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Le classement d’Haïti comme pays à Indice du développement humain

1.2. Le profil actuel de la République d’Haïti en référence aux catégories de l’Indice du développement humain

1.2.2. L’éducation des Haïtiens : la charnière obligée et décisive

A l’échelle internationale, Haïti constitue, avec le Bénin, le Burkina Faso, l’Éthiopie, la Gambie, la Guinée, le Mali, le Niger, le Sénégal, la Sierra Leone et le Tchad, la fameuse liste des pays dont les « taux d’alphabétisme des adultes sont inférieurs à 50 % » (ISU,

2012). Qui plus est, comme la République démocratique du Congo et le Madagascar, il a enregistré une diminution du taux d’alphabétisation des adultes entre 2000 et 2010. De 58,7 % en 2000, le taux d’alphabétisation des Haïtiens de 15 ans et plus est passé à 48,7 % en 2010, dont 53,4 % d’hommes et 44,6 % de femmes (Huebler & Lu, 2012; ISU, 2011). Le taux d’alphabétisation des hommes de 15 ans et plus passe de 63,1 % à 53,4 %, et celui des femmes, de 54,9 % à 44,6 %.

Le taux d’alphabétisation des jeunes Haïtiens de 15 à 24 ans est supérieur à celui des adultes de 15 ans et plus. Mais, il était aussi en légère diminution. Le pourcentage de filles analphabète est passé de 52,7 % en 2000 à 53,5 % en 2010. De 81,6 % en 2000, il est estimé à 72,3 % en 2010 (Huebler & Lu, 2012). Chez les jeunes garçons, il est passé de 82,7 % à 74,4 % ; et de 80,7% à 70,5 % chez les filles. Certes, le pourcentage de femmes analphabètes est en légère baisse ; mais celui des filles est en légère hausse.

Toutefois, les mesures conventionnelles utilisées pour l’estimation du taux d’alphabétisation ont des limites (Mingat et al., 2013; UNESCO, 2009). Plusieurs raisons l’expliquent. Nous pouvons citer par exemple : l’absence de standardisation de la mesure proposée entre les pays, la méthode subjective d’auto-déclaration, la variation des pratiques pour identifier les analphabètes, les différences dans la définition des populations étudiées, etc. Les compétences évaluées ont, en effet, un caractère restrictif. Comme l’a déjà souligné Rassekh (1990, p. 194), « le concept d’alphabétisation est un concept dynamique ; il change

et changera encore avec le temps. De nos jours, le simple fait de pouvoir lire et écrire ne suffit plus pour être compté parmi les alphabètes ». Dans l’évaluation du degré du développement humain, nous devons donc « relativiser » les données en matière du taux d’alphabétisation d’un pays.

En revanche, l’éducation devient incontournable aujourd’hui. Quel que soit le pays ou à plus forte raison quel que soit le taux d’alphabétisation, l’existence d’un système efficace d’enseignement primaire, de programmes d’alphabétisation des adultes et/ou de lutte contre l’illettrisme se révèle tout à fait nécessaire. D’ailleurs, non seulement l’éducation est perçue comme un des droits fondamentaux des êtres humains, elle se rattache actuellement au développement national dans son ensemble (Pilon et al., 2015; Schwille & Dembélé, 2007). Elle devient la charnière obligée et décisive entre l'accès aux biens vitaux indispensables, l'entrée sur le marché du travail et la vie dans « les sociétés du savoir partagé » (Langouët, 2011; UNESCO, 2005).

Les débats sur les concepts de société du savoir et de l’éducation tout au long de la

vie remontent aux années 1960. Il convient ici de préciser les sens de ces expressions parce qu’elles ont évolué. Tout d’abord, le concept de sociétés du savoir implique aujourd’hui une représentation de l’ordre social. Bien que les notions de savoir et de connaissance soient très proches, nous pouvons ici faire un distinguo entre elles. La connaissance dépend du sujet et lui est personnelle : elle est apprise ou acquise. La notion de savoir est plus globale : elle désigne un ensemble structuré de connaissances, s’appuyant sur un cadre théorique. Même si la sociologie accordait une préférence à l’expression de société de la connaissance, aujourd’hui l’expression société du savoir est davantage utilisée dans un contexte institutionnel. Néanmoins, vers les années 60, la société de savoir ou de la connaissance « correspondait aux premières tentatives de la sociologie et des sciences économiques de

décrire une nouvelle phase de développement des sociétés industrielles » (Reinecke et al., 2011, p. 4). Compte tenu de l’évolution du concept de « sociétés du savoir », l’Unesco (2005) a déjà proposé aux sociétés émergentes de ne pas se contenter d’être de simples composantes d’une société globale de l’information, mais d’« être des sociétés du savoir partagé » pour demeurer humaines et vivables. Ici, la société globale de l’information (au singulier) est considérée comme un fossé numérique où l’information est considérée comme une marchandise à échanger, acheter, vendre, stocker, transporter, traiter. En revanche, « les sociétés du savoir partagé » (au pluriel) désignent des sociétés qui, assumant la diversité et partageant le savoir, s’intéressent aux contenus plutôt qu’à la connectivité, à l’usage du savoir plutôt qu’à son stockage. Elles cherchent à répondre aux aspirations des humains en matière politico-socioéconomique et culturelle. En ce sens, « les sociétés du savoir » englobent la

société de connaissance qui se nourrit de sa diversité et de ses capacités, et dépassent la

société globale de l’information à la fois technologique et technocratique.

Le concept d’éducation permanente ou d’éducation tout au long de la vie a donné lieu à une vaste littérature. En France, la notion « éducation permanente » est apparu dans le vocabulaire d’éducation dans les années 1950 (Forquin, 2004). Mais, la paternité de l’expression, de manière officielle, est attribuée à Pierre Arents, chargé de mission d’inspection générale à la direction de l’éducation populaire, rattachée alors à l’Education nationale (Palazzeschi, 1999). Il a voulu remplacer, en 1955, à la fois les termes « éducation postscolaire des adultes » et « éducation populaire ». Pour lui, le terme éducation des adultes était trop marqué par « une conception scolaire de l’éducation dans ses finalités et ses modalités ». L’expression éducation populaire, elle-même, faisait trop référence au

pluralisme, voire au prosélytisme de ce milieu. A son origine, tel que le concevait Arents en 1955 et 1956, le concept d’éducation permanente englobait quatre objectifs généraux : a) la diffusion de la culture, b) la formation du citoyen, c) la reprise d’une instruction générale pour ceux qui auraient interrompu trop tôt leurs études, d) l’organisation du perfectionnement technique et des reconversions professionnelles. Néanmoins, il a fallu attendre les années 1960 et 1970 pour considérer le concept d’éducation permanente ou d’éducation tout au long

de la vie comme « "principe générateur" ou "principe organisateur" d’un nouveau système

englobant l’ensemble des institutions et des pratiques d’éducation et de formation » (Forquin, 2002, p. 20). Par exemple, en France, la formation continue dans le cadre de l’éducation permanente s’est véritablement structurée dans la fonction publique, à partir des années 1970 (Gille et al., 2006; La documentation française, 2008). Ce qui devient plus fondamental dans l’évolution et dans les diverses approches de l’idée d’éducation permanente, c’est la prise en compte d’une clarification et d’une spécification notionnelles.

L’éducation permanente n’est plus conçue comme pratiques et dispositifs traditionnels « de l’éducation des adultes ou de l’éducation populaire ». L’idée d’un complément occasionnel, accessoire ou compensatoire de l’éducation scolaire est dépassée. L’éducation

permanente ou l’éducation tout au long de la vie désigne alors « un nouveau système

d’éducation et de formation qui englobe toute la durée de la vie, concerne potentiellement tout le monde et au sein duquel l’éducation scolaire ne peut avoir qu’une fonction préparatoire » (Forquin, 2002, p. 18). Dans cette optique, « l’éducation permanente se définit

comme une éducation étendue sur toute la durée de la vie, intéressant toutes les dimensions de la vie et intégrant en un dispositif cohérent les différentes modalités possibles du processus éducationnel : initiale et continue, formelle et informelle, scolaire et non scolaire » (Forquin, 2002, p. 9, 2004, p. 11). Il s’agit là d’un décloisonnement des pratiques et dispositifs traditionnels de l’éducation scolaire ou initiale.

Au niveau international, les expressions d’« éducation tout au long de la vie » ou d’« apprentissage tout au long de la vie » ("lifelong learning") sont devenues très courantes. En général, elles mettent en lumière la notion de durée (« lifelong », « du berceau au tombeau », « pendant la durée de la vie »). L’expression d’« éducation permanente »

("lifelong education") est moins utilisée pour éviter de la confondre avec la seule « éducation

des adultes » (UNESCO, 1997, p. 48). De plus, dans les pays anglophones, une distinction subtile est faite entre les expressions "lifelong education" et "lifelong learning". Celle-ci impliquerait l’apprentissage ("learning") comme responsabilité individuelle et activité privée ;

celle-là, l’enseignement ("education") comme fait institutionnel, bien public et ressource collective. Parfois, le néologisme « lifewide learning » est utilisé pour présenter l’étendue du cadre d’apprentissage en matière de l’éducation et de la formation tout au long de la vie (CCE, 2000). Cela dit, les apprentissages formel, non formel et informel sont complémentaires dans tous les aspects de la vie. En principe, il n’y a aucune dichotomie entre les concepts d’éducation permanente et d’éducation tout au long de la vie. Ce qui se révèle essentiel, c’est qu’ils doivent être considérés aujourd’hui comme un mot d’ordre consensuel et mobilisateur, un principe générateur et organisateur d’un système flexible, diversifié et accessible, englobant l’éducation étendue sur toute la durée de la vie. Il s’agit d’enrayer l’échec scolaire ou d’éviter que des jeunes « quittent l’école sans avoir acquis des

compétences nécessaires pour participer à la société de la connaissance et intégrer facilement le marché de l’emploi » (EUROPA, 2008). L’idée fondamentale est que le progrès de scolarisation et l’élévation des niveaux de formation peuvent « réduire le nombre de

personnes peu qualifiées, "menacées d’exclusion économique et sociale" » (Quéré, 2010, p. 6).

1.3. Conclusion

Paraphrasant La Fontaine, dans la fable « Le Laboureur et ses enfants », la Commission internationale sur l’éducation pour le vingt et unième siècle, présidée par Delors (1996, p. 32), a montré « que l’éducation est un trésor ». De même, au Sommet de Lisbonne en mars 2000, les objectifs européens ont été fixés au sujet du progrès de la scolarisation et de l’élévation des niveaux de formation. Les pays de l’Union européenne tendent aujourd’hui vers une société et une économie de connaissance (Union européenne, 2006). L’alphabétisation doit permettre ainsi de mieux répondre aux grands défis qui préoccupent le monde d’aujourd’hui, à savoir : la production, la sécurité, la santé, le « vivre ensemble », le développement durable, les idéaux de paix, de liberté, de solidarité, de démocratie, de justice sociale, etc. Si dans les pays industrialisés, l’éducation n’a été qu’une conséquence du développement économique, elle devient, face aux enjeux de la globalisation, une condition sine qua non du développement humain des pays en développement.

Notre objet de recherche se rapporte particulièrement à cette composante clé du développement humain : l’éducation. C’est à partir de ce champ d’étude que nous allons questionner les politiques de la réforme éducative en Haïti, de 1979 à 2013. Il nous semble

donc que « plus les inégalités socioculturelles et économiques sont énormes, moins les politiques éducatives produisent des effets positifs ».

En effet, toute réforme éducative présuppose une réponse à un dysfonctionnement dans un système éducatif pour des raisons économiques, socioculturelles ou scientifiques (Bisaillon, 2007). Elle s’inscrit toujours dans un processus complexe pouvant susciter même des déceptions ou des contradictions (Turcotte, 2007). Par exemple, dans le système éducatif québécois, l’efficacité de la réforme curriculaire entreprise au début des années 2000 a déjà été remise en cause. Certes, l’idée fondamentale a été de favoriser la réussite de tous les élèves par le renouvellement des pratiques enseignantes. Mais, les résultats disponibles « indiquent que le rendement des élèves du primaire a diminué depuis l’implantation du

renouveau pédagogique » (Bissonnette, 2008, p. ii). Ce qu’il convient de retenir ici, c’est que la réforme de toute politique éducative constitue un processus complexe qui doit être envisagé à partir d’une démarche systémique. A priori, nous pouvons dire que la réforme d’une politique éducative est une réponse au dysfonctionnement d’une « politique » ou d’une action publique dans le secteur de l’éducation. Cette définition mérite, néanmoins, d’être affinée pour que nous puissions mettre en évidence les enjeux majeurs d’ordre politique, économique, social et culturel de notre objet de recherche. Il s’agit de construire une définition analytique, à la fois « scientifique » et « opérationnelle », qui puisse nous aider à prendre en compte les paramètres essentiels ou les éléments constitutifs du fait éducatif en matière de « politique publique » ou d’« action publique ». Notre démarche va donc consister à analyser : a) l’ambition des politiques éducatives en matière d’objectifs quantitatifs et qualitatifs, entre 1979 et 2012 ; b) les actions envisagées, leurs modalités, leurs coûts et leur faisabilité.

Dans le chapitre suivant, nous abordons une approche historique des problèmes éducatifs d’Haïti. Il s’agit précisément de mettre en lumière l’héritage socio-culturel et politique du système éducatif haïtien. Cela doit nous permettre de mieux poser la problématique de notre recherche. Comme l’a souligné Mills (1967, p. 138), « on ne saurait

poser convenablement le problème de l’homogénéité sociale (que ce soit dans la société de masse moderne ou bien dans la société traditionnelle), et a fortiori le résoudre si nous ne

procédons à une sociologie historique comparée ». Dans la construction de notre problématique, l’approche historique doit donc nous aider à mieux situer les enjeux des grandes orientations politiques de la réforme éducative engagée à partir des années 1980.

Les enjeux des actions publiques

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