• Aucun résultat trouvé

Les fondements et la portée de l’approche du développement humain préconisée par le PNUD : vers une démarche systémique du

Le classement d’Haïti comme pays à Indice du développement humain

1.1. Des pays en quête du « développement humain » : vers un distinguo entre le développement et la croissance économique

1.1.5. Les fondements et la portée de l’approche du développement humain préconisée par le PNUD : vers une démarche systémique du

développement

L’approche du développement humain préconisée par le PNUD est en lien avec la Déclaration des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD)1 et la Déclaration universelle des droits de l’homme2

. Il s’agit du développement au sens large. Cela implique nécessairement : la sécurité sociale, un niveau de vie suffisant, l’assistance à la maternité et à l’enfance, la gratuité de l’éducation au moins dans l’enseignement élémentaire et fondamental, etc. Comme l’a dit Vargas (1998, p. 7) à la leçon inaugurale prononcée lors de la séance d’ouverture de l’année académique 1998-1999 de l’Institut universitaire d’études de développement (IUED) de Genève : « Si l’on prétend "faire du développement" sans

respecter les droits humains, on contribue peut-être à la croissance économique, peut-être au renforcement des pouvoirs militaires ou de répression, mais on ne "fait pas du développement" ». Les enjeux portent sur l’épanouissement de tous les êtres humains à partir des choix écologiquement, économiquement et socialement rationnels.

Le fondement philosophique de cette approche du développement se trouve particulièrement chez Aristote et Kant. Dans Fondement de la métaphysique des mœurs, Kant (1785) évoque l’idée de « l’humanité » (dans chaque être humain) comme fin en soi. D’après l’auteur, chaque être humain (par « l’humanité qui est en lui ») a une valeur et une dignité. On ne peut estimer une personne seulement en termes de prix, comme des choses. De même, le « développement humain » n’est pas tout simplement le développement des ressources humaines. Il doit prendre en compte les aspects du bien-être, de la qualité de vie, de la justice sociale, de la coopération, des nuisances sonores, de la pollution de l’air et des eaux, de l’aménagement urbain, etc. Cela consiste plus précisément à mettre la dignité et le bien-être de chaque être humain au centre des moyens de l’accroissement de la production et de la richesse. Dans l’Ethique à Nicomaque et La Politique, Aristote (IVe siècle avant J.-C.a, IVe siècle avant J.-C.b) a exposé une théorie de l’« autarkeia » (autarcie). Il s’agit de la capacité de la communauté politique, d’une part, à subvenir à ses besoins, et d’autre part, à se donner des lois propres, à définir des valeurs et à les appliquer. La famille est considérée comme une

1 La Déclaration du Millénaire, signée en l'an 2000, représente un partenariat entre les « pays développés » et les

« pays en développement » pour favoriser le développement au sens large et le respect des droits humains. Au niveau de la Cible 14 de la Déclaration, le Nations Unies visent à appliquer « le Programme d’action pour le

développement durable des petits États insulaires en développement » (ONU, 2005, p. 5).

2 Certaines organisations, et plus particulièrement Amnesty International (Amnistie Internationale), préfèrent le

concept de « droits humains » à celui de « droits de l’homme ». Il s’agit d’éviter toute ambiguïté en matière des droits de la femme ou des enfants.

communauté de biens ou de besoins quotidiens, le village comme une communauté d’entraide, et la cité comme la fin (le « ce en vue de quoi », la communauté politique de bien- être ou de bien vivre). Dans cette optique, le processus du développement d’un pays implique la prise en compte de la manière dont les potentialités humaines sont élargies et utilisées.

Dans le Rapport sur le développement humain 2014, le PNUD a fait appel à deux nouveaux concepts pour tenter d’élargir le cadre conceptuel du développement humain. Ce sont la « vulnérabilité humaine » et la « résilience humaine ». L’équipe de rédaction du rapport a souligné qu’« une approche du développement humain est incomplète si elle

n'intègre pas la vulnérabilité et la résilience à son analyse » (Malik, 2014, p. 20). Néanmoins, faire de ces notions des marqueurs ou des indicateurs du développement humain ne va pas de soi. Cela nécessite un effort de clarification ou de précision concernant le choix des concepts et leur acception en lien avec le paradigme1

du développement humain. Le fait est que les notions de vulnérabilité et de résilience ont déjà été utilisées dans des approches et dans des champs disciplinaires tout à fait différents. Nous notons, à titre d’exemples :

- les vulnérabilités des sociétés et des espaces urbanisés (D’Ercole, Thouret, Dollfus, &

Asté, 1994) ;

- la vulnérabilité dans le secteur des sciences environnementales et de la gestion des

risques naturels (Chardon, 1994; Martin, 2013; Thouret & D’Ercole, 1996) ;

- la vulnérabilité dans les sciences biomédicales (Donaldson, 1980; Fried, Ferrucci,

Darer, Williamson, & Anderson, 2004; Rockwood et al., 1999; Rubenstein et al.,

1 Le concept de paradigme a été élaboré par Kuhn (1962, 1970, 1983). En revanche, même dans la première

édition de son ouvrage, le concept a eu de multiples définitions (Masterman, 1970; Rumelhard, 2005). Cela a provoqué de nombreuses objections. Bien entendu, Kuhn a tenté d’y répondre dans les éditions successives de son livre. Par exemple, il a privilégié deux sens du concept de paradigme : « d’une part il représente tout

l’ensemble des croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui sont communes aux membres d’un groupe donné. D’autre part, il dénote un élément isolé de cet ensemble : les solutions concrètes d’énigmes qui, employées comme modèles ou exemples, peuvent remplacer les règles explicites en tant que bases de solutions pour les énigmes qui subsistent dans la science normale » (Kuhn, 1983, p. 238). D’ailleurs, il a même proposé le concept de « matrice disciplinaire » pour éviter certaines ambiguïtés. Aussi, a-t-il précisé : « disciplinaire, parce

que cela implique une possession commune de la part des spécialistes d’une discipline particulière ; matrice, parce que cet ensemble se compose d’éléments ordonnés de diverses sortes, dont chacun demande une étude détaillée. La totalité ou la plupart des éléments faisant l’objet de l’adhésion du groupe et que mon texte original désigne sous le nom de paradigme, parties de paradigmes ou paradigmatique, sont les éléments constituants de cette matrice disciplinaires ; en tant que tels, ils forment un tout et fonctionnent ensemble. Cependant ils ne doivent pas être étudiés comme s’ils étaient d’un seul tenant » (Kuhn, 1983, p. 248). Dans notre travail de recherche, nous privilégions néanmoins la variante du concept de paradigme, utilisée dans l’ouvrage (du CEPEC [Centre d'études pédagogiques pour l'expérimentation et le conseil]) dirigé par Delorme (1990). Nous considérons un paradigme comme « une communauté de croyances, de présupposés, de représentations, édifiée

à une époque donnée, en théorie dominante, pour en constituer le credo. Ce credo organise les directions et les technologies de la recherche jusqu’au moment où une révolution scientifique vient le frapper de caducité en renouvelant la vision des choses et en constituant un nouveau paradigme » (Delorme, 1990, p. 55).

1984; Salle, 2012; Speechley & Tinetti, 1991; Woodhouse, Wynne, Shelagh, James, & Rawlins, 1988);

- la vulnérabilité dans les sciences sociales (Castel, 1991, 1994, 1995) ;

- la résilience en physique des matériaux (Anaut, 2005; Dauphiné & Provitolo, 2007;

Dortier, 2008) ;

- la résilience en psychologie comportementaliste et développementaliste et en

neuropsychiatrie (E. James Anthony, Koupernik, & Chiland, 1982; Elwyn James Anthony & Cohler, 1987; Werner & Smith, 1982)1 ;

- les approches écologiques de la « résilience réactive »2 et de la « résilience proactive »3

(Berkes & Folke, 1998; Dovers & Handmer, 1992) ;

- les approches systémiques de la résilience4 (Barroca, DiNardo, & Mboumoua, 2013; Dauphiné & Provitolo, 2007; Holling, 2001; Provitolo, 2009; Pumain, Sanders, & Saint-Julien, 1989; Quenault, 2013, 2014; Sanders, 1992).

En revanche, dans le Rapport du développement humain 2014, le concept de vulnérabilité humaine a une acception propre. Il s’agit de « la perspective d'érosion des

réussites du développement humain et de leur durabilité. Une personne (ou une communauté, ou un pays) est vulnérable quand il existe un risque élevé de détérioration future de ses circonstances et de ses réussites » (Malik, 2014, p. 17-18). L’analyste du développement humain est donc appelé à prendre en compte des éléments vulnérables et des facteurs de vulnérabilité, qui fragilisent les réussites du développement humain et leur durabilité.

De même, le PNUD attire l’attention sur la « résilience humaine ». Même si la résilience systémique s’applique à tous les systèmes, physiques et sociaux, ce sont, le plus souvent, les aspects physiques qui prédominent. Jusqu’à ce jour, il n’y a pas de véritable théorie formalisée de la résilience en sciences humaines. Telle qu’elle est proposée dans le Rapport du développement humain 2014, la résilience humaine implique, à la fois, la capacité

1 Le concept de résilience a eu un grand succès dans le milieu francophone (Cyrulnik, 2001, 2004; Cyrulnik &

Seron, 2003; Manciaux, 2001). Mais, selon Hélène Thomas (2008), l’acception française du concept de résilience a été une « simple traduction sans adaptation à partir des références anglo-saxonnes desquelles elle

est tirée et dont les auteurs se revendiquent ».

2 La résilience réactive (reactive resiliency) désigne une résistance « mécanique » ou « physique » pendant les

effets d’une perturbation, c'est-à-dire la « capacité à résister » aux aléas.

3 La résilience proactive (proactive resiliency) désigne une résistance « sociale », c'est-à-dire la capacité des

membres d’un groupe ou d’une société à anticiper des aléas, à apprendre à y faire face ou à s’en remettre.

4 La « résilience systémique » renvoie à la possibilité de transformation, de renouvellement, de réorganisation,

de résistance et d'adaptation des personnes à faire face aux chocs qui réduisent le développement humain, et l’assistance qu'elles sont susceptibles de recevoir.

Dans le rapport du développement humain 2015, le PNUD décrit un lien synergique (non automatique) entre le développement humain et le « travail ». Dans cette approche, la notion de travail est plus générale que celle d’emploi. Le rapport précise : « Les emplois

fournissent des revenus et contribuent à la dignité humaine, à la participation et à la sécurité économique. La notion d’emploi exclut cependant une multitude de formes de travail dont l’influence sur le développement humain ne doit pas être ignorée, à savoir le travail de soins, le travail bénévole et le travail créatif, notamment l’écriture et la peinture » (Johan, 2015, p. 3). Le rapport met l’accent sur les quatre objectifs stratégiques de l’Agenda pour le travail décent1 définis par l’Organisation internationale du travail (OIT) dans la Déclaration de 2008, à savoir : 1) création d’emploi et développement d’entreprises ; 2) normes et droits au travail ; 3) protection sociale ; 4) gouvernance et dialogue social (Johan, 2015; OIT, 2008). Le PNUD continue donc d’explorer au fur et à mesure les différentes facettes du développement humain.

En un mot, l’analyse du développement humain d’une nation implique une démarche systémique. Cela consiste à prendre en compte dans l’analyse du développement de la vie sociale et économique les processus de transformation relatifs aux utilisations des potentialités humaines écologiquement, économiquement et socialement rationnelles. Comme le montre la littérature, les facteurs et les éléments du développement humain demeurent très difficiles à mesurer. Mais, il existe aujourd’hui des compromis autour des trois facteurs clés de l’Indice du Développement Humain, qui correspondent aux trois dimensions essentielles de la vie de l’homme, à savoir : 1) la santé (dont l’indicateur est « l’espérance de vie à la naissance / la longévité ») ; 2) l’instruction (dont les principaux indicateurs sont « la durée moyenne en années de la scolarisation des adultes âgés de 25 ans et la durée attendue / escomptée de scolarisation pour les enfants d’âge scolaire ») ; 3) le niveau de vie « décent » (dont l’indicateur est le « RNB/habitant »). Nous nous basons donc sur les trois composantes clés du développement humain pour essayer de décrire le profil actuel de la République d’Haïti.

1 Le rapport met en garde contre le travail destructeur et exploiteur (travail des enfants, travail du sexe, travail

forcé, traite des travailleurs). L’idée est que ce type de travail ont des conséquences très graves, telles que : la violation des droits de l’homme, des salaires d’exploitation, la dignité humaine brisée, la perte de liberté et d’autonomie, l’insécurité humaine…(Johan, 2015).

1.2. Le profil actuel de la République d’Haïti en référence aux

Outline

Documents relatifs