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A. La recherche de l'intérêt social

1. Mesure de la qualité de l'activité du conseil

L' art. 717, al. 1er consacré (notamment) au devoir de diligence des administra-teurs, ne définit pas une attribution particulière de l'administration, mais le stan-dard de qualité auquel doit satisfaire l'activité du conseil et de ses membres: ceux-ci doivent déployer la diligence «nécessaire>> dans l'exécution de leurs fonctions.

Dans les passages suivants, nous chercherons à mettre en lumière les différents problèmes soulevés par la détermination de ce standard de qualité.

La qualité d'une activité se mesure soit en fonction du résultat (on compare alors le résultat de l'activité déployée avec les objectifs fixés), soit en fonction de l'activité elle-même en tant que processus: on évalue alors la manière dont les moyens disponibles (temps, information, connaissances, organisation ... ) sont mis à contribution, dans la perspective de la réalisation des objectifs fixés, pour reconnaître les problèmes soulevés, élaborer des solutions, en estimer les risques d'échec ainsi que les chances de succès et prévenir les risques liés aux choix

64 Dans le même sens, LAMBERT, pp. 170 ss et 213.

65 Dans le même sens, LAMBERT, pp. 194 ss et 213; GROSSMANN, pp. 133 ss et 257.

opérés66Si la première méthode a l'avantage de la simplicité et de l'objectivité, elle n'est pas adaptée à une activité comme celle du conseil et de ses membres:

en effet, elle ne prend suffisamment en compte ni le fait que l'activité du conseil est orientée vers le futur et dépend de nombreux facteurs (prévisibles ou non) échappant à sa maîtrise, ni le fait que le résultat obtenu n'a qu'un rapport assez limité avec la qualité de l'activité déployée par les administrateurs67La deuxième méthode- applicable à l'activité du conseil- a pour elle l'avantage de la prévisi-bilité pour celui-ci et les administrateurs, mais risque d'induire une formalisation excessive de leur activité68,

La

notion de diligence n'est pas, par nature, une donnée discrète: un comportement n'est pas diligent ou non-diligent, il est plus ou moins diligent. Cependant, pour être opérationnelle en droit, cette notion suppose que soit défini un seuil en deçà duquel un comportement est considéré comme ne satisfaisant pas à la diligence

«nécessaire», c'est-à-dire comme étant insuffisant. Dans notre droit ordinaire (comme d'ailleurs dans les ordres juridiques des Etats qui nous entourent), on a recours, pour définir ce seuil, à la figure de «l'homme raisonnable placé dans les mêmes circonstances», soit à la figure de l'homme qui déploie une diligence

«raisonnable» dans les circonstances données. La référence est objective: elle

66 Pour le droit américain, HANSEN, ALI, pp. 1241 - 1247, distingue les cas où le «due care standard is results oriented» et les cas où il est «process oriented».

67 Si l'on s'en tenait exclusivement au critère du résultat, les membres du conseil d'administration devraient- en toute logique- répondre des décisions qui s'avèrent erronées ultérieurement (Fehlentscheidungen).

68 Les dangers de formalisation de l'activité du conseil d'administration en cas d'utilisation du critère des moyens sont mis en lumière par HERZELIKATZ. Ces auteurs critiquent l'arrêt SMITH v. v. GORKOM [488 A 2d 858 (Del. 1985)], dans lequel la Cour suprême du Delaware a appliqué ce critère et dénié la protection du business judgement rule aux membres d'un conseil d'admi-nistration en relation avec une opération de fusion (merger). La Cour retenait que le président du conseil avait organisé l'opération tout seul sans consulter les autres administrateurs, l'avait présenté aux autres membres du conseil comme un fait quasi-accompli et obtenu leur accord en moins de deux heures. Il ne s'était jamais soucié d'obtenir l'avis d'un banquier spécialisé et avait signé les documents relatifs à la fusion lors d'une soirée de gala au profit de l'Opéra de Chicago après les avoir rapidement parcourus. HERZELIKATZrappellent que l'enseignement de la chansonnette du mille-pattes - qui marche tranquillement jusqu'à ce qu'un crapaud, par malice, lui demande lequel de ses pieds suit l'autre, plongeant ainsi le pauvre mille-pattes dans une réflexion si profonde qu'il en est empêché de marcher - est aussi applicable aux conseils d'administration: ceux-ci risquent de ne plus rien décider s'ils doivent s'entourer de toute sorte d'avis, consacrer de longues heures de discussion aux questions dont ils traitent et documenter abondamment toutes leurs activités ...

LE CONSEIL D1ADMINISTRATION

ne tient pas compte des faiblesses particulières de l'homme considéré, mais de qualités «standard», d'un comportement inspiré par les normes, les pratiques et les valeurs de personnes ordinaires69S'appuyant toujours sur les circonstances du cas d'espèce, la référence est aussi flexible. Les caractères objectif et flexible de la notion de diligence ont un revers; les qualités «standard•• et le comportement inspiré de normes, pratiques et valeurs de personnes ordinaires, d'une part, le fait que la notion de «diligence raisonnable» soit applicable à toutes les circons-tances, d'autre part, rendent cette notion si vague qu'elle en devient incertaine.

Dans la pratique, cette incertitude induit une tendance à attribuer à l'homme rai-sonnable un comportement exemplaire en toutes circonstances, ce qui- parado-xalement- éloigne «l'homme raisonnable» de la réalité, voire même le rend ridi-cule70.

69 Il n'est pas toujours facile de déterminer avec précision ces normes, pratiques ou valeurs. Pour tourner cette difficulté, la théorie économique du droit propose diverses approches tendant à rationaliser ce concept et à le rendre «plus scientifique•. Selon l'une de ces approches, le seuil de diligence acceptable doit être fixé de manière à minimiser les coûts générés par la prévention (diligence) et le dommage susceptible de se produire. En termes mathématiques, soit x le niveau de diligence et f(x) la fonction coût (= coût de prévention plus probabilité de survenance du dommage fois montant du dommage), il s'agit de déterminer la valeur x pour laquelle cette fonction est à son minimum. Pour plus de détails voir COOTERIULEN, pp. 347 à 354. Au premier abord, cette formule semble à même de fournir des résultats exacts et de surmonter l'incertitude de la méthode de «l'homme raisonnable»; cette précision n'est cependant qu'apparente dans la mesure où la formule est tributaire de valeurs et de probabilités incertaines.

70 Dans un essai intitulé «The Reasonable Man», Lord A. P. HERBERT parodie l'homme raisonnable:

«The Reasonable Man is a/ways thinking of others; prudence is his guide, and "Safety First"

is his rule of /ife. He is one who invariably looks where he is going and is carefulto examine the immediate fore grou nd before he executes a leap or bou nd; who neither star-gazes nor is /ost in meditation wh en approaching trap-doors or the margin of a dock; who records in every case upon the counterfoils of checks su ch ample details as are desirable, who never mounts on a moving omnibus, and does not alight from any car white the train is in motion; who investigates exhaustive/y the bona fides of every mendicant be fore distributing a/ms, and will infonn himself of the history and habits of a dog be fore administering a caress; who believes in no gossip, nor repeats it, without fi ml basis for believing if to be true; who never drives his bal/ till those infrontofhim have definitely vacated the putting-green which is his own objective;

who never from one year's end ta the other makes an excessive demand upon his wife, his neighbors, his servants, his ox, or his ass; who in the way of business looks on/y for that nanvw margin of profit which twelve men such as himself would reckon to be ''fair': and contempla tes his fel/ow-merchants, the ir agents, and the ir goods, with that degree of suspicion and distrust which the law seems admirable; who never swears, gambles, or looses his temper; who uses nothing except in moderation, and even white he flogs his child is meditating on/y on the golden mean. [He] stands like a monument in our Courts of Justice, vain/y appealing ta his fellow-citizens to order the ir lives a ft er his own example .... • (cité par COOTERIULEN, p. 329).

Pour définir la limite entre comportement admissible et comportement insuffisant

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