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Chapitre 5. Démonstration de l’emprise du néolibéralisme sur les étudiants universitaires rencontrés à

5.4 Les étudiants financent eux-mêmes leurs études

Je l’ai abordé plus tôt, le néolibéralisme valorise beaucoup la responsabilisation individuelle, ce qui retire à l’appareil étatique le rôle de prendre en charge différents risques et besoins auxquels peut faire face la population. On peut ainsi s’attendre à la disparition de plus en plus marquée de mesures sociales telles que les soins de santé universels et gratuits, l’assurance chômage, ou encore l’éducation gratuite pour tous. En rapportant notre attention à ce dernier domaine, on voit bien que la privatisation des établissements d’enseignement supérieur et l’introduction de frais de scolarité dans le secteur public s’inscrivent dans cette logique. Se faisant, le néolibéralisme propose assez explicitement l’adoption d’une toute nouvelle pratique. Désormais, la responsabilité de financer ses études retombe sur celui qui étudie puisque c’est lui qui, y augmentant son capital humain, en récoltera tous les bénéfices.

En effet, les étudiants cambodgiens peuvent de moins en moins compter sur une éducation publique accessible où les bourses gouvernementales jouent un rôle primordial quant à l'accessibilité des études universitaires. De plus en plus, ils doivent envisager de travailler pour financer leurs études, idée à laquelle plusieurs adhèrent parce que tout près de la moitié des étudiants que j’ai rencontrés ont une expérience sur le marché du travail. Ce constat est plutôt considérable dans un contexte où pas mal d’étudiants peuvent toujours compter sur le soutien financier de leur famille, et où d’autres ont encore la chance de recevoir les généreuses bourses gouvernementales. De ces treize étudiants qui ont une expérience sur le marché du travail, six se trouvent sans emploi au moment de l’entrevue. Les deux premiers,

l’université ne leur permet plus. Deux autres, les étudiants 8 et 21, ont un travail qu’ils occupent seulement durant l’été. Le premier, qui étudie en architecture, a accès à des stages rémunérés de 180 heures durant l’été, alors que l’autre étudiante occupe un emploi pour une compagnie qui organise des banquets pour des fêtes et des mariages.

Ensuite, il y a les étudiants 17 et 27 qui ont travaillé avant d’entreprendre leurs études universitaires spécialement pour pouvoir les financer eux-mêmes. La première des deux a été enseignante dans une école primaire où elle comptait gagner de l’expérience en plus d’amasser l’argent nécessaire pour lui permettre de poursuivre de dispendieuses études qui lui permettront de réaliser son ambition de devenir infirmière. Bien qu’elle reçoive toujours de l’aide de ses parents, et parfois même de son frère et de sa sœur, ce travail lui a permis de réduire le fardeau que ses études représentent pour sa famille. C’est donc pour être en mesure de contribuer personnellement au paiement de ses frais de scolarité qu’elle a décidé de travailler avant d’entrer à l’université. L’étudiant 27, de son côté, avait la même motivation : prendre en main son éducation universitaire en faisant en sorte que ses parents n’aient pas à payer pour ses études. Contrairement à l’étudiante précédente, celui-ci n’a pas mis ses études sur pause afin d’y arriver. Pour atteindre son objectif, il a pris sur lui de financer ses études en travaillant dans le domaine de la construction durant les vacances, et aussi en étant gardien de sécurité de nuit, de six heures du soir à six heures du matin, tout en trouvant l’énergie d'aller à l’université durant la journée. L’exemple de cet étudiant démontre bien qu’il considère que l’éducation est la clé d’un avenir meilleur, et qu’il accepte que la responsabilité de la financer repose sur lui.

Par la suite, ce sont sept étudiants qui, lorsque je les rencontre, occupent un emploi en plus de fréquenter l’université durant la journée. Ils m’ont tous affirmé qu’il s’agissait d’un travail à temps partiel, mais leur définition varie énormément : jusqu’à 42 heures par semaine pour une des étudiantes. Trois d’entre eux, les étudiants 10, 11 et 19, occupent un emploi ne demandant pas de compétences particulières. Le premier travaille pour un entrepôt de savon alors que les deux autres occupent un emploi dans un restaurant afin d’être en mesure de poursuivre leurs études. Bien que ces emplois ne demandent pas de formation, il se peut que

leur niveau d’éducation soit tout de même attrayant pour l’employeur, et il est fort possible que la maîtrise de l’anglais, même si son utilité est possiblement marginale dans certains cas, constitue un avantage par rapport aux autres candidats de Phnom Penh qui ne serait pas en mesure de répondre à la clientèle d’expatriés ou de touristes par exemple.

Finalement, les étudiants 12, 25 et 26 occupent tous un emploi qu’ils ont pu atteindre puisqu’ils sont déjà avancés dans leur éducation universitaire. Le premier, l’étudiant 12, enseigne la physique et les mathématiques à domicile à des étudiants du high school parce qu’il doit aider ses parents à le soutenir dans ses études. Les deux autres étudiantes, 25 et 26, travaillent dans le domaine de la traduction pour une petite compagnie orchestrée par la belle-sœur de la première d’entre elles. Leur travail est plutôt de type freelancer: les contrats sont occasionnels et leur horaire flexible, mais leur rémunération est particulièrement attrayante. En plus de cet emploi, l’étudiante 26 est aussi freelancer pour le journal Khmer Times où elle écrit principalement des critiques de livres. Ces deux étudiantes mettent donc grandement à profit leurs compétences en anglais et elles mettent en œuvre un certain esprit entrepreneurial vu leurs conditions de travail.

Vient finalement s’ajouter à la liste l’étudiante 22 qui se trouve dans cette situation absolument unique que j’ai déjà décrite plus haut. À 20 ans, elle est déjà propriétaire de son propre restaurant de type « cuisine de rue » où elle y travaille toute la journée en dehors des heures de classe. Ces trois dernières étudiantes travaillent moins pour rendre possibles leurs études universitaires que pour améliorer davantage leur capital humain, pour bonifier leur

curriculum vitae d’une foule d’expériences pertinentes qui se traduiront par une compétitivité

accrue sur le marché du travail. Elles ne connaissent pas la même nécessité que les autres, mais elles peuvent tout de même contribuer à réduire le poids financier qu’elles représentent pour leurs parents. En somme, on voit qu’une part importante des étudiants ont déjà intégré le marché de l'emploi dans l’objectif, du moins en partie, de financer d’eux-mêmes leurs études universitaires.