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Chapitre 5. Démonstration de l’emprise du néolibéralisme sur les étudiants universitaires rencontrés à

5.1 Choisir une université

Très tôt dans les entretiens, j’ai encouragé les étudiants à échanger sur les raisons les ayant menés à fréquenter l’université choisie. Comme la majorité des participants à mon projet de recherche fréquentent la Royal University of Phnom Penh (RUPP) ou sa faculté la plus réputée et couramment considérée comme distincte de la première, l’Institute of Foreign Languages (IFL), je ne traiterai ici que de ces deux institutions. Puisque 19 des 28 étudiants y

étudient, elles m’offrent un échantillon représentatif que l’inclusion des autres universités fréquentées viendrait mettre en péril. Maintenant, puisque c’est précisément sur ce campus que j’ai pris la décision de mener mon terrain, et donc qu’il s’agit du principal endroit où j’ai rencontré les étudiants pour les entretiens, il est évident que l’important ici n’est pas de s'intéresser au choix qu’ils ont fait, puisqu’il y aurait là un biais insurmontable. L’intérêt se trouve plutôt du côté des justifications offertes par les étudiants. Rapidement, on constate que la décision de fréquenter l’une de ces deux institutions n’a pas été laissée au hasard. Les prochaines pages mettront en lumière les critères auxquels ils font référence et sur lesquels ils se sont appuyés pour prendre leur décision.

5.1.1 Choisir la Royal University of Phnom Penh

D’abord, comme il a déjà été annoncé, RUPP a l’ambition de devenir l’université phare du pays. Cet objectif qu’elle semble nettement être en voie d’atteindre lui attire beaucoup de bonnes presses au pays. L’université est, selon plusieurs, celle qui a la meilleure réputation au Cambodge, ce que les étudiants ne manquent pas de me rappeler lorsqu’ils m’expliquent leurs raisons de la fréquenter. De plus, RUPP est l’une des plus anciennes universités du pays, ce qui contribue à attirer encore davantage la confiance des jeunes qui planifient la fréquenter. Pour ceux-ci et leurs familles, la réputation de l’institution est perçue comme une sorte d’assurance sur la qualité de l’éducation qu’ils y recevront, valeur qui se retrouvera aussi dans le diplôme obtenu à la fin des études. Leur objectif est d’acquérir ainsi un avantage marqué sur le marché du travail en face de ceux qui font leurs études auprès d’autres institutions moins réputées.

À ce sujet, l’étudiante 9 m’a informé qu’elle a choisi RUPP avant même de connaître le domaine qu’elle désirait étudier tellement elle avait confiance en la qualité de l’établissement, de l’éducation qu’on y reçoit et de la formation des professeurs qui y enseignent. Cette perception que les étudiants ont de l’institution semble assez largement partagée et l’étudiant 10, par exemple, n’a aucun doute que ceux qui fréquentent RUPP seront des diplômés mieux formés et mieux qualifiés qu’ailleurs. L’étudiant 8 qui poursuit ses études en architecture à

RUPP connaît toutes les universités où son programme est également offert. C’est après les avoir toutes considérées qu’il a arrêté son choix sur celle ayant la meilleure réputation et qui lui inspirait le plus confiance, ce qui lui a fait croire qu’il y obtiendrait une éducation de meilleure qualité que chez les autres.

Une autre encore, l’étudiante 22 qui poursuit son programme d’études internationales à IFL, m’a confié qu’elle fréquentait auparavant une autre université, la University of Cambodia, où elle étudiait en business. Cette dernière, qui a été établie beaucoup plus récemment, lui est vite apparue comme étant plutôt mal organisée. Par exemple, la communication avec les étudiants était particulièrement difficile, ce qui causait beaucoup de confusion, entre autres, au moment de la rentrée scolaire. De plus, les programmes ne paraissaient pas encore très bien établis, ni tout à fait achevés, ce qui l’a finalement découragée de terminer ces études et d’y obtenir son diplôme. Elle a donc pris la décision de tout simplement changer d’université, et même de programme d’étude, afin de profiter de l'excellente réputation de IFL et des très belles perspectives d’avenir qu’elle offre à ceux qui détiennent un diplôme marqué de son sceau. De plus, l’étudiante appelle également à prendre en considération que IFL offre des liens directs avec le marché du travail puisque plusieurs employeurs recrutent directement sur le campus, en plus de proposer aux étudiants une multitude de bourses et de séjours à l’étranger qui contribuent à améliorer l’employabilité de ceux qui y complètent leur parcours universitaire.

Par la suite, un autre aspect permettant de saisir la manière dont les étudiants ont fait leur choix de fréquenter cette université a été laissé de côté lorsque je les interrogeais sur la logique qu’ils mettaient en œuvre au moment de choisir leur institution d’enseignement supérieur, mais il a pu transparaître ailleurs dans nos discussions. En fait, en plus des avantages déjà présentés, il s’avère économiquement avantageux de fréquenter RUPP puisqu’il s’agit d’une université publique. Bien que les frais de scolarité y ont été introduits depuis quelques années, ceux-ci demeurent toujours inférieurs à ce qu’on retrouve du côté des institutions privées qui coûtent généralement au moins deux fois plus cher. L’impact de ce facteur est certainement pertinent, d’autant plus que les étudiants sont plusieurs à avoir

obtenu une bourse pour y étudier à peu près gratuitement. Voilà une considération qui court le risque de rendre encore plus profitable l’investissement éducatif et qui confirme que le choix de fréquenter une université plus qu’une autre est rationnel.

Comme le représentent avec justesse ces exemples, le choix d’étudier à l’université phare du pays est basé sur l’espérance qu’ont les jeunes de retirer le maximum de bénéfices de leur éducation universitaire puisqu’il s’agit d’abord d’un investissement. À ce titre, ils agissent en

homo œconomicus puisqu’ils sont calculateurs, c’est-à-dire qu’ils mettent à profit la rationalité

économique néolibérale en entendant tirer profit de la réputation de RUPP et de la qualité de l’éducation qu’on y reçoit. C’est ainsi qu’ils comptent obtenir un diplôme de grande valeur qui leur permettra d’être très compétitifs sur le marché du travail en face des candidats provenant d’autres universités moins bien établies au pays. En justifiant leur choix d’université de cette manière, ils établissent le lien entre la qualité de l’éducation qu’ils reçoivent et celle de leur