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Militantes de la LDHQ et militantes féministes : donner à la femme mariée sa pleine

2.1 L’impact du féminisme libéral égalitaire sur la LDHQ : pour une défense des droits civils et

2.1.2 Militantes de la LDHQ et militantes féministes : donner à la femme mariée sa pleine

Plusieurs militantes faisant partie de la première génération présente à la LDHQ s’impliquent au sein de groupes et d’associations féministes. En effet, au fil des années 1960, tout un réseau militant féministe se déploie en toile de fond des activités de la Ligue, même si l’ensemble des liens tissés reste difficile à cerner de manière précise. Thérèse Casgrain, grâce à ses implications multiples, semble représenter à cette époque une sorte de point de contact important entre la LDHQ et le mouvement féministe. En effet, son implication comme présidente de la section canadienne de la Voix des femmes en 1962- 1963 lui permettra notamment de recruter Ghislaine P. Laurendeau33. Simonne Monet-

Chartrand, qui militera à la LDHQ dans les années 1970, s’implique également à la Voix des femmes au cours de la même période. Les instances décisionnelles de la LDHQ, ainsi que ses sous-comités dédiés à la défense des droits des femmes, constituent également des espaces de recrutement pour Thérèse Casgrain qui s’associera en 1965 avec plusieurs militantes de la Ligue, notamment, pour fonder l’année suivante la Fédération des Femmes du Québec.

En effet, en 1965, Thérèse Casgrain organise avec l’appui de plusieurs militantes de la LDHQ, mais également d’autres milieux, un colloque intitulé La femme du Québec. Hier

et aujourd’hui pour célébrer le 25e anniversaire de l’acquisition du droit de vote34. Les

militantes de la Commission des droits des femmes de la LDHQ s’y impliquent et présentent une conférence dont les thématiques rejoignent leurs activités au sein de la Ligue. Alice Desjardins et Pierrette Moisan interviennent dans un atelier sur le statut juridique de la femme mariée au Québec35. Lise Fortier et Monique Bosco participent

33 De Ghislaine P. Laurendeau à Gérard Labrosse, Au sujet du « comité provincial des droits civils », 17 févier

1963 [dossier « 24P-100 :02/1, 1962-1963, Correspondance générale reçue », fonds de la Ligue des droits et libertés. A.-UQAM].

34 Le colloque est également organisé grâce à la collaboration de militantes qui ne semblent pas militer à la

LDHQ et notamment : Lise Trudeau, Raymonde Roy, M. A. Madore, Cécile Labelle, Colette Beauchamp, Anne Postans et Dorothée Lorrain. Simonne Monet-Chartrand, Pionnières québécoises et regroupements de femmes d’hier à aujourd’hui, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1990, p. 361.

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également au congrès36. À la fin du colloque organisé en 1965, un comité provisoire est

créé pour donner suite aux résolutions adoptées par les militantes et pour préparer le congrès de fondation d’une nouvelle fédération de groupes féministes. Thérèse Casgrain, Réjane Laberge-Colas et Alice Desjardins, toutes trois membres de la Commission des droits des femmes de la LDHQ, s’y impliquent alors largement37. Réjane Laberge-Colas

dirige un comité mis sur pied pour préparer le projet de charte et un plan d’action avec la collaboration d’Alice Desjardins. Réjane Laberge-Colas et Thérèse Casgrain reçoivent à de nombreuses reprises les militantes pour les réunions. En 1966, la FFQ voit finalement le jour. Réjane Laberge-Colas, toujours membre de la LDHQ, en sera d’ailleurs la première présidente. Nous n’avons donné ici que quelques exemples de liens entre les militantes de la Ligue et des mouvements féministes, mais ceux-ci pourraient être multipliés.

Loin d’évoluer en vase clos, les militantes de la LDHQ entretiennent tout un réseau de relations avec les groupes féministes québécois. En ce sens, la Ligue fait selon nous partie de ces nouveaux espaces, décrits par Micheline Dumont et Louise Toupin, que réinvestissent les militantes féministes après l’obtention du droit de vote au provincial en 1940, et au sein desquels elles continuent de participer aux transformations globales de la société québécoise. Les actions que Thérèse Casgrain entreprend avec les militantes de la Commission des droits de la femme de la Ligue en témoignent, et lui permettent de renouer avec des objets de lutte qui lui sont familiers, soit : la modification du statut juridique de la femme mariée et des régimes matrimoniaux. Son travail à la Commission des droits de la femme de la LDHQ se situe alors dans le prolongement des luttes qu’elle mène avec certains groupes et associations féministes comme la FNSJB et la Ligue des droits de la femme depuis la première moitié du XXe siècle38. Comme on le verra au Chapitre III, les

militantes de la LDHQ des années 1960 iront tout de même un peu plus loin en proposant de substituer la notion d’autorité parentale à celle d’autorité paternelle, mais sans attaquer l’institution du mariage comme le faisaient pourtant Éva Circé-Côté et Idola St-Jean dès les années 1930.

36 Cet épisode est relaté dans l’ouvrage de Simonne Monet-Chartrand, Pionnières québécoises et

regroupements de femmes d’hier à aujourd’hui. Ibid., p. 361 à 368. Ces militantes, ainsi que les postes qu’elles ont occupés à la LDHQ sont présentés dans le premier chapitre de ce mémoire (section 1.1.2).

37 Ibid., p. 368.

Sous l’impulsion des militantes de la Commission des droits de la femme, la Ligue présente plusieurs rapports au gouvernement québécois sur la condition juridique de la femme mariée et la modification des régimes matrimoniaux au fil des années 1960. Ces rapports sont tour à tour endossés et appuyés par les principales associations féministes avec lesquelles elle entretient des liens, et plus particulièrement : la Voix des Femmes du Canada, l’Association des diplômées des universités, le Cercle des femmes journalistes, la FFQ et l’AFEAS. Ce faisant, les militantes de la LDHQ s’inscrivent dans une culture de droits et une tradition féministe qui font de l’égalité civile et juridique entre hommes et femmes un vecteur principal d’émancipation. Diverses typologies ont été proposées pour qualifier ce courant, allant de féminisme émancipateur à féminisme réformiste, égalitaire, ou libéral égalitaire39. Ces expressions désignent sensiblement le même phénomène : des

mouvements luttant pour l’obtention de l’égalité (juridique, salariale, etc.) pour les femmes, sans remettre directement en question la structure patriarcale de la société québécoise. Comme le soulignent Diane Lamoureux et Louise Toupin, la FFQ et l’AFEAS s’inscrivent dans ce courant égalitariste dont les principales revendications visent à étendre aux femmes les droits définis comme universels qui leur ont pourtant été refusés, sans toutefois questionner, du moins au début, la logique même faisant de l’universel une catégorie excluant d’emblée les femmes40.

Les féministes libérales égalitaires ont donc réclamé pour les femmes, depuis plus d’un siècle, l’égalité des droits avec les hommes : égalité de l’accès à l’éducation; égalité dans le champ du travail, en matière d’occupations et de salaires; égalité dans le champ des lois; des lois civiles (capacité juridique pleine et entière), des lois criminelles (rappel de toutes mesures discriminatoires) et égalité politique (comme par exemple le droit de vote). L’égalité complète permettrait aux femmes de participer pleinement à la société, sur un pied d’égalité avec les hommes.41

39 On pourrait d’ailleurs présenter une liste bien plus longue des différentes typologies à avoir été proposées

pour qualifier les principaux courants féministes émergeant au Québec dans la première moitié du XXe siècle. Micheline Dumont, op. cit., p. 70. ; Diane Lamoureux, Fragments et collages : essai sur le féminisme québécois des années 70, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1986, p. 39. Louise Toupin, « Les courants de pensée féministe », Version revue du texte Qu'est-ce que le féminisme? Trousse d'information sur le féminisme québécois des 25 dernières années, op. cit.

40 Diane Lamoureux, op. cit., p. 42.

41 Louise Toupin, « Les courants de pensée féministe », Qu'est-ce que le féminisme? Trousse d'information

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Les revendications des militantes de la LDHQ, dont certaines sont rédigées en collaboration avec la FFQ et l’AFEAS tendent ainsi à se situer et à s’inspirer de ce courant féministe, et ce jusqu’à la fin des années 1960.

2.2 Vers une critique de l’organisation de la vie en société : une deuxième