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Les langues nationales

CHAPITRE 2.LA SITUATION LINGUISTIQUE ACTUELLE AU MAGHREB 70

2.1.1. Les langues nationales

L’Algérie se proclame depuis toujours arabe et arabophone, en raison d’une arabisation qui s’est faite certes lentement mais sur une longue période. « Au VIIème

siècle, le pays berbère a rompu avec l’Occident et s’est rattaché à l’Orient, totalement, sans retour, et semble t-il sans conflit intérieur, sans crise de conscience. Ses nouveaux maîtres les Arabes, ont pu par la suite, cesser d’y exercer directement le pouvoir.» (W. Marçais in K.T. Ibrahimi, 1997 : 23). A l’indépendance du pays, le pouvoir algérien adopte une politique d’arabisation ou de réarabisation visant à redonner à la langue arabe sa fonction éducative, culturelle et sociale d’une part et son statut de langue officielle d’autre part, statut occupé naguère par la langue française.

Mais en fait d’arabisation, il s’agissait surtout d’introduire dans le système scolaire (primaire, fondamental et secondaire) la langue arabe qui, pendant un siècle et quart, ne figurait que comme langue étrangère. Il fallait en quelque sorte engager le processus contraire à celui en vigueur sous la colonisation en sachant, avec conviction que la prise du pouvoir passe sans équivoque par le linguistique : c’est à dire la

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récupération de l’arabe afin d’en faire le véhicule authentique de la culture nationale. Fitouri, (1983 : 137), qui cite Sayad A., montre que le fait de « recouvrer la langue originelle en tant qu’expression authentique de la société» constitue un acte important pour la restauration de cette culture et ce à travers la récupération d’un élément constitutif de sa souveraineté : la langue. Cette dernière a, pour M. Lacheraf, « la propriété de tirer sa sève de la société. »

Tous les moyens vont être mis à la disposition du ministre de l’Education de l’époque T. Ibrahimi pour liquider l’école léguée par le colonisateur et ainsi remplacer le français par l’arabe. A ce propos, ce ministre justifie ainsi sa démarche : « En empruntant la langue du colonisateur, nous empruntons aussi, et de façon inconsciente, sa démarche intellectuelle, voire son échelle de valeurs.» (M. Benrabah, 1999 : 104). Quant aux langues en présence dans ce pays, D. Morsly souligne l’opposition entre: langue nationale (arabe classique) et langue étrangère (langue française qui était durant l’occupation la langue dominante). L'usage du syntagme langue nationale symbolise «l’unité, l’homogénéité, l’uniformité » D. Morsly (1985 : 85) qui reflète, à notre sens, un rejet implicite de la diversité linguistique, en jouant comme le dit R. Barthes, sur les valeurs euphoriques attachées du fait de la guerre de libération du pays.

On a récupéré la solidarité des Algériens durant la lutte armée afin d’imposer à la société fraîchement débarrassée du colonialisme, la thèse d’un mouvement politico-religieux au credo uniciste : «une seule langue, l’arabe, une seule religion, l’Islam, une seule patrie, l’Algérie » (Saadi, D. 1995 : 132). Ainsi la langue nationale était porteuse d’un double interdit: interdit sur les idiomes locaux comme l’arabe algérien et le berbère considérés par les décideurs comme «impurs» (tout statut leur a été refusé de peur de diviser le peuple algérien entre Berbères et Arabes), et interdit sur le français.

Si pour la langue arabe, les différentes Constitutions élaborées depuis 1962 stipulent toutes dans l’article 3 : «L’arabe est la langue nationale et officielle», le type d’arabe n’est pas spécifié mais les auteurs pensent en fait à l’arabe classique. A ce propos, Naït Belkacem, ancien ministre de Boumediène, cité dans Benrabah (1999 :116) est plus clair : «La langue arabe et l’islam sont inséparables… L’arabe a sa place à part de par le fait qu’elle est la langue du Coran et du Prophète ».

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Concernant, les dialectes arabes ou l’arabe dialectal, ils constituent la langue maternelle de la majorité des Algériens, la langue de la première socialisation. C’est à travers cette langue, vecteur de la culture populaire, note K.T. Ibrahimi, « que se construit l’imaginaire de l’individu, son univers affectif.» (1997 : 28). Il va sans dire que les dialectes arabes ont un usage exclusivement oral.

Le berbère ou tamazigh dans toutes ses variétés, appelées aussi dialectes berbères, sont le prolongement des plus anciennes variétés connues au Maghreb, ils en constituent le plus vieux substrat linguistique et de ce fait, sont en Algérie, la langue maternelle d’une partie de la population. Les principaux parlers sont le kabyle présent en Kabylie, le chaoui circonscrit dans les Aurès et Nemencha, le mzabi parlé dans le M’zab ainsi que le parler targui des Touareg du Hoggar; ceux ci restent confinés à un usage oral par excellence puisque minoritaires par le nombre des locuteurs dans le pays. Après d’incessantes tentatives pour une revalorisation des parlers et de la culture berbérophone, le Parlement algérien en date du 3 octobre 2001 déclare le berbère langue nationale du pays. Après avis du Conseil constitutionnel et du parlement en ses deux chambres, le Président de la République promulgue la loi n°02-03 du 27 Moharram 1423 correspondant au 10 avril 2002 portant révision constitutionnelle dont la teneur suit (Journal Officiel n° 25) :

Article 1er. - Il est ajouté un article 3 bis ainsi conçu : Art.3bis. - Tamazigh est également langue nationale.

L’Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés

linguistiques en usage sur le territoire national. Si pour le tamazigh nous sommes encore au début d’un long chemin en revanche

la langue arabe peut devenir la langue nationale par excellence à condition qu’elle soit selon le linguiste Waciny Larej: «capable de mettre en valeur tous les soubassements de la langue berbère avec toute sa diversité : kabyle, chaoui et targui, les langues arabes populaires avec aussi toutes les diversités régionales et la langue française.» (El Watan, 07/07/1998). Cette idée pourrait éventuellement faire son chemin pour peu qu’on admette et défende le plurilinguisme en Algérie qui d’ailleurs ne pourrait s’accomplir sans le pluriculturalisme caractérisant l’aire maghrébine en entier.

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