, un des piliers de la lecture idéologique de Sophocle ... 277

Introduction ... 277

1. Naissance d’une hydre avec la bénédiction allemande ... 279

1.1. Tragique et liberté chez Schelling ... 279

1.2. Le tragique et les valeurs selon Max Scheler ... 284

2. Quel rapport entre le tragique du XVIIIe et les Grecs du Ve siècle avant J.-C. ? ... 289

2.1. L’être de la tragédie ... 290

3. Y a-t-il un vocabulaire achevant la construction du tragique dans la tragédie chez les Modernes ? ... 295

3.1. Tragique et fatalité ... 295

3.2. Tragique et transcendance ... 300

4. Question de l’insignifiance tragique ... 305

(8)

Conclusion ... 318

Chapitre 3 : S’agit-il d’une tragédie au service de la politique ? ... 320

Introduction ... 320

1. Cadre du théâtre de Sophocle ... 322

1.1. Le matériel et le public du théâtre de Sophocle. ... 323

1.2. Le théâtre de Sophocle du côté du public ... 327

1.3. L’institutionnalisation du théâtre de Sophocle ? ... 331

1.4. La tragédie de Sophocle et la cité ... 333

2. La tragédie : rituel ou scène politique ? ... 336

3. Quelle vérité démocratique chez Sophocle ? ... 340

TROISIÈME PARTIE : Faut-il continuer à perpétuer cette lecture idéologique ? ... 345

Introduction ... 346

Chapitre 1 : Faut-il analyser la tragédie des Grandes Dionysies ou la tragédie comme texte littéraire ? 351 Introduction ... 351

1. Quelle tragédie d’origine ? ... 353

1.1. Lecture du chœur et la musique... 354

1.1.1. Critique du Chœur originel ... 356

1.1.2. Critique de l’esprit du chœur comme genèse de la tragédie ... 360

1.2. Critique du fondement de la tragédie de Sophocle comme texte littéraire ... 367

Conclusion ... 374

Chapitre 2 : Rompre avec une lecture idéologisante ou le triomphalisme venu de la Grèce antique .. 376

Introduction ... 376

1. Aristote ou la fin de la performance ritualisée chez Sophocle ... 379

1.1. L’ombre du traité d’Aristote sur la lecture idéologique de Sophocle ... 383

1.2. Mimésis ou la représentation des valeurs dans la tragédie de Sophocle ... 387

2. Muthos au centre du système nerveux de la lecture idéologique ... 390

3. La catharsis pour ou contre la lecture idéologique de Sophocle ? ... 394

Conclusion ... 399

(9)

Chapitre 3 : Sortir de la tragédie idéale et mystificatrice de Sophocle ... 402

Introduction ... 402

1. En finir avec la tragédie comme « miracle grec » ... 404

2. En finir avec la tragédie de Sophocle comme texte ... 408

3. En finir avec les incarnations de l’œuvre de Sophocle ... 411

4. Ébauche d’une étude comparative de la tragédie avec les formes de représentation africaines 414 Conclusion ... 418

Conclusion Générale ... 420

Bibliographie ... 429

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Introduction générale

(11)

La Grèce des modèles

Depuis le XVIIIe siècle jusqu’à l’époque contemporaine, la Grèce antique n’a cessé de susciter des interrogations et étonnements en Occident. Elle a fait l’objet de discours en tous genres : philosophique, anthropologique, psychanalytique, historique, littéraire, etc. Elle constitue même, comme l’a écrit Jacques Le Goff dans la préface de L’héritage occidental (2002) de Gérard Chaliand et Sophie Mousset, l’un des piliers sur lesquels s’est bâti l’Occident. Ces discours se recoupent dans une vision idyllique de la Grèce antique que résume ici Florence Dupont :

« Avec une sorte d’évidence banale, la Grèce ancienne nous sert aujourd’hui d’origine et de référence. Elle est le point de vue d’où le XXe siècle occidental – qu’en sera-t-il du XXIe siècle ? – a édifié ses cosmogonies prétendument historiques et élaboré ses méta-discours »1.

La référence que constitue la Grèce pour l’Occident ne saurait être le fruit d’un hasard (La Grèce des modèles). Les intellectuels occidentaux y découvrirent les modèles les plus parfaits, principalement dans le domaine de la politique, de la pensée et de l’art. C’est ainsi que l’Athènes du Ve siècle aurait formulé la prééminence de l’homme et lui aurait offert un terrain.2 Cette thèse de la prééminence de l’homme a pour assise les réalisations philosophiques, poétiques et politiques qui auraient marqué le zénith du génie séculier athénien. La suprématie athénienne a été le lieu commun de la philosophie allemande de Hegel et de Nietzsche sur le théâtre grec en général et la tragédie en particulier. Elle traduit, par la même occasion, la grandeur et l’excellence dans l’ordre de la pensée, des arts, etc.

Dans ces réalisations venues d’Athènes, la tragédie occupe une place importante.

Comment la tragédie si lointaine a-t-elle pu provoquer un tel engouement en Occident ? De même serait-elle, eu égard à ces chefs-d’œuvre, au centre des débats sur Dionysos, la démocratie, la loi, les dieux, la justice, l’amour, la liberté, les femmes, la guerre et les questions existentielles sur l’homme. C’est d’ailleurs au regard de ces débats que George Steiner relève, dans Les Antigones, cinq conflits : homme-dieu, homme-femme, jeune-vieux, société-individu, mort-vivant, dans la tragédie. Mais, pourquoi, plus de vingt-cinq siècles après Sophocle, la tragédie intéresse-t-elle en particulier la philosophie ? À travers ce questionnement, il s’agira d’analyser les raisons pour lesquelles la pensée se focalise sur la tragédie grecque. Quelles sont les raisons ou les circonstances qui se conjuguent pour

1 Dupont, Florence, L’insignifiance tragique, Paris, Éditions Gallimard, 2001, p. 11.

2 Steiner, George, Les Antigones, Paris, Éditions Gallimard, coll. Folio essais, 1992, p. 1.

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aimanter la pensée occidentale ? Notre travail nous permettra de montrer à quel niveau la tragédie nourrit toutes sortes de fantasmes modernes ou contemporains. C’est à partir de la philosophie allemande que nous tenterons de répondre à cette question. Nous ne saurions remettre en cause l’importance de cette interrogation, mais était-ce vraiment la préoccupation essentielle de la tragédie antique ?

Tout comme les autres inventions grecques, la tragédie a été à l’origine de ce qu’Ernest Renan qualifiait de « miracle grec » dans Prière sur l’Acropole (1865). Cette expression traduit le génie grec. À travers ses exploits, la Grèce aurait influencé la mise en place d’un système de pensée cohérent, indépendant des conditions historiques. En effet, le miracle grec serait une chose n'ayant existé qu’une seule fois, selon Ernest Renan. C’est ce qui aurait, d’ailleurs, rendu possible la prééminence d’Athènes dans le domaine du théâtre. En présentant ainsi la Grèce, Ernest Renan consacre l’idée d’une éternité de modèles indéboulonnables qu’elle aurait découverts.

La tragédie, objet de la pensée spéculative

Il importait à l’Occident de déchiffrer le mystère non seulement de l’invention de ce théâtre (la tragédie), mais aussi de le décrypter à l’aune de la raison afin de découvrir son fonctionnement et sa finalité. La tragédie, qu’une nouvelle génération d’anthropologues du XXe siècle (Florence Dupont et Claude Calame) entend comme une manifestation culturelle, religieuse et poétique spécifique à l’Athènes du Ve Siècle avant Jésus-Christ, avait perdu cette origine pour subir la rigueur du discours rationnel. Il fallait désormais lire la tragédie à partir des techniques philosophiques et de l’analyse littéraire, afin d’en effectuer une interprétation intellectuelle. Nous noterons que cette interprétation se fait en marge des manifestations culturelles, constituées pour l’essentiel par la tragédie, dont le sens pouvait s’inscrire dans le temps du rituel pour les Athéniens de cette époque. Ceci n’apparaît pas dans la critique occidentale menée par la philosophie allemande, qui en fait l’objet de toutes formes de spéculation. En effet, l’intérêt de la tragédie pour les Athéniens de cette époque résidait dans la performance scénique où s’exprimaient, avec virtuosité, le jeu corporel et vocal des acteurs, la danse et la musique… Est-il légitime, dans ces conditions, d’oublier cet aspect et de ne retenir qu’un héritage fondé sur la traduction de textes anciens, dont la transmission peut faire l’objet de controverses ? Malheureusement, depuis la traduction italienne de l’Œdipe-roi de 1585, un modèle venait d’être livré aux dramaturges occidentaux afin de recréer ce théâtre.

Avant cette traduction, Aristote avait, dans sa Poétique, non seulement défini la tragédie, mais fait aussi l’apologie du texte de la tragédie. L’important, dans ses travaux, tenait à la dramaturgie, autrement dit, à l’art de l’écriture de l’œuvre dramatique, en dehors de ce qui

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relève du spectacle. C’est dans cet élan que le « miracle grec », né au XIXe siècle, s’est propagé dans la littérature, dans une Europe progressivement laïcisée, où les grandes œuvres de la Grèce classique ont été substituées à la Bible comme texte fondateur de l’Occident, c’est-à-dire de la civilisation de l’absolu3. Dans cette dynamique, force est de constater que le christianisme, qui marquait le début de la civilisation avec l’évangélisation de l’Empire romain, cédait la place à un humanisme venu de la Grèce en Occident comme le note Florence Dupont. C’est à ce niveau qu’il faut situer l’apparition de la Grèce dans l’imaginaire occidental, ayant favorisé son omniprésence dans toutes les disciplines intellectuelles de l’Occident en général, de la France en particulier durant les XIXe et XXe siècles. Cette attitude a participé à la mise en place d’une culture idéologique dont la mission se trouve élaborée à l’avance : éclairer les « mythes » afin de dissiper l’obscurantisme à partir de la Grèce. Il s’agit d’une véritable opération de nature à sortir le monde des ténèbres qui obstruaient son épanouissement.

La tragédie, composante de premier niveau du miracle grec, aurait la particularité, au regard de la philosophie allemande, de mener une réflexion sur l’homme. Il faut entendre par là, l’existence de l’homme lui-même, la politique, la liberté, la justice que nous évoquions plus haut. Fort de ce contenu de la tragédie, les études qu’elle suscitait ne pouvaient que refléter l’idéologie que nous qualifions de la Grèce de toutes les origines. Il fallait que la tragédie serve la raison occidentale à tout prix. Pour ce faire, philosophes et hommes de lettres se sont employés à mettre en place un système de pensée cohérent permettant de soutenir cette thèse.

Nous proposons d’examiner ce « miracle grec » dans son aspect idéologique. Dans ce but, nous avons préféré suivre l’histoire de la tragédie et démontrer comment elle est devenue, au fil des années, un des fondements de la raison occidentale et un mythe « fondateur ». La position qu’elle occupe dans la formation de cette raison a manifestement influencé son approche. Au lieu d’être appréhendée comme une forme culturelle spécifique à Athènes, elle a servi à promouvoir le discours sur la démocratie, la politique, la divinité, la liberté, la morale et la justice.

De quoi toutes les interprétations rendent-elles compte ? La Grèce antique, en général, et la tragédie en particulier, ont investi tous les espaces de pensée et de jeux du monde contemporain. L’étude de Patricia Vasseur-Legangneux fait largement écho de cette irruption

3 Dupont, Florence, Préface Les tragédies grecques sur la scène moderne de Patricia Vasseur-Legangneux, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2004, p. 10.

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du théâtre antique sur la scène moderne. De même, les études de Peter Szondi, Jacques Taminiaux et de George Steiner, pour respectivement sur Essai sur la tragédie, Le théâtre des philosophes et Les Antigones, font un large tour d’horizon du dialogue instauré entre la tragédie antique et la philosophie allemande. De ces différentes études, il ressort une vision mythique projetée par la pensée moderne à la fois sur la Grèce et sur le théâtre tragique. Cette vision mythique se traduit par les traits suivants : le modèle originaire et la pérennité des modèles.

Depuis sa redécouverte au XVIe siècle, la tragédie n’est plus la même que celle qui avait cours dans l’Athènes du Ve siècle avant Jésus-Christ. Ce constat se justifie par la difficulté à restituer la réalité historique de ce théâtre, qui apparaît bien fragmentée. Si un problème existe au niveau de la restitution de cet art, qu’en sera-t-il pour sa signification ? Nous entendons par signification, toutes les interprétations de l’art tragique pour l’Europe du XIXe et du XXe siècle. C’est justement à ce stade que nous avons envisagé d’effectuer la lecture idéologique de la tragédie attique. Dans cet exercice, il fallait faire un choix parmi les trois tragiques que sont Eschyle, Sophocle et Euripide, qui sont pour l’Occident les poètes tragiques majeurs de la Grèce classique. La trentaine de textes tragiques conservés auraient pour auteurs principaux ces trois poètes4. Notre choix s’est porté sur Sophocle pour une raison toute simple. En effet, il se placerait au premier rang des tragiques grecs selon l’imagination idéaliste et romantique (Steiner, George, p. 3). Parmi les sept tragédies conservées de Sophocle, Antigone et Œdipe-roi constituent de véritables monuments pour les intellectuels de l’Occident. Pour ce qui est spécifiquement de l’Antigone, George Steiner écrivait : « Dans la constellation des sept tragédies de Sophocle qui nous sont parvenues, c’est traditionnellement Antigone qui est considérée comme l’étoile la plus brillante » (Steiner, George, p. 4). Il est possible que cette pièce suscite une admiration sans pareil, même chez les Athéniens du Ve siècle avant Jésus-Christ, cependant nous émettons des réserves sur sa nature. Était-ce l’admiration suscitée par la performance scénique de Sophocle dans le temps unique du rituel ou le délire d’une tragédie totalement transformée en texte littéraire et en pensée philosophique ? Il fallait convenir d’un cadre à partir duquel nous puissions questionner toutes ces lectures de l’art tragique de Sophocle. Le cadre le plus approprié pour

4 Il ne reste qu’une trentaine de pièces sur environ mille tragédies qui auraient été écrites pendant le Ve siècle avant Jésus-Christ (sept pièces d’Eschyle, sept pièces de Sophocle et dix-neuf pièces d’Euripide). Pour les questions liées au contexte de présentation de ces œuvres sur la scène athénienne, voir Christian Meier, De la tragédie grecque comme art politique, trad. Française, Paris, Les Belles Lettres, 1991, p. 59-83. Consulter également, Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet, Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Paris Maspéro, 1972. Notons, en un mot, que la littérature ne manque pas sur ce sujet.

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nous est celui de nos travaux de recherche universitaire. C’est dans cette perspective que nous proposons de traiter La lecture idéologique de Sophocle, histoire d’un mythe contemporain : le théâtre démocratique, comme sujet de thèse. Ce thème comporte trois concepts clés qui s’imbriquent les uns sur les autres : La lecture idéologique, mythe contemporain et le théâtre démocratique. Ils sont mis en système, et de leur utile compréhension et juste définition dépendent la compréhension générale du sujet et la meilleure façon de l’aborder. Qu’entendons-nous par « lecture idéologique » ? Pour définir la lecture idéologique, il convient de cerner la notion d’idéologie. L’idéologie vient du grec ancien ίδέα (idea), idée et λόϒος (logos), science du discours. Ces éléments nous permettent d’appréhender étymologiquement l’idéologie comme un discours sur les idées. Mais en grec ancien, le nom ίδέα apparenté au verbe ίδέυ, voir, suggérerait plutôt le sens d’image. Dans cette optique, l’idéologie peut être interprétée comme la logique d’une image développée pour la pensée du groupe. Elle définit, par conséquent, la logique d’une image par les mots. D’un point de vue historique, ce terme apparaît à la fin du XVIIIe siècle. Il a été forgé, en 1796, par Destutt de Tracy dans Mémoire sur la faculté de penser, pour désigner l’étude des idées, leur caractère, leur origine, ainsi que leurs rapports avec les signes qui les expriment. Il s’agit d’un système de pensée cohérent, indépendant des conditions historiques. C’est dans cette approche que s’inscrivent de nombreuses interprétations de Sophocle des XIXe et XXe siècles.

Au regard de ce qui précède, effectuer une lecture idéologique revient à dégager de son œuvre une pensée indépendante de l’Histoire, donc éternelle. Dans une autre mesure, lorsque nous utilisons l’expression « théâtre démocratique », c’est pour indiquer tout le sens politique qui domine la critique de la tragédie. La troisième composante de notre sujet de réflexion, à savoir le mythe contemporain, se présente comme un dépassement du temps historique des images et des pensées qui se retrouveraient chez Sophocle, et perdurent à l’échelle universelle. Vu sous cet angle, nous nous inscrivons comme un comparatiste, d’autant que ce mythe que nous entendons aborder étudie le processus de transfert des récits légendaires à travers les siècles et les diverses cultures. Il s’agira, dans ce travail, de relever les représentations, les divergences et les convergences de la tragédie de Sophocle dans l’imaginaire aussi bien européen qu’universel du XXe siècle. Ce sont les figures mythiques de la tragédie de Sophocle, piégées très souvent dans un engrenage de forces supérieures, qui déclenchent des conflits avec ces dernières et leurs entourages. Admirées ou contestées, ces figures remettent en cause des valeurs morales dans le devenir historique et politique d’un espace culturel donné. C’est à travers leur aura emblématique et symbolique que les récits légendaires se rapprochent du

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monde contemporain, malgré leur éloignement dans le temps. Et, la redécouverte de ces figures mythiques dans des logiciels philosophique et littéraire les transforme en objet de spéculation scientifique qui, par la même occasion, annule la distance temporelle. Dans cette perspective, ces récits lointains échappent au temps et opèrent comme des données éternelles.

Les éléments que nous venons d’élucider nous permettront de démontrer que lire idéologiquement le théâtre de Sophocle comme un théâtre démocratique relève d’un mythe contemporain en raison du détournement de son œuvre dans la pensée contemporaine, pour être mis au service de préoccupations politiques débordant l’autorité de son cadre originaire.

Il nous appartiendra, dans notre réflexion, d’effectuer le panorama des interprétations de Sophocle, pour relever ses excès et son incompatibilité avec la réalité historique de ce théâtre.

Mais auparavant, il convient d’éclairer les motivations qui nous ont conduit à porter un regard sur l’art tragique. En effet, la philosophie allemande du XIXe siècle avec Hegel, Nietzsche et bien d’autres, avait déjà consacré de nombreuses pages à la critique de la tragédie qui continue de toujours passionner l’Occident. Que peut-on rajouter à ces travaux d’exception ? Cette question est fondamentale compte tenu de la difficulté à mener des investigations novatrices et originales sur une tragédie qui continue de hanter, depuis plus d’un siècle, les érudits européens. Son omniprésence dans la sphère intellectuelle occidentale témoigne sans aucun doute de son importance. En effet, historiens, philosophes, littéraires, ethnologues, anthropologues et politologues ont, à un moment donné, manifesté un intérêt pour la tragédie. En ce qui nous concerne, c’est justement la résurgence de l’art tragique dans toutes ces disciplines intellectuelles qui suscite notre curiosité. Nous avons voulu traverser ce foisonnement de discours afin de saisir le pourquoi et le comment de cet intérêt pour la tragédie en général, pour les pièces de Sophocle en particulier. C’est cette motivation qui justifie, entre autres, le choix de ce sujet. De même, il faut noter que les travaux universitaires relatifs à la tragédie sont multiples et parfois problématiques, même s’ils sont régulés par une impressionnante cohérence interne. De fait, plusieurs concepts sont nés de l’union de la tragédie et de l’attitude impérialiste dans laquelle se sont inscrits nombre de critiques. Nous citerons comme exemple le mythe et le tragique, deux inventions du XVIIIe siècle. Ces catégories, nées de cette union presque impossible, avaient-elles leur raison d’être dans un exercice visant à étudier la tragédie ? Comment la tragédie, manifestation culturelle typiquement athénienne, a-t-elle servi de cadre à la construction d’un discours rationnel sur l’origine du monde et l’existence en elle-même de l’homme ? La tragédie avait-elle besoin de subir la rigueur de toutes ces critiques pour servir l’Occident qui avait aussi la possibilité de l’appréhender loin de toutes ces manipulations herméneutiques ? Sur cette question, nous

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dirons que l’occasion était trop bonne pour ne pas servir de fondement à la pensée et à la politique de l’Occident. La tragédie était un vrai cadeau venu tout droit d’Athènes pour éclairer l’humanité, pourquoi donc ne pas s’en servir à ces fins. En effet, nous touchons là à un point essentiel de notre réflexion, à savoir la signification et l’utilité de la tragédie dans un monde où tout s’explique de manière très rationnelle.

Comment aborder Sophocle dans un tel contexte où les images, bien souvent contradictoires que les gens de théâtre ont des œuvres, finissent par nier la particularité de la tragédie, entendue ici comme manifestation culturelle spécifique à Athènes ? Est-ce encore possible d’interroger ce théâtre en toute objectivité ? Cet exercice nous semble difficile compte tenu de l’étendue de la critique philosophique et littéraire du « miracle grec », qui est passé du stade de spectacle à celui d’objet littéraire et philosophique. En effet, la réduction de la tragédie à un texte a été perçue comme une perversion de la mémoire des Athéniens du Ve siècle avant Jésus-Christ. Nous citerons les hellénistes comme Nicole Loraux5 qui, contrairement aux philosophes et littéraires, ont insisté sur l’importance du spectacle. Pour tenter une restitution de ce théâtre à son historicité, elle mettait dans son travail un accent tout particulier sur le rôle fondamental de la musique dans les spectacles antiques. Ces travaux, bien qu’ayant changé tant soit peu le point de vue sur le répertoire, ne pouvaient se vanter d’avoir effectué la révolution du siècle, loin de là. Le théâtre antique n’est plus ce théâtre spectaculaire ; il opère sous un nouveau costume, celui de théâtre d’idées. Nous renouvelons notre interrogation : comment lire la tragédie en général et Sophocle en particulier ? La deuxième motivation à notre choix tient en cette difficulté à saisir la tragédie en dehors des idées qui gouvernent l’Occident.

Il nous faut élaborer un plan directeur qui nous permettra de répondre à ces nombreuses interrogations. Un panorama de la lecture idéologique de Sophocle correspond à la première strate de notre démarche. Elle nous permettra de parcourir et de comprendre les multiples lectures de la tragédie. Nous interrogerons, dans un premier temps, la philosophie allemande du XIXe siècle qui nous permettra de saisir l’origine de cette lecture. C’est dans une perspective théorique que nous tenterons de suivre les travaux de Hegel sur la tragédie.

Comment la tragédie a-t-elle servi la philosophie allemande ? Est-elle demeurée la même après l’« irruption intempestive » de la philosophie en son sein, selon Paul Ricœur, au XIXe siècle. Également, nous nous interrogerons, par la même occasion, sur ce que pouvait représenter la tragédie pour les Athéniens de cette époque. Y a-t-il une volonté de trouver une

5 Loraux, Nicole, La voix endeuillée. Essai sur la tragédie grecque, 1999.

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origine à l’esprit rationnel occidental ? La question que nous entendons traiter à travers nos réflexions se réfère à la signification de l’œuvre de Sophocle au fil des années. Dans cette perspective, nous noterons que parler de la signification de la tragédie grecque, c’est suivre les variations de celle-ci dans l’histoire de la pensée occidentale. Vu sous cet angle, nous répondrons également à la question relative à la part de la tragédie dans la formation de l’esprit rationnel. Il convient, dans ces conditions, de situer la lecture de Sophocle compte tenu des nombreuses orientations qu’elle peut prendre. Nous le disions plus haut, la tragédie a fait l’objet de différents travaux scientifiques, notamment la critique du XXe siècle avec le néoclassicisme, les questions liées à la traduction, à la mise en scène et même de son rapport avec la naissance de la démocratie. Sur ce dernier point, la tragédie a été très souvent réduite à un théâtre démocratique, ce qui impliquerait son rapport à la politique athénienne. C’est à ce niveau que nous montrerons, entre autres, que lire idéologiquement le théâtre de Sophocle comme un théâtre démocratique, relève d’un mythe contemporain. Face à tous ces travaux, où situer notre réflexion afin d’éviter des redites ? La particularité de la lecture idéologique se trouve dans ses rapports avec non seulement les philosophes, mais aussi avec les gens du théâtre ; autrement dit, tous ceux pour qui la tragédie n’est pas une simple manifestation culturelle spécifique à Athènes. Est-il vrai que Sophocle a représenté des faits ou des personnages héroïques que l’Occident peut saisir comme porteurs de messages politiques, de justice, en un mot de réponses aux nombreuses questions liées à l’existence humaine.

Sophocle est-il à l’origine d’un discours universel et immortel sur l’Homme qui puisse faire oublier ou reléguer au second plan le message de la Bible sur le passé, le présent et le futur de l’existence de l’Homme ? Si tel est le cas, nous comprenons aisément pourquoi la tradition issue de l’œuvre de Sophocle a été déformée ou amplifiée, c’est d’ailleurs ce qui a, dans une autre mesure, motivé l’emploi de l’expression « mythe contemporain » dans la formulation du thème de notre réflexion. En effet, la lecture idéologique de Sophocle a fini par se perpétuer dans l’esprit occidental comme un mythe, en d’autres termes, un récit fabuleux qui met en scène des êtres incarnant, sous une forme symbolique, des forces de la nature et des aspects de la condition humaine. L’Occident s’est employé à construire un discours cohérent qui, en réalité, actualise le mythe. Et notre exercice consistera à aborder l’histoire de ce mythe contemporain de l’œuvre de Sophocle transformé en un théâtre d’idées.

Une fois effectué le panorama de cette lecture idéologique, nous pouvons mener une autre réflexion. Celle-ci nous permettra alors d’analyser le système l’ayant mis en place. Il fallait, dans un premier temps, parcourir cette lecture afin de déterminer ses nombreuses orientations. Il apparaissait utopique de prolonger cette dernière sans se référer à un

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fondement. C’est dans cette optique qu’il faut situer l’invention de différentes catégories pour achever la construction du discours idéologique. Nous évoquions, plus haut, les catégories du mythe, du tragique et de la politique. En effet, nous effectuerons, dans une deuxième articulation, l’analyse de ces catégories ayant permis aux philosophes et aux hommes de lettres de construire un théâtre d’idées délaissant, par la même occasion, tout ce qui relève du spectacle, à savoir chant, musique, décor, costume et jeux de scène qui constituaient pour l’essentiel le théâtre de Sophocle. Dans cette optique, nous répondrons non seulement à la question de la finalité de ce système, mais à sa mise en place dans l’imaginaire occidental.

Avec la conceptualisation philosophique du mythe et de la tragédie, les pièces de Sophocle n’ont plus la même signification dans le contexte anthropologique athénien du Ve siècle avant Jésus-Christ. Il est clair que, dans l’imaginaire occidental, l’œuvre de Sophocle ne permet plus d’étudier la tragédie en tant que manifestation culturelle spécifique à Athènes. La mythification de l’origine de la tragédie en fait un autre type de discours, différent de celui des Athéniens. Ils ont été nombreux à établir une correspondance entre la tragédie et le concept du mythe, du tragique et de la politique. Les travaux de Claude Lévi-Strauss, Gilbert Durand, Pierre Brunel, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet en sont les preuves. À travers ces réflexions, nous verrons comment la critique du XXe siècle s’est employée à détourner l’œuvre de Sophocle à partir des données idéologiques. Sophocle et, partant, la tragédie témoignent ainsi de l’intérêt des récits légendaires grecs dans la civilisation occidentale. Cette deuxième partie prendra fin avec les travaux de Claude Calame qui semblent mieux définir la catégorie du mythe et de la tragédie dans leur acception originelle.

Sa démarche se rapproche plus de ce que l’œuvre de Sophocle pouvait comporter de spécifique à son contexte anthropologique, d’autant qu’il ne s’intéresse pas à cette tragédie comme un texte littéraire ou un discours philosophique, mais comme une manifestation culturelle spécifique à Athènes.

Pour finir, nous comptons élaborer une analyse qui nous permettra d’atténuer le discours idéologique de Sophocle. Il ne s’agira pas, dans cet exercice, de procéder à une négation de la pensée grecque, mais de la situer dans son contexte anthropologique afin d’éviter une lecture d’une autre nature. Dans cette perspective, notons que, lorsque Sophocle effectuait ses performances pendant les grandes dionysies, il était question d’un spectacle unique pour les Athéniens du Ve siècle avant Jésus-Christ. C’est dans ce cadre que Patricia Vasseur-Legangneux écrivait, à juste titre, : « il n’existe pas une tragédie grecque, mais des tragédies, chacune proposant un spectacle original et unique, présenté une seule fois dans le cadre du concours dramatique » (Vasseur-Legagneux, Patricia, p. 503). En effet, Sophocle

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portait sur scène une performance unique. Il réinventait les récits que tous les Athéniens de son époque connaissaient comme des muthos n’ayant aucune signification particulière. Notre préoccupation, dans cette dernière partie, est d’affranchir la tragédie de Sophocle de la finalité intellectuelle, immortelle et universelle dont elle a fait l’objet depuis plus de deux siècles. Y avait-il chez Sophocle une volonté de porter sur scène des emblèmes qui allaient, des siècles plus tard, constituer des symboles de justice, de liberté, de pouvoir, de vie, voire de la condition humaine ? Pour répondre à ces interrogations, il importe de rappeler ce qu’était et représentait la tragédie pour les Athéniens du Ve siècle avant Jésus-Christ. Il s’agira, dans cette réflexion, de distinguer la tragédie en tant que manifestation culturelle et datée, avec une autre forme de tragédie littéraire et intellectuelle que l’Occident se plaît à conceptualiser (mythe contemporain). Le but principal de cette démarche tient en la restauration de la tragédie à partir de l’exemple de Sophocle comme spécifique à Athènes. Cette étude permettra l’exploitation des éléments esthétiques comme le chant, la musique et la danse.

Nous préciserons qu’une reconstitution archéologique de ce théâtre sera quasiment impossible compte tenu de la difficulté à reproduire le spectacle antique dans les conditions qui étaient celles de Sophocle.

La restitution dont il est question s’entend comme l’ouverture d’un autre chantier à partir duquel il sera possible de comparer le théâtre de Sophocle avec d’autres formes de représentation, en l’occurrence africaine, avec l’exemple de la Côte d’Ivoire. Pour nous, les allusions littéraire et philosophique élèvent ce théâtre antique à un niveau tel que les autres apparaissent comme imparfaites. Il est vrai, qu’en Grèce antique, il existait des poètes participant à des concours dramatiques dans le cadre de manifestations culturelles, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y en ait pas eu ailleurs. Peut-être qu’en arrêtant d’universaliser la tragédie grecque et ses symboles, on pourrait permettre la découverte de nouvelles représentations avec une analyse bien différente. Ce sont ces quelques éléments de réflexion que nous entendons mener dans ce travail, afin d’inciter à une approche différente de la tragédie de Sophocle.

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PREMIÈRE PARTIE : Le Panorama de la lecture idéologique de Sophocle

Introduction de la première partie

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Les œuvres de Sophocle ont été au centre de la critique littéraire et philosophique du XXe siècle en Occident. Les interprétations, initiées depuis le XIXe siècle, n’ont cessé de varier au fil des années. Elles se sont construites autour du structuralisme, de l’anthropologie, du marxisme, de la philosophie, de la philologie. C’est cette diversité de domaines scientifiques qui, entre autres, justifie la richesse et la densité de la lecture de Sophocle. Mais avant d’aborder la critique de Sophocle du XXe siècle, il importe de définir son origine. Sur cette question, l’Allemagne constitue la meilleure destination, compte tenu de son intérêt pour la tragédie.

En effet, la « Dixième lettre philosophique » de Schelling sur le dogmatisme et le criticisme marque le début, en Allemagne, d’un long et passionnant débat spéculatif sur ce qu’est la tragédie et sur ce que Sophocle en particulier a apporté à cet art. Depuis lors, ce débat s’est enrichi de divers apports philosophiques, philologiques, anthropologiques, etc.

Pour notre part, nous mettrons un accent sur les contributions significatives des philosophes allemands du XIXe siècle, dont Hegel, Nietzsche, qui marquent une certaine coupure entre la tragédie et le bios politikos athénien. En effet, nous avons trouvé chez ces auteurs des gestes constitutifs de ce que nous appelons une lecture idéologique de Sophocle. La question à laquelle nous tenterons de donner une réponse est la suivante : quelles figures de Sophocle se dessinent au cours de ces différents jeux d’interprétations érudites ? Mais avant, nous préciserons ce qui motive l’examen des auteurs du XIXe siècle. Cette mise au point nous permettra, par la même occasion, de savoir si Sophocle n’a pas été mis au service de projets philosophique et idéologique qui le dépassent.

Le travail que nous impose cette étude panoramique est une re-visitation des métadiscours et des réceptions de toutes sortes sur Sophocle. Il inclut donc l’ensemble des gestes effectués sur ou à partir de Sophocle. Nous comptons réaliser, au cours de cette analyse, le panorama historique de la réception de Sophocle (la réception qui met en avant l’argument politique et démocratique de préférence). Il sera question de parcourir la réécriture, les mises en scène et les critiques philosophique, littéraire, philologique et historique de Sophocle ayant marqué la période évoquée plus haut.

Dans ce but, il importera de préciser ce que nous entendons par réception, réécriture, mises en scène et d’explorer les différentes critiques. Nous ferons, tout au long de cette démarche, un examen plus approfondi de ces nombreuses interprétations mais, pour l’instant, la tâche qui nous incombe, consiste à faire un rappel de ces éléments constitutifs de notre corpus.

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Il faut entendre par interprétation, les œuvres critiques et les reproductions artistiques, les réinventions sous forme littéraire et les mises en scène contemporaines de la tragédie qui ont fortement contribué à la construction du discours idéologique et politique sur l’œuvre de Sophocle. Ces lectures témoignent de la mutation qu’a connue, de génération en génération, une tragédie jamais tout à fait semblable à ce qu’elle était à l’origine. N'est-ce pas ce qui fait dire, en 1929, à Charles Clerc : « chaque génération redécouvre l’Antiquité, la revit et l’explique ou la rêve »6.

Expliquer, revivre et être fasciné par la tragédie, ne peut être que louable en soi, mais la difficulté apparaît lorsqu’elle n’est plus la même. Vidée de son essence, de sa particularité, elle renaît dans des généralités sur les conditions de l’existence humaine. Nous n’envisageons pas d’épuiser toutes les lectures variées et divergentes, effectuées par la critique contemporaine, mais nous aurons à recenser les plus significatives, qui nous permettrons, par la même occasion, de saisir au mieux les avatars de la tragédie de Sophocle. Il s’agira, à ce stade de notre démarche, d’aborder plusieurs tendances critiques qui mettront en lumière la plurivocité de la tragédie en Occident.

Avec les critiques idéologiques, que nous décrirons dans cette partie de nos recherches, la tragédie perdra sa finalité originelle de manifestation culturelle spécifique à l’Athènes du Ve siècle avant Jésus-Christ, pour se charger de concepts philosophiques sur les conditions existentielles de l’homme et de la politique. Dans cette perspective, nous proposons de traiter, après la critique allemande, les lectures : humaniste que l’on retrouvera chez André Bonnard et Jacqueline de Romilly, politique avec Christian Meir, la lecture historique telle qu'elle est proposée par Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet et herméneutique, philologique avec Jean Bollack.

À la suite de cette étude que nous intitulerons : « la critique universitaire de Sophocle », nous relèverons dans un deuxième chapitre la question de l’œuvre de Sophocle et du néoclassicisme. Ce sera l’occasion de convoquer l’Antigone de Jean Anouilh, l’Électre de Giraudoux, La machine infernale de Jean Cocteau et Les mouches de Jean-Paul Sartre. Ces réécritures constituent le témoignage de l’intérêt de l’œuvre de Sophocle dans l’Occident du XXe siècle. À travers les commentaires sous-jacents à ces réécritures, nous verrons comment des performances ritualisées, vieilles de vingt-cinq siècles, ont consacré la victoire de l’auteur face à l’acteur et au public, selon les termes de Florence Dupont7.

6Clerc, Charles, Le génie du paganisme, Payot, Paris, 1926, 286 p, p. 11.

7 Dupont, Florence, Aristote ou le vampire du théâtre Occidental, Paris, Éditions Flammarion, 2007, p. 124.

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Dans une troisième étape, nous traiterons la question de la mise en scène de Sophocle au XXe siècle. Avec la naissance de la mise en scène au XIXe siècle, la tragédie a fait l’objet d’une autre transformation. Avec la mise en scène moderne, la critique entame une véritable segmentation de la tragédie qui n’était qu’une simple manifestation. Il y aura désormais, d’un côté, la création dans la perspective moderne du texte, comme énoncé autonome, lequel donnera lieu à la lecture de la tragédie, comme une œuvre littéraire. De l’autre côté, la mise en scène qui permettra d’apprécier le travail d’un autre type, celui du créateur, du metteur en scène. Ces trois mouvements, que sont la critique universitaire, la question du néoclassicisme et la mise en scène, nous serviront de fil conducteur dans ce panorama historique de l’œuvre de Sophocle.

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Chapitre 1 : Critique universitaire de Sophocle

1. Genèse d’une lecture idéologique

Des siècles après son extinction, la tragédie a subi, en même temps que son public récepteur, une profonde et étonnante mutation. Elle a cessé d’être le spectacle rituel offert à Dionysos, ainsi qu’au regard participatif et festif du public athénien, lors des Grandes Dionysies, pour devenir une grande question intéressant les acteurs de toutes les disciplines scientifiques que l’on regroupe habituellement sous la catégorie des sciences humaines. En effet, c’est comme une question hautement philosophique que la tragédie est accueillie sur le sol allemand, au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Certes, une véritable genèse de la critique allemande de la tragédie doit nécessairement partir de Schelling, notamment de sa « Dixième lettre philosophique sur le dogmatisme et le criticisme », en tant que texte fondateur et point de départ des réflexions théoriques, philosophiques sur la tragédie et le tragique. Toutefois, sans vouloir méconnaître cette forme embryonnaire de la théorie tragique allemande, nous voulons saisir celle-ci au moment même où elle semble arrivée à maturité. Aussi, nous nous décidons à nous intéresser plus particulièrement aux travaux de Hegel et de Nietzsche afin de mieux déterminer cette part, voire cet accent allemand porté sur la tragédie.

Pour mener à bien cet exercice de relecture des théories du tragique, bien entendu après une analyse des œuvres philosophiques de Hegel et de Nietzsche, nous examinerons les critiques de plusieurs commentateurs. Nous prendrons appui sur les travaux de commentateurs tels que ceux sur l’Archéologie du sujet tragique de Sophie Klimis qui confronte les gestes allemands les plus significatifs sur la tragédie. Pour traduire l’impact de ces écrits sur cette dernière, elle démontre comment chaque réflexion critique sur la tragédie donne lieu à une réinvention de cet art, au point d’aboutir à une pluralité de tragédies. Jacques Taminiaux aurait parlé de « théâtre des philosophes ». Ainsi, à sa propre interrogation de savoir : « Que voit la tragédie lorsqu’elle se regarde au miroir de la philosophie ? », Sophie Klimis répond ceci : « Une image diffractée d’elle-même, multiple et contradictoire, tour à tour sacralisée ou méprisée, objectivée en concept ou esthétique en divertissement… » (Klimis, Sophie, quatrième de couverture). Hegel nous en donne une preuve, que viendra conforter ensuite Nietzsche. Nous nous appuierons également sur l’« Essai d’une phénoménologie de la conscience grecque » de Dominique Janicaud, qui analyse dans Hegel et la pensée grecque, la phénoménologie hégélienne. Les travaux de Dominique Janicaud permettront de répondre à la question des fondements de la lecture hégélienne de la tragédie.

Dominique Janicaud s’inspire du principe de division du chapitre VII de la Phénoménologie

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de l’esprit pour retracer l’odyssée de la conscience grecque. Son examen s’effectue autour de trois figures principales : la conscience naturelle, la conscience esthétique et la conscience philosophique. L’auteur s’est employé à montrer deux éléments essentiels : d’abord que les différents passages explicites ou implicites relatifs à la Grèce dans la Phénoménologie de l’esprit peuvent constituer, une fois mis ensemble, une interprétation cohérente du devenir de la conscience hellénique, ensuite que cette interprétation de la Grèce, délivrée des mirages de l’idéal de jeunesse, constitue pour l’essentiel la dernière interprétation de la Grèce par Hegel.

L’auteur s’explique longuement sur cette question (p. 157, no 1). Cependant, il faut signaler la marge d’arbitraire qu’implique cette méthode. En effet, dans la Phénoménologie, Hegel n’indique pas toujours, d’une façon aussi explicite que dans le cas du stoïcisme et du scepticisme, ses références historiques à la Grèce dans ses descriptions du devenir de la conscience humaine.

1.1. Tragédie et philosophie chez Georg Wilhelm Friedrich Hegel ?

Pilier important de l’idéalisme allemand, l’œuvre philosophique de Hegel a exercé une grande influence sur l’ensemble de la philosophie contemporaine. L’intérêt pour l’œuvre de Hegel s’est accentué au XXe siècle, ce qui justifie ce retour vers le XIXe siècle. À ce propos, Jacques D’hondt écrit : « Jamais Hegel ne connut autant de succès et de gloire qu’à notre époque. Jamais plus qu’en notre temps son œuvre ne fut lue, étudiée minutieusement, traduites en toutes langues, commentée en tous sens, et utilisée parfois, il faut bien l’avouer, à tous usages »8. L’influence de Hegel dans le monde philosophique est sans équivoque. Cela conduit certains penseurs à soutenir que la rupture avec Hegel signifie un divorce avec tout.

En effet, selon Jacques D’hondt, la vie de la pensée hégélienne témoigne d’une modernité et d’une actualité. Ce témoignage est amplifié par des préoccupations philosophiques et culturelles actuelles, très diverses. Mais, d’où part la pensée de Hegel qui suscite autant de passion ? La réponse à cette interrogation se trouve dans la Grèce antique. Selon Hegel lui- même, tout commence en Grèce. Il sera donc question d’estimer la part de la dette de Hegel à la philosophie grecque.

Hegel s’est intéressé une première fois à la tragédie grecque dans theologische Jugendschristften, rédigé entre 1792 et 1800. Le propos de ses écrits de jeunesse porte essentiellement sur la religion. Il y revient dans ses premiers essais philosophiques, particulièrement dans un article consacré aux théories du droit naturel, qui fut publié en 1802 et 1803. Mais, c’est dans sa Phénoménologie de l’esprit que Hegel approfondit son

8 D’hondt Jacques, « Avant-propos », Hegel et la pensée grecque, Paris, Presses Universitaires de France, 1974, p. 5.

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