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CHAPITRE 2.LA SITUATION LINGUISTIQUE ACTUELLE AU MAGHREB 70

2.2. Au Maroc

Après le recouvrement de l’indépendance du pays en 1956, des tentatives d’arabisation furent entreprises et traduites dans les faits par une politique d’arabisation déjà au programme des nationalistes marocains. Il était décidé de substituer à long terme l’arabe au français pour permettre à la langue arabe de récupérer son statut de langue officielle et ce comme le stipulent tous les textes des Constitutions qui ont été promulguées après l’Indépendance. L’objectif linguistique est de rendre à l’arabe littéral sa légitimité d’antan, langue officielle et nationale. Dans le discours sur l’arabisation, l’arabe est considéré comme langue du patrimoine arabo-musulman et aussi potentiellement, de la modernité. Il y avait, selon F. Benzakour, souvent confusion entre politique linguistique et politique d’arabisation néanmoins des mesures ont été adoptées dans des secteurs tels que l’enseignement, l’administration et l’environnement.

La création de l’Institut d’Etudes et de Recherches pour l’arabisation (I.E.R.A) en 1960 avait pour rôle premier de promouvoir et de réaliser une politique d’arabisation dans les secteurs de première importance comme l’enseignement et

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l’administration selon une démarche qui, d’après cet Institut, « consiste à rendre à la langue arabe la place qu’elle avait perdue durant la période coloniale, c’est-à-dire lui permettre de remplir à nouveau pleinement son rôle de langue nationale assurant les fonctions de communication, de formation et de gestion à tous les niveaux et dans tous les secteurs de la vie collective» cité dans Boukous et dans Benzakour et al., (2000 : 58).

Cependant la définition du statut des langues et la reconnaissance d’une ou plusieurs langues officielles, etc. devraient impérativement tenir compte des données sociolinguistiques. A ce titre, l’évocation de la berbérité suffisait pour être accusé de division et même d’atteinte à l’unité de la nation. De même des facteurs extralinguistiques du type historiques, idéologiques, socio-démographiques, économico-politiques, peuvent jouer un rôle contraire à celui initié pour la politique d’arabisation. Il semblerait que tous ces paramètres n’ont pas été retenus lors de la prise de la décision d’arabiser. L’alphabétisation des populations arabophones ou berbérophones se faisait en langue arabe.

L’enseignement reste le secteur sensible de la politique d’arabisation ; le processus concerne aussi l’administration et l’environnement. L’arabisation de l’administration débuta dès 1956 avec un certain nombre de mesures que d’aucuns qualifient de « ni progressives », « ni ordonnées », « ni globales ». Si dans des secteurs comme la justice et l’éducation nationale existent une arabisation complète, le bilinguisme reste présent avec une domination de plus en plus remarquable de l’arabe; les Finances, enfin, demeurent plus francisées qu’arabisées. L’arabisation de l’environnement qui entre dans le processus d’arabisation des formes de la vie sociale concerne à titre indicatif les enseignes des magasins, cafés, restaurants, affiches etc. qui sont écrites en français ou dans les deux langues (arabe et française).

En 1957, la première année du primaire est totalement arabisée mais sans qu’on mette les moyens adéquats pour mener à bien cette opération. Pour y remédier, on ouvre des classes expérimentales au niveau de certaines villes du pays. L’Institut d’études et de recherches pour l’arabisation s’inscrit dans un cadre national et a pour charge de « superviser la suite des actions à mener pour que l’arabe soit l’unique langue d’enseignement.» (Quitout, 2007 : 70). La réflexion donne des résultats probants et se traduit par une arabisation année par année plutôt que matière par matière. Dès 1967, tout le primaire est arabisé. En 1968, le pays insère les écoles

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coraniques dans le processus de l’arabisation du primaire et les intègre dans un cycle pré-scolaire de deux ans pour les enfants de 5 ans ; mettre les enfants en contact avec l’arabe du Coran est le but recherché par les initiateurs de ce projet. Après l’école coranique d’une durée de deux ans, l’élève accède directement au primaire et y reste 5 ans ; le bilinguisme arabe–français y est en revanche maintenu à partir de la troisième année. Depuis, l’arabisation au royaume a fait son chemin, elle a atteint le secondaire sans pour autant être achevée au supérieur.

En somme, au Maroc, trois tendances, rapporte F. Benzakour, s’affrontaient à l’indépendance : arabisation pure et simple, partage entre le français et une autre langue véhiculaire ou maintien du statu quo ; la conjoncture imposa une arabisation prudente qui n’empêcha en rien la diffusion de cette langue, favorisée en plus par la généralisation de la scolarité. Bien que le Maroc soit un espace linguistiquement hétérogène, il n’en a pas moins observé une direction officielle sur cet aspect et ce durant une quarantaine d’années. Une position « équilibrée et médiane » préconise une forme de bilinguisme, acceptée par les hautes instances du royaume, dans l’enseignement. Ainsi dans un discours de 197034

, le Roi Hassan II déclarait que « de nos jours, l’analphabète n’est pas celui qui ne sait ni lire ni écrire. Il est plutôt celui qui ne connaît pas au moins deux langues» cité dans Saouli, Merrouni et Benzakour et al., (2000 : 61).

En 2006, ou de nos jours, à titre illustratif, pour les 2 premières années du primaire le volume horaire consacré à l’arabe est de 11 heures par semaine, et de 6 heures par semaine pour les 3 autres années contre 8 heures de français.

Au secondaire, l’enseignement de l’arabe classique dispose de 2 heures par semaine pour les filières scientifiques et 5 heures par semaine pour les filières littéraires. Le français, en revanche, occupe respectivement 4 heures et 5 heures par semaine. Concernant le supérieur, l’arabisation a rencontré des résistances de la part des enseignants ou des étudiants qui s’étaient bruyamment révoltés en rejetant les diplômes délivrés précédemment aux étudiants arabisants et qui ne leur offraient aucune chance de travail. En résumé, on peut dire que les sciences humaines sont dispensées en arabe, alors qu’au niveau des facultés des sciences, les enseignements sont encore assurés en français. Cette politique d’arabisation s’exerce également au

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niveau administratif mais sans exclure un certain bilinguisme. Les lois sont rédigées d’abord en arabe puis traduites la plupart du temps, en français.

L’échange oral entre les Marocains se fait certes en arabe dialectal mais aussi en arabe standard, en français et en berbère. Dans les zones berbérophones, les fonctionnaires du royaume chérifien peuvent communiquer dans l’une des variétés du berbère présente dans la région donnée. Le Bulletin officiel du Royaume du Maroc qui possède une édition française, interdit l’usage du français dans les correspondances officielles; la circulaire n° 53/ 98 datée du 11 /12/ 1998, précise : « Conformément à la Constitution qui fait de l’arabe la langue officielle de l’Etat, toutes les Administrations, les Institutions publiques et les Communes sont dorénavant tenues d’utiliser la langue arabe dans leurs correspondances à usage interne ou externe… Par conséquent, toute correspondance dans une autre langue est formellement interdite… » (M. Quitout, 2007 : 71).

En ce qui concerne l’enseignement privé, réservé aux couches sociales dominantes et moyennes, il se fait essentiellement en français, parfois en anglais, mais jamais en arabe. Ces établissements ne sont pas, selon Quitout, « tenus de respecter les contenus pédagogiques de l’enseignement public ; en revanche, l’Etat a un droit de regard sur le volume horaire minimum pratiqué. C’est ainsi que les programmes suivis dans ce type d’établissements sont souvent ceux du système scolaire français » (Ibid.: 71). Enfin, depuis l’entrée en vigueur de la Charte Nationale d’éducation et de formation en 2000, l’Etat s’oriente vers une politique linguistique ouverte sur les dialectes maternels notamment le tamazight (berbère) et le français, considéré comme langue étrangère nécessaire à l’essor scientifique du pays.

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