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Chapitre 5. Démonstration de l’emprise du néolibéralisme sur les étudiants universitaires rencontrés à

5.2 Les étudiants de Phnom Penh et l’amélioration du capital humain

5.3.2 Compétitivité et entraide

Au cours de mes entretiens, je me suis aussi intéressé au fonctionnement en classe dans les universités cambodgiennes. Puisque l’accès aux salles de classe était bien sûr restreint et que quelques incursions spontanées ne m’auraient pas permis de soutirer de l’information jugée représentative, c’est en questionnant les étudiants que j’ai pu dresser un portrait de la situation. En général, par mes échanges, je voulais d’abord avoir une idée du déroulement des périodes en classe en plus de m’informer sur la manière dont les jeunes étudient et font leurs travaux scolaires. L’objectif derrière ces interrogations était de déceler les traces de l’influence néolibérale à l’université, institution que je décris comme l’un de ses vecteurs les plus importants, principalement du côté de la compétitivité que je m’attendais à y découvrir. Or, alors que les réponses reçues étaient assez unanimes et me proposaient un tableau plutôt homogène de la situation, ces résultats m’ont initialement surpris.

À la suite de mes nombreuses lectures sur le néolibéralisme, mon intuition informée me disait qu’une université sous influence néolibérale serait nécessairement hautement compétitive puisqu’il s’agit d’un des principaux traits qu’on lui reconnaît habituellement. Je le rappelle, le rôle du pouvoir politique est d’assurer un climat dans lequel la compétition entre tous peut avoir lieu sans tracas. Par ailleurs, après avoir côtoyé le milieu universitaire de la RUPP et ses étudiants, j’ai dû conclure que la compétitivité y est largement absente. Pendant quelque temps sur le terrain, j’ai eu un peu de difficulté à faire sens de cette découverte qui, venant ébranler ma confiance en ma perspicacité, a eu pour résultat d’introduire un doute envers mon projet de recherche. À un moment, j’ai dû m’éloigner quelques jours du terrain pour replonger plus sérieusement dans la littérature et en ressortir avec une assurance renouvelée. C’est alors que j’ai changé mon angle d’approche des données pour ne plus y voir une contradiction entre celles-ci et la vision néolibérale de l’éducation. Plutôt, il est devenu clair que pour les étudiants, la compétitivité viendra au moment d’intégrer le marché du travail, arène au sein de laquelle les étudiants seront effectivement les uns contre tous.

Dès lors, j’ai pu reconnaître que la compétitivité est mise de côté à l’université au profit de l'amélioration des soft skills grandement valorisés par le néolibéralisme qui gagnent l’avant- plan des préoccupations de l’institution, et donc des étudiants. Ceci supporte à merveille la redéfinition néolibérale de l’éducation, d’autant plus que le contexte du Cambodge où l’accès à une éducation supérieure demeure assez marginal rendrait contre-productive une rivalité permanente entre les jeunes. En classe comme en dehors, l’une de ces compétences qui en est arrivée à occuper une place d’importance est assurément le travail d’équipe qui, selon les propos des étudiants, est aussi priorisé par de nombreux professeurs. L’entraide et la coopération que cette manière de fonctionner requiert deviennent un atout pour les jeunes qui développent ces habiletés puisqu’elles font partie des compétences particulièrement convoitées par plusieurs employeurs du pays selon la littérature produite par la Banque Mondiale s’intéressant à la problématique du skill gap au pays (The World Bank 2012). En majorité, les étudiants apprécient beaucoup le travail d’équipe comme méthode de fonctionnement en classe. S’ils continuent d’évoluer dans un tel environnement, ils deviendront rapidement de meilleurs candidats pour travailler au sein des entreprises du pays

qui dénoncent actuellement le sous-développement de leurs soft skills au moment d’intégrer le marché du travail.

Les étudiants rencontrés sont conscients de la valeur du travail d’équipe et des habiletés qu’ils en retirent, ce qui laisse transparaître qu’ils ont adopté la définition néolibérale de l’éducation. Ils reconnaissent que cette méthode de travail leur permet de discuter ensemble, d’échanger leurs idées et d’avoir accès à des opinions divergentes des leurs. En particulier, les étudiants 6 et 12 expriment avec beaucoup de clarté que la coopération offre la chance de combiner les idées de plusieurs, et d’ainsi arriver à un meilleur résultat tous ensemble. Pour eux, et bien d’autres étudiants qui ont une attitude tout aussi positive envers le travail d’équipe, la collision entre des idées différentes ne fait pas entrer les étudiants en compétition les uns avec les autres au terme de laquelle l’un seul d’entre eux sortirait vainqueur. L’objectif qu’ils visent lorsqu’ils travaillent ensemble est d’inclure les perspectives et angles d’approche de chacun, ce qui leur permet d’arriver à une compréhension ou une opinion plus complète qui émerge toujours d’une sorte de consensus.

Par la suite, les étudiants ont été plusieurs à mentionner que l’entraide avec leurs pairs joue un rôle important dans leurs études et qu’il est pratique courante de se rejoindre pour étudier et faire les travaux ensemble, même lorsque ces derniers n’ont pas été conçus pour être fait en équipe. Ayant passé plusieurs mois sur le campus de la RUPP, je suis en

mesure de confirmer que les groupes d’études improvisés sont très nombreux. Leur présence

Illustration 8: Groupe d'étude sur le campus de la Royal University of Phnom Penh (RUPP). Source :

https://www.phnompenhpost.com/my-phnom-penh-virak- roeun. Consulté en mai 2018.

aborder pour les entretiens, même les jours où j’étais surpris d’apprendre qu’il n’y avait pas de cours. Comme l’étudiant 11 me le précise, ils profitent généralement de ces rencontres pour s’assurer, entre amis, que tous ont bien saisi la leçon de la journée, ou tout simplement pour compléter collectivement un devoir. L’entraide qu’encouragent les professeurs lorsqu’ils proposent aux étudiants de travailler en équipe pendant les heures de cours trouve donc rapidement un moyen de se faire une place en dehors de la salle de classe. Comme le dit si bien l’étudiante 18 quant aux étudiants de son programme qui préfèrent toujours partager le savoir plutôt que de la cacher, cette attitude fait en sorte qu’ils sont à peu près tous au même niveau quand arrivent les résultats d’examens. Ils cherchent à ce que tout le monde comprenne bien la matière, même ceux qui ont plus de difficulté, ce qui semble aussi être visé par la majorité des étudiants rencontrés.

Ainsi, au sein de la Royal University of Phnom Penh du moins, la compétitivité est écartée par l’entraide et la coopération qui occupent une place d’importance. Cette insistance mise sur ces compétences liées au travail d’équipe est tout à fait en harmonie avec les visées néolibérales pour l’éducation supérieure puisqu’il s’agit de compétences ayant une grande valeur sur le marché du travail au Cambodge. À ce titre, l’étudiante 9 qui étudie en gestion des affaires internationales, programme où tous les travaux se font en équipe, est persuadée que cette manière de fonctionner en classe et au-delà lui permet d’améliorer ses compétences relationnelles, particulièrement celles liées à la communication. Elle reconnaît donc qu’elle est en train d’acquérir des soft skills qui lui permettront, le temps venu, de présenter une candidature plus attrayante que celle d’étudiants n’ayant pas eu la chance de développer ce type d’habiletés.

5.3 Ce que les étudiants retirent de leur éducation