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L’élaboration de l’agenda gouvernemental des problèmes collectifs Les processus liés à la mise à l'agenda des politiques publiques concernent

Triangle des composantes fondamentales d’une action publique

4.2. Les quatre étapes cycliques de l’analyse des politiques publiques

4.2.1. L’élaboration de l’agenda gouvernemental des problèmes collectifs Les processus liés à la mise à l'agenda des politiques publiques concernent

précisément la définition d’un élément fondamental : le problème public. Dans la littérature des politiques publiques, les définition de la notion de problème public varient (Sheppard, 2010). Dans notre approche, nous privilégions le processus de publicisation d’un problème. Il s’agit de savoir comment un problème entre dans la sphère publique, ou plus précisément dans l’agenda politique. Autrement dit, nous nous proposons de faire ressortir les aspects fondamentaux qui entrent en ligne de compte dans le passage d’un problème de l’agenda systémique (qui regroupe l’ensemble des problèmes sociaux concernant les acteurs publics) à l’agenda politique ou institutionnel.

L'agenda politique d'un Etat ou d'une collectivité locale est, au sens strict, « l'ensemble

des problèmes perçus comme appelant un débat public, voire l'intervention des autorités politiques légitimes » (Padioleau, 1982, p. 25). La mise en place d'une politique éducative, par exemple, est liée à une transformation de la « perception » d’un problème éducatif sui

generi considéré comme « un "construit" social dont la configuration dépendra de multiples

facteurs propres à la société et au système politique concerné » (Muller, 2008, p. 29). Mais, il existe différents points de vue au sujet du processus de la publicisation d’un problème.

D'après Padioleau (1982, p. 31), l'accès d'un problème quelconque à l'agenda politique est un processus que l'on peut diviser en quatre phases. La première (la phase initiale) correspond à l'émergence du problème. La deuxième est une phase de débat entraînant un mouvement des spécifications du problème. La troisième est considérée comme une phase de la diffusion du problème dans les publics. Enfin, la quatrième et la dernière phase correspond à l'entrée de ce problème dans le système formel de décision politique.

Favre (1992), lui-même, parle d'« activation du champ politique » à partir des mécanismes de translation et de transformation. Il s'agit, dit-il, d’un processus d'émergence (« émergence de … » ou « émergence dans… »), « qui implique le passage d’un champ à un

Les processus d'« émergence de » constitue la phase première au cours de laquelle un problème politique « émerge de ». Ces processus sont les plus linéaires ou les plus monolithiques. Selon Favre (1992), quatre modèles simplifiés peuvent les caractériser : l’émergence progressive et par canaux multiples, l’émergence instantanée, l’activation automatique et l’émergence captée. L'émergence captée est l’appropriation d’un problème par une institution extérieure au champ politique. Dans ce cas, l’institution entreprend de mettre en œuvre une gestion collective de certaines difficultés liées à au problème. Ses agents se font alors reconnaître comme les représentants légitimes et exclusifs de la population confrontée à ce problème. L'activation automatique est le fait de l’activation d’un dossier dans le champ politique sans qu'il y ait de revendication ou de demande des populations concernées.

L'émergence instantanée découle des cas spectaculaires ou catastrophiques qui ont des caractères de soudaineté et de gravité. L'émergence progressive et par canaux multiples résulte d'un individu (acteur social)1 confronté à une situation jugée injuste ou insupportable.

Quant aux processus d’« émergence dans », par opposition à l’« émergence de », Favre (1992) en distingue deux modèles : l’émergence complète et l’émergence factice. Il nomme émergence factice les situations « où le critère qualitatif de l'émergence dans le

champ est évidemment rempli, mais de manière fugace, et parfois extraordinairement fugace » (Favre, 1992, p. 12). Il illustre son point de vue en prenant l'exemple des accidents ferroviaires de l'été 1988 où tous les acteurs du champ politique (français) font des déclarations solennelles et des interpellations. L'appareil législatif de la SNCF et l'appareil syndical de la compagnie nationale, étant implicitement d'accord pour « rester entre soi » et limiter l'immixtion du politique, reprennent en charge un problème que le champ politique leur abandonne volontiers. Favre (1992) parle d’émergence complète lorsque, d’une part, un débat s’instaure sur le problème « dans le champ politique » et, d’autre part, un processus de production de décisions s’enclenche. Il a pris l’exemple récent du voile islamique (en France). Muller (2000, 2008), de son côté, considère l’élaboration de l’agenda des politiques publiques comme un lieu où une société donnée définit son rapport au monde et à elle-même. Aussi, a-t-il dit au sujet du rôle des politiques publiques : « Elles constituent des espaces (des

forums) au sein desquels les différents acteurs concernés vont construire et exprimer un "rapport au monde" qui renvoie à la manière dont ils perçoivent le réel, leur place dans le

1 Nous pouvons prendre l’exemple de l'affaire Papinski, où l’instituteur enseignant l'anglais dans un collège

d'enseignement général (CEG) conteste l'inspection défavorable d'un inspecteur non angliciste (David-Jougneau, 1988)

monde et ce que le monde devrait être » (Muller, 2000, p. 195). D’après lui, l’accès d’un problème à l'agenda politique n’est ni « naturel » ni automatique. Au contraire, cela est contingent, et dépend du « champ de forces » qui le soutient. Ce « champ de forces » est chaque fois le produit du travail spécifique des acteurs politiques, des syndicats, des associations, des « lobbys »1 ou des groupes d’intérêts, des forums, des réseaux, des communautés, etc. En Haïti, par exemple, les politiques publiques sont de plus en plus influencées par les « bailleurs de fonds »2. Muller (2000, p. 195) a précisé qu’« une politique

publique peut être analysée comme un espace au sein duquel une société (ou du moins certains acteurs sociaux) se projettent dans l’avenir ». Par conséquent, pour comprendre l’émergence d’une politique publique, il nous faut au moins deux choses : l’identification préalable des différents acteurs qui la soutiennent, et l’analyse critique des relations qui les unissent dans les processus de la politisation du problème.

Knoepfel, Larrue et Varone (2006), intégrant les points de vue des auteurs ci-dessus, proposent une approche constructiviste de l’analyse de l’agenda d’une politique publique. Selon eux, le problème public est une construction collective ou sociale, directement liée aux

1 Nous entendons les activités des lobbys au sens du « lobbyisme » défini par l’Assemblée nationale du Québec

(2002). Les articles 2 et 3 de la Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme stipulent :

« 2. Constituent des activités de lobbyisme au sens de la présente loi toutes les communications orales ou écrites

avec un titulaire d'une charge publique en vue d'influencer ou pouvant raisonnablement être considérées, par la personne qui les initie, comme étant susceptibles d'influencer la prise de décisions relativement : 1°) à l'élaboration, à la présentation, à la modification ou au rejet d'une proposition législative ou réglementaire, d'une résolution, d'une orientation, d'un programme ou d'un plan d'action ; 2°) à l'attribution d'un permis, d'une licence, d'un certificat ou d'une autre autorisation ; 3°) à l'attribution d'un contrat, autrement que dans le cadre d'un appel d'offres public, d'une subvention ou d'un autre avantage pécuniaire, ou à l'attribution d'une autre forme de prestation déterminée par règlement du gouvernement ; 4°) à la nomination d'un administrateur public au sens de la Loi sur le ministère du Conseil exécutif (chapitre M-30), ou à celle d'un sous-ministre ou d'un autre titulaire d'un emploi visé à l'article 55 de la Loi sur la fonction publique (chapitre F-3.1.1) ou d'un emploi visé à l'article 57 de cette loi. Le fait, pour un lobbyiste, de convenir pour un tiers d'une entrevue avec le titulaire d'une charge publique est assimilé à une activité de lobbyisme.

« 3. Sont considérés lobbyistes aux fins de la présente loi les lobbyistes-conseils, les lobbyistes d'entreprise et les

lobbyistes d'organisation. On entend par : 1) "lobbyiste-conseil", toute personne, salariée ou non, dont l'occupation ou le mandat consiste en tout ou en partie à exercer des activités de lobbyisme pour le compte d'autrui moyennant contrepartie ; 2) "lobbyiste d'entreprise", toute personne dont l'emploi ou la fonction au sein d'une entreprise à but lucratif consiste, pour une partie importante, à exercer des activités de lobbyisme pour le compte de l'entreprise ; 3) "lobbyiste d'organisation », toute personne dont l'emploi ou la fonction consiste, pour une partie importante, à exercer des activités de lobbyisme pour le compte d'une association ou d'un autre groupement à but non lucratif » (Assemblée nationale du Québec, 2002).

2 L’expression « bailleur de fonds » est très courante en Haïti. Elle désigne tout organisme (Unesco, Unicef,

Banque Mondiale, BID, ONG…) qui finance une politique publique. Cependant, elle reste très floue. Elle voile à tort le poids décisionnel et stratégique de ce type d’acteurs dans l’élaboration des politiques publiques. Or, comme l’a dit Peyrefitte (1998, p. 75), « l'implication financière d'un acteur institutionnel indique que ce dernier

en retire un gain ; que ce soit un gain partagé entre deux acteurs parce qu'ils cofinancent respectivement les

intérêts individuels de chacun, ou qu'il soit un gain unilatéral parce que cet acteur a pu obtenir le financement

qui lui manquait pour mener à terme son propre projet ». En Afrique francophone, il nous semble que le concept de « Partenaires techniques et financiers » (PTF) tend à supplanter avec raison l’expression « bailleurs de fonds » (Lange, 2003, p. 146).

perceptions, aux représentations, aux intérêts et aux valeurs des acteurs concernés à titre d'individus et/ou de groupes organisés, et placée sous la responsabilité des pouvoirs publics. Dans cette optique, la mise à l'agenda ou la définition politique du problème public renferme « le premier produit que l'analyste doit étudier quand il aborde empiriquement le cycle d'une

intervention publique » (Knoepfel et al., 2006, p. 137). Le problème public est alors considéré comme un problème social mis à l'agenda politique. Cela implique trois considérations à prendre en compte dans l’analyse de la définition d’un problème public.

En premier lieu, le problème public à résoudre n’est pas préalablement et clairement défini une fois pour toutes. Les objectifs de l'action publique peuvent être remis en cause. L’analyste ne peut donc pas se limiter à l'analyse « nationaliste » d’un programme législatif pour comprendre des actions publiques.

En deuxième lieu, la construction d'un problème public n'est pas une étape isolée et unique, mais un processus continu de (re)définition. Comme l’a souligné Vlassopoulou (1999, p. 19‑20), « un problème public peut être aussi bien la récupération d'une préoccupation

sociale antérieure qu'une construction politique originelle ». De plus, Bachrach et Baratz (1970, p. 6) ont montré « qu'une forme spécifique du pouvoir politique consiste justement

dans la possibilité de maintenir hors de l'agenda public certaines questions sociales ». Il arrive parfois qu’« un problème initialement public (par exemple : l'interdiction légale du

concubinage en raison d'une politique familiale en Suisse) est considéré par la suite comme relevant de la sphère privée, et, par conséquent, ne pouvant faire l'objet d'une intervention de l'État » (Knoepfel et al., 2006, p. 145). L’analyste doit éviter une approche séquentielle où chaque étape d’une politique publique (mise à l'agenda programmation mise en œuvre

évaluation) serait envisagée de manière rigide et strictement linéaire.

En troisième lieu, un problème social ne concerne généralement pas un seul secteur d'intervention, mais plusieurs. L’analyste doit éviter une approche sectorielle qui proposerait une grille d'analyse (pour chaque secteur prédéterminé) centrée uniquement sur les programmes et leurs structures politico-administratives.

Dans cet ordre d'idées, l'analyste « constructiviste » est appelé à prendre en compte plusieurs facteurs importants. Dans un premier temps, il doit chercher à comprendre les représentations qu’ont les parties prenantes de la nature du problème et à déterminer « l'histoire causale » (Edelman, 1988). Pour ce faire, il doit chercher à identifier non seulement le(s) groupe(s) qui subi(ssen)t les effets négatifs, mais aussi les origines du

problème public. Cela consiste à « désigner les responsables dont le comportement cause le

problème et qui, par conséquent doivent supporter les coûts de sa résolution » (Knoepfel et al., 2006, p. 150). Dans un second temps, il convient de déterminer l'intensité du problème public (ou l'importance des effets négatifs induits), de son périmètre (l'étendue ou la portée de ses effets négatifs par rapport aux différents groupes sociaux affectés, à leur localisation géographique et au développement dans le temps du problème), à sa nouveauté (son degré de nouveauté) et à son urgence (la crise plus ou moins conjoncturelle ouvrant la fenêtre d'opportunité). L’approche constructiviste conçoit le processus de mise à l'agenda politique

« comme une lutte de pouvoir dont l'enjeu principal et la reconnaissance ou l'imposition d'une première "hypothèse de causalité" (pré)structurant l'élaboration de la future intervention publique » (Knoepfel et al., 2006, p. 149). L'analyste peut ici se référer aux acteurs et moyens d'action (ressources et règles institutionnelles) à partir d'une liste d'idéaux (« agenda setting ») de vérification :

- la « Médiatisation » : le rôle joué par les médias (presse écrite, radiotélévision, sites

Internet) ;

- la « Mobilisation » ou « Initiatives extérieure » : l'activité des groupes de pression

et/ou des (nouveaux) mouvements sociaux ;

- l’« Offre politique » ou « Compétition électorale » : thèmes retenus (dans les

programmes et lors des campagnes politiques) par les principaux partis en compétition ;

- l’« Anticipation interne » : le lancement d'une campagne de sensibilisation par les

acteurs administratifs et les autorités publiques lors de la constitution de l'agenda politique ;

- l’« Action corporatiste silencieuse » : les relations « clientélistes » plus discrètes que

des groupes d'intérêts fort bien organisés cherchent pour accéder directement à l’arène décisionnelle « tout en évitant sciemment une médiatisation et une politisation des

politiques publiques qu’ils souhaitent soit maintenir, soit introduire ou éviter à tout prix » (Knoepfel et al., 2006, p. 159).

Bien entendu, cette liste de cinq types d'idéaux relatifs au processus de la mise à l'agenda (« agenda setting ») n'est pas exhaustive. Knoepfel, Larrue et Varone (2006) l'ont d'ailleurs souligné. Mais, l'apport du constructivisme reste jusqu'à présent fondamental. La démarche constructiviste a principalement ses racines sociologiques dans les œuvres classiques de Schütz (1967), Berger et Luckman (1967) et Mannheim (1936). Selon Sarbin et

Kitsuse (1994), l'idée fondamentale est que « The social objects are not given "in the world"

but constructed, negotiated, reformed, fashioned, and organized by human beings in their efforts to make sense of happenings in the world »1. L'accent n’est mis ni sur la « sphère individuelle » ni sur la structure sociale, mais sur les interactions. Pour ce qui est du processus de mise à l'agenda, dans l'analyse des politiques publiques, le constructivisme peut nous permettre de prendre mieux en compte le rôle des acteurs sociaux (Klotz & Lynch, 1999). A l’étape de l’analyse du processus d’élaboration du problème public, l’analyste tente donc de répondre à la question suivante : « Quels sont les principaux facteurs qui ont contribué au

processus de publicisation du problème ? ».

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