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avortée de Féry

2.2.7. Le Concordat de 1860 : vers un processus de « transfert du modèle éducatif français »

Le Concordat de 1860 est le fruit de longues négociations entre l’Etat haïtien et le Saint-Siège. Comme nous l’avons souligné ci-dessus, en 1842, le Président Boyer avait entrepris des démarches pour établir un concordat entre l’Eglise et l’Etat haïtien. Les négociations étaient vouées à l’échec. Charles Rivière Hérard, son successeur, avait tenté d’ouvrir de nouvelles négociations avec Rome. Aucune entente sur la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat n’a été trouvée. A la suite d’autres négociations en décembre 1859, le Président Guillaume Fabre Nicolas Geffrard a obtenu l’accord du Saint-Siège. Le Concordat de 1860 entre l’Etat et le Saint-Siège représente un tournant dans l’histoire du système éducatif haïtien.

Le Concordat entre l’Etat haïtien et le Saint-Siège a été signé le 28 mars 1860. L’article 12 de cet accord précise : « Dans l'intérêt et l'avantage spirituel du pays, on pourra

y instituer des ordres et des établissements religieux approuvés par l'Eglise. Tous les établissements seront institués par les Archevêques ou les Evêques, qui se concerteront, au

préalable, avec le Président d'Haïti ou ses délégués »(K. François, 2009, p. 76). En fait, le Concordat constitue un acte fondateur favorisant l’éducation chrétienne catholique. Par opposition au modèle éducatif anglais, l’Etat haïtien a choisi de favoriser un processus de « transfert du modèle éducatif français ».

Le concept de transfert de modèles éducatifs est un « construit » de l’éducation comparée. Cette discipline (fondée par Marc-Antoine Jullien de Paris en 1817) permet non seulement « d’approcher des réalités éducatives dans des contextes variés (nationaux ou

internationaux) pour en comprendre la cohérence et l’intérêt, mais aussi pour s’inspirer des réussites diverses » (Groux, 2002, p. 22). Le transfert de modèles éducatifs désigne « a

process in which knowledge about policies, administrative arrangements, institutions and ideas in one political setting (past or present) is used in the development of policies, administrative arrangements, institutions and ideas in another political setting »1

(Dolowitz & Marsh, 2000).

En Haïti, le transfert du modèle éducatif français était avant tout un choix stratégique. L’Etat haïtien tentait, en effet, de faire des compromis pour la reconnaissance de la nation haïtienne par les Etats occidentaux. D’après Joint (2006, p. 457), « il était important que le

peuple haïtien partage les mêmes valeurs morales et religieuses que ces nations, marquées par la religion chrétienne. Les dirigeants haïtiens ont alors choisi de christianiser le peuple ». Le Concordat de 1860 a été un acte fondateur dans le processus de transfert du modèle éducatif français.

Par la suite, d’autres conventions, contrats ou décrets se sont joints aux clauses du Concordat de 1860. Par exemple, l’article 1er de la convention du 6 février 1861 a fait de chaque département géographique un diocèse : « La division civile et politique de la

République servira de base à la division religieuse, c'est-à-dire qu’il y aura dans la République autant de diocèse que de départements, et que les limites et circonscriptions de ces diocèses seront les mêmes que celles des départements » (Pierre, 2012, p. 319). L’article 4 de la convention du 17 juin 1862 a fixé de conditions de l’accueil des congrégations religieuses : « Les Frères et les Sœurs de congrégations religieuses qui pourront être

demandés en Haïti, soit pour l’enseignement primaire, soit pour le service des prisons, des

1 Nous proposons la traduction suivante : « un processus au cours duquel les connaissances sur des politiques,

des systèmes administratifs, des institutions et des idées dans un contexte politique donné (passé ou présent) sont utilisées pour élaborer des politiques, des systèmes administratifs, des institutions et des idées dans un autre contexte politique ».

hôpitaux, ou tout autre, le seront aux conditions établies par leur congrégation pour leur déplacement. Le nombre à faire venir est fixe, jusqu’à nouvelle décision, à six seulement ». Tel a été le cas de l’accueil des Frères de l’Instruction Chrétienne (13 mai 1864), des Sœurs de Saint Joseph de Cluny (5 juin 1864) et des Filles de la Sagesse (mai 1875). Mais, d’une manière ou d’une autre, le Concordat de 1860 reste le premier traité qui soit formellement favorable à la fondation des établissements catholiques d’enseignement.

Le gouvernement de Geffrard (1859 -1867) a fait des efforts dans le domaine de l’instruction publique. Geffrard « fonde une école de droit, de médecine, de musique, de

navigation, et ouvre de nombreux établissements d’enseignement » (Roupert, 2010, p. 211- 212). D’après l’article 59 de sa loi du 7 décembre 1860, les matériels pédagogiques (papier, plumes, encre, ardoises, crayons, livres…) et « généralement tout ce qui est nécessaire à

l’instruction » dans les « Ecoles nationales » devait être fourni par l’Etat (Pierre, 2012, p. 345). Cela se révèlerait très positif.

Toutefois, les principales lois du gouvernement de Geffrard maintenaient de manière explicite les privilèges des officiers militaires, des fonctionnaires publics et des « citoyens qui

ont rendu des services éminents à la Patrie ». C’est le cas des articles 77 et 79 de la loi du 7 décembre 1860 :

« Art. 77. Pour être reçu en qualité d’externe de l’Etat dans un lycée, il faut être pourvu d’une lettre d’admission délivrée par la Commission locale.

« Art. 79. Les places d’élèves nationaux dans les lycées sont accordées de préférence : 1) Aux fils, frère ou neveux des citoyens qui ont rendu des services éminents à la Patrie, ou qui se sont distingués dans les armes, les lettres, les sciences, les arts et particulièrement l’agriculture ; 2) Aux fils, frères ou neveux des officiers militaires et des fonctionnaires publics ; 3) Aux orphelins ; 4) Aux enfants des autres écoles qui se sont distingués par leur bonne conduite et leur intelligence » (Pierre, 2012, p. 347).

Il en est de même pour l’article 4 de la loi additionnelle du 3 septembre 1864 : « Les

conditions d’admission dans les écoles secondaires sont les mêmes exigées par les articles 77 et 79 de la loi du 7 décembre 1860 sur l’Instruction publique » (Pierre, 2012, p. 365). Les écoles nationales étaient donc toujours fréquentées par une très faible minorité.

Entre 1859 et 1915, le Ministère de l’instruction publique a connu soixante-six (66) ministres. Au cours de cette période, aucun ministre n’a eu la chance de passer quatre années successives à la tête de ce ministère. Faute de suivi, la majorité des projets éducatifs de cette période demeurent lettre morte. Les résultats n'ont pas été à la hauteur des attentes. Par exemple, Francisque Elie Dubois était ministre de l’Instruction publique et des Cultes sous le gouvernement de Geffrard. Il était considéré comme un grand « éducateur national ». Il a

amorcé une réforme au niveau des écoles nationales rurales, qui n’a pas abouti. Il a passé une année et six mois à la tête du ministère (9 février 1860 – 10 août 1861). De même, la Constitution de 1889, en son article 24, a souligné la gratuité de l’enseignement public et le caractère obligatoire de l’instruction primaire : « L’enseignement est libre. L’instruction

primaire est obligatoire. L’instruction publique est gratuite à tous les degrés. La liberté d’enseignement s’exerce conformément à la loi et sous la haute surveillance de l’Etat » (Compilation, 2011, p. 117). De même, la loi du 29 octobre 1901, en son article 7, a précisé : « Aucune distinction ne peut être faite entre les enfants pour qui l’instruction est réclamée ;

l’Etat leur doit également à tous » (Pierre, 2012, p. 399). Malgré les efforts de Dubois, le climat sociopolitique n’était pourtant pas favorable à un changement radical au niveau de l’instruction publique.

De 1859 à l’occupation américaine en 1915, la République d’Haïti a été le théâtre des guerres civiles récurrentes. Cette période a été très marquée par les clivages sociaux et la mauvaise gouvernance. La fameuse phrase de Douyon (2004a, p. 61) fait un bilan descriptif de la situation chaotique du pays depuis la chute du président Jean-Pierre Boyer (1818 – 1843) : « Après Boyer commença un cycle qui dura soixante-douze ans dont le bilan se

résume en vingt-deux gouvernements dont un seul complétera son mandat, quatorze se terminent par une révolution, trois présidents meurent au pouvoir, un démissionne, un meurt dans l’explosion du palais, un, dit-on, est empoisonné, un fut déchiqueté par la foule ». Comme l’ont bien souligné plusieurs auteurs (Baudelot, Leclercq, Chatard, Gobille, & Satchkova, 2004b, p. ii), « un système d’éducation est une réalité sociale et historique,

étroitement liée aux conditions nationales, économiques, sociales, politiques et culturelles dans lequel il s’est développé et ne cesse souvent de se transformer ». Il nous semble que la situation socioéconomique et politique de l’époque a exercé une influence très néfaste sur l’évolution du système éducatif haïtien.

Si les lignes ont bougé en matière de restrictions légales, l’éducation reste un privilège de l’élite. En réalité, l’instruction publique continuait de garder un caractère aristocratique hérité de la période coloniale. Face à un tel système d’enseignement, les occupants américains (1915-1934) ont tenté d’imposer un enseignement technique.

2.3. La période de l’occupation américaine : la résistance et le malaise

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