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Le contexte de la proclamation de l’indépendance d’Haïti : la priorité à la gestion complexe des conflits internes et externes

Les enjeux des actions publiques éducatives en Haïti avant les années

2.2. De l’indépendance à l’occupation américaine (1804 – 1915) : l’évolution de la gestion de l’instruction publique en faveur des

2.2.1. Le contexte de la proclamation de l’indépendance d’Haïti : la priorité à la gestion complexe des conflits internes et externes

Le 1er janvier 1804, un siècle et demi avant toute décolonisation, l’indépendance de la colonie française de Saint-Domingue a été proclamée par l’Empereur Jean-Jacques Dessalines (Jacques 1er). Le premier et le nouvel Etat-nation des Noirs du Nouveau Monde est rebaptisé Haïti. Mais, la situation était très complexe. Les principaux enjeux portaient sur la recherche de la dignité et de la richesse. Dans son approche historique relative aux fondements juridiques de l’instabilité politique en Haïti, Victor (2004) parle de dilemme haïtien. Selon lui, « l’instabilité en Haïti est […] le résultat de deux forces agissant dans le même sens : l’une

d’origine interne et l’autre d’origine externe, les deux poussant les Haïtiens à renoncer aux valeurs attachées à leur modèle d’indépendance, le seul garant de leur stabilité politique » (Victor, 2004, p. 180). En parlant des valeurs attachées au modèle d’indépendance des Haïtiens, l’auteur entend les quatre valeurs sociales originelles suivantes :

- le créole comme outil de communication des esclaves ;

- le vodou comme outil de prise de conscience des conditions de vie esclavagistes ; - l’union des Noirs et des Mulâtres comme acte de mise en cause de l’idéologie de

couleur et de classes sociales ;

- les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité comme objectifs spécifiques de tous

ceux qui se sentaient victimes du système social de l’époque.

Dans cette optique, l’union des Noirs et des Mulâtres, le vodou et le créole étaient considérés comme les trois piliers de la dignité dans le nouvel Etat-nation. Le partage équitable des terres abandonnées par les grands planteurs blancs et la distribution équilibrée

du savoir auraient dû, dans ce cas, favoriser la mise en application des principes d’égalité de de fraternité. Paradoxalement, la dure expérience des problèmes à la fois internes et externes du nouvel Etat-nation a été tragique.

Sur le plan international, la « République » d’Haïti se trouvait en butte à l’hostilité et à l’ostracisme des puissances coloniales (Hookoomsing, 2006; Hurbon, 1987; Laurent-Ropa, 1993). Selon Frantz Douyon (2004b, p. 97), le pays représentait, à cette époque, « un symbole

de dignité raciale noire, inacceptable et potentiellement dangereux pour l’avenir des colonies antillaises ». Cela dit, malgré l’acte de l’indépendance, Haïti devait faire un parcours de combattant pour la reconnaissance internationale de sa liberté. Par exemple, Thomas Hart Benton (1826, p. 34‑35), alias « Old Bullion », un sénateur américain du Missouri, a fait cette déclaration au sujet de la relation des Etats-Unis avec Haïti :

« Our policy towards Hayti, the old San Domingo, has been fixed, Mr. President, for three and thirty years. We trade with her, but no diplomatic relations have been established between us. We purchase coffee from her, and pay her for it; but we interchange no Consuls or Ministers. We receive no mulatto Consuls, or black Ambassadors from her. And why? Because the peace of eleven states in this Union will not permit the fruits of a successful negro insurrection to be exhibited among them. It will not permit black Consuls and Ambassadors to establish themselves in our cities, and to parade through our country, and give their fellow blacks in the United States, proof in hand of the honors which await them, for a like successful effort on their part. It will not permit the fact to be seen, and told, that for the murder of their masters and mistresses, they are to find friends among the white people of these United States »1.

En effet, dans toute son histoire, Haïti allait être profondément marqué par la mésaventure de ses politiques internationales (Blancpain, 1999). Il s’agissait le plus souvent du pillage des fonds publics par des étrangers avec la complaisance des politiciens locaux incapables ou corrompus. En particulier, nous pouvons citer : les emprunts, la politique de la canonnière des grandes puissances, les concessions, etc. Face à l’hostilité et à l’ostracisme des puissances coloniales, les gouvernements haïtiens étaient sur le qui-vive. Ils répondaient par des politiques étrangères opportunistes.

1 Nous traduisons librement : « Notre politique envers Haïti, le vieux Saint Domingue, a été fixée, Monsieur le

Président, depuis trente-trois ans. Nous commerçons avec elle ; mais aucune relation diplomatique n’a été établie entre nous. Nous achetons d'elle du café que nous payons ; mais nous n'échangeons ni consuls, ni ministres. Nous ne recevons d’elle ni consuls mulâtres ni ambassadeurs noirs. Et pourquoi ? Parce que la paix de onze États dans cette union ne permettra pas l'exhibition parmi eux des fruits d'une insurrection nègre qui a réussi. Elle ne permettra pas aux consuls et ambassadeurs noirs de s’établir dans nos villes, de se balader dans notre pays et de donner à leurs congénères noirs des États-Unis, la preuve en main, des honneurs qui les attendent moyennant, de leur part, un effort similaire couronné de succès. Elle ne permettra pas que le fait soit vu et qu'il soit dit que pour le meurtre de leurs maîtres et de leurs maîtresses, ils trouveront des amis parmi les Blancs des États-Unis ».

Sur le plan national, la situation était encore pire. L’instabilité politique était devenue la règle de la nouvelle République. Selon Victor (2004), cela découlait du rapport aux deux facteurs originels de la nation : 1) la dignité (créole, vodou, union des Noirs et des Mulâtres) et 2) la richesse (partage de la terre et du savoir). Il a montré que ces valeurs sociales ont été sacrifiées par les Constitutions et les lois haïtiennes :

o Le « créole » comme langue a fait son entrée explicite dans la loi mère d’Haïti en 1957. L’article 35 de la Constitution précise : « Le français est la langue officielle.

Son emploi est obligatoire dans les services publics. La loi viendra déterminer les cas et les conditions dans lesquels l'usage du créole sera permis et même recommandé pour sauvegarder les intérêts matériels et moraux des citoyens qui ne connaissent pas suffisamment la langue française » (Compilation, 2011, p. 186) ; o Les pratiques du vodou avaient été considérées comme des sortilèges et des

superstitions. Le vodou a été reconnu comme religion par l’Arrêté présidentiel du 4 avril 2003. L’expression de l’article 1er est la suivante : « En attendant une loi

relative au statut juridique du Vodou, l’Etat haïtien le reconnait comme religion à part entière, devant remplir sa mission sur le territoire national en conformité à la Constitution et aux lois de la République » (Aristide, 2003) ;

o La mésentente des « Noirs » et des « Mulâtres » de l’élite dirigeante. En fait, malgré la devise d’Haïti « l’union fait la force », la pomme de discorde a été la double question « de couleur » et « de localité » (Bellegarde, 1948; Labelle, 1987). Il s’agit du principe liant des droits politiques à la couleur de la peau ou au lieu domiciliaire, qui est un héritage de la société esclavagiste de Saint-Domingue. Une seule Constitution d’Haïti a déjà fait allusion à l’union des Noirs et des Mulâtres. C’était celle de 1805, en son article 14 : « Toute acception de couleur parmi les

enfants d’une seule et même famille, dont le chef de l’Etat est le père, devant nécessairement cesser, les Haïtiens ne seront désormais connus que sous la dénomination générique de Noirs » (Compilation, 2011, p. 20) ;

o Le partage des propriétés foncières abandonnées par les grands planteurs de Saint- Domingue continue jusqu’à nos jours de susciter des conflits. Certes, l’article 12 de la Constitution de 1805 a nationalisé ces propriétés. Beaucoup d’autres lois agraires (donations, lois sur le bien rural de la famille, lois sur le cadastre, déguerpissements, expulsions, contrats…) ont vu le jour dans l’histoire du pays. La Constitution de 1987, en son article 248, a créé « l’INSTITUT NATIONAL DE

de mettre en œuvre une réforme agraire au bénéfice des réels exploitants de la terre » (Compilation, 2011, p. 270). Mais, d’après un bilan effectué par Victor (2004, p. 177), « environ un million d’hectares de terres de toutes catégories ont

été occupés de fait par les paysans sans droit ni qualité ». Jusqu’à présent beaucoup d’agriculteurs vivent dans l’insécurité foncière. Qui plus est, au niveau des gouvernements, l’exercice du pouvoir politique et l’accaparement des choses publiques ont constitué des principaux objectifs de la lutte acharnée. La majorité des dirigeants politiques ne se sont pas vraiment préoccupés du bien-être généralisé ou du bien commun. C’est, sans aucun doute, l’une des causes fondamentales de la scission du pays, après l’assassinat du « père de la Patrie » (Jean-Jacques Dessalines), le 17 octobre 1806 ;

o Le partage du savoir demeure un point délicat dans toute l’histoire d’Haïti. Certes, comme l’a souligné Victor (2004, p. 177), l’enseignement public a toujours été considéré « comme un enjeu de société de la plus haute importance ». Mais, la massification ou à plus forte raison la démocratisation de l’instruction ne pouvait pas avoir lieu. Par rapport à l’objet de notre recherche, c’est ce dernier point qui attire le plus notre attention.

Nous proposons de passer en revue les principales lois qui ont approché le partage du savoir avant 1979. Cela doit nous permettre de mieux aborder les enjeux des politiques de la réforme éducative engagée à partir des années 1980.

2.2.2. La Constitution de 1805 : vœu d’une action scolaire dans les six divisions

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