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tentatives de réforme éducative en Haïti au cours des trois dernières

5.1. La réforme Bernard des années

5.1.3. La mise en œuvre de la réforme Bernard : une tentative ratée

La mise en œuvre implique les actes et les éléments opérationnels de la programmation. La tentative de l’application de la réforme Bernard couvre une longue période. L’article 35 de la loi du 30 mars 1982 souligne que « les dispositions du présent

Décret entreront en application dès sa publication et au fur et à mesure de l’implantation de la Réforme » (D. Pierre, 2012, p. 498). Cet article donne donc une marge de manœuvre aux différents acteurs.

En effet, la réforme engagée par le ministre Bernard représente un tournant dans l’histoire de l’éducation en Haïti (St-Germain, 1988). Toutefois, elle est victime de dénigrement2. Qui plus est, le 12 juillet 1982 (avant la phase de généralisation de la réforme, prévue pour l’année scolaire 1982-1983), Bernard est remplacé par un autre ministre.

1 Il est à noter que la gourde désigne ici la monnaie haïtienne. Dans les années 1980, un (1) dollar américain

équivaut à cinq gourdes. Au début de l’année 2016, le dollar américain équivaut à soixante-deux gourdes.

2 A l’époque, certains détracteurs ont dénigré la réforme éducative. Selon eux, l’usage du créole provoquerait la

baisse du niveau scolaire. Bernard a contre-attaqué en ces termes : « Les nouveaux programmes proposés, loin,

comme certains le pensent et le disent, de dévaluer l’enseignement haïtien, en relèveront le niveau : grâce à une approche méthodique du français, langue étrangère ; grâce à une élimination systématique de la routine ou de la mémorisation à outrance et à l’appel à la compréhension ; grâce à une formation plus pratique, plus complète et plus adaptée de l’enfant de chez nous ; grâce, enfin, à une philosophie de l’éducation basée essentiellement

Du 12 juillet 1982 à la fin du gouvernement « à vie » de Jean-Claude Duvalier (le 6 février 1986), cinq ministres se sont succédé au Ministère de l’éducation nationale. Aucun d’entre eux n’a pu achever deux années scolaires consécutives, voire mettre en œuvre les objectifs spécifiques de la « réforme Bernard ». Certes, trois autres lois semblaient renforcer la réforme éducative, à savoir : 1) le décret du 15 octobre 1984 favorisant le plein et entier effet du texte de la Convention de Paris du 15 décembre 1960 contre la discrimination1 dans l’enseignement ; 2) le décret du 23 octobre 1984 organisant le Ministère de l’éducation nationale ; 3) l’arrêté du 29 octobre 1984 fixant le statut particulier du personnel enseignant de l’Ecole fondamentale. De plus, le projet « Education pour le développement » a été maintenue par l’UNESCO (1987). Mais, la généralisation de la réforme éducative n’a pas eu lieu comme cela a été prévu.

Un soulèvement populaire a provoqué la chute de la dictature duvaliériste le 6 février 1986. Cela a accouché d’un projet démocratique. Dans cette optique, la Constitution de 1987 a été promulguée. La section F (Titre II, chap. II, art. 32 – 34.1) et le chapitre V (Titre VI, art. 208 – 216) se sont rapportés à l’éducation. Pourtant, les mêmes problèmes entre les élites, les classes moyennes, les plus pauvres et les forces armées restaient posés. Le pays s’est enlisé dans une période de crise d’instabilité politique.

Pendant le gouvernement militaire présidé par le Général Prosper Avril (7 septembre 1988 – 10 mars 1990), il y a eu trois décrets relatifs à l’éducation. Le premier a été promulgué le 1er décembre 1988. Il a divisé les programmes nationaux de l’enseignement fondamental en deux curricula : 1) le « Curriculum de l’Ecole fondamentale – Programme pédagogique opérationnel, premier et deuxième cycles » et 2) le « Curriculum de l’Ecole Fondamentale – Programme pédagogique et opérationnel, troisième cycle ». Le décret du 2 décembre 1988 avait transféré les attributions du Ministère de la Jeunesse et des Sports (MJS) au Ministère de l’Education Nationale (MEN) qui devenait « Ministère de l’Education Nationale, de la Jeunesse et des Sports » (MENJS). Le décret du 5 juin 1989 a adapté les structures

sur une connaissance réelle des problèmes du milieu haïtien et de l’homme haïtien » (Département de l’éducation nationale, 1982, p. 6).

1 D’après l’article 1er de la Convention du 15 décembre 1960, « le "discrimination" comprend toute distinction,

exclusion, limitation de préférence qui, fondées sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la condition économique ou la naissance, a pour objet ou pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité de traitement en matière d’enseignement et notamment : 1) d’écarter une personne ou un groupe de l’accès aux divers types ou degrés d’enseignement ; 2) de limiter à un niveau inférieur l’éducation d’une personne ou d’un groupe ; 3) sous réserve de ce qui est dit à l’article 2 de la présente convention, d’instituer ou de maintenir des systèmes ou des établissements d’enseignement séparés pour des personnes ou des groupes ; ou 4) de placer une personne ou un groupe dans une situation incompatible avec la dignité de l’homme » (D. Pierre, 2012, p. 500).

organisationnelles du Ministère de l’Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports (MENJS) aux nouvelles réalités sociopolitiques. Entre-temps, l’UNESCO (1991a, 1991b) a poursuivi l’exécution non seulement de la troisième phase du projet « Education pour le développement », mais également un autre projet intitulé « Education en matière de population ». Mais, en raison de la situation du pays, ces mesures n’ont pas eu d’impacts considérables sur le fonctionnement du système éducatif.

L’élection du président Jean-Bertrand Aristide en 1991 était considérée comme une victoire qui devait favoriser une révolution politique, économique et sociale en Haïti. En fait, Aristide gagnait non seulement la confiance de la majorité des Haïtiens, mais également de beaucoup d’organismes internationaux et de pays étrangers. En revanche, les hauts gradés de l’armée haïtienne étaient très méfiants à son égard, en raison de ses tendances populistes.

Dans son discours1 d’investiture, le 7 février 1991, Aristide prétend un « mariage d’amour » entre l’armée et le peuple. Néanmoins, il nous semble que la déclaration du « mariage d’amour » ne se fonde pas sur des « consentements mutuels ». L’armée a fomenté un coup d’Etat dans la nuit du 29 au 30 septembre 1991. Joseph Raoul Cédras, le lieutenant- général, est alors arrivé au pouvoir. Sous contrainte, le président Aristide a donc quitté le pays.

Tout bien considéré, le problème de la mise en œuvre de la réforme Bernard a été inévitable. Les plans d’actions et les actes de mise en œuvre ont dû faire face à des obstacles majeurs. Parmi lesquels, nous pouvons citer : 1) les postulats fondamentaux qui sous-tendent la programmation de la politique éducative ne sont pas aussi évidents qu’ils ne le paraissent ; 2) le projet éducatif ne correspond pas aux ressources disponibles ; 3) face à l’instabilité politique et à l’insécurité dans le pays, la réforme éducative est placée au second plan. Une réforme éducative plus réaliste devient donc nécessaire.

1 Aristide a affirmé : « Macoutes, zenglendos, je vous en prie, je vous en prie, ne venez pas semer la zizanie

entre l'armée et le peuple qui se marient aujourd'hui. Je vous en prie. Grâce à la loi et à la Constitution, ce mariage d'amour permettra à chacun d'aimer l'autre chaque jour davantage de telle sorte que, si un militaire passe dans un corridor, on lui donne à boire; s'il est fatigué on lui donne une chaise, un lit, et qu'on l'invite à se reposer. A partir d'aujourd'hui, nos militaires, notre armée, ce sont nos frères qui ont des armes pour nous protéger des zenglendos, des macoutes. Ainsi vous- mêmes, désireux que jamais plus ne coule le sang, je vous

invite dans l'ordre, la discipline, à aimer les militaires, à leur montrer votre amour en marchant côte à côte avec eux, la main dans la main (Applaudissements) » (Aristide, 1991, p. 6-7). En effet, la quasi-totalité du discours original du président Aristide a été en créole. La version française publiée par DIAL est celle du journal Haïti- Progrès du 13-19 février 1991. Les « tontons macoutes » désignaient les anciens membres de la milice sanguinaire duvaliériste. « Zenglendo » est un mot créole désignant un voleur armé qui est lié au grand banditisme.

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