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Chapitre 3. Cadre contextuel

3.2 Néolibéralisme et Cambodge: point de contact

3.2.3 Impacts sur l'éducation supérieure au Cambodge

L'importance prise par la bonne gouvernance dans le domaine de l'éducation tertiaire s'explique par le rôle qu'y joue la Banque Mondiale. L'organisation est présente au

Cambodge depuis 1994 et elle a mené 82 projets qui représentent près de 1,4 milliard de dollars américains. Environ le cinquième de ce budget a été réservé à l'éducation, tout particulièrement du côté de l'université où l'objectif est, depuis le premier projet il y a plus de quinze ans, d'améliorer sa qualité, son adéquation avec le marché du travail, ainsi que son accessibilité, ce qui doit être rendu possible par la bonne gouvernance (FMI 2017). Or, les défis de ce côté sont importants. D'une part, j'ai déjà noté que les pressions extérieures qui ont le pouvoir d'influencer les ressources disponibles sont fortes et multiples (Sothy, Madhur et Rethy 2015 : 50). D'autre part, les différentes institutions d'éducation supérieure sont prises en charge par une panoplie de ministères différents, ce qui complexifie

grandement les pratiques de bonne gouvernance (Sothy, Madhur et Rethy 2015: 49-50).

Le problème principal qui émerge de cette situation est ce fléau qui a déjà été mentionné : la corruption. La Royal University of Phnom Penh où mon terrain s'est déroulé a d'ailleurs inclus dans son « Mission Statement » un point où elle affirme son désir de garder la corruption à l'écart de ses activités: « Becoming a center of good governance in which all administrative

and financial services will be accountable, transparent, and participatory to students, staff members and stakeholders » (RUPP 2017). Cet engagement reflète certainement ce que la

Illustration 6: Affiche de la mission de la Royal University of Phnom Penh. Photo personnelle, janvier 2016.

littérature répète à profusion: la corruption est omniprésente au Cambodge. Par contre, il est souvent beaucoup plus difficile de trouver une définition claire du phénomène, ou encore d'être informé des détails et exemples particuliers de ce qu'on peut observer dans le secteur de l'éducation du pays. À ce propos, les étudiants rencontrés ont une bonne idée de ce qui constitue le problème de corruption en éducation. Si certains sont visiblement inconfortables d'en parler, sept étudiants reconnaissent ouvertement que la corruption dans les institutions d'enseignement est un problème qui doit être abordé de front, et cinq d'entre eux me partagent des exemples concrets de situations qu'ils ont eux-mêmes vécues. Ces étudiants se retrouvent majoritairement dans la deuxième moitié de mon terrain, ce qui me laisse croire que notre manière d'aborder ce sujet, qui apparaît certainement sensible pour certains, a peut-être contribué à recueillir davantage d'information à ce moment-là.

Les étudiants ont donc été plusieurs à rapporter qu'ils ont rencontré le problème de la corruption tout au long de leur éducation préuniversitaire et surtout au cours de leur dernière année au high school où ils se retrouvent souvent dans une situation où des frais informels apparaissent, leur offrant l'opportunité de sécuriser un avantage en regard de leur réussite. Ils sont alors grandement encouragés à payer leur enseignant pour une classe spéciale où ils font la révision pour le prochain examen, ou tout simplement pour avoir le droit de faire cet examen. D'autres cas rapportés font mention de classes payantes où l'étudiant est seul avec l'enseignant qui lui donne littéralement toutes les réponses pour l'évaluation à venir. Évidemment, d'autres échanges monétaires sont aussi perçus pour tout simplement améliorer les notes des étudiants ou pour passer au grade suivant sans avoir rempli les exigences (UNDP 2014 : 1).

À ces problèmes, les solutions envisagées par les organisations internationales, comme le UNDP par exemple, se trouvent toujours du côté de la bonne gouvernance et de la bureaucratisation qui aideront à implémenter les mesures anticorruption, à aggraver les peines pour corruption alors qu'elles sont présentement plus sévères pour les fausses allégations, ou encore à informer davantage les Cambodgiens qui de toute manière voient actuellement seulement 2% de leurs plaintes traitées (EAR 20116 : 162-167). Dans le

domaine de l'éducation supérieure, ce sont souvent des projets d'assurance de qualité qui sont proposés. En introduisant davantage d'auto-évaluations, de formalités administratives et d'évaluations périodiques, les universités pourraient atteindre les standards internationaux et obtenir une accréditation externe ouvrant la porte à la mobilité des étudiants, au transfert de crédits et à la collaboration dans le milieu de la recherche (Sothy, Madhur et Rethy 2015 : 58- 59). On voit ici une ressemblance avec les objectifs du FMI. Pour l'université, les pratiques de bonne gouvernance visent moins à freiner la corruption qu'à adopter une structure qui lui permet d'avoir des interlocuteurs internationaux avec qui elle peut échanger d'égal à égal.

De leur côté, les étudiants proposent une solution beaucoup plus sensible au contexte local, croyant qu'en améliorant le salaire des enseignants, il serait possible de neutraliser le problème de corruption dans le milieu de l'éducation. Ils sont d'avis que ces pratiques sont à proscrire, mais ils comprennent aussi qu'en ce moment, il s'agit littéralement d'une question de survie pour les enseignants. La combinaison entre les coûts de la vie qui augmentent sans cesse et leur salaire atrocement bas qu'ils reçoivent parfois très en retard, voire jamais, obligent plusieurs d'entre eux à chercher un revenu supplémentaire payé directement par les élèves (Ear 2016 : 162; Sothy, Madhur et Rethy 2015 : 47), ou encore en occupant un second emploi, comme c'est le cas pour au moins le trois quarts d'entre eux (jusqu'à 93% selon une étude récente) qui se tournent alors vers le tutorat privé ou l'agriculture (UNESCO et IIEP 2011 : 40-41). Ces frais informels sont une menace à l'éducation universelle pour tous et mettent évidemment en danger sa qualité (UNDP 2014 : 1; 6). De plus, la situation actuelle enseigne malheureusement aux jeunes qu'il est normal de soudoyer les autorités pour avoir accès aux services publics, un type d’interaction qui se multiplie à la fin des études au moment de se trouver un emploi ou à d'autres occasions dans leur vie d'adultes (Peou 2017 : 27).

Chapitre 4. État de l’éducation au