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CHAPITRE 2.LA SITUATION LINGUISTIQUE ACTUELLE AU MAGHREB 70

2.3. En Mauritanie

La République Islamique de Mauritanie, qui a vu le jour en 1958, a entamé un lent processus d’arabisation. Ce processus, qui s’articule sur quatre réformes, va constituer l’élément moteur de la politique linguistique du parti unique au pouvoir.

1) La réforme de 1959

Les constitutions du 22 mars 1959 et du 20 mars 1961 stipulent clairement que la langue nationale est l’arabe et que la langue officielle est le français. La réforme scolaire de 1959 accorde une place assez importante à l’arabe : enseigné jusqu’à cette date à raison de 6 heures par semaine sur 30 heures hebdomadaire, il passe à 10 heures par semaine au cours préparatoire et 8 heures aux cours élémentaire et moyen contre 23 heures et 25 heures par semaine pour le français. Ce réaménagement des horaires de l’enseignement primaire vise à donner une place plus importante à l’arabe, d’une part et à rapprocher, selon les promoteurs de cette politique « l’école du milieu social et culturel qui l’entoure » en vue de « répondre aux aspirations culturelles de la majorité de la population », d’autre part. (Chartrand, cité dans Ould Zein B., 1997 : 35).

Cependant ce réajustement est assorti d’une possibilité, si les parents d’élèves le demandaient formellement, de dispense des cours d’arabe délivrée par l’inspecteur de la matière. L’école et les structures afférentes des enseignements primaire et secondaire demeurent calquées sur celle de la France. Avec tout au moins une

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différence quant à la place accordée à la langue arabe au second degré où elle est en concurrence avec l’anglais à raison de 4 heures par semaine. En classe de 3e

, les élèves ont la possibilité d’opter pour l’anglais à la place de l’arabe dans le cadre de leur préparation au B.E.P.C. Le développement de l’arabe dans le système éducatif a coïncidé avec l’intérêt pour l’école moderne exprimé par les Maures et les Négro-mauritaniens.

La réforme de 1959 provoque le mécontentement des Maures qui réclamaient plus d’arabisation, alors que les Négro-Mauritaniens refusaient tout enseignement en arabe pour la simple raison que cette langue n’était pas leur langue maternelle.

En 1964, le gouvernement prend la décision d’introduire les notes d’arabe dans le calcul de la moyenne pour le passage en classe supérieure et adopte aussi deux années plus tard un décret rendant l’étude de l’arabe obligatoire dans l’enseignement secondaire. La réaction des Négro-Mauritaniens ne s’est pas fait attendre : grève dans les lycées des villes de Nouakchott et de Rosso qui dégénère par la suite en conflits raciaux.

2) La réforme de 1967

Cette réforme se caractérise par un développement de l’arabisation : tous les élèves se trouvent dans l’obligation de suivre des cours durant une année d’initiation à l’arabe. L’enseignement fondamental anciennement primaire a vu sa durée portée à 7 ans au lieu de 6 ans précédemment, avec l’horaire hebdomadaire suivant : (sources Ould Youra citées dans Bah Ould Zein, 1997 : 37).

Années Cours Init. Arabe Cours Init. Français Cours Prépar. Cours Elém. Cours Elém. Cours Moyen Cours Moyen Arabe 30h 10h 10h 10h 10h 10h 10h Français _____ 20h 20h 20h 20h 20h 20h Total 30h 30h 30h 30h 30h 30h 30h Tableau 1

Au niveau du secondaire, l’horaire d’arabe a été porté à 9 heures en 6e

et 5e ; 5 heures en 4e et 3e, et 4heures pour le second cycle, alors que le français occupe le reste des 30 heures fixées par l’institution scolaire pour la semaine. L’article 3 de la Constitution révisé le 4 mars stipule que l’arabe est la langue officielle du pays

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concurremment avec le français. Conformément à cet article les autorités du pays entament une arabisation de l’administration au niveau de la région et du département.

3) La réforme de 1973

1973 est l’année de la révision des accords de coopération avec l’ancienne puissance coloniale et la création de la monnaie mauritanienne. Les dirigeants mauritaniens, en nationalistes qu’ils l’étaient, voulaient se démarquer culturellement du pays colonisateur. C’est pourquoi le bilinguisme instauré en 1967 n’était plus vu, comme le signale, un rapport du parti au pouvoir, comme une étape provisoire de l’arabisation. A cet effet, la réforme d’octobre 1973 doit conduire selon les recommandations du congrès du Parti du Peuple mauritanien (P.P.M) « à l’adéquation de notre système scolaire à nos réalités spécifiques et à une indépendance culturelle véritable grâce à la réhabilitation de la langue arabe et de la culture islamique.» (Institut Pédagogique National, cité dans B. Ould Zein, 1997 : 37).

Turpin inscrit cette réforme dans un rapport conflictuel langue arabe / langue française avec ce que ces deux langues ont comme charge culturelle. Le but déclaré de cette réforme est l’arabisation du système éducatif et de la société mauritanienne. Cette intention est clairement exprimée dans les propos du Président de l’époque M. Ould Dada en 1974 que cite Ould Zein B. (1997 : 37) : « L’arabisation en profondeur de tout notre système d’éducation est désormais engagée d’une manière irréversible et sa progression qui conciliera le souhaitable et le possible, inéluctable ». L’unilinguisme qui est l’option prise par le congrès dans le rapport final, résume les obligations à satisfaire à brève échéance : « Il faudra (pour cela) instaurer l’arabe comme l’unique langue officielle […] Il est tout à fait naturel que dans un Etat indépendant dont l’arabe est la seule langue nationale et officielle, que l’enseignement soit donné en langue arabe. Cela se traduirait par l’instauration d’un système d’enseignement où tout le primaire serait arabisé, l’enseignement des langues étrangères n’intervenant que dans le secondaire » (1997 : 37). Ce même rapport accorde une place importante à la langue française, puisque celle-ci se voit attribuer un statut de langue étrangère dite d’ouverture sur le monde: « Dans ce système définitif vers lequel nous devons tendre et que nous devons chercher à réaliser à plus ou moins longue échéance, il sera utile de réserver au français une place particulière. […] C’est une langue qui permet l’accès au monde extérieur scientifique et technique […], qui facilite la communication avec les pays africains voisins, ainsi que la coopération avec les Etats d’expression

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française. [Ce qui va donner à] l’étudiant la possibilité de suivre l’enseignement supérieur » (1997 : 37-38). La réforme ramène en premier la structure du premier degré de 7 années à 6 années, avec les premières années complètement arabisées. Le français est enseigné à partir de la 3e année à raison de 10 heures par semaine sur un total de 30 ; en 4e et 5e années son enseignement est de 15 heures hebdomadaires puis de 20 heures en 6e, conformément aux trois répartitions d’horaires de Ould Youra cité dans Bah Ould Zein (1997 : 38) :

Tableau 2

Le second degré qui est ramené à 6 années réparties en 2 cycles de 3 années chacun, comporte deux filières : une arabisée et l’autre bilingue. Dans la filière arabisée, tous les enseignements se font en arabe et le français est la première langue étrangère obligatoire avec un horaire de 5 heures par semaine pour les 1e, 2e et 3e années du premier cycle de 3 heures pour les 4e et 5e (classes du second cycle) enfin de 2 heures pour la 6e sur un total de 30 heures par semaine, et ce conformément à l’horaire officiel suivant :

Année 1re A 2e A 3e A 4e A 5 e A 6 e A

Arabe 25h 25h 25h 27h 27h 28h

Français 5h 5h 5h 3h 3h 2h

Total 30h 30h 30h 30h 30h 30h

Tableau 3

Concernant la filière bilingue, le français est enseigné comme langue et aussi véhicule des matières scientifiques et autres, comme l’histoire, la géographie et la philosophie ; 11 heures hebdomadaires sont consacrées à la langue arabe (étude de la langue, instruction morale, civique et religieuse) dans le premier cycle.

Année 1re A 2e A 3e A 4e A 5 e A 6 e A

Arabe 30h 30h 20h 15h 15h 10h

Français 0h 0h 10h 15h 15h 20h

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Dans le second cycle, l’horaire est fonction de la série choisie ; en général pour les trois classes, 6 heures sont réservées à l’arabe et à l’instruction morale, civique et religieuse, conformément à la répartition qui suit :

Année 1re A 2e A 3e A 4e A 5 e A 6 e A

Arabe 11h 25h 25h 6h 6h 6h

Français 19h 5h 5h 24h 24h 24h

Total 30h 30h 30h 30h 30h 30h

Tableau 4

La langue arabe est introduite à l’Ecole Nationale d’Administration et à l’Ecole Normale Supérieure où des sections arabisées sont instituées. Des stages d’initiation et de perfectionnement en arabe sont proposés aux fonctionnaires qui ignorent ou ne maîtrisent pas cette langue. La politique d’arabisation est à l’origine d’un recrutement massif d’enseignants arabophones issus pour la plupart des mahadras35

et de l’enseignement traditionnel.

4) La réforme de 1979

La réforme de 1973 n’a duré qu’un temps très court. Des événements politiques régionaux ont été à l’origine d’une phase d’instabilité politique dans le pays. La population négro-mauritanienne s’est opposée à la réforme de 1973 parce que celle-ci n’avait pas tenue compte des propositions faites par le P.PM de 1971 pour la réhabilitation des langues de cette frange de la population mauritanienne. Le Comité Militaire du Salut National décide en 1979 la mise en place d’une autre réforme, qui après 6 années d’une période dite transitoire, serait appliquée en 1985. Les principes fondamentaux de cette réforme sont : « officialisation de nos langues nationales, transcription de nos langues nationales (pulaar, soninké, ouolof) en caractères latins, création d’un institut de transcription et de développement des langues nationales, enseignement de nos langues nationales qui, à terme, doivent donner les mêmes débouchés que l’autre langue nationale, l’arabe.36» L’arabe devait donc être la langue qui unit les Mauritaniens. Chaque Mauritanien était appelé à parler deux langues nationales dont l’arabe, tandis que le français serait enseigné au second degré comme langue seconde. Une période de transition est mise en place durant laquelle les enfants maures choisissaient obligatoirement la filière arabe avec un horaire pour le français

35 Universités du désert qui dispensent un enseignement traditionnel.

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réduit à 5 heures par semaine sur 30 pour les classes de la 3e à la 6e (sources Bah Ould Zein, 1997 : 40) : Année 1re A 2e A 3e A 4e A 5 e A 6 e A Arabe 30h 30h 25h 25h 25h 25h Français 0h 0h 5h 5h 5h 5h Total 30h 30h 30h 30h 30h 30h Tableau 5

Les enfants négro–mauritaniens avaient, eux, le choix entre cette filière arabe et une autre filière bilingue où après une première année totalement arabisée, ils pourraient, sur la demande de leurs parents, suivre un enseignement en français de la 2e à la 6e à raison de 25 heures par semaine et 5 heures par semaine en arabe (Bah Ould Zein, 1997 : 40): Année 1re A 2e A 3e A 4e A 5 e A 6 e A Arabe 30h 5h 5h 5h 5h 5h Français 0h 25h 25h 25h 25h 25h Total 30h 30h 30h 30h 30h 30h Tableau 6

En 1980, le Comité Militaire de Salut National, instance au pouvoir à cette époque décrète l’arabe langue officielle, les trois langues négro-mauritaniennes (poular, soninké et wolof) langues nationales et le français langue étrangère privilégiée.

Durant la période transitoire dans ce pays, les deux composantes ethniques de la population mauritanienne ont approuvé l’enseignement en deux options, arabe pour les hassanophones et bilingue pour les Négro-Mauritaniens. L’option bilingue devait en principe être remplacée à terme par un enseignement dans les trois langues nationales. Après la mise en place de classes expérimentales en langues nationales, les Négro-mauritaniens désenchantèrent vite et s’aperçurent que l’enseignement en ces langues n’ouvrait guère de perspectives d’avenir. Après un temps très court, ces classes expérimentales finirent par fermer leurs portes et cette frange de la population se rabattit une fois de plus sur la filière bilingue qui était censée disparaître pour toujours.

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