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Mes observations: une opposition entre l’intérieur et l’extérieur

Chapitre 6. Obstacles et influences alternatives au néolibéralisme

6.4 Le genre influence les choix et limite l’accessibilité

6.4.6 Mes observations: une opposition entre l’intérieur et l’extérieur

Sur le terrain, le régime d’idées disciplinaires genrées introduit par le cpāp’ srī a été observé autour d’une double opposition entre l’intérieur féminin et l’extérieur masculin. En premier lieu, quelques étudiants ont témoigné que les filles doivent demeurer à l’intérieur parce qu’elles ont « peur » du soleil. Pour satisfaire les standards de beauté et respecter leur « nature » plus fragile, il est préférable qu’elles visent à occuper un emploi qui leur permet de présenter une apparence soignée et, autant que possible, qui leur offre un environnement de travail rendu confortable grâce à l’air conditionné. En deuxième lieu, d’autres étudiants ont affirmé que traditionnellement, il était très peu acceptable que les filles désirent travailler loin de la maison, idée à laquelle plusieurs adhèrent toujours aujourd’hui. C’est là qu’on trouve la source du problème limitant l’accès à une éducation supérieure à plusieurs filles; Phnom Penh est loin et dangereux. Or, on voit aussi comment une telle attitude peut être un obstacle quant aux domaines d’études qui sont préférables pour les jeunes femmes khmères. Pour illustrer cette opposition entre les sphères féminines et masculines, la mise en relation du choix de programme universitaire des étudiants 7 et 13 nous offre un exemple éloquent.

La médecine, un domaine masculin

D’abord, voici ce que je retire de mon entretien avec l’étudiant 13 qui est sur le point de devenir médecin. Lorsque je l’interroge sur la question du genre, il confirme que traditionnellement, on ne croyait pas que les femmes étaient les égales des hommes. On croyait plutôt qu’elles étaient limitées dans ce qu’elles pouvaient accomplir, ce qui a fait en sorte de rendre plutôt mal perçu qu’une femme souhaite poursuivre des études supérieures. Néanmoins, cet étudiant affirme que les choses ont beaucoup changé depuis. De nos jours, il est fier de pouvoir observer que les femmes sont en mesure d’étudier comme les hommes, mais il doit aussi admettre, visiblement à contrecœur, qu’elles sont très peu nombreuses à étudier la médecine. Puisque ses stages le font côtoyer l’hôpital régulièrement, il peut

témoigner que les femmes sont aussi à peu près absentes de son futur milieu de travail. De plus, elles semblent particulièrement éviter les salles d’opération, ce qu’il tente d’expliquer en proposant qu’il soit possible qu’elles manquent de confiance et qu’elles aient peur du sang, ce qui n’est pas le seul à avoir avancé. Par contre, il s’empresse aussitôt d’ajouter à deux ou trois reprises que pour la médecine générale ou d’autres spécialisations moins intenses, disons, certaines femmes sont meilleures que les hommes. L’étudiant fait beaucoup d’effort pour communiquer qu’il est en faveur de l’égalité homme femme, ce qu’il semble croire franchement, mais le milieu dans lequel il évolue en est tout de même un où les femmes n’ont pas encore fait leur place.

La pharmacie, un domaine féminin

Or s’il est évident que les femmes sont gardées à l’écart d’études en médecine, le champ de la santé leur offre d’autres opportunités à travers lesquelles leurs ambitions peuvent être poursuivies dans le respect des limites culturelles qui s’imposent à elles. L’exemple de l’étudiante 7 est frappant puisqu’elle avait d’abord envisagé d’étudier la médecine, mais elle a finalement arrêté son choix sur un programme universitaire dominé par les femmes: la pharmacie. Les raisons qu’elle m’offre pour expliquer la décision qu’elle a prise permettent, du même coup, de révéler la division genrée des rôles et occupations dans le domaine de la santé. Selon elle, la médecine demande d’être « like a man », c’est-à-dire qu’on doit être très fort physiquement et mentalement. Un bon médecin doit être résistant au stress puisque c’est une constante de son environnement de travail. Il doit aussi être en mesure de faire face à plusieurs problèmes spontanés et simultanés, en plus de ne pas avoir peur de travailler intimement avec le corps humain tel que le demandent les procédures chirurgicales dont il est responsable.

Toujours selon cette étudiante, tout ceci ne correspond ni aux aptitudes ni aux ambitions des femmes qui ne doivent pas travailler trop dur, et ce même au moment de leurs études. Effectivement, à son avis, les huit années que demande le parcours universitaire pour devenir médecin sont beaucoup trop longues. Le plan qu’elle s’est tracé lui semble plus intéressant

moment, ouvrir sa propre pharmacie. Après avoir exposé tous ces facteurs qu’elle a pris en considération, elle admet que ses parents ont significativement contribué à les cibler. Puisqu’elle est la plus jeune chez elle, ses parents la couvent beaucoup et souhaitent que son avenir soit aussi aisé que possible. Ensemble, ils sont arrivés à la conclusion que l’ouverture d’une pharmacie à même sa demeure sera l’idéal pour elle. Ainsi, elle aura la possibilité de s’occuper de son foyer, de ses enfants, puis d’elle-même en parallèle de son entreprise, ce qui sera facilité par la liberté qu’elle aura de faire sa sieste quotidienne ou bien de fermer boutique quand bon lui semble. La mise en relation des entretiens des étudiants 7 et 13 permet bien d’illustrer que le genre influence indéniablement les aspirations des jeunes, et donc les choix qu’ils font au moment de faire leur transition du high school vers l’université, puis de cette dernière vers le marché du travail.