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L’Office des droits des femmes 1978 à 1985 : défendre les droits sociaux, politiques et

3.2 Des droits civils et politiques aux droits sociaux, économiques et culturels : vers une critique

3.2.3 L’Office des droits des femmes 1978 à 1985 : défendre les droits sociaux, politiques et

Créé en 1978, l’Office des droits des femmes (ODF) est un comité féminin dont l’objectif principal est la promotion des droits sociaux, politiques et économiques des femmes des milieux populaires67. Dès sa création, les militantes et employées qui s’y impliquent bénévolement sont actives sur plusieurs fronts. D’une part, elles collaborent avec le service de référence existant à la Ligue pour offrir des services gratuits de

66 LDHQ, Comité Femme, juin 1978 [dossier « 24P7 a2/3 », fonds de la Ligue des droits et libertés. A.-

UQAM].

67 Pour la composition de l’Office des droits des femmes, voir le tableau 3 dans le premier chapitre : « Sous-

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consultation, de documentation et de référence servant à orienter les femmes victimes de discrimination en fonction de leurs besoins plus particuliers. En effet, en 1972, les membres de la Ligue avaient mis sur pied un service de référence pour recueillir les plaintes individuelles ou collectives concernant les violations aux droits de la personne. Il comprenait un service d’accueil et de référence où une employée permanente était chargée de recevoir les plaintes qu’elle dirigeait ensuite vers des avocats spécialisés qui avaient accepté de travailler avec la Ligue68. Avec la création de l’ODF, en 1978, le service sera enrichi de l’accès à une documentation concernant plus spécifiquement les droits des femmes et traitera de manière beaucoup plus active les plaintes déposées par des femmes.

Il est difficile d’évaluer le succès de ce service auprès des Québécoises. En effet, il est impossible d’avoir accès aux dossiers traités par les membres de la Ligue. Ces derniers sont classés confidentiels par le service des archives de l’Université du Québec à Montréal. Cependant, certains procès-verbaux du conseil d’administration et d’assemblées générales annuelles font état des types de plaintes les plus souvent traitées, notamment « condition féminine », « famille », « enfance et adolescence », et « assistance sociale »69. Il semble donc que les femmes ont bien eu recours au service de la Ligue. Toutefois, aucune donnée ne permet de connaître la nature exacte de ces demandes, ni leur proportion par rapport au total de plaintes reçues. Ces informations auraient pourtant été précieuses pour établir le profil des femmes touchées par le discours et les actions de la Ligue. Elles auraient également permis d’évaluer l’impact de la création de l’ODF et des tentatives de ses militantes pour faire connaître les services de la Ligue auprès des femmes dans la société québécoise.

Parallèlement à ce service d’aide juridique, les militantes de l’ODF participent également à plusieurs coalitions regroupant des groupes féministes québécois. On les retrouve, notamment au sein de la coalition SOS Garderies mise sur pied en réponse aux menaces d’éviction pesant sur plusieurs garderies populaires à Montréal en 1978, soit : la

68 LDHQ, Procès-verbaux du Conseil d’administration, 14 février 1976 [dossier « 24P/62 : 02/8 », fonds de la

Ligue des droits et libertés. A.-UQAM]. LDHQ, Charte, Statuts et règlements, lettres patentes, 1972 [dossier « 24P112: 02/2 », fonds de la Ligue des droits et libertés. A.-UQAM].

69 LDHQ, Assemblée générale, juin 1979 [dossier « 24P-162: 03/12 », fonds de la Ligue des droits et libertés.

Garderie Soleil, la Garderie Jean-Talon et la Garderie St-Louis 70. Les principales revendications du mouvement visent, d’une part, la mise en place d’un réseau de garderies gratuites contrôlé par les usagers, et d’autre part, la défense du réseau des garderies populaires créé au Québec dans les années 197071. La question du droit des femmes à l’avortement fait également toujours partie des priorités des militantes de l’Office qui s’impliquent au sein de la Coordination nationale pour l’avortement libre et gratuit créée en 1978. La forme exacte prise par cet engagement reste toutefois difficile à déterminer, les archives ne mentionnant leur participation qu’à titre d’observatrices aux congrès et aux réunions organisés par la Coordination. Les militantes feront pression sur le conseil d’administration pour que la Ligue s’y implique plus activement. Néanmoins, tel que mentionné dans le deuxième chapitre, leur demande restera sans réponse72.

En plus de leur participation à ces coalitions, les militantes s’impliquent dans plusieurs dossiers touchant les droits des femmes dans la société québécoise. Elles se montrent plus particulièrement actives dans deux dossiers : le projet de loi C-52 sur l’amendement du code criminel canadien relativement à la prostitution et à la définition d’agression sexuelle, ainsi que le nouveau projet de loi québécois visant la révision de la condition juridique de la femme mariée pour la modification des régimes matrimoniaux et la reconnaissance de l’obligation ou pension alimentaire.

En réponse à des plaintes reçues par l’employée permanente de l’Office, les militantes collaborent de plus avec le Conseil du statut de la femme pour faire modifier les formulaires d’obtention de passeports afin de permettre aux femmes mariées d’utiliser leur nom de naissance. Elles font également pression sur le gouvernement québécois pour faire

70 LDHQ, Droit au service de garde, 1978-1979 [dossier « 24P7b/19 », fonds de la Ligue des droits et

libertés. A.-UQAM].

71 Entre 1971 et 1973, les projets Perspectives jeunesse et Programme d’initiatives locales financés par le

gouvernement canadien favorisent l’ouverture de soixante-dix garderies sans but lucratif à la grandeur de la province, dont une trentaine à Montréal seulement. Néanmoins, en 1973, le retrait des subventions fédérales met en péril la survie de ces garderies populaires et la plupart ferment leurs portes les unes après les autres. C’est ce contexte qui mène à la mise en place d’un regroupement de parents qui se mobilisent à l’échelle de la province pour sauver les garderies populaires. Des « garderies pop ». Les Archives de Radio-Canada. Société Radio-Canada. Dernière mise à jour: 7 juin 2006. [Page consultée le 14 septembre 2012.] http://archives.radio-canada.ca/societe/famille/clips/11668/.

72 Voir chapitre 2, section 2.2.2 : « La Ligue des droits de l’Homme du Québec et les groupes féministes

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réformer la loi électorale du Québec dans l’espoir qu’il retire des listes de professions occupées par les femmes la catégorie « Madame »73. On les retrouve également dans les manifestations s’opposant à la censure qui frappe en 1978 la pièce Les fées ont soif de Denise Boucher, ou celles entourant l’Affaire Dalila Maschino74. L’histoire de cette Algérienne installée depuis août 1975 à Montréal avec son mari franco-algérien, enlevée par son frère et ramenée de force en Algérie, est alors largement médiatisée. Une coalition s’organise rapidement pour prendre la défense de la jeune femme et réclamer son retour75. Enfin, réagissant aux gestes de violence posés à l’endroit d’une femme dans l’émission Les

Bergers, à Télé-Métropole, elles participent également à un comité dénonçant le sexisme

dans les médias76.

En 1978-1979, les militantes de l’Office sont ainsi particulièrement actives dans plusieurs dossiers touchant les droits sociaux et économiques des femmes. Elles s’attaquent également aux représentations véhiculées par le langage et dans les médias. En s’intéressant aux structures linguistiques et aux expressions qui contribuent à poser le masculin comme référent universel et servant de support à la construction des rôles sociaux sexués, elles sont amenées à poser un regard critique sur la Ligue et sur le langage des droits de l’« Homme » qui y est utilisé. Dès 1975, dans un mémoire rendu à l’Assemblée nationale du Québec, le conseil d’administration de la Ligue précisait que ce n’est pas le terme « homme » qui devrait exprimer l’être humain universel, mais plutôt celui de « personne », puisque « le devenir humain est fondamentalement lié à l’action conjointe et complémentaire de l’homme et de la femme »77. Il faut néanmoins attendre encore quelques années avant que les membres de la Ligue appliquent à leur propre organisation la position qu’ils avaient défendue devant le gouvernement québécois.

73 Lettre envoyée par la Ligue au Président des Élections Provinciales, profession « Madame », listes

électorales, 16 octobre 1978, 1 p. [dossier « 24P7b-3 », fonds de la Ligue des droits et libertés. A.-UQAM].

74 LDHQ, Office des droits des femmes (O.D.F.), 12 octobre 1978 [dossier « 24P7 a/4 », fonds de la Ligue des

droits et libertés. A.-UQAM].

75 Le comité pour la libération de Dalila, « Dalila Maschino », Les Cahiers du GRIF, n° 23-24 Où en sont les

féministes ?, p. 157 à 162.

76 LDHQ, Violence et sexisme dans les médias, 1977-1978 [dossier « 24p7b/28 », fonds de la Ligue des droits

et libertés. A.-UQAM].

77 Ligue des droits de l’homme, Mémoire présenté à la commission parlementaire de la justice de

l’assemblée nationale du Québec sur le projet de loi 50 : Loi sur les droits et libertés de la personne, Janvier 1975, Montréal, LDHQ, 1975, p. 13.

La critique du langage des droits utilisé par les membres de la Ligue est alors le fait des militantes de l’ODF qui s’engagent dans une véritable croisade pour féminiser le langage de la Ligue. Jugeant l’expression « droits de l’homme » sexiste, les militantes de l’Office souhaitent faire modifier le nom de la ligue. Une assemblée générale extraordinaire sera d’ailleurs organisée le 25 septembre 1978 pour discuter de la question. Les militantes de l’Office y défendent une proposition dont l’argumentaire s’appuie sur les dernières positions présentées par l’Office de la langue française du Québec :

Attendu que l’Office de la langue française, […] a pris, entre autres, la résolution de remplacer dans tous les textes officiels le mot homme par personne ou être humain, ceci pour en arriver à l’éradication du sexisme dans la langue française ;

Attendu que la définition que donne le dictionnaire Larousse de droits civils est la suivante : droits appartenant à tous les membres d’une société quels que soient leur âge, leur sexe ou leur nationalité ;

En conséquence, l’Office des droits des femmes de la Ligue des droits de l’homme propose le changement du nom de LA LIGUE DES DROITS DE L’HOMME en celui de LA LIGUE DES DROITS CIVILS.78

Le nom de Ligue des droits et libertés (LDL) sera finalement retenu par l’Assemblée, l’expression « droits civils » renvoyant uniquement aux droits civils et politiques du citoyen, et laissant par le fait même de côté tout un pan du travail de la Ligue. Par la suite, les militantes de l’ODF tenteront d’élargir ce combat en faisant pression sur la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) avec lequel la Ligue collabore depuis le début des années 1970, une tentative qui ne semble pas avoir porté fruit puisque la Fédération utilise, encore aujourd’hui, le terme « droits de l’Homme »79. Au début des

années 1980, les noms de tous les sous-comités de la Ligue seront également féminisés. On parle maintenant du comité des droits des travailleurs-euses, des immigrants-tes, etc. Les militantes de l’ODF ont ainsi réussi à remettre en question la structure androcentrique du langage employé à la Ligue, une victoire qui témoigne également de l’influence de l’inscription des droits des femmes sur la structure institutionnelle de l’association.

78 LDHQ, Office des droits des femmes (O.D.F.), 12 octobre 1978 [dossier « 24P7 a/4 », fonds de la Ligue des

droits et libertés. A.-UQAM].

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Néanmoins, une crise interne secouant la Ligue à la fin des années 1970 et au début des années 1980 vient remettre en question ces acquis. En effet, tel que mentionné dans le premier chapitre de ce mémoire, la fin des années 1970 et le début des années 1980 sont caractérisées par une importante crise financière et institutionnelle qui force progressivement la Ligue à revoir en profondeur son fonctionnement. Cette période est marquée par la démission en bloc des employées permanentes qui militaient bénévolement, parallèlement à leurs tâches rémunérées, au sein de l’Office des droits des Femmes. Le départ de ces militantes actives, sonne du même coup le glas de l’ODF, et freine la lutte de la Ligue concernant la défense des droits des femmes. Malgré la disparition de l’ODF en 1980, on voit périodiquement resurgir des dossiers concernant la condition féminine jusqu’en 1985, année où s’est arrêté notre dépouillement. La défense du droit des femmes au travail, à un salaire égal et à des conditions de travail sécuritaires fait toujours partie du discours des membres de la Ligue, sans toutefois donner lieu à des actions concrètes. Un projet de sensibilisation à la pornographie et à ses conséquences est également mis sur pied, donnant essentiellement lieu à des ateliers de discussion entourant cette question. Les membres de la Ligue parrainent également un projet d’étude sur le viol produit par deux étudiantes membres de son conseil d’administration et de son conseil exécutif, soit: Lucie Laurin et Johanne Voghel80. Toutefois, ces actions ne s’articulent plus en fonction d’un programme visant la défense des droits des femmes. Comme au début des années 1960, il s’agit davantage d’actions ponctuelles.

La décennie des années 1970 aura été le théâtre d’une véritable prise de conscience des rapports de genre présents tant au sein de la société québécoise qu’au sein de la ligue elle-même, une prise de conscience qui s’essouffle après 1980. Dans la prochaine section, nous chercherons donc à voir si, dans l’ensemble, les revendications portées par les militants et les militantes de la Ligue ont permis de prendre en compte la pluralité des inégalités vécues par les femmes.

80 Lucie Laurin et Johanne Voghel, Viol et brutalité : tout ça pour un peu de pouvoir, Montréal,

3.3 Intersectionnalité et rapports de genre à la Ligue des droits de