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La pertinence d’un modèle composite d’analyse des politiques

3.1. Vers une définition de la politique publique

3.1.1. De l’approche étymologique à la terminologie anglo-saxonne de la notion de politique

Les mots « politique » et « publique » ont la même étymologie grecque « polis » (« cité »). La « polis » grecque impliquait non seulement la réunion des citoyens, la ville et ses environs, mais également la « chose publique » (la « politea », l’ensemble des acteurs et des institutions composant la Cité-Etat, les « mesures d’un gouvernement »). Dans la philosophie grecque, ces dimensions théorique et pratique étaient indissociables. Nos contemporains, au contraire, ont plutôt tendance à considérer le politique comme la connaissance du phénomène et la politique comme la pratique, l'art de faire de la politique (Monière & Guay, 1987).

De manière plus particulière, l’adjectif « public », par opposition à « privé », renvoie à ce qui concerne le domaine « interindividuel » sous la direction de l’Etat. En ce sens, nous pouvons dire avec Patrick Hassenteufel (2011, p. 8) : « Les politiques publiques

correspondent à l'ensemble des actions de l'État. L'étude des politiques publiques est donc l'étude de l'État en action ». Cette définition pourrait, pourtant, prêter à confusion si l’on ne prenait pas en compte le chemin conceptuel menant à une telle acception. D’une part, comme l’a précisé Hassenteufel (2011, p. 8), « l'opposition entre public et privé n'est plus une grille

de lecture pertinente pour appréhender l'action publique. L'analyse des politiques publiques ne peut pas se limiter à l'action des autorités publiques puisque celles-ci agissent en interaction avec des acteurs non étatiques pour coproduire de l'action publique ». D’autre part, les contours étymologiques grecs des termes « politique » et « public » étant à la fois identiques et très flous, nous pourrions nous trouver dans l’impossibilité de justifier les caractéristiques fondamentales d’une « politique publique » comme objet d’étude. Bien entendu, l’approche étymologique du concept de politique offre quelques pistes intéressantes pour la réflexion. Mais, elle constituerait un « véritable travail de Sisyphe » pour un chargé d’étude, qui cherche à construire avec précision son objet d’étude.

La terminologie anglo-saxonne de la notion de politique paraît plus technique. Nous pouvons faire la différence entre quatre concepts : 1) political, 2) polity, 3) politics et 4)

policy.

1) Le « political » (le politique) se rapporte au fait social de la « cité », en matière de moyens de l'action politique (Paquin, Bernier, & Lachapelle, 2010). L’étendue et les limites exactes du « political » restent flottantes. Le « political » ferait l’objet de la science politique qui porte sur l’analyse du politique en général.

2) La « polity » (la « société politique » ou le « monde de la politique ») renvoie à l’organisation de la « cité », en matière de son gouvernement ou de sa direction. Elle se distingue de la « société civile ». Mais, la frontière entre la sphère politique et la sphère civile reste floue. Elle peut « varier selon les lieux et les époques » (1998, p. 13).

3) La « politics » (l’activité politique) « désigne les activités traditionnelles

(notamment partis politiques, groupes d'intérêts, syndicats ou nouveaux mouvements sociaux) visant la conquête du pouvoir législatif ou gouvernemental dans le respect des règles constitutionnelles et institutionnelles (que recouvre le terme de "polity") » (Knoepfel et al., 2006, p. 27).

4) Une « policy » (une politique, des politiques, « policies ») « désigne le processus

par lequel sont élaborés et mis en place des programmes d’action publique, c'est- à-dire des dispositifs politico-administratifs coordonnés en principe autour d’objectifs explicites » (Muller & Surel, 1998, p. 13).

Notre objet de recherche porte plus précisément sur la dernière acception. Il s’agit principalement de la « policy » au sens de l’utilisation du pouvoir politique pour

l’accomplissement d’une action publique. Toutefois, il n’est pas question d’exclure catégoriquement la sphère politique et les activités politiques traditionnelles. D’ailleurs, les trois derniers concepts sont particulièrement liés. Comme l’a souligné Paquin (2010, p. 8), les politiques publiques « représentent une vaste gamme de politiques (policy) qui ne sont

possibles que par la politique (politics) et qui permettent l’organisation politique de la société

(polity) ». Même si la terminologie anglo-saxonne offre un cadre conceptuel plus riche, la définition de la « policy » doit être opérationnalisée en matière d’une « politique publique ».

En effet, les auteurs ne font pas l’unanimité sur une définition de la notion de politique publique. Par exemple, pour Mény et Thoenig (1989, p. 129), « une politique publique est le

produit de l’activité d’une autorité investie de puissance publique et de légitimité gouvernementale ». Ils y attribuent cinq caractéristiques, à savoir : 1) une substance (contenu, ensemble de mesures concrètes), 2) un programme (cadre général), 3) une orientation normative (finalités, préférences), 4) un facteur de coercition (légitimité, autorité légale) et 5) un ressort social (groupe cible, bénéficiaires). D’après Muller (1990, p. 25), « il y a politique

publique lorsqu’une autorité politique locale ou nationale, tente, au moyen d’un progamme d’action coordonné, de modifier l’environnement culturel, social ou économique d’acteurs sociaux saisis en général dans une logique sectorielle ». Duran (1990, p. 40), de son côté, définit la politique publique comme « le produit d'un processus social se déroulant dans un

temps donné, à l'intérieur d'un cadre délimitant le type et le niveau des ressources disponibles à travers des schémas interprétatifs et des choix de valeurs qui définissent la nature des problèmes politiques posés et les orientations de l'action ». Au niveau de l’évolution épistémologique des courants de la politique publique, les définitions de Mény et Thoenig (1989), de Muller (1990) et de Duran (1990) restent classiques. Mais, elles présentent deux inconvénients. D’une part, elles ne permettent pas de passer en revue le processus décisionnel ou la complexité qui préside à la production d’une politique publique dans un contexte donné (Massardier, 2008). D’autre part, elles ne permettent pas de recomposer le rôle de l’Etat dans la régulation d’une politique publique aujourd’hui. Il convient de faire ressortir les enjeux de l’évolution conceptuelle de la « politique publique » pour mieux fixer notre point de vue.

3.1.2. L’évolution conceptuelle de la « public policy »

Nous rappelons que la pratique de la « public policy » se faisait aux Etats-Unis au début du XXe siècle en faveur d’un Etat fédéral efficace, tourné vers le bien-être des citoyens (Surel, 2002). Lasswell (1936), un des pères fondateurs de « l’analyse des politiques

publiques », considérait l’action publique, dans une société donnée, comme un processus permettant de répondre à la question suivante : « Qui obtient quoi, quand et comment ? » (Who gets what, when and how ?). Une telle conception mérite d’être nuancée aujourd’hui.

Easton (1965a) a déjà fait remarquer qu’une prise de décision, dans un système politique, implique trois niveaux hiérarchiques : 1) le niveau national caractérisé par l’identité, la citoyenneté et les frontières à la fois territoriales, sociales et culturelles, 2) le niveau institutionnel caractérisé par les règles, les procédures et les droits, et 3) le niveau du processus de décisions pratiques portant sur « qui obtient quoi, quand et comment », en matière de pouvoir politique et de ressources économiques. En fait, nous ne pouvons nier la portée de ce dernier niveau. Nous ne pouvons pas non plus le considérer toujours comme l’essence d’une politique publique. Cela dépend de l’aspect qui devient prédominant.

A première vue, la « public policy » pourrait être considérée comme une ligne d’action finalisée suivie par le gouvernement confronté à un problème public. J. E. Anderson (1975) avait proposé la définition suivante : « a policy is defined as a relatively stable, purposive

course of action followed by an actor or set of actors in dealing with a problem or matter of concern »1

. Dans cet ordre d’idées, toute politique suivie par un gouvernement ou une instance paragouvernementale constitue indifféremment une « politique gouvernementale » ou une « politique publique » (Fournier, 1987; Landry, 1980). Cela n’est pourtant pas si simple.

La notion de « politique publique » est née, dans les années 1960 et 1970, du concept anglo-saxon « public policy » (Knoepfel et al., 2006; Smyrl, 2002). Elle a été plus tard introduite dans le langage des sciences politiques et administratives européennes pour signifier « une politique » utilisant le pouvoir politique dans le but de résoudre des problèmes collectifs. Jusque dans les années 1980, les concepts « politiques gouvernementales » et « politiques publiques » étaient indifféremment utilisés. D’où la portée de la définition classique de Dye (1972, p. 1) : « Public policy is whatever governements choose to do or not

to do »2.

Aux yeux de plusieurs auteurs (Landry, 1980; Mény & Thoenig, 1989; Thoenig, 2010), la définition simple proposée par Dye (1972) a beaucoup de mérite. En premier lieu,

1 Landry (1980, p. 3) propose la traduction suivante : « une politique est définie comme une ligne d’action

finalisée suivie par un acteur ou un groupe d’acteurs confronté à un problème ou à un sujet d’intérêt ».

elle montre qu’il est impossible de parler d’une politique publique sans l’implication explicite des agents du gouvernement. Les œuvres caritatives d’un organisme privé, par exemple, ne peuvent pas être qualifiées de politiques publiques. Une politique publique implique nécessairement une action gouvernementale. En second lieu, elle précise que la décision ou la « non décision » d’une politique publique dépend du gouvernement. La décision d’un syndicat national, par exemple, ne peut être considérée comme une politique publique. Néanmoins, cette définition minimale doit être complétée.

Muller et Surel (1998, p. 25‑26) ont distingué trois cas de figure où la « non décision » d’un gouvernement se révèle utile pour la compréhension de l’action publique :

- la non décision intentionnelle (la situation où il est possible de montrer qu’il y a bien eu volonté de la part des acteurs politico-administratifs de ne pas décider) ; - la non décision controversée (la situation où le problème en cause fait l’objet

d’une controverse publique trop vive pour pouvoir générer les conditions de production et/ou de légitimité d’une action publique) ;

- la non mise en œuvre (la situation, dans les Etats fédéraux ou dans l’Union européenne, où une politique, décidée à un certain niveau, doit faire l’objet décisions spécifiques prises par un ou plusieurs niveaux politico-administratifs différents).

Toutefois, ces auteurs ont des réserves à l’égard de la « non décision » d’un gouvernement comme politique publique. Aussi, se sont-ils exclamés : « Si ne pas agir

entraîne souvent des effets politiques ou sociaux aussi visibles qu’une action en bonne et due forme, on ne peut évidemment pas considérer pour autant que l’on est en présence d’une politique chaque fois qu’un gouvernement ne fait rien ! » (Muller & Surel, 1998, p. 25). Pour tenter d’illustrer leur point de vue, ils ont fait référence à la communication de Laé (1993) au colloque « Les raisons de l’action publique : entre expertise et débat », organisé par le CRESAL à Saint-Etienne les 13 et 14 mai 1992. Laé (1993) a montré que le problème récurrent de l’alcool au volant a existé pendant longtemps en France, sans faire l’objet d’une loi particulière. Selon Muller et Surel (1998, p. 25), il est difficile de considérer « l’absence,

pendant une longue période, de mesures destinées à lutter contre ce fléau […] comme une politique ». L’idée est que la « non décision » d’un gouvernement n’est pas toujours une politique publique. Bien entendu, une politique publique se présente généralement comme un programme d’action gouvernementale dans un secteur de la société ou dans un espace

géographique. Ce qui pose problème dans une définition minimale des politiques publiques, c’est la prise en compte de la complexité du processus décisionnel.

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