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Les militantes de la Ligue des droits de l’Homme du Québec et les groupes féministes

2.2 Vers une critique de l’organisation de la vie en société : une deuxième génération de

2.2.2 Les militantes de la Ligue des droits de l’Homme du Québec et les groupes féministes

radicales ?

Au fil des années 1970, les militantes de la LDHQ et les positions qu’elles développent en matière de droits des femmes sont influencées par les luttes féministes qui se déploient à différentes échelles. Néanmoins, tel que mentionné précédemment, les liens et les réseaux qu’elles développent se situent davantage à un niveau local, et principalement à Montréal. En effet, bien que le contexte international influence à notre avis le

59 Charlotte Bunch, « De Vienne à Beijing : la route pour la reconnaissance des droits humains des femmes

dans le monde », Charlotte Bunch, Claudia Hinojosa et Niamh Reilly, dir., Les voix des femmes et « les droits de l’Homme » : la Campagne internationale pour l’affirmation des droits humains des femmes, New Brunswick, Rutgers State University of New Jersey, 2000, p. 33; Felice D. Gaer, « Mainstreaming a Concern for the Human Rights of Women : Beyond Theory », Marjorie Agosin, dir., Women, Gender, and Human Rights A Global Perspective, London, Rutgers University Press, 2001, p. 98 à 122.

60 Felice D. Gaer, op. cit., p. 99. 61 Charlotte Bunch, op. cit.

développement de la plateforme de revendication de la LDHQ concernant les femmes, et ce plus particulièrement avec les célébrations entourant l’AIF, les archives consultées ne permettent pas d’établir de prises de contact entre les militants-tes de la Ligue et les groupes féministes qui remettent en question les outils internationaux de défense des droits et libertés de la personne. Ce phénomène témoigne, d’une part, des liens qu’entretiennent plusieurs militantes avec les groupes autonomes de femmes montréalais, dont certaines sont également membres. D’autre part, il pourrait également indiquer que les officiers du conseil d’administration et du conseil exécutif envisagent davantage la défense des droits des femmes dans un contexte local. Ainsi, ils ne lui conféreraient pas le même statut que d’autres droits dont la Ligue traite davantage à l’échelle internationale avec la FIDH, comme les violations à la liberté d’expression ou d’opinion. Les militants et les militantes de la LDHQ oscillent plutôt entre les différents courants féministes québécois, tout en voulant affirmer la spécificité de leur organisation. Nous concentrerons plutôt notre analyse sur les liens entretenus par les militants et militantes de la LDHQ avec plusieurs groupes autonomes de femmes au Québec, avant de nous pencher sur les contacts qu’ils développent également avec le Conseil du Statut de la femme.

L’arrivée d’une deuxième génération de militantes à la LDHQ, après la crise d’octobre, contribue progressivement à y faire apparaître de nouveaux axes de revendication en matière de droits des femmes. Cette deuxième génération établit, comme la première, des liens avec le mouvement féministe. Ce dernier ayant changé, les liens créés ne se limiteront plus à des groupes visant la seule égalité civile et juridique des femmes, mais également à ceux luttant désormais pour le droit des femmes à l’avortement ou encore pour la mise en place de services de garderies par l’État québécois. Les célébrations entourant l’Année Internationale de la Femme et les actions de la LDHQ pour la défense du Dr. Morgentaler sont également des occasions de prise de contact avec divers groupes autonomes de femmes. Ces liens sont d’abord et avant tout le fait des militantes de la Ligue impliquées dans sa défense des droits des femmes, certaines s’étant parfois même engagées au sein de groupes féministes extérieurs à la LDHQ. On peut cibler les liens de certaines militantes plus connues notamment avec la Fédération des Femmes du Québec, le Front de Libération des Femmes du Québec, le Centre des Femmes, et enfin avec la Coordination

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nationale pour l’avortement libre et gratuit. Plusieurs autres militantes se sont peut-être impliquées au sein de groupes et collectifs féministes, mais nos sources ne nous permettent malheureusement pas de cerner leur profil.

L’intégration de revendications concernant le droit des femmes à l’avortement est l’un des premiers signes témoignant de l’influence des groupes féministes québécois sur la plateforme de revendication de la LDHQ. En effet, cet axe de lutte sera intégré au programme de la LDHQ au début des années 1970, une période au cours de laquelle le droit des femmes à l’avortement fait l’objet d’un débat public au Québec63. Le début des années

1970 coïncide d’ailleurs avec la création du service de référence pour avortement successivement assumé par le FLFQ, par le Centre des femmes et enfin par le Comité de lutte pour l’avortement libre et gratuit64. Parallèlement aux activités du service de référence

pour avortement, le Front commun pour l’abrogation des lois sur l’avortement (FCALA) tente également de susciter un débat public sur l’avortement, principalement grâce à l’organisation de conférences de presse et de manifestations à petite échelle. Les procès- verbaux du Conseil d’administration montrent que la Ligue a été en contact, directement ou indirectement, avec ces deux groupes, dès le début des années 1970. En effet, Véronique O’Leary qui siège au conseil d’administration depuis 1972, est également membre du FLFQ et sera par la suite à l’origine de la création du Centre des femmes qui prendra le relais du service de référence pour avortement65. Par ailleurs, des militantes de la LDHQ

prennent également part aux rencontres du FCALA. C’est notamment le cas de Lizette Gervais-Sauvé qui y donne une conférence avec le Dr. Morgentaler en 197266.

63 Diane Lamoureux, « La lutte pour le droit à l’avortement (1969-1981) », Revue d’histoire de l’Amérique

française, 37, 1 (1983), p. 82.

64 L’objectif de ce service est double. D’une part, il offre un service aux femmes ayant besoin d’un

avortement en évaluant leurs besoins pour ensuite les diriger vers les ressources nécessaires. D’autre part, il organise des séances d’information sur l’avortement. Ibid.

65 Cf. Véronique O’Leary et Louise Toupin, Québécoises Deboutte ! Tome 1 : une anthologie des textes du

Front de libération des femmes, 1969-1971 et du Centre des femmes, 1972-1975, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1982, p. 45 à 50.

66 On retrouve également, à ces réunions auxquelles assiste Lizette Gervais-Sauvé, la Voix des Femmes,

l’Association des Infirmières de la Province de Québec, l’Association des Mères étant seules, et la Ligue des Jeunes Socialistes. LDHQ, Invitation à une assemblée sur l'avortement, 1972 [dossier « 24P-100: 02/20 », fonds de la Ligue des droits et libertés. A.-UQAM].

En 1974, la LDHQ publie finalement un essai intitulé La société québécoise face à

l’avortement. Léo Cormier, alors président de la Ligue, précise les raisons qui ont poussé la

LDHQ à entreprendre cette recherche et à favoriser le droit des femmes à l’avortement. Il mentionne plus particulièrement deux éléments : la position favorable de plusieurs membres de la Ligue, ainsi que des pressions exercées par des groupes et des individus extérieurs lui ayant demandé de prendre position sur cette question. Bien qu’aucun groupe ne soit directement mentionné, on peut facilement penser que la FCALA, mais également le FLFQ et le Centre des femmes ont pu, par la voix des militantes de la LDHQ qui y militent, influencer la Ligue. Par ailleurs, au fil des ans, les militantes et les rares militants impliqués dans les sous-comités de la LDHQ dédiés à la défense des droits des femmes se tiennent également au fait des activités des différents regroupements se succédant pour prendre la défense du droit des femmes à l’avortement au Québec, et notamment : le Comité de défense du Dr. Morgentaler (1973), le Comité de lutte pour l’avortement libre et gratuit (1974), puis la Coordination nationale pour l’avortement libre et gratuit (1978)67.

Malgré tout, jusqu’à la fin des années 1970, les militantes prennent la décision de garder une certaine distance avec ces regroupements, se contentant d’un statut d’observatrices:

La Ligue doit respecter les opinions des groupes qui ne partagent pas son orientation sur la question de l’avortement, et éviter de se placer dans une position où elle devrait convaincre ou faire des compromis. Les groupes engagés ont des positions largement ou légèrement différentes. Des tentatives de regroupement ont démontré l’impossibilité d’en arriver à un résultat satisfaisant. Se lancer dans une opération de regroupement nous amènerait à exclure des groupes, ce qui est gênant pour la Ligue. […] Le comité préfère laisser ses membres œuvrer dans divers groupes et entend s’assurer d’une étroite collaboration avec le plus grand nombre possible de groupes engagés dans la poursuite d’objectifs similaires.68

En effet, comme nous le verrons dans le prochain chapitre, la LDHQ reste prudente dans ses prises de position qu’elle souhaite moins radicales. Les militantes et les militantes chargés de rédiger l’étude portant sur le droit des femmes à l’avortement se rapprochent ainsi davantage d’un des axes plus modérés du discours féministe entourant cette question,

67 Diane Lamoureux (1983), loc. cit., p. 83.

68 LDHQ, Comité avortement, 1973-1976 [dossier « 24P7b-11 », fonds de la Ligue des droits et libertés. A.-

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soit la maternité librement choisie. Selon Diane Lamoureux, cet axe situe la maternité dans son contexte économique et social et met de l’avant la nécessité, pour les femmes, de contrôler leur corps et décider de leurs maternités69. On est loin de la posture idéologique du

FLFQ pour lequel revendiquer le droit à l’avortement correspond davantage à un refus de la vocation maternelle70. Selon les militantes de la Ligue, leur rôle se limite à analyser la

réalité sociale et les valeurs entourant la pratique des avortements et les nécessités qui en découlent. Elles prônent ainsi des positions moins radicales que certains groupes féministes, tout en restant en accord avec d’autres. Nous y reviendrons.

Un rapprochement des militantes de la LDHQ avec certains courants féministes plus radicaux se fait toutefois sentir dans la deuxième moitié des années 1970. Ce phénomène concorde avec la création du Comité Femme, un sous-comité de la LDHQ créé en 1976-1977 et succédant au Comité sur la condition des femmes qui avait été mis sur pied en 197571. Danièle Fréchette, Liliane Benhamou, Gervaise Bouchard et Pierre

Marquis, à l’origine de cette nouvelle initiative, désirent mettre sur pied une plateforme sur les droits des femmes s’inspirant directement du travail et des idées développés par les groupes féministes québécois. Les militantes procèdent d’abord à un recensement des principaux groupes féministes existant à Montréal, et plus largement dans la province de Québec72. Soucieux de ne pas faire double-emploi et de mieux asseoir la plateforme qu’ils

veulent développer, ce militant et ces militantes entreprennent de rencontrer certains groupes féministes en leur demandant d’identifier leur ligne politique, les services qu’ils offrent, et ce qu’ils aimeraient que la LDHQ développe comme services, actions ou revendications pour défendre les droits des femmes.

Les militants-tes rencontreront tour à tour : le Centre de la femme nouvelle, le comité féminin de la CSN, la Fédération des femmes du Québec, le Centre d’information féminin, Action-femmes du CSF, le Centre d’information et de référence pour femmes,

69 Diane Lamoureux (1983), loc. cit., p. 86-87.

70 Ibid.; voir également Véronique O’Leary et Louise Toupin, op. cit.

71 Voir Annexe 1 : sous-comités de la LDHQ dédiés à la défense des droits des femmes, 1963 à 1980.

72 Un dossier complet des archives est ainsi constitué de listes de groupes féminins et féministes classés par

régions avec le nom de la présidente ou du responsable, les coordonnées et les numéros de téléphone. LDHQ, Listes d’associations provinciales et régionales, 1978 [dossier « 24P7b-7 », fonds de la Ligue des droits et libertés. A.-UQAM].

Action-travail des femmes, le Comité de lutte pour l’avortement libre et gratuit, le Centre d’auto-santé des femmes, le Réseau d’Action et d’Information Féminins (RAIF), la Ligue des femmes et le Centre d’information féminin. Tous basés à Montréal, certains de ces groupes féministes tels que le RAIF et Action-travail des femmes se présentent comme plus radicaux et fondent également leurs luttes féministes sur une critique du système capitaliste. D’autres comme la FFQ sont plus modérés. Plusieurs, enfin, luttent pour le droit des femmes à l’avortement et la mise en place de services de garderie, notamment la Ligue des femmes et le Centre d’information et de référence pour femmes. C’est à la suite de ces diverses rencontres que le Comité Femme de la LDHQ décidera de définir une ligne politique claire qui permettrait, selon lui, de rejoindre les femmes collectivement73. En se basant sur les théories développées par les féministes marxistes74, les membres choisiront ainsi de dénoncer en 1977 le système capitaliste responsable des injustices faites aux femmes et de soutenir les idéaux socialistes75, tout en prenant leurs distances face à certaines formes de féminisme jugées trop radicales :

Après discussion, les principes suivants sont adoptés :

1. C’est dans la nature du capitalisme de favoriser les injustices face aux femmes, comme groupe social. 2. Au niveau des principes, le socialisme propose des solutions qui nous apparaissent valables. 3. Cependant, nous sommes conscientes que tous les problèmes ne seront pas réglés, même en supposant l’avènement du socialisme. 4. Nous nous désolidarisons de la notion féministe de ″guerre des sexes″, bien que le féminisme radical ait permis de dénoncer des situations criantes d’injustices.76

À la suite de cette prise de position, le comité fera pression sur les instances décisionnelles de la Ligue afin qu’elles développent des relations plus étroites avec les groupes féministes québécois en créant des alliances, en favorisant des fronts communs, et en développant un engagement continu et une action à long terme dans la défense des droits des femmes.

73Voir Annexe 1 : sous-comités de la LDHQ dédiés à la défense des droits des femmes, 1963 à 1980.

74Il s’agit du terme employé par les militantes de la LDHQ. Néanmoins comme l’a démontré Louise Toupin,

le féminisme d’inspiration marxiste se divise aussi en plusieurs sous-courants soit les courants féministes socialistes, populaires et du salaire contre travail ménager. Le discours développé par la LDHQ semble davantage être tributaire d’une forme de féminisme socialiste qui tente de comprendre comment le patriarcat s’articule au capitalisme en parlant de deux systèmes d’oppression. Louise Toupin, « Les courants de pensée féministe », Version revue du texte Qu'est-ce que le féminisme? Trousse d'information sur le féminisme québécois des 25 dernières années, op. cit.

75 LDHQ, Comité Femme, 1977 [dossier « 24P7a2-a3 », fonds de la Ligue des droits et libertés. A.-UQAM]. 76 Ibid.

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En effet, en 1978, peu avant la mise sur pied à la LDHQ de l’Office des Droits des femmes, les militantes du Comité femme, dans un document intitulé De la nécessité que la

Ligue des droits de l’homme se préoccupe des femmes, soutiennent que la Ligue, par son

action non-partisane, pourrait devenir un intervenant valable auprès de la population et du gouvernement pour mettre de l’avant et soutenir des revendications de base et universelles des mouvements féministes. C’est dans cette perspective qu’elles demanderont que les membres de la LDHQ participent à divers groupes : le Regroupement des forces féminines du Québec organisé par la Ligue des femmes, le Comité sur le sexisme dans les médias, et la Coordination nationale sur l’avortement libre et gratuit où la Ligue bénéficie du statut d’observateur. Selon les militantes du Comité Femme :

Parce qu’elle n’adhère à aucun parti politique, [la LDHQ] conserve une crédibilité certaine et peut, lors de ses interventions, tenir compte à la fois des besoins réels des femmes des milieux populaires (grâce à des contacts entretenus avec les groupes autonomes de femmes) et de la perspective globale de l’action féministe. Elle doit revendiquer des changements visant à résoudre certains malaises sociaux dans l’immédiat (nécessité d’une action collée à la réalité) car la théorie seule ne modifie en rien l’existence de l’inégalité hommes/femmes. 77

De l’avis des militantes, l’engagement de la LDHQ serait d’autant plus important que le contexte québécois de la fin des années 1970 est marqué par une récupération politique des luttes féministes, notamment par le Parti libéral du Québec ainsi que par le Parti québécois, amorçant une ère de piétinement. Dans ce contexte, la Ligue qui reste non-partisane aurait ainsi, selon elles, la possibilité de fournir un appui non négligeable aux groupes féministes québécois dans la poursuite de leurs actions.

Ces recommandations auront toutefois peu d’écho auprès des instances décisionnelles de la LDHQ. Ni le conseil d’administration ni le conseil exécutif ne suivront l’exemple des militantes du Comité Femme, puis de l’Office des droits des femmes en 1978-1979 qui, seules, s’efforcent d’établir des liens solides entre la Ligue et certaines factions du mouvement féministe montréalais. La disparition de l’Office en 1980 pour cause de problèmes financiers et de démissions en cascade (voir Chapitre I) sonne d’ailleurs le glas de ces efforts. Si certains enjeux, comme celui de la pornographie en

1984, favoriseront encore certaines reprises de contacts très ponctuelles, l’impulsion donnée durant les années 1970 par les militantes du Comité Femmes et ensuite de l’ODF s’est éteinte. Le développement de liens durables avec les mouvements féministes québécois reste ainsi fragile. Par ailleurs, au cours de cette période, les militants-tes de la LDHQ sont également soucieux de développer des liens avec le Conseil du statut de la femme (CSF) qui peut soutenir financièrement leurs projets.

2.2.3 Pour le développement d’un féminisme d’État : la LDHQ et le Conseil du statut