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L’arabe standard, moderne

CHAPITRE 2. LES EMPRUNTS A L’ARABE

2.1.2. L’arabe standard, moderne

Au XIXe siècle, à la suite de la pénétration européenne, française pour le Maghreb, s'amorce « le mouvement de renaissance qui allait aboutir à l'arabe moderne. Le problème que posent au monde arabe les contacts avec la civilisation occidentale est double. Un problème d'épuration d'abord : il s'agit aussi d'adapter l'instrument aux

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nécessités du monde moderne, ainsi qu'il avait fallu le faire aux temps de l'expansion impériale. Le procédé le plus naturel et le plus direct était de conférer, comme l'avaient fait aussi les philologues médiévaux, des sens nouveaux aux mots anciens. Dans l'immense lexique hérité, une grande partie des vocables – près d'un tiers – n'avait plus aucun emploi. C'est là un trésor figé que la littérature explore et ranime par des glissements ou des mutations de sens.53» Cependant, l’auteur relève une déficience propre à la langue arabe qui, de par sa structure même, limite la création de néologismes. Il trouve que « d'une part sa dérivation, essentiellement radicale, ne permet pas de fonder facilement une forme sur une autre, à moins que celle-ci ne comporte un squelette consonantique de trois ou quatre consonnes. D'autre part, cette langue ne possède pas de procédés de composition ; de là naissent des difficultés qui, malgré les efforts des Académies, ne sont pas résolues. 54»

Actuellement, dans chacun des quatre pays maghrébins se pratique ce qu’on appelle l’arabe littéraire, dérivé de l’arabe classique, que l’on peut considérer comme langue arabe pseudo-officielle de ces pays. C’est cet arabe « international », « transnational » ou standard que Claire Maury-Rouan présente dans son article : « issu de l’arabe littéraire ancien, celui du Coran et de la littérature classique, l’arabe littéraire moderne est la langue de la radio, de la TV, des journaux, des discours politiques, des manuels scolaires, commune à quelques écarts près, à l’ensemble du monde arabe.» (1980 : 393). On peut, pour notre part, ajouter la langue des débats politiques, des textes scientifiques et de plus en plus celle des textes littéraires profanes, en résumé dans les domaines où n’est pas toléré l’usage des variétés dialectales.

Parlé dans la plupart des pays arabes, l'arabe moderne n'est en revanche presque jamais la langue des échanges quotidiens. Il est proche de l’arabe classique pour l’Algérie; influencée par le français du point de vue de la syntaxe et du lexique pour la Tunisie, cette variété intéresse à plus d’un titre les linguistes. Ainsi D. Cohen trouve pour sa part que : « les problèmes d'ordre syntaxique ne préoccupent pas autant les auteurs modernes. En fait, l'usage actuel diffère sur des points nombreux et importants de la syntaxe classique : développement des formes analytiques de construction, 53

D. Cohen, op.cité. 54

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articulation de la phrase sur la subordination, multiplication des procédés pour l'expression du temps aux dépens de celle des diverses modalités de la durée qui caractérisait la langue classique, etc. Cette évolution considérable sur le plan de la syntaxe, plus considérable encore pour ce qui concerne le style, s'est réalisée sans grands à-coups et sans que ses promoteurs en aient une claire conscience. C'est qu'un grand nombre d'entre eux, nourris de culture européenne, formés par des traductions, lorsqu'ils n'avaient pas directement accès aux textes européens, se conformaient d'instinct aux schèmes syntaxiques qui leur étaient devenus naturels.55» Tout en reconnaissant que la responsabilité de l'influence étrangère n'est pas la seule dans cette situation. Il ajoute, en insistant sur la particularité du sujet arabe, présente aussi chez le Maghrébin, que « si les auteurs qui construisent la langue dans leurs œuvres sont souvent bilingues, ils participent toujours de ce qu'on a appelé la « diglossie ». L'arabe moderne n'est que le véhicule de leur expression écrite. Mais chacun d'entre eux a pour instrument de la communication orale ordinaire un dialecte vernaculaire, souvent bien éloigné de la langue littéraire. Ces dialectes, quant à eux, n'ont pas subi d'éclipse ; ils ont continué à se développer et par conséquent à résoudre, dans leur évolution, les problèmes qui se posaient à leur niveau. Ils ne pouvaient rester sans influencer dans quelque mesure le langage écrit.56»

L'autre dynamique, note D. Cohen, est celle de la langue littéraire commune et « les conditions qui prévalent actuellement dans la plupart des pays arabes ont donné une nouvelle base à son extension. La participation désormais large des populations à la vie politique, le développement considérable des médias – notamment la télévision – et surtout l'élargissement des couches sociales accédant à l'enseignement scolaire et universitaire, font que cette langue littéraire, instrument de l'enseignement, connaît maintenant une grande diffusion. Par là même, elle exerce une influence de plus en plus puissante sur les dialectes eux-mêmes. Mais l'influence inverse n'est pas sans se faire sentir. Sous l'apparente unité de la langue littéraire commune, on constate des différenciations, à l'état naissant tout au moins, qui donnent parfois à son usage un cachet régional.57»

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D. Cohen, op. cité. 56

Ibid., op. cité. 57

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Cette variété d’arabe connaît ces temps–ci un fort développement grâce particulièrement à des chaînes de télévision du genre d’Al Jazeera, Al Arabya, Médi I, etc. ce qui donne à l’arabe moderne un essor et un renouveau sans précédent.

Les emprunts lexicaux recensés dans cette variété, que nous donnons ci-après, concernent exclusivement le plan officiel et statutaire.

Baladia (Lexique Algérie)

De toutes ces explications, les habitants de ce quartier ont retenu que la « balle » se balade à la baladia de Sidi M’Hamed. Il appartient donc à cette dernière de trouver une solution à ce problème. (2002 : 194).

Amir el mouminine (lexique Maroc)

En cette heureuse occasion, on ajoute le communiqué, le ministère des Habous et des Affaires Islamiques exprime ses meilleurs vœux à Amir Al Mouminine S.M. le Roi Hassan II. (2000 : 147).

Wilaya (lexique Mauritanie)

La coordination des partis de l’opposition avait informé l’administration régionale de son nouveau projet de manifestation. Cette fois, la wilaya avait donné son aval. (1997 : 172).

Habous (lexique Tunisie)

Elle figure, parait-il, sur un acte notarié des archives des Habous. (2004 : 241). 2.1.3. L’arabe dialectal

Nous pouvons commencer par dire que chaque pays arabophone possède son arabe dialectal. Ces pays ont tous développé une variété dialectale différente d’un pays à un autre et ce conformément à des critères liés à l’histoire, la culture et la colonisation.

L’étude de ces dialectes nous a permis de relever certaines ressemblances au Maghreb. D. Cohen58 dans son article élucide au mieux la constitution des dialectes dans le monde arabe: « En réalité, l'histoire de l'arabisation ne nous est qu'imparfaitement connue, si bien que les processus par lesquels se sont constitué les dialectes actuels nous apparaissent sous des formes très variées, avec des brassages et des mélanges dont les composantes, les rythmes et les produits sont divers. Dans cette arabisation, les substrats sur lesquels s'est développée la nouvelle langue ne peuvent

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être négligés. Certains dialectes maghrébins sont profondément marqués par l'influence berbère, …»

S’inscrivant dans ce que nous pouvons appeler la géographie dialectale, D. Cohen59 distingue de manière générale, pour le Maghreb à titre illustratif, les groupements dialectaux suivants :

1) dialectes tunisiens avec les parlers des villes (Tunis, Kairouan, Sousse, Sfax), du Sahel, des bédouins du Nord-Est (proches de ceux des bédouins de l'Est algérien), des bédouins du Sud (proches de ceux des nomades de Tripolitaine) ;

2) dialectes algériens avec les parlers des villes orientales (Constantine et autres), centrales (Alger, Blida, Cherchel, Médéa, etc.), occidentales (Tlemcen, Nédroma), parlers de la Kabylie septentrionale, des Traras, des nomades telliens, des semi-nomades et sédentarisés du Constantinois, parlers d'Oranie (sauf Tlemcen et Nédroma) ;

3) dialectes marocains avec les parlers citadins de Tanger, ceux des grandes villes du centre (Fès, Meknès, Rabat, etc.), les parlers des Jbala et ceux des bédouins ;

4) dialecte de Mauritanie (ou hassanya).

Vernaculaire, l’arabe dialectal est, comme le souligne Y. Derradji en parlant de l’Algérie, l’expression de l’identité, de la cohésion et de l’unité nationales, enfin de l’affirmation de soi (2002:109). Le plus particulier d’entre tous est le cas de la Mauritanie avec la hassaniya, un dialecte arabe certes, mais imprégné selon Bah Ould Zein (1997: 09) de termes berbères de l’ordre de 15 à 20%.

Parlé par la majorité des populations des 4 pays, la variété d’arabe, ou la hassaniya pour les Mauritaniens Maures est adoptée comme norme sociale d’expression. Les dialectes ont beaucoup de vocabulaire en commun avec l’arabe courant et sont constitués de mots que l’on côtoie souvent (par la parole et la lecture). Et face à un mot peu-courant dont on ne connaît pas l’équivalent dans un dialecte, les enseignants d’arabe pensent que l’on peut toujours le remplacer par un mot d’arabe courant, avec de bonnes chances que ce soit vraiment le bon mot. D'autant plus qu'étant comme des simplifications de l'Arabe fousha, on pourrait penser qu’il devrait se traduire facilement de l’un à l’autre.

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L’arabe dialectal avec ses variétés utilisé par les locuteurs algériens appartient selon K.T. Ibrahimi « à la sphère maghrébine, avec une interpénétration et une intercompréhension certaines aux franges géographiques entre les variétés limitrophes tunisiennes d’une part, et entre les variétés de l’Ouest algérien et les variétés limitrophes marocaines, d’autre part.» (1997 : 26-27). Cette aire maghrébine renchérit K.T Ibrahimi « a été marquée par le conservatisme de ses locuteurs, l’influence hilalienne et l’existence de noyaux irréductibles de très vieilles variétés qui remontent à l’arrivée des premières tribus arabes, l’influence andalouse avec l’arrivée de milliers de réfugiés andalous (…), par le substrat berbère (…) et à subir bien plus tard les influences successives de l’espagnol, de l’italien mais surtout du turc (l’ottoman) et du français après la colonisation.» (1997: 27).

Le paradoxe pour cette variété d’arabe est qu’elle jouit d’une estime sans faille chez les populations de ces pays d’un côté et pâtit d’un mépris officiel d’un autre côté. C’est ce qui du moins transparaît dans les politiques préconisées par tous les pays du Maghreb sans exclusive. D’un autre point de vue, cette fois-ci phonologique, l’intégration des emprunts étrangers, français pour ce qui nous concerne, est l’occasion de création de phonèmes par le remplissage de cases vides. Ainsi /p/ apparaît comme dans plusieurs pays arabe et ceux du Maghreb ne sont pas du reste dans les mots Peugeot [pizu], le /v/ dans télévision [televizj ], etc.

Dans les inventaires lexicaux, les emprunts à l’arabe dialectal dans les exemples ci-dessous concernent souvent le quotidien des Maghrébins, il arrive ainsi qu’ils alimentent le champ sémantique de la religion islamique. Les dramaturges maghrébins ont, pour leur majorité, privilégié les dialectes au théâtre parce qu’ils répondaient parfaitement à une certaine attente, une sensibilité du public. Mots et expressions du terroir constituaient pour lui une sorte de langue naturelle, par opposition à l’arabe classique ou moderne considéré comme une supra-langue.

Touiza (Lexique Algérie)

Ils avaient même proposé d’organiser une touiza pour s’aider mutuellement à réaliser des habitations pour leur famille. (2002 : 531).

Tayaba (Lexique Maroc)

Dans le hammam [bain maure] on remarque souvent de petites bonnes aux petits soins avec leurs employeuses qui font ainsi l’économie d’une tayaba du hammam. (2000 : 314).

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Un jour, un bjaoui arrive pour dire qu’il y avait problème chez les Messouma. (1997 : 83).

Khargba (Lexique Tunisie)

Les tournois de kharbga avec des cailloux ou des noyaux de dattes, insouciants de tout ce qui se passait autour d’eux. (2000 : 2).