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Le genre et les limites de l'universalité : la Ligue des Droits de l'Homme du Québec, 1963-1985

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Le genre et les limites de l’universalité :

La Ligue des Droits de l’Homme du Québec, 1963-1985

Mémoire

Marie-Laurence B. Beaumier

Maîtrise en Histoire

Maître ès arts (M.A.)

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RÉSUMÉ

Ce mémoire porte sur la prise de conscience et l’intégration des rapports de genre aux revendications de la Ligue des Droits de l’Homme du Québec (LDHQ) de 1963 à 1985. Le discours et les actions de la LDHQ sont étudiés principalement à partir des procès-verbaux des diverses instances décisionnelles de la Ligue (conseil d’administration, conseil exécutif, Assemblée générale annuelle, etc.) qui permettent de suivre l’évolution de son orientation et de ses revendications. Créée en 1963, la LDHQ se démarque progressivement dans le paysage social et politique québécois au cours des années 1970 par ses revendications en faveur d’une Charte des droits et libertés de la personne. Cette période est également caractéristique, à la Ligue, d’un élargissement de la notion de droits humains qu’elle utilise et des groupes dont elle prend la défense. La Ligue définit ainsi une nouvelle plateforme de revendication plus axée sur les droits socio-économiques et au sein de laquelle les droits des femmes finissent par occuper une certaine place, sans complètement s’effacer derrière les droits de l’« Homme », ou les « droits de la personne ». Méconnue, cette évolution constituera le cœur de ce mémoire. Comme on le verra, celle-ci est d’ailleurs étroitement liée aux caractéristiques des membres de la Ligue et à leurs liens avec les mouvements féministes québécois.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

TABLE DES MATIÈRES ... v

LISTE DES ABRÉVIATIONS ... vii

LISTE DES TABLEAUX ... ix

REMERCIEMENTS ... xiii

INTRODUCTION... 1

CHAPITRE I ... 29

1.1 Portrait d’une première génération de militantes à la Ligue des droits de l’Homme du Québec, 1963 – 1971... 32

1.1.1 La LDHQ en 1963 : un regroupement d’hommes de loi ? ... 33

1.1.2 Thérèse Casgrain : une militante féministe à la Ligue des droits de l’« Homme »... 37

1.1.3 Un club sélect masculin ? Représentations militantes et inégalités structurelles... 43

1.2 La Ligue des droits de l’homme du Québec après 1970: renouvellement et féminisation du militantisme... 45

1.2.1 Pour une diversification du visage militant à la LDHQ ... 46

1.2.2 1972-1979 : vers une féminisation des instances décisionnelles de la LDHQ ? ... 49

1.2.3 Le statut des employées de la LDHQ : entre permanence et précarité ... 54

1.2.4 Émergence d’une troisième génération de militants et de militantes à la LDHQ, 1980-1985: où en sont les femmes ? ... 58

Conclusion: femmes, militantisme et droits de l’« Homme » ... 61

CHAPITRE II ... 65

2.1 L’impact du féminisme libéral égalitaire sur la LDHQ : pour une défense des droits civils et politiques des femmes mariées, 1963-1971 ... 67

2.1.1 Le mouvement féministe québécois : émergence et évolution ... 68

2.1.2 Militantes de la LDHQ et militantes féministes : donner à la femme mariée sa pleine capacité juridique, 1963 à 1971 ... 73

2.2 Vers une critique de l’organisation de la vie en société : une deuxième génération de militantes au confluent de divers courants et groupes féministes québécois, 1972 à 1985 ... 76

2.2.1 Le nouvel élan des féminismes québécois ... 77

2.2.2 Les militantes de la Ligue des droits de l’Homme du Québec et les groupes féministes québécois (1972-1985) : vers le développement de sensibilités plus radicales ? ... 80

2.2.3 Pour le développement d’un féminisme d’État : la LDHQ et le Conseil du statut de la femme ... 87

Conclusion ... 93

CHAPITRE III ... 95

3.1 La « période juridique » : 1963 à 1971 ... 96

3.1.1. Réformer le statut juridique des femmes mariées et les régimes matrimoniaux... 98

3.1.2 Les limites du légalisme ... 103

3.2 Des droits civils et politiques aux droits sociaux, économiques et culturels : vers une critique de l’organisation de la vie en société au Québec ... 106

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3.2.2. La Ligue des droits de l’homme du Québec : un intervenant efficace en matière de

condition féminine ? ... 113

3.2.3 L’Office des droits des femmes 1978 à 1985 : défendre les droits sociaux, politiques et économiques des femmes des milieux populaires ... 117

3.3 Intersectionnalité et rapports de genre à la Ligue des droits de l’homme du Québec ... 123

3.3.1. Les femmes comme catégorie homogène : 1963 à 1970 ... 123

3.3.2. Penser le pluralisme dans la défense des droits des femmes à la LDHQ ? ... 125

3.3.3. Articuler les rapports sociaux sexués aux rapports de classe ... 127

Conclusion ... 130

CONCLUSION ... 131

BIBLIOGRAPHIE ... 137

I. SOURCES ... 137

Fonds de la Ligue des droits et libertés (24P), service des archives et de la gestion des documents de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). ... 137

Sources complémentaires concernant la LDHQ ... 137

Conventions et chartes internationales des droits et libertés ... 138

II. ÉTUDES ... 138

Histoire des femmes, du féminisme et du genre ... 138

Droits et libertés de la personne / Droits des femmes ... 144

Sexe et militantisme ... 149

Théorie et méthodologie... 150

ANNEXES ... 153

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

AIF : Année Internationale de la Femme

A-UQAM : Archives de l’Université du Québec à Montréal CANA : Comité d’appui aux nations autochtones

DUDH : Déclaration Universelle des Droits de l’Homme FIDH : Fédération internationale des droits de l’Homme FCDH : Fédération canadienne des droits de l’Homme FFQ : Fédération des Femmes du Québec

FLFQ : Front de libération des femmes du Québec

LDHQ : Ligue des Droits de l’Homme du Québec et Ligue des droits et libertés OIT : Organisation Internationale du Travail

ODD : Office des droits des détenus ODF : Office des droits des femmes ONU : Organisation des Nations Unies SDN : Société des Nations

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LISTE DES TABLEAUX

TABLEAU I-CONSEIL D’ADMINISTRATION ET CONSEIL EXECUTIF DE LA LDHQ,1963-1971 ... 41

TABLEAU II-CONSEIL D’ADMINISTRATION ET CONSEIL EXECUTIF DE LA LDHQ,1972-1980 ... 51

TABLEAU III-SOUS-COMITES DROITS DES FEMMES DE LA LDHQ,1975-1980... 56

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« Nous connaissons toutes les dates importantes qui marquent des acquis pour les femmes : le suffrage, l’autonomie juridique des femmes mariées, le nouveau Code de la famille, la disparition du Code criminel

des dispositions sur l’avortement et la contraception, les changements de la loi concernant le viol, etc. Nous savons aussi que changer les lois s’est avéré une entreprise très difficile. Mais comparé à l’entreprise

de changer les attitudes et les mentalités, changer les lois est tellement facile ! Or, il n’y a pas

une seule date pour marquer ce changement. »

Micheline Dumont, « Réfléchir sur le féminisme du troisième millénaire »,

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REMERCIEMENTS

Ce mémoire n’aurait pu être réalisé sans l’appui financier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et du Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC). Je tiens également à remercier le Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ) pour les bourses décernées et le soutien technique offert au fil de mon parcours.

Je tiens tout spécialement à remercier Aline Charles sans laquelle je n’aurais pu mener ce projet à terme. Directrice exceptionnelle, elle m’a poussée à aller toujours plus loin. Son écoute, ses encouragements et son soutien ont été mes repères les plus sûrs dans les moments de doute.

Mes pensées reconnaissantes vont également vers Marilyne, Hélène, Éliane, Rosalie, Martin, Germain, Maëlle, Camille et Laurence pour leurs conseils, leur appui et leur amitié.

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INTRODUCTION

En 1976, le gouvernement québécois adopte la loi 50 créant la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Jérôme Choquette, alors ministre de la justice, n’hésite pas à la présenter comme un nouveau contrat social. Symbole des valeurs de la société québécoise, la Charte doit réguler les rapports entre citoyens en fonction de la dignité humaine, en plus de déterminer les droits et les facultés nécessaires à l’épanouissement de la personnalité de chaque être humain1. Ces objectifs témoignent de l’importance considérable prise par les droits de la personne2 dans les sociétés contemporaines occidentales, et notamment au Québec et au Canada. Selon plusieurs chercheurs, le XXe siècle, et plus particulièrement la période suivant la Seconde Guerre mondiale, seraient ainsi caractérisés par l’entrée de l’Occident dans l’ère des droits et certaines études canadiennes parleront même d’un véritable Canada’s Rights Revolution3.

Au Québec, cette période correspond notamment à la création de la Ligue des droits de l’Homme (LDHQ), fondée en mai 1963, grâce à l’initiative de quelques intellectuels québécois4. La Ligue défend les libertés universelles en posant comme principe que tous les individus sont égaux en dignité et en valeur. Or, ses premières années d’existence sont majoritairement consacrées à la défense des droits fondamentaux traditionnels liés aux libertés civiles et donnent lieu à des prises de position et des actions touchant davantage

1 Québec (Province), La Charte des droits et libertés de la personne et la Commission des droits de la

personne, Québec, Commission des droits de la personne, 1976, p. 1.

2 Par souci d’écriture épicène, nous privilégions l’utilisation des expressions « droits de la personne », « droits

et libertés de la personne », ou encore « droits humains ». Le vocable « droits de l’Homme » n’apparaîtra que dans les citations tirées d’un document ou d’une source.

3 Voir plus particulièrement : Louis Henkin, The Age of Rights, New York, Columbia University Press, 1990,

220 p. ; Ross Lambertson, Repression and Resistance : Canadian Human Rights Activists, 1930-1960, Toronto, University of Toronto Press, 2004, 523 p.; Christopher MacLenann, Toward the Charter : Canadians and the Demand for a National Bill of Rights, 1929-1960, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2003, 234 p. ; Michael Ignatieff, The Rights Revolution, Toronto, House of Anansi Press, 2000, 170 p. ; Dominique Clément, Canada’s Rights Revolution : Social Movements and Social Change, 1937-82, Vancouver, UBC Press, 2008, 281 p.

4 Pierre Elliott-Trudeau, Gérard Labrosse, Jacques Hébert, J.Z. Léon Patenaude, Raymond Favreau, Gabriel

Glazer, Frank Scott, Thérèse Casgrain et Alban Flamand sont ainsi à la genèse du projet d’une Ligue des droits de l’homme québécoise ou canadienne. Dominique Clément, op.cit., p. 98.

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certains groupes masculins, tels que les détenus5. Après la crise d’octobre 1970, la LDHQ élargit sa notion de droits de la personne et cible de nouveaux groupes à défendre. La défense des droits des femmes est dès lors présentée comme l’une de ses priorités. Cette prise de conscience progressive, par la Ligue, des rapports sociaux sexués constituera le cœur de ce mémoire. L’évolution de la défense des droits des femmes par la LDHQ servira ici de cas d’étude pour questionner l’efficacité des droits de l’« Homme » comme cadre permettant de questionner les inégalités entre hommes et femmes. Cette recherche permettra ainsi de poser un regard tenant compte du genre sur la défense des droits et libertés de la personne au Québec et sur le principe d’universalité qui la sous-tend.

La présente étude portera sur les premières décennies d’existence de la Ligue. La périodisation retenue, c’est-à-dire de 1963 à 1985, permettra de suivre l’intégration progressive des droits des femmes au sein de la plateforme de la LDHQ depuis sa création, tout en la situant dans le contexte des avancées du féminisme québécois des années 1960-1970. Cette période correspond également aux années les plus militantes de la Ligue. L’année 1985 représente quant à elle un tournant, voire une crise, dans l’histoire de la LDHQ dont le fonctionnement général est modifié à la suite de difficultés financières6.

Cependant, pour débuter, nous nous permettrons de déborder ce cadre temporel pour situer l’émergence de la Ligue dans un contexte de fortes mobilisations pour la défense des droits de la personne qui se développent à un niveau tant national qu’international au fil du XXe siècle. En ce sens, les revendications définies par la LDHQ font partie d’une culture de droits qui émerge dans un contexte social précis, mais s’enracine également dans une tradition de défense des droits et libertés qui se développe au Québec, au Canada et à l’échelle internationale des années 1930 aux années 19607.

5 Ibid., p. 104; Lucie Laurin, Des luttes et des droits : antécédents et histoire de la Ligue des droits de

l’homme de 1936 à 1975, Montréal, Éditions du Méridien, 1985, p. 63.

6 Ibid.

7 Eric Agrikoliansky, dans sa thèse portant sur la Ligue française des droits de l’homme et du citoyen, précise

également que les droits et libertés de la personne sont d’abord et avant tout une catégorie d’expression de griefs qui peut être largement redéfinie en fonction du contexte et de la temporalité étudiée. Eric Agrikoliansky, La Ligue des droits de l’Homme (1947-1990). Pérennisation et transformations d’une entreprise de défense des causes civiques, Thèse de doctorat, Paris, Institut d’études politiques de Paris, 1997, p. 38-39. Voir également : Dominique Clément, « A Sociology of Human Rights: Rights through a Social

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Contexte d’émergence de la Ligue des droits de l’homme du Québec

Au Canada, Dominique Clément situe l’émergence d’un mouvement moderne de défense des droits et libertés civiles dans les années 19308. Le Canadian Civil Liberties

Protective Association et le Canadian Labour Defense League sont tous deux créés au

cours de cette période. Leurs principales actions visent la défense des droits civils des travailleurs, la protection des grévistes contre les poursuites légales, et plus largement la protection des libertés civiles des citoyens canadiens9. Au Québec, dès 1934, Frank Scott, figure de proue du mouvement de défense des libertés civiles, est à l’origine de la création du Committee for the Protection of Civil Liberties à Montréal. Ce groupe défend principalement le droit à la liberté d’expression dans un contexte où il est interdit de distribuer des brochures et dépliants dans les rues10. Quelques années plus tard, en réponse à l’adoption de la Loi du cadenas du gouvernement duplessiste dont l’objectif est d’enrayer la propagande communiste dans la province de Québec, une section montréalaise du

Canadian Civil Liberties Union est également créée11. L’émergence de ces groupes est ainsi stimulée par un certain nombre d’évènements qui entraînent une prise de conscience au Québec et au Canada des violations des droits et libertés civiles, perpétrées notamment par l’État12. La loi du cadenas du gouvernement duplessiste au Québec (1937), la déportation des Canadiens japonais (1945) et l’adoption des mesures de guerre par le gouvernement canadien au moment de l’Affaire Gouzenko (1946) marquent ainsi la fin d’une foi généralisée dans l’État, fédéral ou provincial, comme seul lieu de défense et de

Movements Lens », Canadian Review of Sociology/ Revue canadienne de sociologie, 48, 2 (2011), p. 121 à 135.

8 Ces groupes sont dédiés à la défense des droits civils des citoyens canadiens. Voir : Dominique Clément,

« ‘It is Not the Beliefs but the Crime that Matters': Post-War Civil Liberties Debates in Canada and Australia », Labour History, 86 (2004), p. 1 à 32.

9 Les persécutions commises par l’État canadien contre les communistes, et plus particulièrement contre le

parti communiste (CPC), stimulent alors la création des premières associations canadiennes de défense des droits civils. Voir Dominique Clément (2008), op. cit., p. 36-37; Dominique Clément (2004), loc. cit.

10 Dominique Clément (2008), op. cit., p.38-39 et p. 44-45.

11 Ces associations se heurtent alors aux idées de Maurice Duplessis pour lequel les individus, déjà encadrés

par la Bible, n’ont pas besoin d’autres droits ou de chartes. Pour le premier ministre, c’est d’abord la protection du Québec contre le communisme ou encore le prosélytisme des témoins de Jéhovah qui doit primer. Voir Christopher MacLennan, op. cit., p. 156. ; Dominique Clément (2008), op. cit., p. 38-39.

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promotion des droits fondamentaux13. Ces évènements favorisent par le fait même l’émergence d’un activisme fort lié à la défense des droits civils et politiques, aussi appelés « libertés civiles ».

Tant au Québec qu’au Canada, ces mouvements s’ancrent ainsi dans une tradition de défense des droits civils et politiques, première génération de droits à apparaître dans les constitutions nationales et issue des révolutions contre les pouvoirs monarchiques. À l’opposé du principe des libertés particulières (privilèges), ces droits mettent en place les bases d’une loi générale universelle qui s’appliquerait, en théorie, à tous. Eleni Varikas soutient d’ailleurs que cette opposition entre universalisme et particularisme relève d’une configuration politique moderne qui s’enracine dans les révolutions de droit naturel dont la Révolution française a fourni le prototype :

Introduisant l'humanité commune des individus comme une base de comparaison entre les diverses conditions particulières, ces révolutions ont fait du concept abstrait d'homme le fondement puissant de la prétention du particulier à participer de l'universel. Proclamé illégitime, le principe de libertés particulières fut remplacé par celui d'une loi générale valable pour tous, connue de tous et élaborée par tous. Expression de la volonté générale, puisqu'elle est élaborée par tous, la loi a un caractère universel parce qu'elle s'applique à tous. Son universalité est enfin garantie par son impersonnalité et par le caractère général des matières qu'elle traite. 14

Cette loi générale est fondée sur un certain nombre de droits régissant la médiation entre l’État et la société civile : le droit à la vie, à la liberté d’opinion et de religion, le droit de propriété, le droit de voter et d’être élu, etc.15. Associés au courant de pensée libertariste, ils garantissent un certain nombre de libertés individuelles. Néanmoins, ils ne prennent pas en compte les rapports sociaux inégalitaires (genre, classe, « race », etc.) qui limitent l’accès des individus à cette « liberté ».

Ce cadre conceptuel sera largement modifié par le contexte international suivant la Seconde Guerre mondiale avec la création, en 1945, de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et l’adoption, en 1948, de la Déclaration universelle des droits de l’homme

13 Ibid.

14 Eleni Varikas, « Universalisme et particularisme », Helena Hirata, dir., Dictionnaire critique du féminisme,

2e édition, Paris, Presses Universitaires de France, 2004 (2000), p. 254. 15 Dominique Clément (2008), op. cit., p. 6.

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(DUDH). La mise sur pied de ce système international entraîne, de l’avis de plusieurs historiens, un véritable changement de paradigme dans les grands principes entourant la défense des droits et libertés et dans la manière dont ils seront appliqués sur les scènes canadienne et québécoise16. Les notions mêmes d’égalité, de libertés et de droits sont modifiées. Deux innovations principales caractérisent ce changement. D’une part, la portée des droits fondamentaux est élargie. On parle maintenant des « droits de l’Homme », expression consacrée par la DUDH, qui englobe maintenant tant les droits civils et politiques que les droits sociaux, économiques et culturels17. D’autre part, l’énonciation du droit à la protection de l’État contre toutes les formes de discrimination, notamment en fonction du sexe, intègre également, bien que de manière très limitée, les droits des femmes aux « droits de l’Homme ». Tel qu’envisagé par l’ONU, ce nouveau système repose sur l’idée que tous les êtres humains (en tant qu’individus ou groupes reconnus) sont égaux et possèdent des droits inaliénables qu’il faut défendre, promouvoir et garantir, par-delà les frontières nationales18. Les droits et libertés, auparavant largement définis dans un cadre national, acquièrent ainsi en 1945 une valeur supra ou transnationale. Ces droits s’appliquent maintenant de manière universelle à tous en vertu de leur appartenance à l’espèce humaine.

Cette deuxième génération de droits émerge suite aux diverses révolutions et luttes sociales (étudiantes, féministes, « raciales ») du XXe siècle19. Elle englobe notamment l’accès à des services de santé, à des mécanismes de sécurité sociale (pensions de vieillesse, assurance-emploi, etc.), à l’éducation subventionnée par l’État, etc.20 Selon T. H. Marshall, ces droits confèrent à l’individu les moyens de participer à la vie en société et d’y être intégré. Ils comprennent, d’une part, des devoirs (paiement des cotisations sociales, de

16 Outre lui-même, R. Lambertson signale que plusieurs historiens canadiens soutiennent cette interprétation :

Christopher MacLenann, Dominique Clément, Stephanie Bangarth, Michael Ignatieff, et Ruth A. Frager, notamment. Voir : Ross Lambertson, « The Black, Brown, White and Red Blues : The Beating of Clarence Clemons », Canadian Historical Review, 85, 4 (2004), p. 755-776.

17 Stephanie Bangarth, « We Are Not Asking You to Open Wide the Gates for Chinese Immigration: The

Committee for the Repeal of the Chinese Immigration Act and Early Human Rights Activism in Canada », The Canadian Historical Review, 84, 3 (2003), p. 397-398.

18 Roger Normand et Sarah Zaidi, Human Rights at The UN : The Political History of Universal Justice,

Bloomington, Indiana University Press, 2008, p. 340.

19 Dominique Clément (2008), op. cit.; Jack Donnelly, Universal Human Rights in Theory and Practice, 2e

édition, Ithaca, Cornell University Press, 2002 (1989), p. 31.

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l’impôt, etc.) et imposent à l’État, d’autre part, une contrainte, en ce sens qu’ils doivent être garantis par la mise en place de politiques sociales21. Contrairement aux droits civils et politiques, ils ne mettent pas l’accent sur les libertés individuelles, mais plutôt sur l’égalité entre tous. L’élargissement de la notion des droits et libertés au moment de la création de l’ONU et de l’adoption de la DUDH, constitue en ce sens une modification profonde du concept même de droits de la personne ainsi que de leur champ d’application. Par ailleurs, cette nouvelle plateforme tente également d’intégrer les droits des femmes, longtemps négligés du cadre des droits et libertés en raison de l’exclusion des femmes de la vie publique tant au niveau social, politique, qu’économique.

En effet, les recherches sur le discours des droits et libertés de la personne ont depuis longtemps démontré qu’« universel » et « masculin » se sont longtemps superposés, voire même fondus l’un dans l’autre. À ce titre, Geneviève Fraisse rappelle qu’au moment de la rédaction en France de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), la citoyenneté et les droits qui y sont associés, bien que présentés comme universels, restent des prérogatives masculines dans les faits22. Il faut par la suite attendre la fin du 19e siècle, en Amérique du nord et en Europe, pour qu’une première série de lois entourant le travail des femmes soient adoptées, et plus particulièrement : l’interdiction de certaines formes de travail pour les femmes, la limitation de la durée du travail féminin et la création d’un congé de maternité non-rémunéré (sauf exceptions)23. C’est le contexte d’industrialisation et les revendications féministes qui forcent alors le développement de ces mesures, processus auquel prennent part l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ainsi que la Société des Nations (SDN) au début du XXe siècle, qui adoptent des conventions internationales en ce sens. Néanmoins, selon certains, il s’agit surtout de mesures destinées à protéger la maternité potentielle des femmes davantage que le travail féminin24. C’est finalement la DUDH adoptée par l’ONU qui énonce la première le principe d’égalité des

21 T. H. Marshall, Social Policy in the Twentieth Century, 4e édition, London, Hutchinson, 1975 (1965), 240

p. Cité dans Bérangère Marques-Pereira, « Citoyenneté », Helena Hirata, dir., Dictionnaire critique du féminisme, 2e édition, Paris, Presses Universitaires de France, 2004 (2000), p. 20.

22 Geneviève Fraisse, À côté du genre : sexe et philosophie de l’égalité, Latresne, Éditions Bord de l’eau,

2010, p. 170.

23 Éliane Gubin, « Pour le droit au travail : entre protection et égalité », Eliane Gubin, dir., Le siècle des

féminismes, Paris, Les Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, 2004, p. 163.

24 On peut notamment donner l’exemple de la Convention sur la protection de la maternité et de la

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sexes en 1948, qu’elle complète par une interdiction de discrimination à l’égard des femmes. L’originalité de la déclaration de 1948 tient donc à la volonté de définir le concept d’universalité qui sous-tend ses articles; définition qui inclut maintenant explicitement les femmes, puisqu’elle dit que « [chacun] peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration sans distinction aucune […] de sexe »25. La mise sur pied, en 1946, de la Commission de la condition de la femme à l’ONU, de la Division de la promotion de la femme auprès du Secrétariat des Nations Unies, et du Conseil économique et social marque également, de l’avis de certains chercheurs, le début d’un travail visant à améliorer le statut des femmes dans le monde et à réaliser de manière effective l’égalité entre les sexes26. Néanmoins, comme nous le verrons, l’impact réel de ces

conventions et chartes internationales a été nuancé par plusieurs critiques féministes27.

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, l’ONU aurait ainsi contribué à mettre sur pied un système international de défense des droits et libertés de la personne qui commence à s’intéresser à la défense des droits des femmes, quoique de manière très relative. Ce système international aurait servi d’appui à plusieurs organisations nationales, canadiennes et québécoises, de défense des droits de la personne créées dans la foulée de ces grandes chartes et qui tenteront de faire appliquer ces principes universels dans leur contexte local28. C’est le cas de la LDHQ. En effet, au tournant des années 1950, la plupart des associations canadiennes et québécoises de défense des droits et libertés qui avaient

25 La Commission des droits de l’homme, comité chargé de la rédaction de la Déclaration, est composée

d’Eleanor Roosevelt (États-Unis), de René Cassin (France), de Charles Malik (Liban), de Peng Chung Chang (Chine) et de John Humphrey (Canada). C’est Eleanor Roosevelt qui préside le comité.

26 Un certain nombre de conventions et de déclarations internationales adoptées par l’ONU suivront

rapidement. Parmi les plus connues, notons : la Convention concernant les droits politiques des femmes (1952), la Convention sur la nationalité de la femme mariée (1957) ainsi que la Déclaration sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (1967). Janusz Symonides et Vladimir Volodine tendent ainsi à présenter le développement de ces normes internationales comme une véritable avancée pour la défense des droits des femmes. Janusz Symonides et Vladimir Volodine, Droits des femmes : recueil de textes normatifs internationaux, Paris, UNESCO, 1998, p. 11 et 12.

27 Cf. Niamh Reilly, Women's Human Rights: Seeking Gender Justice in a Globalizing Age, Cambridge,

Polity Press, 2009, 203 p. ; Hilary Charlesworth, « What are Women’s International Human Rights ? », Rebecca J. Cook, dir., Human Rights of Women : National and International Perspectives, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1994, p. 59.

28 Dominique Clément soutient d’ailleurs que l’histoire de la « révolution » canadienne des droits est d’abord

celle des mouvements sociaux qui ont contribué à façonner la notion de droits et libertés de la personne telle qu’elle est aujourd’hui définie et reconnue par l’État, fédéral ou provincial. Dominique Clément (2011), loc. cit., p. 128.

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émergé à la fin de la guerre sont inactives. Il faut attendre les années 1960 pour que le mouvement reprenne de l’ampleur. Dominique Clément parle, à juste titre, d’une véritable explosion de l’activité des mouvements sociaux au cours de cette période. Les membres fondateurs de la LDHQ, créée en 1963, s’inspirent alors largement de la DUDH au moment de la rédaction de leurs statuts et règlements qui comprennent, notamment, la formulation d’une interdiction de discrimination à l’endroit des femmes. En effet les statuts et règlements de la Ligue stipulent qu’elle se doit de « protéger tous les droits de l’homme, qu’ils soient d’ordre physique, intellectuel ou moral, sans distinction de sexe […]»29.

Mais dans quelle mesure les droits des femmes sont-ils réellement pris en compte ? La perspective critique de l’histoire des femmes et de l’histoire du genre a permis de repenser les catégories d’analyse traditionnellement utilisées par les historiens : le pouvoir, les structures sociales, les notions de propriété, les symboles, etc.30. Les pionnières de ces courants ont remis en question les temporalités, les images et les représentations d’une histoire trop longtemps écrite au masculin31. Elles ont démontré que les femmes ont une histoire qui leur est propre et qu’il est possible d’en faire un objet d’étude32. C’est cette même volonté qui anime le présent mémoire de maîtrise. Notre objet, la prise en compte de la défense des droits des femmes par la Ligue des droits de l’Homme du Québec (LDHQ), doit ici nous permettre de revisiter les catégories de droits défendues par cette importante association tout comme les valeurs et les symboles qui sous-tendent le discours et les actions de ses membres.

Droits des femmes et droits de l’ « Homme » : un croisement historiographique

Cette recherche se situe au carrefour de plusieurs champs historiographiques, soit le genre, les droits de la personne et les études sur le militantisme féminin. Il s’agit donc

29 LDHQ, Charte, statuts et règlements, lettres patentes, 29 mai 1963 [dossier « 24P-112 :02-3 », fonds de la

Ligue des droits et libertés. A.-UQAM].

30 Natalie Zemon Davis, « Women’s History in Transition : The European Case », Feminist Studies, 3, 3/4

(1976), p. 90-92.

31 Geneviève Fraisse, op. cit., p. 125.

32 Michelle Perrot, « Histoire sociale / Histoire des femmes », Margaret Maruani, dir., Femmes, genre et

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d’une historiographie très vaste et le survol que nous effectuons ici ne permettra pas d’en rendre un portrait exhaustif. Le genre, champ transversal de cette analyse, représente ainsi le fil d’Ariane à partir duquel nous avons plus particulièrement choisi d’explorer les études sur les droits de la personne et le militantisme, en nous appuyant sur une historiographie contemporaine alimentée par des contributions québécoises, canadiennes, américaines et françaises.

Dès les années 1970, des historiennes américaines commencent à utiliser le terme « genre » pour désigner la construction sociale de la différence sexuelle33. Leurs analyses ont marqué les débuts d’une transition de l’histoire des femmes vers les gender studies. Natalie Zemon Davis est l’une des premières à avoir affirmé la nécessité, pour l’histoire des femmes, de comprendre et d’étudier la définition et l’évolution de la différence sexuelle dans diverses sociétés et temporalités34. Le concept de genre a par la suite été développé par les féministes poststructuralistes comme Elizabeth Weed, Naomi Schor et Mary Ann Doane35. Celles-ci, en s’appuyant sur l’analyse des discours, ont démontré que la différence sexuelle était notamment établie par le langage qu’il importait d’analyser comme étant un système fondamentalement labile dont les définitions n’étaient jamais complètement figées36. L’historienne Joan Scott a regroupé ces idées dans son article phare de 1986 en proposant d’utiliser le genre comme une catégorie d’analyse en histoire37. Elle invite à adopter un point de vue critique sur la manière dont les catégories de sexes, liées à des rapports de pouvoir, sont produites et évoluent à travers le temps38. Selon Joan Scott, le

33 Voir plus particulièrement Joan W. Scott, « Unanswered Questions », AHR Forum, 113, 5 (2008), p.

1422-1423.

34 Natalie Zemon Davis, loc. cit., p. 83-103.

35 Joan W. Scott rappelle ainsi que ce sont ces chercheuses, dans le cadre des premières « Berkshire

Conferences on the History of Women », dans les années 1970, et par la suite pendant ses études à l’Université Brown, dans les années 1980, qui lui ont appris à voir les différences entre les sexes comme des constructions sociales, et non comme les produits d’un donné biologique. Joan W. Scott (2008), loc. cit., p. 1423.

36 Merry Wiesner Hanks rappelle d’ailleurs que le concept de genre s’est plus particulièrement développé au

contact du Linguistic Turn qui, en mettant l’accent sur la relation entre le savoir et le pouvoir ainsi que sur le pouvoir du langage et du discours, représentait un courant très attirant pour les études féministes qui tentaient déjà de comprendre comment le discours et les autres structures du savoir excluaient les femmes. Merry Wiesner Hanks, Gender in History : Global Perspectives, 2e édition, Oxford, Blackwell Publishing, 2011

(2001), p. 6-7.

37 Joan W. Scott, « A Useful Category of Historical Analysis », The American Historical Review, 91, 5

(1986), p. 1053-1075.

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genre permet ainsi d’examiner les formes spécifiques prises par l’organisation sociale de la différence sexuelle et ouvre, de ce fait, la voie à de multiples questionnements tant en ce qui concerne l’impact de ces structures symboliques sur les vies et les pratiques des gens ordinaires, que la variation des catégories « hommes » et « femmes » en fonction de l’époque, du contexte et du lieu où ils sont produits, etc.39.

L’analyse de la masculinité représente l’une des évolutions les plus récentes des études du genre. Les théories sur la masculinité et l’identité masculine développées au cours des années 1990 et 2000 par des sociologues et des historiens comme Raewyn Connell, Daniel Welzer-Lang, Michael Kimmel, Robert Nye et Ute Frevert ont contribué à développer ce champ qui acquiert une visibilité grandissante40. Anne-Marie Sohn, revenait d’ailleurs récemment sur l’intérêt de cette perspective, soulignant que « [les] avancées de cette nouvelle histoire constituent, en effet, autant d’avancées pour l’histoire des femmes. C’est en connaissant mieux les hommes que l’on pourra désormais comparer terme à terme femmes et hommes puis étudier leurs interactions»41. Par ailleurs, quoique le concept du genre ait permis de concevoir les femmes comme une catégorie sociale dont l’existence et la signification a varié au cours de l’histoire, plusieurs chercheuses ont également souligné l’importance de prendre en compte l’hétérogénéité de cette catégorie. Judith Butler, Elizabeth Spelman et Chandra Mohanty ont notamment critiqué le potentiel d’exclusion et de domination inhérent aux tentatives de théoriser les femmes comme un groupe social monolithique42. Ces chercheuses remettent ainsi en question les approches qui se cantonnent à une compréhension binaire des catégories de sexe ou de genre43. Elles suggèrent plutôt de concevoir le genre comme une identité multiple dont les attributs varient selon l’appartenance ethnique, la classe, la religion, etc. Cette approche, que l’on nommera intersectionnalité, serait issue des travaux liés au « black feminism » aux

39 Ibid.

40 Nikki Wedgwood, « Connell's theory of masculinity - its origins and influences on the study of gender »,

Journal of Gender Studies, 18, 4 (2009) p. 329 – 340. Voir également : Linn Egeberg Holmgren et Jeff Hearn, « Framing Men in Feminism : Theoretical Locations, Local Contexts and Practical Passings in Men’s Gender-Conscious Positionings on Gender Equality and Feminism », Journal of Gender Studies, 18, 4 (2009), p. 403-418. ; Victoria Robinson, et Angela Meah, « Men and Masculinities », Journal of Gender Studies, 18, 4 (2009), p. 321-324; Raewyn Connell, Masculinities, Berkeley, University of California Press, 1995, 295 p.

41 Anne-Marie Sohn, « Féminin et masculin », Le Mouvement Social, 1, 198 (2002), p. 6-7.

42 Iris Marion Young, « Le genre, structure sérielle : penser les femmes comme un groupe social »,

Recherches féministes, 20, 2 (2007) p. 9-10.

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Unis et en Grande-Bretagne où des chercheuses se sont intéressées à l’imbrication des rapports de domination (plus particulièrement de « race », de genre et de classe), et notamment Patricia Hill Collins et Kimberle Crenshaw44. Il ne faut toutefois pas oublier que

plusieurs féministes françaises et américaines articulaient, dès les années 1970, le genre et la classe dans leurs analyses45. En reconnaissant le caractère transversal, voire même

consubstantiel46, des rapports de genre, l’approche intersectionnelle, aujourd’hui en plein essor, invite ainsi à étudier les femmes, non plus comme un groupe homogène, mais plutôt comme une catégorie ouverte dont les besoins et les problèmes varient également en fonction de l’âge, de la classe, de l’appartenance ethnique et de l’orientation sexuelle, etc.47. Le genre constitue ainsi un outil qui permet de formuler un questionnement historique et de penser la construction et l’évolution des rapports sociaux sexués au sein de diverses temporalités. Il s’agit également d’un cadre conceptuel à partir duquel il est possible d’appréhender non seulement notre objet d’étude, mais également les autres champs historiographiques qui y sont reliés.

Le champ de recherche portant sur les droits et libertés de la personne, véritablement imposant, a permis à plusieurs générations de chercheurs de questionner, d’une part, l’origine et la taxinomie48 des droits et libertés de la personne, et d’autre part, leur institutionnalisation au sein de diverses organisations internationales chargées de les

44 Kimberley Crenshaw, « Mapping the Margins : Intersectionality, Identity Politics, and Violence against

Women of Color », Stanford Law Review, 43, 6 (1991), p. 1241 à 1299.; Patricia Hill Collins, Black Feminist Thought!: Knowledge, Consciousness, and the Politics of Empowerment, New York, Routledge, 1991, 265 p.

45 Sirma Bilge, op. cit.

46 L’emploi du terme consubstantiel est plus particulièrement privilégié par Danièle Kergoat selon laquelle ce

vocable serait plus approprié, qu’intersectionnel, pour décrire le véritable nœud que forment les rapports sociaux et qui ne peuvent être réellement séparés au niveau des pratiques sociales. En ce sens, ils coexistent les uns avec les autres et sont véritablement inséparables. Danièle Kergoat, « Dynamique et consubstantialité des rapports sociaux », Elsa Dorlin, dir., Sexe, race, classe, pour une épistémologie de la domination, Paris, Presses universitaires de France, 2009, p. 112 à 125.

47 Le dernier congrès internationale des recherches féministes francophones, intitulé Imbrication des rapports

de pouvoir : discriminations et privilèges de genre, de race, de classe, et de sexualité, a d’ailleurs choisi de plus particulièrement explorer cette thématique en août dernier. Centre en Études Genre LIEGE de l’Université de Lausanne, Imbrication des rapports de pouvoir : discriminations et privilèges de genre, de race, de classe, et de sexualité, 6ème congrès international des recherches féministes francophones, Université de Lausanne, du 29 août au 2 septembre 2012.

48 Plusieurs chercheurs se sont penchés sur ces questions, notamment : Maurice Cranston, What Is a Human

Right, New York, Basic Books, 1973, 170 p. ; Jack Donnelly, op. cit. Cette taxinomie est toujours utilisée et débattue dans les études plus récentes s’intéressant aux droits et libertés de la personne. Voir notamment: Micheline Ishay, The History of Human Rights : From Ancient Times to the Globalization Era, Berkeley, University of California Press, 2004, 450 p.

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définir et de les défendre au fil du XXe siècle49. Foncièrement multidisciplinaire, ce champ a été abordé sous de multiples perspectives allant du droit ou de la science politique, à la philosophie. Kenneth Cmiel rappelle néanmoins qu’il faut attendre les années 1980 et 1990 pour que les historiens joignent le bal50. Signe de ce nouvel essor, Amnistie internationale subventionne en 1994 une série de conférences sur la réciprocité entre l’histoire et les droits et libertés de la personne à laquelle participeront plusieurs historiens connus tels que : Patrick Collinson, Carlo Ginzburg, Emmanuel Le Roy Ladurie, et Ian Kershaw, etc.51. Depuis, nombre d’historiens-nes se sont intéressés à l’histoire des droits et libertés de la personne. Ces chercheurs-eures, ont tour à tour réexaminés l’origine de l’ONU et de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH)52, replaçant l’émergence de ces structures internationales dans une tradition de défense des droits de la personne héritée de la Révolution française53. Au Canada, plusieurs chercheurs se sont également intéressés à l’émergence et à l’évolution de divers mouvements ou groupes de défense des droits et libertés de depuis les années 193054. Peu d’auteurs s’entendent cependant sur l’origine des

droits humains, sur le type de droits dont il s’agit, sur l’efficacité des organisations internationales qui tentent de les défendre ou, plus fondamental encore, sur le principe d’universalité qui les sous-tend. Au sein de ces courants critiques, nombre de chercheuses

49 Dès les débuts de l’ONU, des théoriciens des relations internationales comme Walter Lippmann, George

Kennan, Hans Morgenthau ou encore Louis Henkin se sont particulièrement intéressés à son émergence et à son évolution, dépeignant au fil des ans ses lacunes, ses échecs, et plus rarement ses victoires. Cf. Louis Henkin, « The United Nations and Human Rights », International Organization, 19, 3 (1965), p. 504-517 ; Mark Mazower, No Enchanted Palace The End of Empire and the Ideological Origins of the United Nations, Princeton, Princeton University Press, 2009, p. 9-10.

50 Kenneth Cmiel, « The Recent History of Human Rights », American Historical Review, 109, 1 (2004), p.

118.

51 Ibid.

52 Cf. Mark Mazower, op. cit. ; Mark Mazower, « The Strange Triumph of Human Rights, 1933-1950 », The

Historical Journal, 47, 2 (2004), p 379-398. ; Samuel Moyn, The Last Utopia: Human Rights in History, Cambridge, Harvard University Press, 2010, 336 p.; Jay Winter, Dreams of Peace and Freedom : Utopian Moments in the Twentieth Century, New Haven & London, Yale University Press, 2006, 261 p.

53 Cf. Lynn Hunt, Inventing Human Rights: A History, New York, Norton & Company, 2007, 272 p. ; Paul

Gordon Lauren, The Evolution of International Human Rights: Visions Seen, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1998, 385 p.

54 Ross Lambertson, op. cit. ; Christopher MacLennan, op. cit. Voir également : Thomas Berger, Liberté

fragile : droits de la personne et dissidence au Canada, LaSalle, Hurtubise, 1985, 314 p. ; Carmela Patrias and Ruth A. Frager, « “This is our country, these are our rights”: Minorities and the Origins of Ontario’s Human Rights Campaigns », Canadian Historical Review, 82 (2001), p. 1-35.

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utilisent aujourd’hui le genre comme approche pour revoir les symboliques et les valeurs portées par ces droits trop longtemps considérés comme neutres55.

L’étude de la place des droits des femmes dans la défense des droits de la personne représente ainsi un questionnement historiographique récent. Cet objet d’étude, développé dans les années 1990 et 2000, a essentiellement été traité dans l’historiographie anglo-saxonne, malgré quelques contributions notables en France56 et au Canada57. Deux axes de recherche dominent plus particulièrement cette historiographie. D’une part, plusieurs chercheuses questionnent la structure des principaux mécanismes internationaux de défense des droits et libertés de la personne et démontrent que les catégories traditionnellement utilisées pour les définir et les défendre occultent de nombreuses atteintes aux droits des femmes. Hilary Charlesworth et Niahm Reilly font figure de proue dans ce domaine. Leurs travaux mettent en lumière le fait que différentes catégories utilisées en matière de droits et libertés (droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels) ne permettent pas de cibler les discriminations faites aux femmes, tant dans la sphère privée que publique (malnutrition, infanticide, violence endémique, pauvreté, vulnérabilité sur le marché du travail, etc.)58. Dans la même veine, plusieurs féministes critiquent le langage des droits de l’« Homme » dans la défense des droits des femmes. Agnès Callamard rappelle ainsi que l’expression « droits de l’Homme », telle qu’elle a été utilisée par le passé, n’était pas inclusive, mais reflétait plutôt le choix de n’accorder ces droits qu’aux hommes59.

55 Cf. Rebecca J. Cook, « Women’s International Human Rights Law : the Way Forward », Rebecca J. Cook,

dir., Human Rights of Women : National and International Perspectives, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1994, p. 3-36 ; Niamh Reilly (2009), op. cit.

56 Cf. Geneviève Fraisse, op. cit.; Françoise Gaspard, « Les « droits de la femme » : construction d’un enjeu

en relations internationales », Revue internationale et stratégique, 3, 47 (2002), p. 46 à 52; Gisèle Halimi, Droits des hommes et droits des femmes : une autre démocratie, Saint-Laurent, Fides, 1995, 42 p.

57 Joanna Kerr, Ours by Right : Women’s Rights as Human Rights, Ottawa, North-South Institute, 1993, 180

p.; Shelagh Day, « The indivisibility of women's human rights », Canadian Woman Studies, 20, 3 (2000), p. 11-14. Dominique Clément, « I Believe in Human Rights, Not Women’s Rights: Women and the Human Rights State, 1969–1984 », Radical History Review, 101 (2008), p. 107 à 129.

58 Hilary Charlesworth (1994), op. cit.; Niamh Reilly, op. cit.; Niamh Reilly, « Pour un resserrement des

responsabilités au titre des droits humains des femmes », Charlotte Bunch, Claudia Hinojosa et Niamh Reilly, dir., Les voix des femmes et « les droits de l’Homme » La Campagne internationale pour l’affirmation des droits humains des femmes, New Brunswick, Center for Women’s Global Leadership Rutgers, 2000, p. 169 à 191.

59 Agnès Callamard, « « Droits de l’Homme » ou « Droits humains » ? Qu’y a-t-il dans un mot ? », Charlotte

Bunch, Claudia Hinojosa et Niamh Reilly, dir., Les voix des femmes et « les droits de l’Homme » La Campagne internationale pour l’affirmation des droits humains des femmes, New Brunswick, Center for Women’s Global Leadership Rutgers, 2000, p. 24.

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Un deuxième axe de recherche, qui traverse plus particulièrement cette historiographie, porte sur les luttes féministes qui ont tenté d’inscrire les droits des femmes dans les droits et libertés de la personne. Joan Scott a évoqué ces remises en question qui émergent de groupes féministes, en France, dès la fin du 19e siècle et au début du XXe dans son étude La citoyenne paradoxale : les féministes françaises et les droits de l’homme60. S’intéressant à un autre cadre géographique et temporel, Charlotte Bunch et Felice D. Gaer soutiennent également que la remise en question de la conception et de l’application des droits de la personne prend racine au sein de divers mouvements féministes qui ont pris leur essor pendant et après la décennie des Nations Unies pour les femmes (1976-1985)61.

En s’intéressant au langage, aux valeurs et aux différentes catégories de droits et libertés de la personne, ces chercheuses, dans une perspective féministe, ont ainsi remis en question l’universalité et la neutralité apparentes des normes internationales utilisées. Elles ont également mis en lumière les inégalités structurelles présentes au sein des organismes internationaux qui s’intéressent à la défense des droits et libertés de la personne. Leurs analyses ont montré que les femmes œuvrant au sein des instances de ces organismes étaient le plus souvent reléguées à des tâches de subordination. Ce faisant, il leur est impossible de faire valoir leur point de vue et de participer à la définition des normes et des prescriptions sociales qui façonnent l’existence des femmes. Leurs conclusions invitent à s’intéresser à la dynamique de la participation militante, et plus particulièrement au militantisme féminin dans les associations mixtes. La LDHQ étant elle-même une

60 Joan W. Scott, La citoyenne paradoxale : les féministes françaises et les droits de l’homme, Paris, Albin

Michel, 1998, 286 p. Claire Lescofitt a produit un mémoire de maîtrise s’inscrivant dans la même veine, mais s’intéressant plus particulièrement au cas de la Ligue des droits de l’homme française. Claire Lescofitt, « Femmes et féminismes à la Ligue des Droits de l'Homme, 1914-1940 », Genre & Histoire, 2 (2008), p. 2-3.

61 Charlotte Bunch, « De Vienne à Beijing : la route pour la reconnaissance des droits humains des femmes

dans le monde », Charlotte Bunch, Claudia Hinojosa et Niamh Reilly, dir., Les voix des femmes et « les droits de l’Homme » : la Campagne internationale pour l’affirmation des droits humains des femmes, New Brunswick, Rutgers State University of New Jersey, 2000, p. 31 à 48.; Felice D. Gaer, « Mainstreaming a Concern for the Human Rights of Women : Beyond Theory », Marjorie Agosin, dir., Women, Gender, and Human Rights A Global Perspective, London, Rutgers University Press, 2001, p. 98 à 122 . ; Cf. Arvonne S. Fraser, « Becoming Human : The Origins and Development of Women’s Human Rights », Bert B. Lockwood, dir., Women’s Rights A Human Rights Quarterly Reader, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2006, p. 3 à 56.

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association mixte, nous avons décidé de retenir ce troisième champ historiographique, bien que de moindre importance que les deux précédents.

Pluridisciplinaires, les études sur le militantisme ont particulièrement été développées sur le plan théorique en science politique et en sociologie. Ce sont d’abord les travaux consacrés aux mouvements de femmes aux États-Unis qui vont introduire une perspective de genre dans des travaux sur le militantisme qui étaient auparavant dominés par le paradigme de la mobilisation des ressources62. Depuis, cette approche a été de plus en

plus utilisée pour comprendre les processus en fonction desquels les rapports sociaux de sexe y sont reproduits63. Critiquant la plupart des recherches sociologiques empiriques qui

utilisent la catégorie « sexe » comme un donné biologique64, ces travaux présentent le

militantisme à la fois comme le produit et le mode de reproduction des rapports sociaux fondés sur le genre65. Selon Margaret Maruani, pionnière de ce courant, cette analyse doit

permettre de questionner la notion même de militantisme, « tout ce qu’elle transporte matériellement et symboliquement en termes de hiérarchie, de compétence, de spécialisation » 66. Depuis, nombre de colloques et de numéros de revues spécialisées ont

été consacrés à l’analyse des pratiques militantes sous l’angle du genre67. Deux principaux

62 Des auteurs comme Doug McAdam, Charles Tilly, Sidney Tarrow, John D. McCarthy et Mayer N. Zald

ont ainsi commencé à s’intéresser aux pratiques militantes dans leurs tentatives de lier leur étude des mouvements sociaux aux organisations qui les portent. Au fil des ans, ces chercheurs ont tenté d’identifier des critères permettant de comprendre ce qu’est un mouvement social, comment se mobilisent ceux qui y participent et pourquoi. Olivier Fillieule, « Travail militant, action collective et rapports de genre » Olivier Fillieule et Patricia Roux, dir., Le sexe du militantisme, Paris, Presses de la fondation nationale de sciences politiques, 2009, p. 25. Cf. Olivier Fillieule, « De l’objet de la définition à la définition de l’objet. De quoi traite finalement la sociologie des mouvements sociaux? », Politique et Sociétés, 28, 1 (2009), p. 15-36.

63 Olivier Fillieule, op. cit.

64 Cette idée est notamment soutenue par Elvita Alvarez et Lorena Parlini qui, s’appuyant sur les travaux de

Nicole Claude Mathieu, soutiennent que le « naturalisme de la catégorie de sexe doit être transformé en une conception sociologique - de genre - qui prend en compte l'aspect relationnel du sexe (Parini et Manidi, 2001) et sa signification sociale. Comme l'écrivent Anne-Marie Daune-Richart et Anne-Marie Devreux (1992:21) : (...) si l'on veut analyser la catégorisation produite par le rapport social et en comprendre la dynamique et l'évolution, il faut en saisir toutes les dimensions pour les actrices et acteurs sociaux, c'est-à-dire toute la portée sociologique ». Elvita Alvarez et Lorena Parlini, « Engagement politique et genre: la part du sexe », Nouvelles Questions Féministes, nº spécial « Les logiques patriarcales du militantisme », 24, 3 (2005), p. 106.

65 Xavier Dunezat, « Des mouvements sociaux sexués », Recherches féministes, 11, 2 (1998), p. 162. 66 Margaret Maruani, Les syndicats à l'épreuve du féminisme, Paris, Syros, 1979, p. 26.

67 Cette thématique est en plein essor. Pour les contributions plus récentes voir notamment: Nouvelles

Questions féministes, nº spécial « Les logiques patriarcales du militantisme », 24 (2005), 3, 168 p ; Amnis, n° spécial « Femmes et militantisme », 8 (2008), [En ligne], mis en ligne le 26 mars 2010, URL : http://amnis.revues.org.ezproxy.bibl.ulaval.ca/522 ; Politix, nº spécial « Militantisme et hiérarchie de genre », 2, 78 (2007), 194 p.

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thèmes dominent cette historiographie internationale. D’une part, la hiérarchisation du militantisme fondée sur le sexe et, d’autre part, la division sexuelle du travail qui structure et organise ce phénomène.

En effet, plusieurs chercheurs-eures, tant au Québec qu’en France, ont démontré que le militantisme, au sein des associations mixtes, repose sur un système de genre qui hiérarchise les positions des militants et des militantes. On peut notamment mentionner les études de Marie Buscatto, de Geneviève Dermenjian et de Dominique Loiseau qui se sont intéressées aux mouvements syndicaux et au parti communiste français dans la deuxième moitié du XXe siècle68. Ces dernières démontrent que le militantisme s’appuie sur des

représentations liées au mouvement ouvrier, fondées sur la virilité et dont la figure centrale est celle du travailleur qualifié et blanc, l’ensemble ne favorisant pas l’intégration des revendications féministes69. Dans la même perspective, Diane Lamoureux et Yolande

Cohen, en analysant le militantisme et l’implication des femmes sur la scène publique et dans le monde politique, toujours dans la deuxième moitié du XXe siècle, ont mis en lumière la résistance à laquelle elles doivent faire face, et qui limite leur accessibilité aux postes à plus fortes responsabilités70.

Selon plusieurs chercheuses, cette hiérarchisation découlerait d’une division sexuelle du travail dans les espaces militants. Évelyne Tardy, Chantal Maillé et Anne-Marie Gingras, dans une étude comparative sur le militantisme au sein des partis politiques, des partis municipaux et des centrales syndicales à la fin des années 1980 au Québec, constatent ainsi que les femmes restent largement sous-représentées dans la hiérarchie des

68 Marie Buscatto, « Syndicaliste en entreprise : une activité si masculine », dans Olivier Fillieule et Patricia

Roux, dir., Le sexe du militantisme, Paris, Presses de la fondation nationale de sciences politiques, 2009, p. 75 à 92.; Geneviève Dermenjian et Dominique Loiseau, « Itinéraires de femmes communistes », Olivier Fillieule et Patricia Roux, dir., Le sexe du militantisme, Paris, Presses de la fondation nationale de sciences politiques, 2009, p. 93 à 114. Cf. Christine Delphy, « Féminisme et marxisme », Margaret Maruani, dir., Femmes, genre et sociétés : l'état des savoirs, Paris, La Découverte, 2005, p. 31 à 37.

69 Marie Buscatto, op. cit., p. 92.

70 Cf. Diane Lamoureux, Citoyennes ?: femmes, droit de vote et démocratie, Montréal, Éditions du

remue-ménage, 1989, 195 p. ; Yolande Cohen, dir., Femmes et politique, Montréal, Éditions du Jour, 1981, 227 p. Voir également : Évelyne Tardy et. al., La politique : un monde d’hommes ?: une étude sur les mairesses au Québec, Montréal, Hurtubise, 1982, 111p. ; Évelyne Tardy, Les femmes et les conseils municipaux du Québec, Montréal, Hurtubise, 2002, 175 p.

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structures politiques, quoiqu’elles soient nombreuses à y militer 71. Ce phénomène

s’expliquerait par la difficulté de détacher les caractéristiques et les représentations du militantisme féminin de la fonction socialement construite des femmes, soit la maternité. Même constat chez Jules Falquet qui soutient que le système de genre à l’œuvre dans la construction des figures militantes dans les mouvements dits « progressistes » d’Amérique latine dans les années 2000, contribue à maintenir, de manière passive ou active, une division sexuelle et patriarcale du travail militant qui empêche toute remise en question des inégalités de genre au-delà des déclarations de principe72. Dès lors, les activités dont les

femmes assurent la charge ne sont pas en mesure de leur fournir la même reconnaissance que celle des hommes, ni les mêmes postes de responsabilité73.

D’où là nécessité de développer une méthode d’analyse du travail militant qui permette, d’une part, de pointer la persistance des rapports sociaux de sexe, mais également les espaces qui transgressent, modèlent ou dépassent les normes liées au genre à l’intérieur des associations mixtes. Selon Xavier Dunezat, l’analyse des rapports sociaux sexués présents au sein des mouvements mixtes doit ainsi s’articuler autour de deux questions. Il importe d’abord d’identifier les formes que ces rapports prennent au sein du mouvement social : sont-ils reproduits tels quels de la société ou prennent-ils une forme différente au sein d’un mouvement donné74? Ensuite, l’analyse des mouvements sociaux doit s’intéresser

71 Les chercheuses ont réalisé des entrevues avec des militants et des militantes impliqués dans : le Parti

libéral du Québec, le Parti québécois, le Rassemblement populaire de Québec, l’Action civique de LaSalle, la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ), et la Confédération des syndicats nationaux (CSN). Anne-Marie Gingras, Chantal Maillé, Évelyne Tardy, Sexes et militantisme, Montréal, Éditions du CIDIHCA, 1989, 256 p.

72 Jules Falquet, « Trois questions aux mouvements sociaux « progressistes » : Apports de la théorie féministe

à l'analyse des mouvements sociaux », Nouvelles Questions Féministes, nº spécial « Les logiques patriarcales du militantisme »,24, 3 (2005), p. 34.

73 La plupart de ces chercheuses s’appuient sur le concept de division sexuelle du travail tel que défini par

Danièle Kergoat et qui réside dans l’assignation prioritaire des hommes à une sphère dite productive, dans laquelle se concentrent les fonctions et les responsabilités à forte valeur sociale (politiques, judiciaires, militaires, religieuses, etc.), et les femmes à une sphère dite reproductive. Selon Danièle Kergoat, « [cette] forme de division sociale du travail a deux principes organisateurs : le principe de séparation (il y a des travaux d’hommes et des travaux de femmes), et le principe hiérarchique (un travail d’homme « vaut » plus qu’un travail de femme) ». Elle rappelle également les dangers liés au fait de conceptualiser la division sexuelle du travail comme une donnée fixe. Selon elle, bien que les principes organisateurs de ce phénomène restent le plus souvent les mêmes, les modalités (conception du travail reproductif, place des femmes dans le travail marchand ou industriel, etc.) l’entourant sont quant à elles mouvantes. Danièle Kergoat, « Division sexuelle du travail », dans Helena Hirata, dir., Dictionnaire critique du féminisme, 2e édition, Paris, Presses

Universitaires de France, 2004 (2000), p. 36.

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à l’incidence de ces rapports sur le mouvement social en lui-même75. Par ailleurs, quoiqu’il

souligne le fait que la division des tâches en matière de militantisme favorise une certaine domination masculine, Xavier Dunezat rappelle également que les femmes sont loin de rester passives face à ce phénomène qu’elles remettent en question, directement ou indirectement76. Dans cette perspective, il importe de rattacher notre analyse du discours et

des actions mises en place pour défendre les droits des femmes par les membres de la LDH à une compréhension des dynamiques militantes internes à l’association qui contribuent à les structurer. Il s’agit de voir qui sont les femmes qui militent à la LDHQ, quelles fonctions elles occupent, et comment se développent leurs relations avec les instances décisionnelles de la Ligue, pour ensuite cibler l’incidence de ces facteurs sur le discours de la Ligue en matière de défense des droits des femmes.

Au Québec, il n’existe aucune étude qui questionne les implications du genre dans la défense des droits et libertés de la personne77. Bien que Lucie Laurin et Dominique

Clément aient déjà étudié la Ligue des droits de l’Homme du Québec, ils se sont principalement intéressés à son histoire institutionnelle, au contexte historique ayant mené à sa création ainsi qu’à ses divers combats parmi lesquels la défense des droits des femmes semble quelque peu laissée pour compte78. Nous nous proposons de remédier à cette lacune

et d’explorer plus particulièrement cette dimension des activités de la Ligue.

75 Dans cette optique, Xavier Dunezat a isolé plusieurs éléments permettant d’étudier les rapports sociaux de

sexe en contexte militant, et notamment: la répartition quantitative des femmes et des hommes au sein du mouvement, les comportements en assemblée générale, le type de structure privilégié, la définition de ses objectifs et revendications, la division des tâches, les modes d’action privilégiés ainsi que les pratiques verbales structurant les rapports entre les femmes et les hommes, mais également à l’intérieur de ces catégories puisque l’analyse se doit également de prendre en compte la variabilité et l’hétérogénéité des groupes « hommes » et « femmes ». Xavier Dunezat (1998), loc. cit. ; Xavier Dunezat, « La division sexuelle du travail militant dans les assemblées générales : le cas des mouvements de « sans » », Amnis, nº spécial « Femmes et militantisme », 8 (2008), p. 2.

76 Ibid., p. 9.

77 Au Canada, quelques chercheurs s’intéressent depuis les années 1980 au parcours de différents groupes ou

minorités qui militent pour la reconnaissance de leurs droits. On peut notamment penser à Thomas R. Berger ou encore à Ruth A. Frager. Cf. Thomas R. Berger, op. cit. ; Carmela Patrias and Ruth A. Frager, loc. cit. Néanmoins, le genre reste très peu utilisé dans les études portant sur les droits et libertés de la personne, et ce tant au Québec qu’au Canada.

78 Dominique Leclercq, ancienne directrice générale de la Ligue des droits et libertés, a également présenté

une conférence sur l’engagement de Thérèse Casgrain à la LDHQ dans les années 1960 à l’occasion du colloque annuel de l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) de l’UQAM en mars 1992. Néanmoins, cette contribution, bien qu’elle mette de l’avant l’ampleur de l’implication de Thérèse Casgrain à la LDHQ dans les années 1960, laisse de côté toute la période des années 1970 et 1980, et conserve une

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